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Marie-Flore en interview : "Je ne m'interdis jamais de dire des choses un peu crues"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Marie-Flore publie son premier album en français "Braquage", armée de sa voix chaude, d'une dualité entre amour et violence, et de textes percutants. La chanteuse se confie en interview sur Pure Charts sur son parcours, ses mots crus ou son admiration pour Damso.
Crédits photo : Alexandre Tabaste
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Comment as-tu commencé la musique ?
Mes parents étaient assez mélomanes, ils aimaient beaucoup la musique mais ils n'étaient pas musiciens. Je suis entrée au Conservatoire quand j'étais très jeune, j'ai commencé par le violon alto pendant huit ans. J'ai voulu imiter mon frère qui faisait du violon. Je n'étais ni très douée ni assidue, ce n'est pas un enseignement qui me convenait. Mais j'ai quand même persévéré quelques années. En rejet de l'enseignement, j'ai pris une guitare, mes textes, mes premières chansons. J'ai appris la guitare et le piano en autodidacte. Tout ce qui est cours, j'ai beaucoup de mal. (Rires) En ce qui concerne la création, il y a une magie que je n'ai pas envie de briser. Je n'ai pas envie de savoir forcément ce que je fais quand je le fais.

C'est facile d'apprendre seule ?
Tu développes des mécanismes de survie ! (Rires) Mon jeu de guitare, on m'a toujours dit qu'il était assez spécial parce que mes positions de mains, ça ne va pas du tout. Mais en même temps, j'ai développé un truc propre à moi. Le piano, j'ai un niveau débutant, mais ça suffit !

Je n'avais pas du tout envie d'écrire en français
Pourquoi as-tu commencé à écrire ?
J'ai toujours été passionnée des langues, de littérature. J'ai commencé rapidement à écrire mes premiers textes. Je voulais mettre en musique ce que j'écrivais donc c'est pour ça que j'ai pris une guitare. Ça a toujours été facile d'écrire, j'ai toujours aimé ça. Le texte, pour moi, c'est primordial.

Tes premières chansons, elles parlaient de quoi ?
D'amour ! Toujours. (Rires) Mais, à l'époque, au tout début, je pouvais aussi parler de petites histoires que j'inventais, j'arrivais à m'extraire un petit peu. Mais c'est vrai que, dès que j'ai dû chanter pour moi, l'amour, ça s'est imposé comme une évidence.

Tu écrivais en anglais au début, c'est ça ?
Oui, j'ai commencé en anglais. Parce que c'est ce que j'écoutais. J'ai toujours écouté du rock indé des années 60. J'ai beaucoup voyagé et l'anglais ça m'a toujours passionné. Je m'amusais à faire des traductions de texte. Le rapport à la langue m'a toujours amusé. Et puis je faisais du folk, donc ça s'y prêtais plus. Mais, de toute façon, je n'avais pas du tout envie d'écrire en français.

Pour quelle raison ?
Ça ne correspondait à rien de ce que j'avais envie de faire. Et je n'avais pas de figure qui m'inspirait en français. Ce qui a fini par changer plus tard.

Regardez la session live de Marie-Flore sur "QCC" :



C'était difficile de s'imposer auprès du public français en chantant en anglais ?
C'est sûr que ce n'est pas simple. Les gens ne comprennent pas trop ce que tu racontes. Le déclic, je l'ai eu quand j'ai écrit une première chanson, "Palmiers en hiver". Je l'ai faite écouter à à une amie et elle m'a dit : "C'est la première fois que je comprends ce que tu racontes !". Ça lui a fait un truc. Je me suis dit qu'il y avait un truc à faire...

Je me permets de dire des choses un peu crues
Tu joues beaucoup avec les mots. C'est venu naturellement ou ça s'apprend ?
Tu apprends à te connaître. Mais je lis assez peu, hélas. J'ai beaucoup lu plus jeune car ma mère est professeure de littérature, j'ai eu une éducation extrêmement fournie culturellement mais j'ai rapidement lâché tout ça à l'adolescence. L'écriture de mes textes, je pense que je l'ai fait toute seule. D'écrire en anglais pendant dix ans aussi, ça forge une culture du truc qui claque, du son qui rebondit, le sens de la formule, les images. Je pense que ça vient de ça.

Il y a beaucoup de métaphores dans tes chansons. Je pense notamment à "Dans mon coeur c'est l'automatique arrosage". Comment ça te vient ?
Franchement, je ne sais pas trop. "QCC", je l'ai écrite pendant une soirée où je n'étais pas bien. J'avais besoin de dire tout ça. Je n'ai même pas calculé que j'avais sorti ça. C'est du mauvais français en plus. Mais j'ai trouvé ça drôle, je l'ai gardé. Ce n'est pas relié forcément à une image dans ma tête. C'est ça qui est bizarre dans l'écriture, parfois tu sors des trucs avant même que ton cerveau n'ait compris ce que tu es en train de faire.

Les femmes occupent assez peu le devant de la scène
Ta musique est percutante, les mots aussi. Alors que quand on te parle, on voit une personnalité plus délicate, timide. Ecrire, ça te permet d'extérioriser ?
C'est sûr qu'il y a un côté où je me permets des choses, de dire des choses un peu plus dures, un peu plus crues. Il y a ce truc de réparation, de choses que tu n'as pas eu le temps de dire en vrai. Tu peux te permettre d'être toi-même, de dire ce que tu as envie de dire avec l'excuse de la musique. C'est assez précieux.

Tu as des retours des gens à qui tu t'adresses sur ces titres ?
Oui ! (Rires) Là, le disque parle d'une histoire d'amour, comme 12 moments volés. Ça peut parfois être choquant ou dur à entendre. Mais en même temps ça fait du bien. Après, même si les chansons sont relativement tristes... Enfin, moi je trouve pas forcément mais on me le dit souvent.

Je sens plus une dualité là encore, entre l'amour et la violence.
Oui, c'est exactement ça. Il y a toujours ces deux choses-là, et l'une est toujours rattrapée par l'autre. Ce n'est pas calculé mais si je sens que je pars dans un truc trop mélo-amoureux, il faut que je ramène le truc à la réalité. (Sourire)

Tu emploies des mots qu'on n'entend pas beaucoup dans la chanson française...
Ah oui ? Comme quoi ?

Comme "pipe", "burne", "crève"...
(Elle éclate de rire) Oui, c'est vrai ! C'est un petit plaisir, ça me fait rire. Ça sort comme ça.

Découvrez le clip "Tout ou rien" de Marie-Flore :



Tu hésites parfois à inclure ce genre de mots dans tes textes ?
Je ne m'interdis jamais rien. Mais parfois, je me suis demandé... Par exemple, le coup de la pipe. Quand tu es toute seule dans ta chambre en train d'écrire, ça passe. Mais aux premières écoutes, que ce soit aux amis ou à ton directeur artistique, tu sens qu'il y un petit truc. (Rires) En moi-même aussi d'ailleurs. Mais je n'ai aucun problème avec ça. Je trouve ça plutôt bien de dérouter en prononçant ces mots, surtout de la part d'une fille dans la musique.

C'était justement ma question suivante. Est-ce que c'est aussi pour montrer une autre facette de la femme, qui n'est pas forcément douce, sage et docile, comme souvent dans les caricatures ?
Bien sûr, c'est super important de s'approprier ces codes-là qui existent notamment dans le rap masculin. Finalement, je pense qu'on est très puissantes. Et parfois pires que les garçons à ce jeu-là ! Il n'y a pas de raison qu'on ait une image édulcorée là où en fait la réalité est tout autre. Une fille c'est comme un garçon !

J'ai fait une obsession sur PNL et Damso
La pop féminine a le vent en poupe en France depuis Chris, avec aussi Juliette Armanet, Angèle et Clara Luciani. Ça ouvre une voie tu penses ?
Je pense que Christine a ouvert une voie, parce que c'était la première artiste depuis pas mal d'années à autant assumer ce qu'elle voulait, qui elle était, son ambition, parler du genre. Elle a bougé les codes. Il y a eu une sorte de vague, que je trouve super. Mais elle n'est toujours pas insubmersible. Les femmes occupent assez peu le devant de la scène. Même dans les métiers techniques, dans les métiers à responsabilité... Donc oui ça a ouvert la voie certainement, et tant mieux, mais il faut quand même continuer.

J'ai retrouvé des interviews de toi datant de 2009. Ça fait déjà plus de dix ans que tu as commencé ta carrière. Pourtant, on te présente comme une découverte, une révélation. C'est frustrant ou plaisant ?
C'est une renaissance, un vrai renouveau. J'ai pour habitude de dire que c'est mon premier album, même si ce n'est physiquement le cas. Je me suis tellement entourée, je me sens centrée avec ce que je propose, ce qui n'était pas le cas avant. Il y a une sorte d'alignements qui fait que je prends pas mal ou quoi. Et puis cette expérience de dix ans dans l'indé, c'est moi, ça fait partie de mon histoire. Je ne serais pas la femme que je suis et je n'aurais pas cette proposition musicale sans ce background.

Dans ton son, il y a une vraie influence du rap. D'où ça te vient ?
J'ai fait un premier EP en français en 2017 qui s'appelle "Passade digitale", et pour le disque, j'ai eu envie d'évoluer. Je me suis mise à écouter beaucoup de trucs plus modernes, comme Damso, PNL. Je suis entrée dans une sorte d'obsession. Dans ces productions, il y a quand même très peu de choses, et pourtant ça sonne très gros. Je voulais m'essayer à ça, j'ai eu une sorte d'excitation extrême. Le premier titre que j'ai fait avec cette prod-là, c'est "Braquage". J'avais demandé à une équipe de s'orienter très cloud rap. Et j'ai halluciné. Je les ai laissés tranquilles, ce que je n'avais jamais fait avant. J'ai eu une révélation en entendant ça.

Regardez le clip "Braquage" de Marie-Flore :



C'est vrai que les productions sont énormes. Comme "QCC", quand le titre commence, c'est puissant.
C'est épique, oui. C'était une réelle volonté. J'ai travaillé avec Antoine Gaillet, OMOH et PL, qui était au beatmaking. Ils ont vraiment porté le truc, et c'était ultra intéressant la manière qu'on a eu de monter le disque. J'ai commencé à pré-produire, j'amenais des trucs, ça passait et ça revenait chez moi. C'était un an vraiment génial.

Je suis vraiment très contente de mon disque
J'ai lu que tu adorerais faire un duo avec Damso.
(Rires) J'aime le grain de sa voix qui m'émeut vachement. J'aime croire, je ne sais pas, que certains de ses textes sont à double lecture, à tiroirs. Je pense que c'est ça...

Tu parles de ses paroles misogynes ?
Oui... On ne sait jamais et à la fois, il y a un truc qui me plaît là-dedans aussi. Je trouve ça tendu de dire certaines choses et il se permet de le lire. Et c'est toujours rattrapé par autre chose. J'adore ce mec, je ne sais pas pourquoi. Je ne le rencontrerai sans doute jamais mais j'aime beaucoup ce qu'il fait.

Il y a eu un bel élan avec la sortie de "QCC". Il y a eu des critiques élogieuses, le titre a été numéro un sur iTunes. Ça te met la pression pour l'album ?
Question complexe. A la fois, j'ai l'impression que les choses me traversent, ça a été tellement de travail. Sans aucune prétention, je suis vraiment très contente de mon disque, j'ai hâte qu'il sorte. Après le reste ne m'appartient pas. Je suis heureuse de voir qu'il émeut les gens. Les journalistes parfois sont très touchés. C'est la plus belle des récompenses. Je pense que je suis complètement flippée. C'est surtout la préciosité du moment. Je sais que je ne revivrai pas deux fois la sortie de l'album. La conscience que c'est maintenant quoi !

Découvrez "Presqu'île" de Marie-Flore :
Plus d'infos sur Marie-Flore, sur son site internet officiel.

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