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samedi 10 novembre 2018 17:26
Muse en interview : "La France est le premier endroit où l'on s'est senti accepté"
A l'occasion de la sortie de "Simulation Theory", le huitième album de Muse, Matthew Bellamy, Christopher Wolstenholme et‎ Dominic Howard ont répondu aux questions de Pure Charts. Du vibrant hommage aux années 80 de leurs nouveaux clips aux critiques sur l'évolution de leur musique, les trois rockstars se livrent en toute décontraction sur leur retour événement.
Crédits photo : Jeff Forney
Propos recueillis par Yohann Ruelle. "Simulation Theory" est votre huitième album studio. J'imagine que c'est presque la routine pour vous maintenant, mais dans quel état d'esprit être-vous ? Matt : On se sent super bien. Pour moi, ce disque marque un changement rafraîchissant par rapport à la tonalité sombre et anxiogène de nos trois derniers albums je dirais, en particulier le dernier. C'est un peu plus coloré, un peu plus vibrant. Ça parait cul-cul dit comme ça, mais personnellement c'est mon album préféré. Il représente exactement ce dont j'avais envie, c'est à dire de combiner tout ce que j'aime dans le rock contemporain avec une patte futuriste. Il rassemble des éléments de différents époques pour donner la sensation d'être hors du temps. Chris : Je crois que cet album, probablement plus que les autres, nous fait entrer dans une ère nouvelle. Les choses nous paraissent... différentes. On devient quarantenaires, vous savez ! Comme on dit, on entre dans "la deuxième phase de notre vie" (Rires) On devient plus philosophique avec le temps. Mais on reste très excité par notre métier. Faire de la musique à trois est un bonheur. Faire de la musique à trois est un bonheur L'univers visuel que vous avez créé, à travers les clips de "Thought Contagion" ou "Pressure", est une déclaration d'amour aux années 80. Qu'est ce qui rend cette décennie si fascinante à vos yeux ?Dom : On dit souvent que les oeuvres qui te marquent pour la vie sont celles avec lesquelles tu as grandi ou que tu as découvertes en étant adolescent. Pour nous c'était les années 90, c'est là qu'on a monté le groupe. A l'époque, Nirvana était au sommet, il y avait Rage Against The Machine, The Smashing Pumpkins. C'est le genre d'artistes qui nous ont donné envie de faire de la musique et d'en jouer. Mais en réalité, si tu remontes encore un peu plus loin, nos premiers contacts avec la musique, le cinéma et l'art en général ont été les années 80. Cette décennie nous a probablement davantage définis qu'on le croit. Matt : On a travaillé avec un metteur en scène de Los Angeles qui s'appelle Lance Drake. C'est lui qui a réalisé toutes les vidéos. On a eu comme une sorte de connexion quand on lui a présenté la couleur de nos morceaux, le style, ce mélange de nostalgie et de fascination pour le rétrofuturisme. Ça lui a beaucoup parlé. On a longuement discuté des films d'époque qui ont bercé notre enfance. Il a à peu près le même âge que nous, donc c'était agréable de se trouver des points communs. On ne s'était jamais autant impliqué dans la conception des vidéos. L'idée directrice sur laquelle on est partie est celle d'un échappatoire au présent. Avec tout ce qui se passe d'affreux dans le monde, il est parfois nécessaire de prendre une pause et de vivre ses fantaisies. Et c'est devenu un des thèmes de l'album : la simulation, la réalité virtuelle. Qu'est-ce qui est vrai ? Qu'est-ce que qui est factice ? Avec les nouvelles technologies, le futur devient de plus en plus irréel... C'est ce dont vous parlez dans "Algorithm", non ? L'intelligence artificielle. Matt : Exactement. C'est un sujet qui me fascine et me terrifie à la fois. Les intelligences artificielles arrivent, c'est inévitable, mais on ne sait pas ce qu'on va en faire ! Il est plus que probable qu'elles finissent par nous remplacer, nous les humains. On se dirige vers un monde avec des formes de vie en silicium, qui seront imperméables à l'espace et au temps. Il n'y a pas de mort pour la technologie, ni contrainte physique. Dans cette chanson, je parle donc de ça mais je suggère également qu'on vit déjà dans une simulation où le créateur, peu importe qui il est, choisit de façonner quelque chose de nouveau et de nous laisser sur le bas-côté. C'est pas très joyeux, je sais. (Rires) Mais en vrai, l'album prend un ton optimiste vis-à-vis des nouvelles technologies. Elles nous ouvrent des possibilités infinies. Regardez le clip "Thought Contagion" de Muse : Les films des années 80 sont intemporels Quel est à chacun votre film préféré des années 80 ?Chris : "Retour vers le futur", toute la trilogie. C'est du génie à l'état pur ! Je me demande souvent si les films des années 2000 seront encore pertinents pour le public en 2040, comme c'est le cas pour ceux-là. L'autre jour, j'étais avec ma copine et nos enfants, il pleuvait dehors, on ne pouvait pas sortir et s'est maté "Les Goonies". Ça ne vieillit pas ! Mes enfants les plus jeunes, qui ont 9, 7 et 6 ans, et ceux de ma compagne, qui ont 6 et 3 ans, ils ont tous adoré ! Et ils pensaient que c'était un film d'aujourd'hui. Ils ne savaient pas du tout, jusqu'à ce que je leur dise, que c'était un film que je regardais quand j'avais leur âge. (Sourire) Beaucoup de films de cette époque sont intemporels. Matt : J'aimerais beaucoup revenir en 1985 et être Scott Howard de "Teen Wolf". J'avais 7 ans quand le film est sorti et ça m'évoque de précieux souvenirs ! Je pourrais aussi citer "Star Wars" et "Retour vers le futur". Musicalement, "The Thing" de John Carpenter m'a marqué. Oh et j'adore les films d'horreurs comme "Alien". Dom : Pareil pour moi ! "Alien" est une référence, même s'il est sorti à la fin des années 70 en réalité. Et "Blade Runner" aussi. "Dig Down" a été le premier morceau à sortir. Il a été inspiré par le Brexit ? Chris : Oui. C'est une chanson que Matthew a écrit juste après le vote, un sujet très personnel à ses yeux. Mais le texte est un peu plus universel. C'est un titre qui invite à trouver du positif en des temps troublés et, indiscutablement, nous vivons une triste époque. Mais ça ne veut pas dire que nous devons nous résigner et s'apitoyer sur notre sort. Comme le dit une autre chanson de l'album, nous devons nous soulever et nous battre. Get up and fight. Il arrive parfois qu'on se sente malheureux, on a l'impression que l'univers est contre soi, des ennuis n'arrêtent pas de nous tomber sur le nez... Il faut alors réussir à se rendre compte que c'est toi et toi seul qui détient le contrôle de ta destin et de ton propre bonheur. Ce n'est pas quelque chose que les gens vont te donner. C'est quelque chose que tu dois revendiquer toi-même. C'est important de trouver de nouveaux terrains de jeu à explorer Vous avez fait des choix risqués dans cet album, avec des chansons plus expérimentales et électroniques comme "Propaganda" ou "Break It To Me". Vous n'aviez pas peur de la réaction du public ? Matt : Ces deux morceaux pour moi sont dans la continuité de "Supermassive Black Hole", par rapport à la façon dont je chante : un peu rythm and blues, pas vraiment rock traditionnel. Mais on avait déjà effleuré ce style dans le passé, on avait par exemple repris des titres de Prince une fois. Donc les gens savent qu'on éprouve un intérêt pour cette direction. Et puis nous vivons à Los Angeles maintenant. Nous voulions incorporer cette sorte d'influence rythmique très commune aux Etats-Unis, avec la domination du hip-hop et du R&B. Ces deux titres représentent bien cette impulsion urbaine. Certains fans pourraient vous reprocher d'oublier votre côté rock. Vous comprenez cette critique ? Matt : Je l'entends, oui. Mais je crois qu'on a déjà produit beaucoup de matériau de ce type. On pourrait faire un concert entier de pur rock'n'roll avec des titres comme "Stockholm Syndrome", "New Born", "Unnatural Selection", "The Handler"... Notre répertoire contient beaucoup de heavy rock. Si je suis honnête, je dirais que ces morceaux sont difficiles à égaler, dans le sens produire quelque chose de nouveau qui ne sonne pas comme ce qu'on a déjà fait. Pour nous, c'est important de trouver de nouveaux terrains de jeu à explorer. Regardez le clip "Break It to Me" de Muse : Quelle est la partie la plus délicate dans la conception d'un album ? Chris : Je ne sais pas... (Il réfléchit) Pour moi, si je suis honnête, le plus difficile est de le terminer. Tu passes beaucoup de temps à travailler sur différentes chansons. Par exemple, un titre comme "Something Human" a eu énormément de versions : on l'a tordu dans tous les sens. Le plus dur est de savoir s'arrêter et de faire un choix définitif. Car tu penses toujours pouvoir le rendre meilleur ! Au final, on a fait beaucoup de démos pour cet album. Comme "Dig Down" était sorti il y a un moment, on a eu envie de lui offrir une version alternative, avec une approche beaucoup plus gospel, acoustique et dépouillée. On l'a ajoutée en bonus. D'ailleurs, on a beaucoup plus de pistes bonus sur cet album que d'habitude, ce qui est intéressant car les gens pourront découvrir les différentes interprétations qu'on a parfois eues du même morceau. La scène ? Un mélange de stress, d'excitation et d'adrénaline Vous avez toujours créé des shows spectaculaires. A quoi peut-on s'attendre pour la tournée "Simulation Theory Tour" ?Dom : C'est un travail en cours. (Sourire) On partira sur les routes fin février, on va faire les Etats-Unis, l'Europe... On s'est toujours efforcé de suivre les évolutions technologiques et d'inclure de nouveaux éléments interactifs dans nos concerts. La dernière fois, nous avions des drones qui volaient par dessus le public dans les salles, ça n'avait jamais été fait auparavant. Et même si cette tournée ne semble pas si loin, il y a déjà eu des tas de technologies entre temps comme de nouveaux écrans haute définition, 3D HFR 4K ce genre de choses. (Rires) C'est déjà un autre monde. A chaque tournée, il y a quelque chose de nouveau à faire et ça nous a toujours intéressés. Après toutes ces gigantesques tournées et ces kilomètres avalés, on a toujours le trac avant de monter sur scène ? Chris : Bien sûr ! Pour ma part je n'ai pas changé : j'ai toujours besoin d'une petite heure de calme absolu où je m'assois dans ma loge, j'écoute de la musique ou me repose simplement, pour évacuer la pression. Puis une demie-heure avant le début du show, je me mets en condition. C'est un mélange de stress, d'excitation et d'adrénaline. Si tu ne ressens rien avant de monter sur scène, c'est que tu t'es planté de job ! Il faut s'amuser pour ne pas s'ennuyer 2019 marquera les 20 ans de votre premier album, "Showbiz". Vous comptez célébrer l'occasion ?Chris : Ça m'était un peu sorti de la tête, pour être honnête. (Rires) Le truc, c'est que pour les fans et pour le monde extérieur, c'était la naissance du groupe. Mais pour nous pas vraiment. Il y a eu 5 ans avant cela ! Et puis, on ne l'a pas vraiment enregistré comme un album. Certains morceaux proviennent de nos tout débuts, d'autres ont été faits avec John Leckie, à des périodes sur deux ou trois ans. Donc pour nous, "Origin of Symmetry" (ndlr : sorti en 2001) est un petit peu notre premier véritable album. Mais c'est vraiment que pour les fans, c'est une date importante donc on va peut être mettre quelque chose en place. Matt : Cette année, on a fait à Paris un show à la demande où le public a pu voter en direct pour la setlist. C'était super, j'ai trouvé ça vraiment cool. Donc on refera peut-être des concerts de ce genre, ou bien on trouvera un moment dans la tournée pour laisser les fans choisir un ou deux titres de "Showbiz" à jouer. (Sourire) Quelle est la clé pour maintenir un bon esprit d'équipe, après tout ce temps ? Dom : Il faut trouver des moyens de rendre encore ça excitant et nouveau. Tu ne peux pas rester dans les mêmes vêtements toute ta vie, tu vois ce que je veux dire ? Tu ne peux pas toujours faire la même musique, dans le même style. Ça marche dans tout. Il faut trouver une forme de réinvention, que ce soit dans les thèmes abordés, dans les vidéos. Il faut s'amuser pour ne pas s'ennuyer ! On peut dire merci à la France Dernière question : vous toujours extrêmement populaires en France. A votre avis, sur quoi repose le lien qui vous unit à notre pays ?Chris : On a toujours eu un sentiment particulier ici, et on se rappelle tous très bien la première fois qu'on est venu. La France a été l'un des premiers endroits où a joué en dehors du Royaume-Uni. Je crois qu'on avait juste fait un show à Bamberg en Allemagne auparavant, mais c'était une soirée organisée par le label avec peut-être 20 personnes à tout casser. Et même au Royaume-Uni à ce moment-là, on faisait des petits concerts avec des dizaines de spectateurs, quelques singles étaient sorties mais pas encore l'album. Et puis on est venu en France pour faire un show avec Ouï FM, "Showbiz" n'était pas encore paru. C'était gratuit, il devait y avoir 400 ou 500 places dans la salle mais c'était plein à craquer. On n'a pas vraiment compris ce qu'il était en train de se passer ! On n'avait jamais joué devant autant de personnes. Le set a duré 45 minutes, on a quitté la scène et... on ne pouvait pas bouger. On n'arrivait pas à sortir tellement c'était la folie. Je m'en rappellerai toujours, parce que ce fut la première fois de ma vie qu'une personne m'a demandé un autographe ! C'était fou et inattendu. Il était clair qu'il y avait ce soir-là dans notre musique quelque chose qui a immédiatement accroché le public français et créé une sorte de connexion. Je ne pourrais pas expliquer aujourd'hui pourquoi, pourquoi on a autant de succès ici en France. Et c'est tant mieux, sûrement. Mais une chose est sûre, la France a été le premier endroit qui nous a fait se sentir spécial. Qu'on était un vrai groupe que les gens pouvaient apprécier. On s'est senti accepté, alors qu'au Royaume-Uni, à nos débuts, on n'était pas accepté ! On avait très mauvaise presse, on était sans cesse comparé à d'autres groupes. Donc merci la France ! Crédits photo : Jeff Forney .
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