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"Remplacée en quelques semaines..." : Flore Benguigui dénonce L'Impératrice et sa nouvelle chanteuse

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Ce jeudi, Flore Benguigui a été entendue lors d'une commission d'enquête sur les violences dans le milieu culturel. L'ancienne chanteuse de L'Impératrice dénonce les agissements de son ancien groupe et d'une "surreprésentation masculine" dans l'industrie musicale.
Bestimage
Un témoignage choc mais nécessaire. Mi-novembre, Flore Benguigui a révélé les sombres raisons de son départ de L'Impératrice. Se sentant « humiliée » et « sous emprise », la chanteuse a dénoncé des violences psychologiques de la part de plusieurs membres du groupe électro-funk, qui cartonne dans le monde entier. Un climat délétère qui a eu pour conséquence la perte de sa voix : « Pendant un an et demi (...) j'étais en quasi-playback. Pour une chanteuse, c'est une humiliation énorme. (...) Le soir je pleurais systématiquement, tout le monde le voyait ». Les membres restants de L'Impératrice, qui viennent de débuter une grande tournée nord-américaine, ont alors répondu à ces accusations : « Certains arguments nous blessent, parce qu'ils ont été plusieurs fois abordés entre nous, et on pensait sincèrement avoir trouvé des solutions ensemble. (...) On peut nous reprocher de ne pas avoir tout vu ni tout compris, mais pas d'être coupables d'avoir créé tout ce malheur pour toi ».



"Tout le monde m'a vu sombrer"


A l'occasion d'une table ronde organisée ce jeudi matin par la commission d’enquête à l'Assemblée Nationale sur les violences commises dans le secteur de la culture, Flore Benguigui a pris la parole, aux côtés d'Aurélie Le Roc'h ou Florence Porcel, qui accusent respectivement le réalisateur Jacques Doillon et l'ancien présentateur PPDA d'agressions sexuelles. Pendant une douzaine de minutes, la chanteuse de 33 ans a ainsi détaillé son quotidien infernal au sein de L'Impératrice, parlant d'« une situation d'emprise avec des humiliations verbales, une alternance entre dénigrement et valorisation, un épuisement physique et mental... » : « Si j'ai choisi de parler de mon histoire, même si ça m'a exposé à beaucoup de violence, c'est que les violences psychologiques restent très peu identifiées et identifiables et continuent de gangrener le milieu de la musique ».

Pour elle, le déclic a eu lieu lorsqu'elle a perdu sa voix « en pleine tournée mondiale » : « Impossible de chanter une chanson, ni même la moindre note. Tout ça s'est produit en 2019, après sept années à entendre de la part de deux membres du groupe que j'étais une mauvaise chanteuse, sans technique, que j'étais trop sensible et que je n'avais aucune émotion dans la voix ». L'interprète des titres "Agitations tropicales" ou "Peur des filles" dit ainsi avoir caché ce mal-être constant au grand public : « Tout le monde m'a vu sombrer, alors qu'au même moment j'étais sur scène tous les soirs. Je faisais tout pour ne rien laisser transparaître en dehors des équipes, même si les équipes étaient au courant. Jamais personne, et moi compris, n'a pensé à arrêter ».



"Il n'y a qu'à voir la façon dont j'ai été remplacée"


Selon Flore Benguigui, « la surreprésentation masculine dans le milieu de la musique fait que les femmes sont toujours minoritaires donc mises en concurrence entre elles, insécurisées, et pensent qu'elles ne méritent pas d'être là ». Et elle prend pour exemple sa propre expérience : « On accepte de tourner à l'international en dormant trois heures par nuit, ou en jouant après 10 heures de van dans la même journée pour un cachet de 120 euros net sous anxiolytiques parce ce qu'on "vit un rêve" et qu'on n'a pas le droit de se plaindre ». L'artiste française en profite également pour évoquer Louve, la nouvelle chanteuse de L'Impératrice, arrivée dans le groupe seulement quelques jours après son départ : « Toutes les femmes de cette industrie sont considérées remplaçables et interchangeables, il n'y a qu'à voir la façon dont j'ai été remplacée en quelques semaines pour chanter les chansons et les mélodies que j'ai écrites ». Un procédé « assez révélateur de la vision de l'artiste féminine qu'a l'industrie de la musique » : « Pourquoi changer quand on peut pousser les gens à bout et les remplacer en deux secondes, une fois qu'on en a tiré tout ce qu'on voulait ? ».

Ainsi, la musicienne dénonce un système de « boys club » et la « concentration des pouvoirs par certains d'entre eux » qui ne met pas assez en lumière les problématiques psychologiques : « Il n'y a globalement que les femmes qui parlent de santé mentale et on ne les écoute pas. On les traite de divas, de drama queens ou d'hystériques. Quasi toutes les manageuses que je connais sont des femmes qui protègent vraiment la santé mentale de leurs artistes, en dépit des petits arrangements entre amis des puissants. Dans l'industrie, ces femmes-là sont blacklistées ». Dans son propre cas, Flore évoque ainsi des « limites très floues entre vie privée et professionnelle », allant de « l'absence d'intimité en tournée » aux « frustrations romantiques et sexuelles des hommes » : « Le leader de L'Impératrice m'a dit qu'il y avait toujours besoin, selon lui, d'une tension sexuelle entre les chanteuses et leurs producteurs / musiciens. Le leader d'un ancien groupe m'avait aussi viré en me disant "Je m'en fiche de comment tu chantes, tout ce qui m'intéresse c'est que tout le monde ait envie de te baiser". Cette frustration peut entraîner de la violence et de la peur ».

"Cette industrie les broie et ne les écoute pas"


La chanteuse raconte également qu'un membre de L'Impératrice l'aurait « menacé physiquement » car il était amoureux d'elle. Idem lorsqu'un ami du groupe a frappé à la porte de sa chambre d'hôtel en pleine nuit et s'est montré insistant. Les musiciens de la bande auraient pris l'affaire à la légère : « [Ils ont continué] à l'inviter backstage car "ce n'est pas de sa faute s'il est amoureux", sous-entendu c'est de la mienne ». Le système du « boys club » qu'elle dénonce passe ainsi par plusieurs schémas. L'un d'entre eux ? « Créer une vision du métier de chanteuse comme un faux métier. Toute ma carrière, des gens qui ne sont pas chanteur m'ont donné des leçons sur comment utiliser et travailler ma voix, sans y connaître grand-chose et toujours avec beaucoup de condescendance » poursuit-elle, parlant de « vagues de haine sur les réseaux sociaux » lorsqu'une chanteuse fait une fausse note.




"Les violences viennent du même endroit : le boys club"


Flore pointe aussi du doigt les problèmes d'alcool dans le milieu, et notamment au sein de L'Impératrice : « Mes anciens collègues demandaient, avec forte insistance, que leur bouteille d'alcool fort soit présente dans les loges avant le concert, même si on jouait à 14h30 ». Et parle d'« un environnement masculin avec des horaires de nuit et des gens qui se croient tout permis, sans qu'on leur pose des limites » : « Tout ça créé un terrain favorable aux agressions. Quand on regarde bien, toutes les violences viennent du même endroit : le boys club ». L'artiste évoque également les accusations visant le rappeur Lomepal : « Comment se fait-il que j'ai été la seule personne de mon équipe, masculine, à questionner le tourneur du groupe face aux accusations de vi*l du rappeur Lomepal, qui était aussi signé chez [le même tourneur] et qui lui rapportait beaucoup d'argent ? Comment expliquer que ce tourneur laissait des femmes partir en tournée avec un artiste pourtant visé par des plaintes pour vi*ls, et comme par hasard, les équipes d'hommes s'en foutent... ».

Si l'artiste dit avoir reçu beaucoup de messages de femmes réalisant qu'elles vivaient la même chose, Flore Benguigui déplore le manque de considération de l'industrie à cet égard, même si elle salue le travail « très courageux et si important » de Mediapart : « On se passe le mot entre les femmes du milieu pour éviter tous ceux que tout le monde sait dangereux et indéboulonnables. Les femmes sont très nombreuses à quitter cette industrie qui les broie et ne les écoute pas. Plutôt que de parler et de s'exposer à toujours plus de violence, au boycott et à l'isolement face à une industrie masculine plus soudée que jamais, les femmes préfèrent se taire et sauver leur peau, et je les comprends ». Et de conclure : « Je peux compter sur les doigts d'une seule main, et ils se reconnaîtront, les hommes venus me dire "Je ne veux plus faire partie de ce système" et qui ont pris le risque d'agir vraiment ».