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samedi 21 octobre 2023 13:18
Grand Corps Malade en interview : "Le succès ne me rend pas meilleur que les autres"
Par
Julien GONCALVES
| Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Après l'énorme carton de "Mesdames", Grand Corps Malade revient avec son nouvel album "Reflets". En interview sur Purecharts, l'artiste se livre sur l'impact du succès, sa chanson pour ses fils, l'inaction politique sur le climat, les Victoires de la Musique ou le film sur Charles Aznavour qu'il co-réalise. Rencontre !
Crédits photo : Yann Orhan
Propos recueillis par Julien Gonçalves. J'ai l'impression que tu n'arrêtes pas ! L'album "Mesdames", la tournée, le projet "Ephémère" avec Gaël Faye et Ben Mazué, encore une tournée, le film sur Charles Aznavour, ce nouvel album "Reflets"... Comment tu fais ? C'est vrai que là... Mais c'est presque malgré moi. Il y a des projets qui arrivent, c'est comme une évidence, c'est maintenant que ça se fait, et puis celui-là aussi, on a envie de le faire, et hop. Bon, là je ne prends rien d'autre mais oui ça s'est bien enchaîné. Quand on a fait l'album avec les potes, on était déjà sur l'écriture du scénario. Tout s'enchaîne bien, mais on ne va pas se plaindre. Là je sais qu'à la fin de cette tournée là, le film sera en boîte, je ne vais pas repartir sur deux projets comme un fou en même temps. Je sortirai de cinq années très très denses, je vais un peu calmer le jeu. Enfin, je dis ça mais on verra... (Rires) J'ai l'impression que l'année prochaine sera un peu plus calme. La vie de famille c'est ma priorité Quand tu en parles, ça a l'air assez facile. Est-ce que c'est si simple de mener tout ça et d'avoir une vie de famille notamment ? Le plus dur c'est ça, la vie de famille, mais ça reste la priorité. En tout cas, je ne suis pas fatigué, ni mentalement ni nerveusement, d'avoir tous ces projets. Le seul truc c'est l'emploi du temps, de tout combiner, d'aller au foot avec mes enfants, d'être avec eux, de profiter.... Ce n'est pas dur d'un point de vue fatigue mentale, mais l'emploi du temps n'est pas extensible. C'est ça qu'il faut vraiment gérer. Et comment on ressort du plus gros succès de sa carrière ? "Mesdames" c'est 600.000 ventes et une grande tournée... J'étais fier de fou ! Je pense qu'on n'est pas nombreux à avoir notre pic de carrière au bout de 17 ans... Bien sûr que c'est génial. Et l'aventure de la tournée était dingue ! J'avais fait plein de Zénith déjà, mais là on a fait plus de 40 Zénith, on a fini à Bercy avec plein d'invités. Incroyable ! Après, je sais que je ne referai jamais ça. Et ce n'est pas de la fausse modestie. Il y a eu une espèce de magie avec le thème, le concept, on a eu trois énormes tubes coup sur coup, le truc a décollé. Après, il faut redescendre sur Terre... Là, on a un très bel album et j'espère que ça va marcher mais ça ne pourra jamais refaire des scores comme ça. Donc je ne m'emballe pas, c'était une parenthèse un peu folle. Ça met une pression supplémentaire pour le suivant ? Non pas trop. Je pense vraiment réussir à m'affranchir de tout ça. Bien sûr, au moment de la promo, on y pense : "A ce moment-là, on avait "Mais je t'aime" qui tournait partout en radio". Là, on peut comparer un peu. Mais quand j'écris, j'essaie de me mettre dans les mêmes conditions du début, de penser le moins possible à ce qu'il y aura ensuite sur scène, à tel journaliste qui pourra analyser telle ou telle phrase. J'essaie juste d'être avec mon texte. Le player Dailymotion est en train de se charger...
"Retiens les rêves", le premier single que tu dédies à tes deux fils, est plus chanté. Ça vient aussi de l'influence de l'album d'avant ? Oui un petit peu. Ce n'est pas la première fois que je chante, donc ce n'est pas tout nouveau, mais bien sûr d'avoir écrit autant pour ces duos-là, que ce soit pour Louane ou Suzane... Et puis j'avais déjà écrit avant pour des artistes qui étaient des vrais chanteurs, c'est un vrai exercice que j'aime bien. Trouver les bons mots sur la bonne mélodie, avec un refrain qui est un repère pour l'oreille, le vrai format chanson quoi. J'aime bien le faire de temps en temps. Comment ont réagi tes deux fils en entendant la chanson ? Ils étaient touchés. En plus, je leur avais juste fait écouter la musique, que Vincha a composée, et déjà ils la trouvaient super belle et touchante. J'étais content car je ne leur avais pas dit que j'avais choisi cette musique pour écrire un texte sur eux. Ils ont validé ! Mes fils savent que j'ai un métier particulier Ils vivent bien ton statut ?Oui, ils sont grands maintenant, ils ont 10 et 13 ans, ça ne leur fait pas bizarre, ils comprennent bien, ils ont grandi avec ça. Depuis tout petits, on m'arrête dans la rue, on fait des photos, ils voient des affiches de moi dans le métro. Ils savent bien que j'ai un métier particulier par rapport aux pères de leurs potes, ils ont conscience de ce que c'est d'avoir un papa connu, mais on le gère bien. Jusqu'ici ça se passe bien, ils sont plutôt fiers donc ça va ! Comment tu expliques que tu sois le seul slammeur populaire dans le paysage musical ? C'est un regret, d'ailleurs ? Oui bien sûr, c'est un regret. Je connais bien ceux qui traînaient dans les scènes slam quand j'ai commencé dans les années 2000. Il y avait des gens tellement forts que j'aurais aimé qu'il y en ait plus qui émergent. Après, une des raisons, c'est qu'il y a 97% de slammeurs qui n'ont pas envie de faire une carrière. Il y en a qui ont essayé et ils n'ont pas eu la chance que j'ai eue au bon moment, la visibilité qui a été la mienne. Mais il y en a qui vivent bien. Je pense à Souleymane Diamanka, qui a fait des albums, qui lui ont permis de faire des concerts, et maintenant il édite des recueils qui marchent bien. Mais c'est vrai que niveau grand public, il n'y en a pas d'autres, et c'est dommage. Oui alors que tu le prouves, on peut rendre le slam populaire... C'est peut-être aussi pour ça que j'ai réussi à en faire une vraie carrière. J'ai très vite réussi à mélanger les genres et à m'affranchir de ce terme de slam. Car le slam en réalité, c'est a cappella et c'est sur scène. Je le disais aux journalistes quand j'ai sorti mon premier album, ce que je fais, ce n'est pas du slam. Un album de slam, c'est un non-sens car il y a de la musique dessus. Ce n'est pas parce que je parle sur de la musique que je fais du slam. Je fais de la chanson ! Mais j'essaie d'oublier un peu ces étiquettes, qu'on dise que je suis slammeur ou chanteur, tout me va. Tu fais une belle déclaration à ta femme sur "Je serai là". Après "Dimanche soir", tu avais envie de lui offrir une nouvelle chanson ? Oui, et c'est ça qui est génial, c'est le thème le plus utilisé de la chanson, du roman ou du film. Ce qui est intéressant, c'est de toujours trouver un angle nouveau. Cette fois, j'ai eu cette idée-là... Et juste avant il y a eu l'album "Ephémère" qui était un peu moins personnel car on était trois, je ne pouvais pas parler d'amour. Sur "Mesdames", c'était des duos, et même si on a écrit "Mais je t'aime" avec Camille Lellouche, c'était aussi moins personnel, je parlais moins de moi. "Dimanche soir" ça date de 2018, donc il était temps de réécrire une chanson d'amour. (Sourire) Ça lui fait plaisir ce genre d'attention ? Oui je crois... Je suis content de bien gagner ma vie Vous êtes super discrets d'ailleurs...Oui, j'en parle dans mes textes et basta. Et mes textes, ça reste des sentiments universels. Que ce soit "Retiens les rêves" ou "Je serai là", ce sont des thèmes hyper perso mais à la fin tu ne connais rien de ma vie perso. Ce sont des sentiments que chacun peut s'approprier. Même les prénoms de mes enfants, j'essaie que ça ne sorte pas. Bon après, tu peux les trouver facilement. (Sourire) Pareil si tu veux savoir qui est ma femme... Mais j'essaie de préserver ça. Ma femme travaille, mes enfants vont à l'école, j'ai envie qu'ils aient leur propre identité. Tu chantes "De ma vie en banlieue, jai gardé une sorte d'éthique" ou "Je peux vivre sans ma banlieue mais pas sans mes banlieusards" sur "Autoreflet". Tu évoques le quotidien d'un ouvrir essoré par le système dans "Le jour d'après". Malgré le succès, l'argent ou la popularité, tu as toujours réussi à rester proche de là d'où tu viens ? En tout cas, je n'ai pas eu à me forcer à le faire. Non, ça a été assez naturel. Mes meilleurs potes avec qui je pars en vacances l'été, ce sont ceux que j'avais déjà avant ma carrière. Mes potes, ils sont profs, ils font des métiers loin du show business. J'ai toujours ce lien avec la réalité des vrais métiers, du terrain. Prof c'est un vrai métier de terrain, vraiment au coeur de la société. J'ai pas été très attiré par les paillettes, le show biz... Peut-être que c'est aussi parce que j'ai "explosé" vers 28 ans. Si j'avais eu 18 piges, peut-être que je me serais laissé un peu griser. Mais à 28 ans, j'avais déjà eu quelques aléas de parcours qui font que j'ai une capacité à prendre du recul donc je profite pleinement. Je suis fier de ce que je fais, du statut que j'ai. Je suis content de bien gagner ma vie et d'en faire profiter tout le monde. Mais je pense foncièrement que cette notoriété ou ce succès ne me rend pas meilleur que les autres. Je sais qu'il y en a qui ne pensent pas ça. J'en ai croisé des gens dans le show biz... (Sourire) Ils pensent vraiment que parce qu'ils sont connus et qu'on les reconnait dans la rue, ils sont meilleurs qu'un prof ou un comptable. Alors que ce sont des gens aussi intéressants et intelligents que nous, peut-être même plus ! Je l'ai toujours eu profondément en moi, donc je me suis jamais trop laissé griser par tout ça. On sent dans tes paroles que tu fais partie du système mais sans y être vraiment... Je ne fais pas d'effort pour m'en distancer mais naturellement, on ne me verra pas dans les grosses soirées du show biz. Si j'y vais c'est que j'ai envie d'y aller, que c'est une belle avant-première. Et si je dois passer devant le photo call, il n'y a pas de problème. Mais je n'irai pas à une soirée parce qu'il y a un photo call ! En mode : "Ce serait bien qu'on me voit là-bas". Si je peux éviter ça... (Rires) Dans le texte de la chanson "2083", qui évoque le réchauffement climatique et l'inaction des politiques, tu emploies des mots très forts sur les gouvernements. C'est un peu ce qu'on pense tous tout bas. Pourquoi ça ne bouge pas selon toi ? J'ai essayé de comprendre... Je n'ai pas la réponse absolue, j'aimerais pouvoir tout expliquer en deux phrases. Déjà il y a des lobbys très très forts, du pétrole notamment, et on sait que ces grands groupes multi-milliardaires sont parfois plus forts que les politiques. C'est un peu eux qui dirigent le monde. Tant qu'ils ne voudront absolument pas qu'on touche à leurs intérêts, ils feront des pressions pour continuer à créer du pétrole, du charbon, de l'électricité... Ils ont limite plus de pouvoir que les Etats. A l'échelle du monde, créer des règles générales, c'est très compliqué. On vit de tels contrastes entre les pays riches et les pays pauvres qu'on n'a pas les mêmes sujets. On sait évidemment que ce sont les pays riches qui pourrissent le plus la planète. Je n'ai pas la réponse, c'est un peu mélangé mais je pense que les lobbys, c'est une des réponses les plus graves. J'étais déçu de ne pas être nommé aux Victoires C'était important d'en parler, même en temps que papa ? Mais même en temps que citoyen ! Je me suis toujours prétendu être un artiste au coeur du monde, de la société. Dans tous mes albums, il y a des thèmes hyper perso mais aussi des thèmes de société. On ne peut pas passer à côté de ce thème-là. En 2023, sortir 12 titres sans aborder ça, c'est presque faire l'autruche. Je ne peux pas, moi, alors que j'ai l'habitude de parler du monde qui nous entoure, faire comme si ça n'existait pas. Mais je crains oui... Pas forcément pour moi, même si on va encore connaître des dingueries, des tempêtes, des étés caniculaires, nous on va à peu près s'en sortir. Mais mes enfants, en 2083, ils seront encore là et je ne sais pas quel monde ils vont avoir. Ça m'inquiète et c'est peut-être le sujet de société le plus grave... Tu penses qu'une chanson peut faire évoluer les consciences ? (Il grimace) Franchement... Vu les rapports alarmants du GIEC [Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr], qui sont quand même une batterie de scientifiques les plus experts... Mais attention, je les ai lus ces rapports, et ils ne disent pas que "on va dans le mur", ils sont constructifs, ils essaient d'expliquer ce qu'il faudrait faire. Donc si les plus grands scientifiques n'arrivent pas à faire secouer nos politiques, c'est pas ma petite chanson qui va le faire. Je sais qu'elle ne changera pas le monde mais si ça peut faire bouger les lignes dans la tête de dix gars, tant mieux. Mais ces dix gars, ce ne sont pas ceux qui dirigent le monde. Donc je suis lucide sur l'impact de cette chanson mais je ne pouvais pas ne pas la faire. On a commencé le montage du film sur Aznavour En début d'année, les Victoires de la Musique seront de retour. On sait qu'il y a eu des petites tensions quand tu n'as pas été nommé l'an dernier, même si après tu as été nommé pour "Ephémère". Cette reconnaissance est importante pour toi ?Après, la polémique, j'insiste, ce n'est pas moi qui l'ait lancée. J'étais déçu évidemment. "Mesdames", ça a été un raz-de-marée, on sortait de la plus grosse tournée que je n'avais jamais faite. C'est tellement important pour moi la tournée, tout le monde me disait que j'allais forcément être dans "la tournée de l'année". On a fait 40 Zénith, un Bercy... Le fait de ne pas être nommé, j'ai été déçu. Je n'ai pas fait la polémique parce qu'il y a des choses un peu plus graves que ma petite déception. Le plus important, c'est de remplir les salles et l'amour du public. Mais oui les Victoires, ça reste un truc... J'en ai eu, je sais ce que c'est d'être nommé et d'en avoir, d'être nommé et de ne pas en avoir, et de ne pas être nommé. Dès le lendemain, je passe à autre chose mais le jour J, c'est une belle reconnaissance. C'est la grande messe de notre métier. Bon, le système de votes change mais c'est quand même toujours très opaque, on ne sait pas trop qui vote mais maintenant il y a des gens du métier, des journalistes, des gens du public. Quand tu rentres le soir avec ta statuette, tu es content, et cette statuette elle reste... Quand tu la revois, tu te dis que ton travail, cette année-là, a été récompensé. On croise les doigts pour 2024 alors... Oh, l'album n'est même pas encore sorti, je n'en suis pas là... La reconnaissance du public, c'est vraiment le plus important. J'attends déjà de voir comment le public va recevoir les chansons, les Victoires ce sera autre chose. Parlons un peu du biopic sur Charles Aznavour qui sort l'année prochaine. J'imagine que c'est un projet qui te tient particulièrement à coeur. Est-ce que tu as eu la pression d'être authentique, à la hauteur de ce qu'il était ? Authentique, on l'est, il n'y a pas de problème. On n'invente rien, j'ai eu la chance de bien le connaître, et puis on a tellement tout vu, tout lu... La partie la plus importante dans notre film, c'est l'avant succès, et ça plein de gens vont le découvrir je pense. On va bien retranscrire ça. Après, être à la hauteur de l'homme oui on l'espère. Déjà, on a un acteur qui est à la hauteur. Tahar Rahim a fait une performance incroyable, il est méconnaissable, il est grimé. Quand les années passent, on reconnait l'Aznavour des premières images. Il a pris six mois de cours de chant, de piano... Il s'est mis dans le rôle comme personne. Le tournage est fini, on est déjà au montage, on sait un peu ce que ça va donner. On a un excellent acteur, on a de belles images, on est content de ce qu'on a tourné. Après, l'alchimie d'un film, tant qu'il n'est pas fini, on ne sait pas... Tu penses à la carrière internationale du film ? Oui bien sûr. Après, ça, ce n'est pas dans mes cordes, c'est le distributeur. Mais Aznavour était une star aux Etats-Unis, au Japon, en Amérique du Sud... Il a chanté dans toutes les langues. C'est un film qui a une vocation internationale. En plus, Tahar Rahim est très connu aux Etats-Unis, ce qui va aider le film à voyager. Mais bien sûr on y pense oui. Tu chantes "J'ai tellement de projets que j'aurai pas assez d'une vie". Alors, c'est quoi le prochain ? (Il sourit) Ça va rester entre la musique et le cinéma. J'ai quelques idées... En tout cas, je ne vais pas me mettre à la sculpture ou au théâtre demain. J'ai déjà tellement de chance d'avoir ces deux casquettes-là, c'est quand même très différent d'être chanteur et réalisateur. Et c'est pas si fréquent. Donc je vais continuer...
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