Camélia JordanaVariete Francaise » Variété française
dimanche 18 novembre 2018 12:46
Camélia Jordana en interview : "J'ai redécouvert le racisme après les attentats"
Par
Julien GONCALVES
| Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Entre deux projets au cinéma, et quatre ans après son dernier disque, Camélia Jordana vient de publier son nouvel album "Lost". Dans une interview pour Pure Charts, la chanteuse explique son rapport avec le cinéma, assume son engagement, dénonce le racisme dont elle est victime, et revient sur l'étiquette "Nouvelle Star".
Crédits photo : DR
Propos recueillis par Julien Gonçalves. Ton dernier album est paru il y a quatre ans. Pourquoi avoir pris tout ce temps pour sortir "Lost" ? Je pense que j'ai eu besoin de ces trois-quatre années pour me nourrir aussi et avoir des choses qui me tenaient vraiment à coeur à raconter. Je pense qu'il y a eu aussi le fait que le cinéma prenne un peu plus de place dans ma vie. De fait, ça décale les projets quand il y en a d'autres qui entrent dans la vie. Le cinéma est tout aussi important que la musique Le cinéma c'est plus important que la musique pour toi aujourd'hui ?Non, ce n'est pas plus important, c'est tout aussi important parce que c'est très complémentaire et très différent. Ça demande une vraie logistique. (Rires) Cet album, ça fait trois-quatre ans que je travaille dessus maintenant. Pendant un an, j'ai travaillé sur les chansons, ensuite pendant un an et demi, j'ai travaillé sur des machines et l'année d'après j'ai bossé avec des instruments, il y a eu de nouvelles chansons. Il a fallu mixer, mastériser... Ça m'a pris du temps. Tu fais tout toute seule ? Car Lost à la base c'est un projet à deux avec Laurent Bardainne... Pour l'EP, on était deux, là l'album c'est vraiment moi toute seule. J'ai repris le bébé, j'ai produit. J'ai fait tout l'album. Tu avais envie de tout contrôler cette fois ? Il n'y avait pas ce désir de tout contrôler mais surtout l'envie d'entendre ce que j'entendais exactement quand j'écrivais les chansons. Et tant que je n'entendais pas ça, j'ai continué à travailler, donc ça explique aussi pourquoi ça a pris du temps. C'est le peuple qui a le pouvoir Est-ce que ça te surprend si je te dis que cet album "Lost" m'a, à la première écoute, beaucoup dérouté ?Non, j'imagine car ça n'a rien à voir avec ce que je faisais avant. Avant, je faisais de la variété française et aujourd'hui je fais de la musique que je n'arrive pas moi-même à définir. C'est un mélange de toute la musique que j'aime écouter et chanter. Donc non, ça ne m'étonne pas. (Rires) Tu savais que ce serait un album qui diviserait ? Non pas que ce soit le but mais quand on fait la musique forcément on doit s'y attendre. J'aurais pu changer de style ou non, il y a des gens qui auraient aimé et d'autres qui auraient détesté. Ça fait partie du deal quand on est artiste et qu'on propose un projet à un public. Regardez le clip "Freddie Gray" de Camélia Jordana : On sent que c'est un album personnel, comme un cri du coeur. C'était quoi l'envie avec cet album ? Le message derrière cet album c'est que malgré le fait que ma génération puisse se sentir en manque de repères dans la société dans laquelle on vit, c'est justement de par notre époque et ses avantages technologiques qu'on est non seulement tous liés mais on est tous au courant des choses. Il y a une espèce d'engagement général qui est là. Il y a de grands mouvements de solidarité, il y a quelque chose de très rassurant. L'album c'est un témoignage de ce que je peux incarner à savoir une jeune femme française d'origine algérienne, avec une gueule d'arabe, à Paris ces trois-quatre dernières années. Avec tous les événements que ça comporte. L'idée est quand même de dire que le futur c'est ma génération, la masse, et que c'est le peuple qui a le pouvoir. Malgré les incompréhensions, les inquiétudes et les dangers des événements de ces dernières années, ma génération est forte, se mélange, ne se juge pas et s'accepte. Il y a un message de lumière dans tout ça. J'ai redécouvert le racisme après les attentats de Charlie Hebdo Tu te sens comme une porte-parole de ta génération ?Non je n'ai pas envie d'être porte-parole ou quoi que ce soit. Je suis artiste, je mène ma barque. Après je pense aussi que c'est la fonction de l'artiste que de dénoncer et de mettre de la lumière sur des sujets qui restent un peu sombre, dans un coin, et dans les angles morts et noirs de la société. Je le fais car ça s'est imposé à moi, car la société dans laquelle je vivais je ne la comprenais plus. J'avais besoin d'en parler pour panser les maux de notre époque. L'album évoque notamment le racisme et les bavures policières. Cet engagement a toujours été en toi ou il y a eu un déclic ? J'ai toujours vécu un peu le racisme, peut-être plus quand j'étais petite. Et là je l'ai redécouvert après les attentats de "Charlie Hebdo", et ça a continué à s'amplifier. J'ai regretté de m'assumer et de m'accepter comme j'étais, avec ma richesse, avec ma double culture. Très vite, je me suis retrouvée à découvrir les contrôles policiers, les regards des gens qui changeaient sur moi dans la rue. Il y a eu un moment où j'ai eu besoin d'en parler. "Nouvelle Star", je ne le vis pas comme une étiquette C'est fou alors qu'on pourrait se dire qu'en étant actrice et chanteuse, tu pourrais être privilégiée et un peu plus protégée de ça.Ça dépend. Je ne sais pas trop. Dans la rue, on peut me reconnaître, ça dépend. Si je ne suis pas maquillée, en baskets et les cheveux frisés, c'est rare qu'on me reconnaisse. Le fait de chanter en arabe sur l'album, de poser sur la pochette avec tes cheveux frisés au naturel, c'est une façon de te réapproprier qui tu es face à tout ça ? Plus que de se le réapproprier, c'est surtout de s'accepter et d'en être fier. Parce que c'est une richesse, plus qu'autre chose. Cet album a vocation à changer les choses ? J'ai envie surtout que le peuple n'oublie pas qu'il a la parole et qu'il a le pouvoir. Les gens au pouvoir sont élus pour nous représenter. De fait, il y a un sentiment opposé de penser que ces gens ont le pouvoir et que la masse suit. Mais non, ils sont sensés suivre nos idées et pas l'inverse. Regardez le clip "Gangster" de Camélia Jordana : Dans le clip de "Gangster", tu parodies Kim Kardashian. Pourquoi elle ? C'est marrant qu'on se dise que c'est Kim Kardashian parce que je me retrouve avec une longue perruque brune. A la base, ce n'était pas elle la référence, c'est assez drôle. J'ai choisi d'incarner six personnages qui étaient susceptibles de donner une visibilité, des femmes qui prennent le pouvoir alors que ce soit en craquage, en enlevant leur masque. En tout cas, d'avoir la parole et de prendre leur destin en main. Quand tu proposes un album aussi riche, aussi multiple, déroutant comme on l'a dit, moins mainstream aussi, tu sais que ça être plus délicat pour s'imposer ? Je sens que c'est moins simple que quand on fait de la pop pure et dure. Mais moi j'ai envie que ce soit un album mainstream ! (Rires) Je n'ai pas le pouvoir d'impacter le public. Pour l'instant, je sais que la route est longue. Mais j'espère aller jusqu'au bout. "Engagé", ce n'est pas un gros mot ! J'ai l'impression à l'écoute de cet album de découvrir vraiment qui est Camélia Jordana...Pour moi aussi ! (Rires) C'est très juste. C'est la première fois que je suis capitaine à bord d'un bout à l'autre. Forcément, c'est plus personnel et ça se ressent. Tu ressens encore l'étiquette "Nouvelle Star" ? Il n'y a que dans les médias qu'on m'en parle. Je ne le vis pas comme une étiquette, je le vis comme une étape dans mon parcours, comme quelqu'un aurait fait une licence ou un master. C'est un peu comme un diplôme. Je suis passée par là pour faire mon métier. Ça ne me dérange pas, et puis c'était il y a dix ans. La suite, pour toi, c'est quoi ? Je fais un concert à la Bellevilloise le 17 décembre. J'ai vraiment hâte. Ensuite, je tourne un film à la fin de l'année. Il y a deux films qui sortent en début d'année, "Red Snake" de Caroline Fourest et "Curiosa" de Lou Jeunet. Je serai au théâtre en mars avec Niels Schneider. Ça c'est trop bien ! Je serai en tournée au printemps et l'été pour les festivals. En début d'année, je reviendrai aux Bouffes du Nord et après je serai en tournée à l'automne pour l'album. C'est chargé ! (Rires) Tes projets tu les choisis aussi en fonction des tes engagements ? Toujours. Si je prends du temps pour mon projet musical, ce sera toujours pour défendre un projet que je défends dans ma musique. Souvent, les artistes n'aiment pas qu'on accole à leur nom le mot "engagé"... Ce n'est pas un gros mot, au contraire. C'est un très beau mot. Plus qu'une artiste engagée, je me sens être une femme engagée, et ça infuse ma musique forcément.
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