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Youssoupha en interview

Youssoupha livre cette semaine son troisième album "Noir D****", un projet dans lequel il avait envie de parler d'amour et de rap. Un pari pas forcément évident à tenir dont il a bien voulu nous parler lors d'un entretien. L'amour dans tous ses états, le rap d'avant, une justice discriminatoire et les inégalités de richesse sont autant de thèmes abordés et que Youssoupha évoque sans langue de bois.


Pourquoi avoir intitulé ton nouvel album "Noir D****" ? Tu te doutes bien que le rapprochement va être fait avec le groupe de rock français aujourd'hui dissout. C'était volontaire ou ça n'a rien à voir ? (Jonathan Hamard, journaliste) ?
Youssoupha : Oui, on pense bien évidemment au groupe parce qu'ils sont les premiers à avoir employé cette dénomination-là. En fait, je voulais faire un album qui parle d'amour. Je me souviens encore, quand on me demandait de quoi allait parler mon album, je répondais qu'il allait parler d'amour. Mon entourage était surpris de cette réponse. Un album de rap qui parle d'amour, c'est assez singulier. Moi je voulais parler d'amour dans toutes ses nuances et toutes ses complexités. En ce qui concerne la culture "noire", j'en ai déjà parlé dans tous mes albums. C'est quelque chose qui a toujours été présent dans mes textes. Je cherchais donc une expression pour allier les deux et "Noir D****" est arrivée. Je trouvais l'idée sympathique. J'ai bien aimé la formule. J'ai bien sûr pensé à la référence au groupe. J'ai d'emblée pensé que ça pourrait susciter la curiosité. Mais je tiens à te préciser que cet intitulé ne pose aucun problème juridique où je ne sais quoi.
Je voulais parler d'amour dans toutes ses nuances et toutes ses complexités.


Tu proposes un « rap d'amour », en opposition à « un rap de rue ». Pourquoi opposer les deux ? Comment définis-tu le « rap de rue » ?
Le rap est né dans la rue. La culture urbaine est indissociable de la culture rap et hip hop en général. Par contre, nous avons nous-mêmes caricaturés le "rap de rue". Même s'il y a du talent et de la créativité dans le "rap de rue", l'appellation "rap de rue" a été galvaudée. On tombe dans la glorification du ghetto. Je ne suis pas vraiment à l'aise avec cette idée et avec ce principe. Ce ne sont pas des valeurs que je représente. Je suis un relais pour les gens qui habitent dans les cités mais je ne souhaite pas glorifier les ghettos. Le ghetto, c'est quelque chose de pathétique et qui a tendance à nuire à ceux qui y habitent. Moi, la glorification, "95 on fout la merde", "91 on fout la merde", "93 on fout la merde", je ne suis pas à l'aise avec ça. Et de fait le "rap de rue" est devenu le "rap de racaille". Alors que le "rap de rue" est un rap de talent. Et ce ne sont pas les racailles qui le produisent. Pas du tout. Mais on dirait que le cliché a pris le dessus. Je voulais prendre à contre-pied ces clichés du "rap de rue" parce que je le connais. Je viens de Cergy donc je connais tous ces coins-là. Ce que j'ai voulu dire dans cet album, c'est que l'étiquette "rap de rue" ne m'intéresse même pas. Je m'en moque. Je préfère faire du "rap d'amour".

Comme tu le dis, le rap a beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd'hui, ce sont des artistes comme Booba ou Sexion D'Assaut dont on parle le plus dans les médias. Ce sont eux les gros vendeurs de disques. Sont-ils les dignes représentants de la culture rap selon toi ?
D'une manière générale, les médias ne s'intéressent qu'aux têtes qui ressortent. C'est le cas de Sexion d'Assaut, Booba, Soprano, ou même moi. J'ai envie de dire que c'est normal dans une certaine mesure. Mais ce n'est pas toujours représentatif de l'ensemble de la culture rap. Les médias ont un rôle important puisque ce sont eux qui vont relayer une certaine image du rap au grand public. Ils ont un devoir de cohérence par rapport au grand public. Et c'est là que l'ambiguïté se fait. Malheureusement, ce mécanisme-là n'a pas réussi au rap. Le rap dans les médias, ce sont beaucoup de papiers concernant des affaires un peu sulfureuses j'ai envie de dire. Par exemple, Sexion D'Assaut a eu beaucoup de presse avec son histoire concernant les homos. Booba, on en a beaucoup parlé pour la bouteille d'alcool lancée dans le public. J'ai eu de mon côté beaucoup de papiers sur mon affaire avec Zemmour. Au final, on se rend compte qu'on a beaucoup d'exposition par rapport à des faits divers annexes qui ne valent pas toujours la peine qu'on en parle. Pour citer mon cas, j'ai "Le Figaro" qui a fait sa Une avec moi.

Alors qu'ils n'avaient peut-être jamais parlé de toi.
Voilà, c'est exactement ce que je veux dire. Ils ne savent même pas ce que je fais. J'aimerais bien qu'on parle beaucoup plus de nous dans les pages cultures. C'est déjà le cas, je ne dis pas le contraire. Mais davantage dans ces pages-là que dans les faits divers ou pour des polémiques et des articles racoleurs.



Ton affaire avec Zemmour t'a quand même permis de toucher le grand public. Elle n'est d'ailleurs pas si anecdotique que ça puisqu'elle fait l'objet d'un titre : "Menace de mort". C'est ton nouveau single. Tu en remets une couche !
La polémique avec Zemmour, dès le début, elle a mal tourné pour moi. Comme tu l'as dit, le grand public ne me connaissait pas ou peu. Pas autant que Zemmour en tout cas. Au début, il y a eu une espèce de mécanique du journaliste contre le rappeur-gangster-tueur. On présentait ça comme "Le rappeur Youssoupha a écrit une chanson dans laquelle il menace de mort le chroniqueur".

Ce qui n'est pas du tout le cas !
On est d'accord. Mais la situation s'est retournée en ma faveur. J'ai eu la chance de faire une tribune dans "Le Monde". Je remercie d'ailleurs le journal de m'avoir offert cette opportunité. D'autant que les lecteurs du "Monde" connaissent bien mieux Zemmour que moi. Ils ont pu avoir mon point de vue, constater que je pouvais m'exprimer avec détachement et ironie. Ils ont pu comprendre que, même si j'ai du mépris pour Eric Zemmour, je n'ai pas voulu le tuer ni l'assassiner. A partir de ce moment-là, c'est vrai qu'on a commencé à me comprendre et à s'intéresser à moi. Si je n'avais pas eu ces outils de communication, on aurait pu rester dans les clichés du rappeur menaçant.

Regardez le clip "Menace de mort" de Youssoupha :


Ce titre, c'est aussi pour toi l'occasion de défendre ton point de vue sur la justice française. Tu dénonces des inégalités. Existe-t-il une justice à deux vitesses comme certains l'entendent ?
Je ne repose mon avis que sur des faits. Pendant mon procès, je me suis rendu compte que le rap était la musique la plus trainée en justice, largement devant les autres. Ça fait vingt ans que je vis en France, je n'ai pas souvenir d'autres groupes ou d'autres artistes ayant été trainés en justice pour des faits étant directement liés à leur musique. Ni dans le rock, ni dans la musique alternative. Ni même dans le cinéma ! Et pourtant, il y en a eu des polémiques. Même pour des artistes que je respecte, Serge Gainsbourg avec "Aux armes", etc… Mais ce n'était jamais judiciaire. Il y a bien sûr eu des polémiques médiatiques, mais jamais judiciaires. Alors, est-ce que les rappeurs sont les seuls artistes engagés ? Non, je ne crois pas ! Nous n'avons pas inventé l'engagement dans l'art. Est-ce que nos engagements dérangent ? Peut-être ! Comment ça se fait que l'un des membres du groupe La Rumeur soit en procédure judiciaire pendant quinze ans pour des paroles dans un titre ? C'est un record sous la Vème République ! Tout ça pour des écrits ! Même des journalistes n'ont jamais eu droit à çà. Tout ça, ce sont juste des questions que je me pose.
Il y a de la discri-mination vis-à-vis du rap et des personnes qui l'écoutent.


La notion d'inégalité, on la retrouve à plusieurs reprises dans cet album "Noir D****". Je dirais même qu'il est question de discrimination par moment.
Disons que le mot discrimination est un terme fort mais qu'il est approprié. Il y a déjà de la discrimination vis-à-vis du rap et des personnes qui l'écoutent. Les médias ne jouent pas toujours le jeu non plus pour le diffuser. C'est peut-être pour ça que les paroles qu'avaient eu Eric Zemmour, même si elles n'engagent que lui, n'avaient pas fait grand bruit [ndlr : « le rap est une sous-culture d'analphabète »]. C'était passé tranquillement alors que c'est très insultant. Moi j'ai du mépris pour Eric Zemmour. Mais, c'est mon problème et si tu veux on pourrait en débattre. Mais jamais, à aucun moment, je n'irais dire que les journalistes sont une corporation de gens bêtes ou malhonnêtes et corrompus. Je ne peux pas me permettre de dire des choses comme celles-là. Je ne peux pas m'adresser à un groupe de gens de cette façon. Je ne peux pas dire que les chrétiens sont des gens crédules. Et lui, assez facilement, il a pu placer ses propos. J'ai l'impression qu'il y a une espèce de discrimination tacite. C'est comme pour la dernière cérémonie des Victoires de la musique. Les catégories urbaines ont été récompensées lors d'une cérémonie à Lille, quelques jours auparavant, pas en prime-time, pas sur une chaine hertzienne… Mais j'ai bon espoir que ça s'arrange. Je pense que ça prendra du temps quand même.



Le rap, tu le défends dans cet album. J'irais même jusqu'à dire que tu l'intellectualises. J'ai noté beaucoup de références dans tes nouveaux morceaux, et pas seulement à des journalistes comme Zemmour. J'ai relevé des traces de Nietzsche, Guillaume Apollinaire et Jean-Paul Sartre. Il y a une plume, c'est très bien écrit. Ça représente un sacré travail d'écriture tout de même !
J'ai passé entre neuf et dix mois sur l'écriture des titres. Je crois que ce style et cette envie d'écrire de cette manière sont liés à mon histoire. Pour faire court, je suis né à Kinshasa. J'ai grandi en banlieue, dans le 95. J'ai eu des galères qui m'ont emmené dans pas mal de banlieues. Ensuite, j'ai eu la chance d'accéder à l'Université. Je suis allé à la Sorbonne-Nouvelle. J'ai vécu pendant un peu plus d'un an dans le 6ème arrondissement. J'ai donc côtoyé un autre milieu, plutôt chic. Après je suis retourné en résidence universitaire. J'ai eu l'occasion de rencontrer des gens différents. J'ai aussi beaucoup voyagé. Alors, mélanger l'Afrique, la banlieue, la France, mon amour pour la langue française, parce que c'est une passion qui m'habite depuis toujours... Tout ça m'a beaucoup enrichi Je le vérifie tous les jours. Je dirais même que je suis encore frustré car j'aimerais en savoir plus sur toute la littérature. Je voudrais accroître ma culture sur la chanson française, la musique américaine, africaine... Chaque jour, j'en apprends davantage sur des courants de pensée. Même en débattant avec des gens avec lesquels je ne suis pas forcement d'accord. Je suis curieux et tout ça m'aide à écrire.

On m'a dit qu'il fallait que je laisse ma culture pour m'intégrer.
Musicalement, je trouve qu'on retrouve également ce brassage culturel. J'ai noté quelques touches de musique orientale et l'utilisation des cordes assez régulier.
Oui, j'avais envie de quelque chose de chaleureux. La tendance en ce moment dans le hip hop, c'est l'utilisation des synthés. Des fois, ça donne quelque chose de pas mal mais je trouve aussi que ça peut être un peu froid et mécanique. Je voulais revenir à quelque chose de plus axé sur les samples avec des sons plus chauds, orientaux et ethniques. Il y a pas mal de violons. J'ai aussi travaillé sur les voix. Il y a beaucoup de samples à ce niveau-là, notamment pour les chœurs.

Tu me parles de voix, j'ai envie d'évoquer celle de Corneille. On l'a vu s'ouvrir au milieu du rap l'année dernière et depuis on ne l'arrête plus. Il a invité La Fouine et Soprano sur son dernier album et participe au titre "Histoires vraies". C'est toi qui est allé le chercher ?
Dans le rap, on a toujours apprécié Corneille. Tous les artistes que tu as cités et moi, et peut-être même beaucoup d'autres. Je ne sais pas pour quelle raison, il n'était pas encore prêt à s'ouvrir au rap. Il avait réussi à être davantage emporté par la chanson française qui a reconnu en premier son talent. A juste titre soit dit en passant. Il n'avait donc pas eu le temps de se pencher sur le rap. Il a pourtant une connaissance pointue dans le domaine. Ce n'est pas du tout un arriviste. Ces derniers temps, il avait décidé de s'ouvrir et ça tombait à pic parce que je cherchais un refrain pour cette chanson-là. J'avais l'idée d'une voix mais rien de plus. Et lui est arrivé. Je lui ai fait écouter le titre, il est entré en studio et il a posé ce refrain. Je ne le connaissais pourtant pas. Ce n'est pas un ami de longue date mais il y a une symbolique forte qui nous lie tous les deux. Moi je viens du Congo, lui du Rwanda. Ça veut dire beaucoup pour beaucoup de gens.

Ecoutez le titre de Youssoupha feat. Corneille, "Histoires vraies" :


Si on veut entrer véritablement dans le cœur de "Noir D****", il est indispensable de parler de politique. Quel message as-tu souhaité adresser au public ?
Je suis allé au-delà du message politique. Je propose un constat social. S'il y avait cependant un message politique à faire passer, il serait illustré par la chanson "L'enfer c'est les autres" : on a tous tendance, qui que l'on soit et d'où l'on vient, à se "ghettoiser" dans notre tête. On a trop d'a priori sur les autres. En fait, on se complait avec des préjugés sur les blancs, les noirs, les gens des banlieues… C'est ça qui crée la tension et de fait, ce fameux concept de vivre ensemble a du mal à fonctionner. Alors qu'en vrai, on a grave à s'enrichir. Quand je suis arrivé en France, on m'a dit qu'il fallait que je laisse ma culture pour m'intégrer. On m'a dit de récupérer la culture "standard" de France. Mais les cultures ne se soustraient pas, elles doivent se compléter. Le message politique, et parfois médiatique, c'est de dire que les gens sont en opposition. Non, les gens se complètent. Ils ne se soustraient pas. Ils ne s'éliminent pas. Il faut arrêter de monter les gens les uns contre les autres. On voit ce que ça donne. Le climat social devient tendu pour de mauvaises raisons.

Il n'y a pas d'ennemis de la France.
Je reste sur l'idée d'une portée politique de certains de tes titres car tu cites certaines figures emblématiques du gouvernement. Tu as retenu la leçon puisque cette fois-ci tu ne fais que des allusions…
Est-ce que tu parles de Frédéric par exemple ?

Entres autres. Je pense aussi à Nicolas, à Berlusconi…
Oui (rires) ! Nicolas Berlusconi ! On m'a déjà demandé une fois si je voulais faire de la politique. J'ai répondu que c'était déjà difficile d'être citoyen. Bien sûr, comme tous citoyens, j'ai mon point de vue sur la politique, sur ceux qui dirigent. J'ai un avis sur notre président, sur ses ministres et les membres de l'opposition.

"Noir D****", c'est aussi un album qui traite de l'identité. Tu l'évoquais en citant ton lien symbolique avec Corneille. L'identité, c'est un sujet qui a fait beaucoup parlé ces derniers mois. Comment analyses-tu le débat actuel ?
Si je devais faire simple, je prendrais la base qui est : "Il fait bon vivre en France". Il est meilleur de vivre en France qu'en Chine ou en Corée du Nord. Mais ce n'est pas vrai pour tout le monde. Et c'est dommage car je pense que l'inverse est possible. Si jamais on demande aux enfants de Jean-François Copé s'il fait bon vivre en France, je pense qu'ils me répondront que "oui". J'en suis persuadé. Mais je ne peux pas le dire pour ceux qui habitent à Montfermeil. Ils vivent avec la pression de la Police, des huissiers... Le délabrement de leur cadre de vie… etc. Ce projet collectif, j'ai l'impression qu'ils en sont exclus. Pourquoi ne pas inclure tout le monde dans le pacte national ? Après, je ne me mens pas à moi-même. Si je suis venu en France, c'est parce que j'ai pu avoir accès à un meilleur niveau d'études. Mais je suis persuadé qu'on peut prendre en compte tout le monde sans que l'identité nationale en pâtisse. Pas du tout ! Il n'y a pas d'ennemis de la France. Il n'y a pas de croisade contre je ne sais qui. C'est ma conviction.

Youssoupha : un artiste de Gauche ?
Il y a encore deux ou trois ans je t'aurais dit "oui". Mais je ne sais plus à quoi correspondent la Gauche et la Droite. Ce spectre-là, j'y ai cru. J'ai adhéré. C'est quoi le Centre-Droit ? C'est quoi la valeur relative ? C'est quoi la métrique centrale pour juger qu'on est plus à Gauche ou plus à Droite ? Je dirais simplement que je suis juste un citoyen français.



Youssoupha sera à l'Olympia le 7 mai prochain. Réservez vos places sur Pure Charts.
Pour en savoir plus, visitez youssoupha.com et la page Facebook de Youssoupha.
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