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Lou Doillon : "Pour Etienne, c’était l’enregistrement le plus heureux de sa vie"

Aujourd'hui, Lou Doillon change d'univers. Habituée aux milieux de la mode et du cinéma, elle se lance dans la musique en sortant son premier album, "Places", dans les bacs ce lundi 3 septembre. L'artiste de 29 ans a collaboré avec Etienne Daho sur un opus intégralement chanté en anglais. Spontanée et naturelle, la fille de Jane Birkin s'est confiée à Pure Charts et semble ravie de son expérience.
Crédits photo : Zazzo
Propos recueillis par Jean-Baptiste Pietra

Pure Charts : Qu’est ce qui t’a poussée à enregistrer un disque ? Est-ce que l'idée de trottait dans la tête depuis un moment ?
Lou Doillon : Je fais de la musique pour moi depuis pas mal d'années. Je ne pensais pas que j’avais envie de la partager. C’est Christopher Brenner, un musicien américain, qui m’a donné le goût de faire de la musique. Il y a sept ans, j’avais un groupe avec lui aux Etats-Unis, mais je ne voulais pas dépendre d’autres gens. Il m’a acheté une Yamaha à 200 euros chez Beuscher. Et c'est comme ca que mon rapport à la musique a personnellement commencé. Je vis avec ma guitare depuis sept ans. Puis, c'est Etienne Daho qui a voulu que je partage ma musique autre part que dans ma cuisine ou avec des potes dans mon salon.

Si j’avais pu enregistrer "Places" dans ma cuisine, je l'aurais fait
On entend parler de ton album depuis plus d’un an, mais son nom n’a été évoqué qu'assez tard. Tu nous en as révélé quatre pistes grâce à un EP, sorti le 11 juin dernier. Tu fais exprès d’entretenir un certain mystère ?
Tout a été fait sans préméditation. Du coup, c’est peut-être pour ça que cet album a quelque chose de particulier. Dans un monde où malheureusement les choses coutent chères et sont ambitieuses, on a envie d’en foutre plein la gueule dès le début. Moi j’ai fait une "anti démarche". J’ai décidé de prendre un parti assez radical : de ne miser sur aucune image et qu’on écoute simplement la musique. On aime ou on n’aime pas, mais je voulais juste la musique, rien autour.

Pour le clip de "I.C.U", on a fait le plus simple possible. On a tourné dans les rues de Paris, ça n'a pas coûté un rond. On est allé à l’opposé de tout ce que les gens attendent. On s’attend à me voir me changer vingt fois de robes, à ma fenêtre, etc. Je n’avais pas l’ambition que ce soit une grosse machine. Etant profondément la fille de mon père - un réalisateur de films indépendants extrêmement laborieux, consciencieux, très protestant et très dur - l’idée de faire un album qui coûte des millions, enregistré à Los Angeles avec le meilleur clipeur... la question ne se posait pas : c’est tout ce que je déteste en fait ! Si j’avais pu l’enregistrer dans ma cuisine, on l’aurait enregistré dans ma cuisine. Et on s’est posé la question au bout d’un moment ! Je me suis dit on va juste être honnête, on va faire comme n’importe qui, on va tout boucler en dix jours, aux Studios de la Seine. Cinq jours d’éditing et huit jours chez Philippe Zdar : on a fait l’un des albums les plus rapides de l’année !

Regardez le clip de "I.C.U" de Lou Doillon :


Pour la dernière étape, je me suis dit on va envoyer la musique et laisser vivre, voir ce qui se passe. Si les gens se mettent à aimer la musique, là ça commence à me plaire, c’est bon signe. Au delà du premier morceau, il y a eu l'EP quatre titres. Un "entre deux", pour que les gens puissent entendre d’autres choses, d’autres couleurs, avant d'avoir l'album complet. C'est important pour les radios aussi. Aujourd’hui je pourrais mentir en disant que tout a été pensé comme ca depuis le début, mais non. Tout ça est venu très naturellement.

Quelles ont été tes inspirations ? Et pourquoi chantes-tu exclusivement en anglais ?
Très honnêtement, en huit ans de chanson toute la journée dans ma cuisine, il n'y a pas un morceau qui est sorti en français…

Pas même des reprises d’artistes que tu aimais bien ?
On s’amuse plus en anglais qu’en français.
Non... Première raison : je n’ai jamais chanté "naturellement" en français. Deuxième raison : je pense qu’en français, j’ai des soucis de famille, dans le sens où je suis "fille de", "sœur de", "enfant de", "cousine de"… Enfin, il y a une sorte de chape un peu lourdingue et je n’arrive pas à m’en échapper. Donc à cause de ça j’ai l’impression d’être déjà dans la cible, j’essaye de me faire le plus petit possible, ce qui fait que ma voix monte dans les aigus. C'est pareil avec les enfants, dès qu’ils veulent faire plaisir, la voix monte. En fait, je me dénature en français.

Quand tu écris en anglais, plus c’est simple, plus c’est juste. En français c’est plus compliqué. Car si tu écris simplement, c’est juste simple, ca ne prend pas d’ampleur. Donc il faut savoir écrire intelligemment. D’un coup y’a un dictionnaire des rimes qui apparaît sur ta table : t’es entre Rimbaud et Verlaine à te dire "je pique quoi et à qui"… Sans parler de mon beau-père qui était l’un des plus doués dans ce domaine-là. J’ai appris par une prof de chant qu’en français c’est extrêmement compliqué de chanter car, pour des histoires de diphtongues, les mots se ferment. Alors que l'anglais est dans l’ouverture. On s’amuse plus en anglais qu’en français. Au final, je me suis dit, on verra en live si je fais une reprise en français… Si j’arrive à me "leurrer".

Que réponds-tu aux gens qui comparent ton style musical à celui de Charlotte Gainsbourg ?
Charlotte, ma sœur ?

Oui...
Qu’ils prennent trop de crack ! (rires)

Qu’est-ce qui vous différencie selon toi ?
Ma sœur est dans une démarche d’interprète, et c’est une grande interprète. Déjà au cinéma, c’est l’une des actrices les plus douées de sa génération. C’est quelqu’un qui sait absolument s’annuler et devenir la chose que l’on veut qu’elle devienne. C’est une grande qualité qu’elle a plus que moi. Moi, je suis moins bonne comédienne qu’elle dans le sens où je suis une "character actor" comme diraient les américains. Je pense que je suis profondément quelque chose et tu viens me chercher pour cette chose-là. Alors que Charlotte, elle, est malléable.

J’ai un caractère presque trop fort. Charlotte, elle, est malléable.
J’ai un caractère presque trop fort. Je le vois même en mode. Pour les marques où les fringues ne sont pas faciles à porter et où les marques n’ont pas plus de caractère que ca, j’ai tellement de caractère que ça marche. C’est pour ça que j’ai fait plus de Morgan que de Channel… Alors que Charlotte peut par exemple porter du Balenciaga, qui en lui-même est tellement fort qu’elle peut s’annuler et se mettre dedans. Moi, tu me mets dans du Balenciaga, je pense que je ressemblerais à une sorte de drag-queen. Il y a trop de caractère, trop de tout, dans tous les sens… Et je pense que dans la musique c’est exactement la même chose.

Moi c’est très personnel, et exclusivement rempli de moi. Il y a un peu d’Etienne dans l’album. Quand "I.C.U" est sorti j'ai remarqué avec horreur que 100% de la chanson était à moi, tant sur le plan moral que technique. D’un coup, c’est la première fois de ma vie que j'étais partout, sans point de vue d'une autre personne. C’est là que je me retrouve dans la musique : je pense que c’est profondément à mon image. Alors que Charlotte, elle, est entrée dans les univers d'Etienne Daho, Air, Beck, et Connan Mockasin, quand elle a collaboré avec eux. De mon côté, c'est Etienne Daho qui est entré dans mon univers.

Crédits photo : Zazzo
Justement, Daho a réalisé et arrangé les chansons de "Places". Il a collaboré avec Jane Birkin par le passé. Te sens-tu plus proche d'un des deux ?
Etienne m’a découvert comme un homme découvre une femme : avec quelque chose de l’ordre du rapport amoureux. Je pense qu'il est tombé amoureux de mon univers, et il était étonné que personne ne soit au courant de cet univers. Ça l’a énormément amusé de se dire qu’on allait surprendre tout le monde. C’est une vraie démarche belle et amoureuse, et absolument pas ambitieuse. Si j’avais démarché seule, on ne m’aurait jamais envoyée vers Etienne Daho. On m’aurait envoyée vers un mec de Lo-Fi californien ou un Anglais, histoire de se dire "on va faire une touche pop anglaise".

L’influence de ma mère, c’est uniquement celle d'une femme en tant que mère. J’ai un rapport très particulier avec ses chansons. Un rapport organique. J’ai passé mon enfance avec elle sur ses tournées, et moi je regardais toujours le public. J’ai vu ma mère un peu comme une petite fille à l’école qui veut faire plaisir et être dans une démarche d’interprète. Ce côté-là ne m’a pas du tout aidé dans la musique, c’est comme Charlotte. C'est l'influence de la femme forte et drôle qui se ressent par contre dans ma musique. Je suis profondément sa fille en étant costaud comme elle. J’ai accouché seule de mes morceaux chez moi dans la douleur, mais dès que je suis rentrée en studio j'étais ravie. J'avais déjà fait le pire humainement. Etienne était d'ailleurs étonné. Il m’a dit que c’était l’enregistrement le plus heureux de sa vie.

C’est amusant : en écoutant ton album, j’ai trouvé des similitude entre ton titre "Defiant" et la chanson "Le premier jour du reste de ta vie" d'Étienne Daho. Les accords au piano notamment. Même si le rythme de "Defiant" est plus rapide. As-tu réécouté quelques titres de Daho avant de plancher sur tes compositions ?
C’est drôle parce que moi j’ai découvert tous les albums d’Etienne après l’enregistrement ! Depuis trois mois, et mon travail avec Etienne, on est d'ailleurs devenus "méga fans" de lui, mon fils et moi ! J'ai écrit "Defiant" en Bretagne, chez ma mère, pendant une semaine. Moi qui ne m’aventure jamais dans les barrés d’habitude, car les barrés me font extrêmement mal aux doigts, je suis quand même partie sur deux barrés car on m’avait demandé un morceau up-tempo, et c’est comme ça que commence "Defiant". Après, est-ce que lui, en l’entendant, a fait inconsciemment des arrangements ? Si c’est le cas je pense que c’est absolument inconscient de sa part. Moi, il m’a beaucoup protégée de ça. Par exemple, une fois, j’avais une voix qui le faisait penser à une chanteuse qu’il connaissait bien. Et il a attendu la fin de l’enregistrement de l’album pour me dire que c’était Karen Dalton.

Ton album a été mixé par Zdar, le musicien du duo Cassius. Il a travaillé avec divers groupes, notamment Phoenix, The Rapture ou encore Housse de Racket. Comment as-tu rencontré Zdar et est-ce que tu te verrais interpréter un duo avec une de ces formations ?
C’est Etienne qui m’a dit en décembre qu’il pensait à Philippe Zdar, et qu'il l'appellerait. J’ai vu les gens de chez Barclay qui m’ont dit "ca n’arrivera jamais", qu'il bossait non-stop et seulement avec des stars. Il venait de dire non à Madonna. L’argent ne pouvait pas l'acheter. Il voulait juste finir les albums et partir en vacances. Du coup, je me suis dit, ça c’est mort... J'ai fait une croix dessus. Etienne, qui est assez malin, lui a quand même envoyé une première démo guitare-voix que j’avais enregistrée seule. Et j’ai reçu un texto une heure après de Philippe qui disait "c’est de la bombe, je trouverais le temps qu’il faut". En une semaine, il a fait deux mix par jours pour mon album alors que Philippe prend plutôt quatre jours pour en faire un d’habitude… par vraie bonté du cœur. J’avais la pression : je me disais : "je vais passer après Kindness et Catpower…" et finalement quand je l’ai vu lui kiffer les chansons et pleurer sur "I.C.U" ça m’a fait plaisir. J’aimerais beaucoup me joindre à cette bande avec qui il a déjà travaillé. Il y a plein de choses qui commencent dans ma tête !

"ICU", "Devil or Angel", "Questions and Answers"… Plusieurs titres de "Places" donnent l’impression que tu joues à cache-cache. C'est parce que tu te cherches encore ?
Ça n’est pas fait exprès. Je pense que je suis quelqu’un de rongé par le doute continuellement. Je suis quelqu’un de très très curieux. J'ai une curiosité maladive pour les gens. J’aime beaucoup regarder les gens et les écouter, comme ma mère. D'ailleurs, on se confie beaucoup à moi. Peut-être que j’aurais pu être PSY ou religieuse dans une autre vie… Plus tu regardes, plus tu es étonné par un certain nombre de choses dans la vie. Tu te rends compte que tu as presque 30 ans, tu n'en as plus 20. Tu te rends compte que tu as dit "je t’aime" à trois ou quatre personnes différentes. Est-ce que le "je t’aime" vaut toujours le coup ? Est-ce qu’on ne peut pas trouver d’autres mots, vu que ce sont des mots qui reviennent ? Avec "Questions and Answers", je me suis demandée : "où est ce qu’on va ?". Il y a des chansons qui te dépassent complètement : "I.C.U", je l’ai écrite en vingt minutes. Je me suis réveillée, elle était là… Ce qui est heureux c’est que sur l’album, beaucoup de chansons ont été écrites dans l’année. Ce ne sont pas de vieilles chansons qui ont perdu leur sens. Ce sont des "névroses de maintenant".

Lou Doillon se produira en concert à la Flèche d'Or (Paris), les 24 et 25 octobre prochains.

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