samedi 09 février 2019 13:28
Lou Doillon en interview : "Je voulais qu'il y ait de la pudeur et beaucoup de musique"
A l'occasion de la sortie de son troisième album "Soliloquy", Pure Charts est parti à la rencontre de Lou Doillon. La conception de son disque, la nouvelle scène française, ses inspirations et même son admiration pour Érasme... la chanteuse, actrice et mannequin se confie.
Crédits photo : Craig McDean
Propos recueillis par Théau Berthelot. "Soliloquy" est votre premier album depuis "Lay Low", pourquoi avoir pris ce temps ? C'est un album que j'ai fait plutôt rapidement dans le sens où j'ai fini la tournée il y a à peine un an et demi. C'est vrai que ça demande du temps de trouver les idées qu'on va avoir, de savoir avec qui on va collaborer. De trouver des collaborateurs, c'est ça qui est génial. Et puis écrire des chansons, ça prend du temps. J'ai toujours admiré Bob Dylan qui arrivait à sortir un album par an mais maintenant la majorité des gens en sortent un tous les quatre ou cinq ans. C'est un procédé très laborieux comme l'écriture. Il y a quelque chose de théâtral avec ce mot L'album se nomme "Soliloquy" : il y avait une envie d'intimité, d'introspection ?Je pense que dans le travail d'écriture, ce qui est drôle est l'aller-retour qu'on fait entre soi et soi. Le travail d'observation, aussi. Ce qui me plaît avec ce terme c'est qu'il implique plein de choses : à la fois la deuxième voix que l'on a, qui est la voix qui observe, qui critique, qui prend en flagrant délit... celle qui vient nous rappeler à l'ordre. Il y a quelque chose de théâtral dans ce mot, il est employé au théâtre pour décrire un certain style de discours. Ça implique donc une théâtralité, un public, des choeurs et des personnes autour. Au contraire, j'avais envie de mettre de la distance pour ne pas être dans un registre de l'intimité. En tout cas, pas dans le sens où on l'entend généralement. Je voulais qu'il y ait de la pudeur et beaucoup de musique. Découvrez "Burn", le nouveau clip de Lou Doillon : Quel a été le déclic ? C'était un mélange de ces choses-là : se demander comment on se remet en question, comment on se remet au travail aussi. Il y a aussi une envie d'essayer de rendre l'histoire plus musicale, un peu plus nerveuse. On a tout enregistré avec une guitare électrique et une batterie, sans guitare acoustique. Et à partir de cette base-là, on a démarché. On a rendu l'histoire plus musicale, plus nerveuse L'album est plus rock que les précédents, plus "libérateur" aussi : comment l'expliquez-vous ?Je ne sais pas si c'était de lordre du choix. Quand on travaille, que ce soit sur un disque ou un livre, on le fait d'abord pour soi. On ne se pose pas la question des autres, sinon ce serait terrifiant, alarmant et on n'arriverait pas à grand-chose. Aujourd'hui, c'est le jour de la sortie de l'album et je me rends compte, à mon plaisir et à mon horreur, qu'il va être écouté par des gens. Maintenant, il s'agit de l'assumer. Quand on fait les choses, on cherche tout d'abord à s'amuser, à se remettre en question, se faire un peu peur et à se remettre au travail en faisant un album qui dès le départ était enregistré en guitare électrique et batterie. Forcément, ça a amené à quelque chose d'électrique. Pourquoi vous ne chantez jamais en français ? Parce que tout simplement j'écris en anglais et je chante en anglais. Si ça me plaisait, je l'aurais fait. J'adore les langues françaises et anglaises. Pour moi, la musique pop est associé à de l'anglais. Quand on a la chance de pouvoir le parler et l'écrire, autant le faire ! Le principe aussi est d'être compris : j'ai la grande chance de pouvoir partir en tournée partout dans le monde et de jouer en Australie, au Japon, au Canada ou aux Etats-Unis où ils ont la chance de me comprendre. Vous n'évoquez pas des thématiques modernes dans cet album (politique, réseaux sociaux) : pourquoi ? Ca dépend... "Brother" réagit à la politique. Mais c'est vrai que j'aime ce qui est intemporel, les petites choses cycliques. Et j'ai un énorme amour pour l'être humain et son histoire. Si on s'intéresse à tout ça, on se rend compte que c'est toujours la même chose qui se joue. Il y a des grands parallèles entre les médias et l'arrivée de l'imprimerie. Dernièrement, je lisais un livre très drôle d'Erasme qui racontait qu'il était angoissé par l'arrivée de l'impression du journal, car avec elle arrivait en fait la fake news. On était en 1550, donc même la propagande, l'être humain qui magouille, c'est là depuis toujours. Tout comme le désir de communication. Ecoutez "Brother" de Lou Doillon : Sur "Brother", vous chantez "We need fiction, we need hope" : est-ce le message que vous voulez faire passer ? J'aime lambiguïté, j'aime la zone de gris et le non-jugement. Aujourd'hui, tout le monde est très obsédé par l'idée de juger l'autre, et ça me gonfle un peu. Plus on juge l'autre, plus on se juge soi aussi. Et ça fait qu'on ne se lâche plus beaucoup. Ce qui est bien avec la danse, le théâtre, la musique ou le cinéma, c'est que ces arts sont là pour qu'on puisse se lâcher, se laisser aller. On a besoin de rêver, de danser et de chanter. En tous cas, moi, j'en ai absolument besoin. Plus on juge l'autre, plus on se juge soi aussi Tu as fait le choix d'un pochette plus colorée, cela va dans ce sens ?Justement, dans cette idée de changement, oui ! "Soliloquy" est décrit comme "Un album de femme", mais dans quel sens ? Je ne sais pas trop quoi dire... Je n'aime pas trop les étiquettes et les grandes phrases. Ça fait deux mois et demi que je suis en pleine promo et il y a beaucoup de choses dites sur moi. Des choses bien, d'autres qui m'amusent beaucoup et enfin d'autres qui doivent être justes. Ça doit être juste que c'est un album de femme : c'est écrit et chanté par une femme, il y a des producteurs hommes, une productrice femme... J'ai eu beaucoup de lectures de femmes pendant la composition de "Soliloquy", peut-être que cela transparaît ? Sur les précédents albums, vous avez collaboré avec Etienne Daho et Timber Timbre, et désormais avec The Do ou The Shoes. Vous êtes admirative de cette "nouvelle scène" ? Oh, oui, depuis toujours ! Au niveau de la "nouvelle scène", il y a eux mais pas que... Il y a des "bébés" que j'adore aussi et toute une garde des plus "vieux" que j'aime tendrement. Il y a une vraie scène en France, ça c'est sûr, il y a beaucoup de styles, beaucoup de mômes qui m'éclatent. En France, il y a un vrai rapport et un grand amour pour la musique, autant de la part des musiciens que du public. On est un pays qui consomme énormément de musique et qui va à des concerts, ça j'en suis très très fière. J'adore par exemple les derniers Bertrand Belin, Fishbach, Keren Ann, Albin de la Simone... C'est une sorte de garde de potes que j'adore. Chez les "vieux", Miossec... Il y a plein de monde qui m'émeut : Clara Luciani, Her, Inuït... "It's You" et le clip de "Burn" sont très connotés Etats-Unis. La culture américaine a été une source d'inspiration sur ce nouvel album ? Je pense qu'il y a quelque chose qui m'a toujours plu dans les grands espaces. Le désert écrasant était là et je trouvais que c'était une belle idée. On sent le feu là-bas. D'ailleurs, c'était triste parce qu'une semaine après notre départ, la Californie s'est mise à brûler. Ce n'est pas pour rien qu'on sent qu'il y a quelque chose de très très sec et pour "Burn", ça avait du sens. J'aime le voyage, les grands espaces et la route. Ce qui est merveilleux aux Etats-Unis, c'est que l'on peut faire des kilomètres sans croiser personne. Ça donne l'impression qu'on est seul au monde, et ça me plaît pas mal. Regardez le clip de "It's You" par Lou Doillon et Cat Power : "It's You" est justement en collaboration avec Cat Power : comment ça s'est fait ? C'est une femme que j'aime énormément et j'ai eu la chance de pouvoir la contacter pour cette chanson et qu'elle accepte. Elle était en tournée donc on n'a pas pu se voir physiquement mais c'était assez drôle de travailler comme un cadavre exquis, de lui envoyer les bandes en studio de Paris et qu'elle me les renvoie de Los Angeles. Je suis très très contente de cette chanson. Vous partirez bientôt en tournée. Avec le temps, ressentez-vous toujours autant d'appréhension ? Il y a une terrible appréhension et une euphorie réelle. Pour l'instant, ça va parce que c'est de l'ordre de la création. Mais chaque soir avant de monter sur scène, c'est un enfer mais c'est normal. C'est un mélange dego et de générosité. C'est très bizarre d'aller se mettre en scène face aux gens. On l'oublie mais la moindre personne que l'on demande de faire monter sur scène, on voit bien que l'être humain est absolument terrorisé. Pourquoi ? Je n'en sais rien mais l'être humain est comme ça. Vous préférez quelle Lou Doillon : celle du cinéma, de la musique ou de la mode ? Ces domaines se touchent beaucoup. Ce serait compliqué de trouver des frontières entre ces métiers. J'ai toujours travaillé dans la mode en tant que personnalité qui ne vient pas de la mode. Et puis la mode, ce sont les vêtements. Jusqu'à preuve du contraire, on est tous habillés tout le temps. Les acteurs ont besoin du vêtement pour se mettre dans un personnage, les chanteurs aussi. Tout ça est très proche, maintenant. Ce qui est très agréable en tant qu'auteure ou dessinatrice, c'est que je peux créer avec très peu de moyens et dans mon coin. Ce qui peut être compliqué dans les autres métiers dont on parle, car ils nécessitent des moyens, beaucoup de collaborations et de monde. Il y a quelque chose de très léger et agréable entre une page de papier et une guitare. Moi, je n'ai pas besoin de plus de choses qu'une guitare sur le dos et mon carnet dans la poche arrière. Ce côté de petite entreprise seule, c'est très agréable et libérateur mais j'aime tous les autres métiers qui se répondent tout le temps.
Plus d'infos sur son site officiel ou sur sa page Facebook officielle.
Ecoutez et/ou téléchargez l'album "Soliloquy" de Lou Doillon sur Pure Charts. Podcast
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