vendredi 06 juin 2014 16:44
Thomas Azier en interview : "Berlin est une ville fascinante et toxique"
Le nouveau prodige de la scène électronique, c'est lui. A 25 ans, Thomas Azier s'est jeté début mars dans le grand bain avec "Hylas", un premier album ébouriffant de maîtrise. Alors qu'il se produit ce soir à guichets fermés à la Gaité Lyrique, Pure Charts a rencontré le musicien pour évoquer avec lui la genèse de son disque, l'usine désaffectée qui lui sert de studio, la mythologie grecque et sa relation tumultueuse avec Berlin, coeur névralgique du projet.
Crédits photo : Facebook officiel
Propos recueillis par Yohann Ruelle. Ce premier album, "Hylas", tu l'as peaufiné pendant plus de cinq ans. Et cette année, ça y est. Il est là, dans les bacs. Qu'as-tu ressenti lorsque tu l'as enfin eu entre tes mains ? C'était une sensation incroyable bien sûr, mais pas aussi intense que l'instant où j'ai mis la touche finale aux morceaux, en studio. C'était un moment très beau. L'aboutissement d'un long processus, démarré un soir dans une chambre, mon ordinateur sur les genoux... La musique est le témoin de mon histoire Tu te sens toujours connecté à tes chansons, des années après les avoir écrites ? Oui, heureusement... Elles racontent mon histoire après tout ! Ce sont les témoins de mon évolution, de tout un pan de ma vie. Elles font partie intégrante de moi. Une page se tourne mais je suis prêt à passer à la suite. En substance, c'est ce que dit cet album. On ne s'arrête jamais de changer, et c'est ça qui est excitant. Ton album ne parle pas seulement de ta propre métamorphose. Tu évoques aussi celle de l'amour, de Berlin, de la vie... Du corps et de ta conscience, aussi. Et c'est pour ça que je me sens toujours aussi proche de mes morceaux : les histoires qu'ils racontent et les émotions qu'ils véhiculent sont ancrés dans un temps moderne, continu. Tu sais, j'ai toujours pris des décisions très extrêmes dans ma vie. J'ai passé les cinq dernières années dans un état intense de changement, à boxer à droite, à gauche, sans savoir clairement où j'allais, ni contre qui je me battais. Découvrez le clip "Ghostcity" de Thomas Azier : Tu avais ce concept précis en tête dès le départ ? Absolument pas ! Je n'ai rien calculé, ces titres ont été pour moi un exutoire. C'était un besoin viscéral de les sortir. Ce n'est qu'après coup que j'ai réalisé que mes chansons gravitaient autour du même thème. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de réaliser un album entier plutôt que de sortir d'autres EPs. J'ai écrit et composé pas loin de soixante morceaux durant cette période. Les douze que j'ai sélectionnés sont donc le parfait reflet de mon épopée berlinoise. Comment s'est déroulée la sélection, justement ? J'imagine que ça n'a pas été une partie de plaisir. Un titre comme "Metropolitan Tribe", au gros potentiel, ne fait pas partie de la tracklist finale par exemple... C'est vrai ! Mais c'était plus simple que tu ne le crois, parce que toutes les pistes qui ont échoué sur "Hylas" ont été enregistrées au même endroit, à la Factory. Il y avait donc une cohérence et une unité dans le son, et c'est ce que je recherchais. Écoutez "Metropolitan Tribe" de Thomas Azier : Berlin m'a piégé dans son tourbillon Pourquoi avoir choisi ce personnage d'Hylas, qui donne son nom à l'album ? J'ai toujours été fasciné par la mythologie. Hylas est un jeune grec, qui en voulant aller puiser de l'eau à la cascade, se fait entraîner dans les profondeurs par les nymphes, tombées amoureuses de lui. Il y a beaucoup de métaphores. L'une d'entre elles est que je suis ce garçon, et la ville - Berlin - ma nymphe. Cette cité est fascinante, tourbillonnante. Elle m'a noyé dans un sens. Son tempérament de feu, la drogue qui circule à tout-va, sa communauté... Une autre interprétation, pas si loin finalement, est celle d'une relation intense et toxique. Quand tu aimes quelqu'un jusqu'à la mort mais que vous vous noyez l'un l'autre. C'est à la fois très beau et très destructeur. Hylas, on peut aussi le voir comme l'auditeur qui se laisse engloutir par tes compositions. Tu vois ? Les possibilités sont infinies. (sourire) Tu mentionnais la Factory. Cette ancienne usine désaffectée est un personnage à part entière du projet ? C'est un personnage, tout droit sorti d'un film noir. Je suis maniaque : j'ai besoin de donner à ma musique des formes, c'est pourquoi j'ai tendance à la visualiser comme une oeuvre de cinéma ou une cité tentaculaire. La Factory fait partie de ce paysage, c'est d'ailleurs là qu'on a tourné les clips de "Angelene" et "Verwandlung". J'ai volontairement choisi de recourir très peu aux ordinateurs sur cet album. On a utilisé des TR-808, TR-909 et d'autres boîtes à rythmes analogiques pour capturer un son brut. Imagine un peu ce que ça fait d'avoir un beat se répercuter en écho sur ces murs délabrées, chargés d'histoire et recouverts de poussière, avec les amplis poussés à fond ! Je voulais capturer un son brut C'est ce qui m'a frappé en écoutant pour la première fois "Hylas" : son côté rétro-futuriste.Je prends le compliment ! Tout le mérite revient aux vieilles machines de la Factory, ces grosses machines datant de l'Allemagne de l'Est, avant la chute du mur. Tout fonctionne encore, elles sont incassables. Et là, ça file droit ! Y'a pas de retouche : ce que tu entends est ce que tu obtiens, d'où ce son que j'aime bien appeler "DDR'n'b" (ndlr : pour Deutsche Demokratische Republik). Sur l'introduction de "Shadow Of The Sun" par exemple, c'est le vrombissement de l'ascenseur de l'usine que tu entends. Pour "Yearn Yearn", je tape avec une tige de métal contre des tuyaux... Les exemples sont légions. Visionnez le clip "Angelene" de Thomas Azier : Il y a tellement de merdes en radio ! C'est un album de contrastes, en somme. Les productions sont d'une froideur mécanique, alors que ta voix est chaude et aérienne. Ça aussi, c'était intentionnel ? Je recherche l'inconnu, y compris dans le travail d'autres artistes. Moi en tant qu'auditeur, j'aime quand il se passe quelque chose d'inattendu, qui me faire dire « Wow ! C'était... wow ». J'ai appris que la musique n'a pas nécessairement besoin d'être belle, de suivre un chemin bien tracé. C'est beaucoup plus intéressant d'orchestrer la collision des extrêmes. A quoi ça sert de faire de la musique si ce n'est pas pour expérimenter, créer du neuf ? Il y a tellement de merdes dans cette industrie ! C'est pour ça, aussi, que j'ai pris mon temps pour ce disque. Je le devais à ce petit garçon de huit ans, qui trimait pour apprendre le piano. J'aurais pu me bouger pour bâtir ma carrière plus tôt, courir après la gloire. Mais je m'en fous, j'ai besoin d'authenticité. Faire de la promo et des interviews comme celle-ci, c'est tout nouveau pour moi. Pourquoi toi, tu t'intéresses à ma musique, à mon parcours ? C'est très étrange comme sensation. On en revient au concept de la métamorphose. Exactement (Rires). Mon rêve le plus intime, et le plus effrayant à la fois, c'est qu'on finisse par mieux me connaître à travers ma musique qu'en me côtoyant.
Toute l'actualité de Thomas Azier sur son site internet et sa page Facebook.
Ecoutez et/ou téléchargez les premiers morceaux de Thomas Azier sur Pure Charts. Podcast
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