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Doc Gyneco (P3) : "En 2015, le contexte a changé, les communautés se sont crispées"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Doc Gyneco est l'invité spécial de Pure Charts toute la journée à l'occasion de son retour sur scène. L'artiste évoque l'état du rap aujourd'hui, les reprises, la censure et l'atmosphère en France, notamment depuis les attentats de janvier dernier.
Crédits photo : David LS
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Tu disais dans une interview que dans les années 2000 les rappeurs faisaient "une musique d'imbécile". Quel regard poses-tu sur le rap aujourd'hui ?
Les rappeurs ne le sont pas, imbéciles. Ils jouent à plaire, à être ce que l'on attend d'eux. Ils font la même erreur que moi, en essayant de gommer tout ce qui fait leur personnalité. Ils pensent qu'ils ont plus à gagner qu'un artiste qui crierait sa haine. Moi, j'ai la haine, des trucs qui m'énervent aussi mais ce n'est pas dans ma nature de l'exprimer comme NTM ou La Rumeur. Le rap, ce n'est pas une forme quelconque de violence. C'est une musique qui mérite plus que l'image que l'on a d'elle. C'est la musique d'aujourd'hui, le rap. Il faut le reconnaître. La nouvelle scène est intéressante : Nekfeu, Georgio, S.pri Noir, Orelsan...

Classez-moi chez les poètes, s'il vous plaît
Maitre Gims ou Black M cartonnent, mais sont beaucoup plus variété et pop, et ne prennent pas forcément position. Booba est plus dans l'ego trip et dans la punchline. Y-a-t-il encore de la place pour du rap à textes, avec des messages, comme celui que tu faisais ?
La pop, c'est de la pop comme par exemple Sting, Coldplay ou Britney Spears. La variété, c'est de la variété. L'égo trip est effectivement un courant du rap comme le faisait Slick Rick. La punchline est une scénarisation de la musique où l'image remplace le mot. Pour Booba, on a même inventé le mot métagore. Au poids des mots, on préfère le choc des photos. Le rap à textes est immortel tant que l'on respecte l'histoire de cette musique. Il y a de la place pour le rap à textes, il y a Oxmo Puccino, Akhenaton, La Rumeur, Antisocial et moi, bientôt. Qui sont ceux qui prétendent inventer des styles ? Ceux qui ne suivent pas cette histoire ? Des audacieux qui n'ont pas pris le temps de nous faire écouter leurs morceaux. Et pourquoi nous les rappeurs, on ne pourrait être des Bob Dylan ? Classez-moi chez les poètes, s'il vous plaît.

La relève du rap pour toi c'est plutôt Nekfeu ou Sexion D'Assaut ?
La relève du rap pour moi, c’est sans équivoque un Nekfeu. Mais les deux styles de rap ne sont pas comparables.

Quelqu'un a-t-il fait un meilleur album de rap français depuis ta "Première consultation" selon toi ?
Quand je suis arrivé, c'était la révolution. Il y a eu des disques qui ont atteint des chiffres de ventes similaires après, des albums surproduits, très techniques dans le flow mais aucun avec ce naturel et cette simplicité. Par exemple, "L'école du micro d'argent" d'IAM, il s'est fait avec les progrès techniques et une certaine expérience des artistes. "Première consultation", c'est un premier album que je réécoute moi-même pour comprendre comment je l'ai fait.

Souvenez-vous de "Dans ma rue" :



Récemment, l'arrivée de l'album de reprises "Äffaire de famille" a été mal perçue par les internautes. Un album de reprises en 2015, est-ce que c'est pas un peu ringard ?
Je n'ai pas d'avis là-dessus. La reprise, les covers, ça fait partie de la culture hip-hop et du reggae.

Je ne renie pas ce que j'ai écrit
Ta chanson "Dans ma rue", reprise par Black M, a été taxée d'antisémitisme à cause du mot "youpin" et a été boycottée par les radios belges. A l'époque aussi, le titre n'était pas passé en radio à cause de ce terme. La liberté d'expression est-elle différente aujourd'hui ?
Dans le contexte où j'ai écrit cette chanson en 1995, je faisais un clin d'oeil aux différentes communautés de mon quartier, qui cohabitaient ensemble dans le 18ème : les juifs, les chinois, les toxicos, les prostituées, les lascars de mon quartier... J'ai employé le terme "youpin" pour servir la rime, pour l’associer à "magasin". A l'époque, nous vivions tous ensemble, et nous utilisions souvent des termes injurieux pour s'interpeller les uns les autres. Aucune de ces injures ne mettaient en péril, ce qu'aujourd’hui, médias politiques ou sociologues appellent le vivre-ensemble.

C'est à dire ?
En 2015, le contexte a changé, les communautés se sont crispées. A Paris, le 9 janvier 2015, un terroriste a tué des personnes à cause de leur confession juive dans le magasin HyperCasher. Quelques mois plus tôt, en Belgique, des personnes ont été assassinées dans le musée juif de Bruxelles. J'ai demandé au producteur de cette reprise de biper ou de scratcher le terme que j'ai employé il y a 20 ans, pour qu'il ne soit pas mal interprété dans le contexte actuel. Je ne renie pas ce que j'ai écrit, je chante régulièrement d'ailleurs ce texte sur scène. Mais j'ai le public en face de moi, je peux répondre aux personnes qui m'interpelleraient sur le sujet. Une fois diffusé en radio, en télé ou sur Internet, je veux m'assurer qu'aucune de mes chansons puisse être mal interprétée, puisse blesser des auditeurs ou être utilisée par des mouvements antisémites et racistes. Ça me révulse et je combats leurs idées.

Retrouvez la 1ère partie de notre interview sur l'album "Première consultation" !


Retrouvez la 2ème partie de notre interview sur ses années de galères, Nicolas Sarkozy...


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