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Louis Chedid : "De nos jours, on est contraint au voyeurisme"

Par Jonathan HAMARD | Rédacteur
Louis Chedid est de retour cette semaine avec "Deux fois l'infini", un seizième album plus pêchu que le précédent, à travers lequel on retrouve ses influences habituelles. Évoquant tour à tour sa passion pour l'Inde et la musique électronique, l'artiste pousse également plusieurs coups de gueule à l'égard d'une société nombriliste qui voit tout en noir. Éternel optimiste, utopiste peut-être même, Louis Chedid revient avec un très beau disque écrit et réalisé à six mains avec Samy Osta et Sébastien Gohier.
Crédits photo : DR.
Propos recueillis par Jonathan Hamard.

La dernière fois que nous nous sommes entretenus, nous avons parlé du titre "Le chat noir", un morceau synthétique. Vous avez tenu à préciser à ce sujet que chacun de vos disques contient un titre dans cette veine électro pas nécessairement représentatif du reste du contenu. Sauf que sur "Deux fois l'infini", il y en a plusieurs dont un, "Scoop", qui a été choisi comme premier extrait pour les radios... Vous cherchez à toucher un autre public ?
Effectivement (sourire) ! Sur le dernier album, les gens ont entendu le titre "Tu peux compter sur moi", qui est plutôt acoustique, et "On ne dit jamais assez...", qui est très acoustique aussi. Tout dépend des titres qu'on sort en réalité. Si on avait sorti "Chat noir" en premier lieu, le public aurait certainement cru que tout l'album était dans cette lignée. Le problème, c'est qu'aujourd'hui quand vous sortez un album, vous sortez en réalité un single. Et puis peut-être un deuxième... un troisième... Tant que les gens n'écoutent pas l'album en entier, ils ne connaissent qu'un single et d'une certaine manière le cataloguent. Sur "Deux fois l'infini", il y a seize titres. Évidemment, il y a trois ou quatre morceaux électro. Je fais ce qui instinctivement me semble le mieux pour chaque chanson. Pour "Scoop", je la sentais comme ça. Je ne peux pas vous dire pourquoi d'ailleurs. C'est en jouant à la guitare que je me suis rendu-compte que ça rendrait mieux au synthé. Je me pose systématiquement la question de savoir comment optimiser une chanson le mieux possible. Il y a aussi beaucoup de subjectivité dans mes choix, c'est évident. Et je la revendique. Moi, j'ai toujours été très intéressé par les machines. J’adore ça ! J'ai beaucoup investi là-dedans.

Je me fous de la postérité !
Ce nouvel album s'inscrit davantage dans la continuité de ce que vous avez fait dans les années 70/80. Il est par conséquent moins proche de votre précédent album "On ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime". C'est retour vers le futur ?
C'est vrai ! Comme je l'ai fait pendant cette période-là, j'ai été motivé par l'envie de jouer tous les instruments. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas fait (sourire) ! Ce n'est pas évident de se lancer dans un projet comme celui-là. Il fallait se mettre au point sur toutes les parties de guitare, faire des boîtes à rythmes, les synthés... Le concours de circonstances a fait que j'ai rencontré un type qui s'appelle Samy Osta, qui est le réalisateur du disque. Il venait de faire l'album de Rover. Il a été aussi fait comme ça. C'est à dire que Rover joue de tout. Samy connaissait assez bien ce que j'avais fait et il a été très vite d'accord pour travailler avec moi. Et puis il y a Sébastien Gohier, qui travaille habituellement avec moi.

Il y a un vrai concept derrière le titre "Deux fois l'infini", qui passe par les textes de vos nouvelles chansons et l'image également. Les deux huit allongés sur la pochette. Deux fois huit titres pour un seizième album...
Il n'y a pas de hasard dans la vie. Alors, c'est vrai, c'est mon seizième album. Tout s'est indirectement enclenché lorsque j'ai rencontré la nouvelle troupe du "Soldat Rose". Il y a un des comédiens qui savait que j'enregistrais mon nouveau disque et qui m'a demandé comme je comptais l'appeler. Je lui ai dit que je n'en avais aucune idée, mais que je voulais pourquoi pas mettre un grand 16 sur la pochette... (sourire). Il m'a répondu que seize, c'est deux fois l'infini. J'ai trouvé ça génial. Je suis parti en me disant que j'allais appeler mon album comme ça. Je n'avais que quinze chansons enregistrées à l'époque. C'est Marc Thonon qui m'a suggéré l'idée de la chanson "Deux fois l'infini". J'avais une mélodie au ukulélé que je travaillais à ce moment-là et je n'arrivais pas à mettre de texte dessus. Je l'ai donc utilisée. Et le seizième titre était dans la boîte (sourire) ! Tout ça pour vous dire que rien n'est réfléchi (rire) !

Chaque disque doit être le premier. Il doit être le meilleur
Sur la pochette de cet album, vous n'apparaissez pas du tout. Déjà pour le précédent, on avait eu le droit à un tout petit carré avec votre visage noyé au milieu de nombreuses autres images.
J'aime bien cette idée. Je trouve que ça cadre bien l'idée de cet album. Je trouve ça intéressant de ne pas toujours mettre la tête du chanteur en première ligne si je puis dire. Là, c'est juste un signe...

"Deux fois l'infini", c'est aussi accentuer doublement l'idée d'intemporalité et d'immortalité. Pensez-vous déjà à la postérité ?
Non. Je ne pense pas du tout à ça. Je m'en fous au plus au point. Ça ne m’intéresse pas parce que je ne serai même pas là pour voir. Vous savez, la postérité ne dépend pas de vous. Je pense simplement à faire des choses intéressantes et à me mettre encore un peu en danger. C'est plus facile de faire un nouveau disque en rappelant les mêmes musiciens avec qui je travaille depuis vingt-cinq ans et en utilisant les mêmes mécanismes. Ça, c'est le cursus qui pourrait paraître normal pour beaucoup de gens mais pas pour moi. J'ai envie de faire des choses différentes sur tous mes albums. Chaque disque doit être le premier. Il doit être le meilleur d'entre tous.

Crédits photo : DR.
Le single "Scoop", c'est une forme de provocation ?
Pas vraiment. C'est un constat. C'est le fait de dire : "Je suis victime de ça comme tout le monde". On est envahi de faits divers, de tas de choses qui nous polluent. Moi y compris. Il y a beaucoup plus de choses positives dans la vie, mais ce ne sont malheureusement pas celles dont on entend parler au quotidien. Il y a beaucoup plus de solidarité et d'affectif entre les gens que ce qu'on nous montre. Mais, par contre, on est tellement drogué de faits divers, qu'on est quand même attrapé sans le vouloir. Je ne regarde pas la télévision D'ailleurs, je n'ai pas de poste. Mais je vais beaucoup sur Internet. Et il faut trier ! Je regarde Wikipédia comme tout le monde. Mais en allant sur Internet, je ne peux pas passer à côté de l'info. On est au courant même sans le vouloir. Je vais vous donner un exemple. Quand Saddam s'est fait assassiner, je m'en souviens je jouais au tennis. Il y a un mec qui est passé et qui nous a dit que Saddam venait de se faire tuer. Donc je l'ai su immédiatement, quelques minutes après que l'info a été lâchée. Donc ça va très très vite ! Et puis, on zappe aussitôt. Cahuzac Boum ! Guéant Boum ! Ce ne sont que des choses cracra...! Mais je me mets dans le même panier que tout le monde. Je suis voyeur aussi. De nos jours, on est contraint au voyeurisme d'une certaine façon.

On est des privilégiés mais on voit tout en noir
C'est quelque chose qui vous inquiète ?
Oui, ça m'inquiète beaucoup. Parce qu'on crée une vision de l'humanité qui est fausse. Et l'humanité n'est pas comme ça ! Je le sais quand même (sourire). Il m'arrive de sortir de chez moi. Je rencontre des gens. Je ne vis pas enfermé dans ma tour d'ivoire comme on pourrait le croire.

D'ailleurs, peut-on dire que cet album s'inspire des sentiments humains ?
Absolument ! Je suis auteur-compositeur. Donc j'écris sur ce que je ressens. Il y a des choses qui me choquent, des choses qui me blessent, des choses qui m'émeuvent... Un jour, je me suis rendu compte que, plus on va chercher loin au fond de soi-même, plus c'est universel. Parce qu'on a tous un tronc commun de sentiments, d'appréhensions des autres... Quand j'ai compris ça, je me suis dit qu'il fallait que je me laisse un peu plus aller et que je devais librement dire ce que j'avais envie de dire. "On ne dit jamais assez aux gens...", il y a vingt ans, jamais je ne l'aurais écrite. J'aurais dit que c'était cucul. Alors qu'en réalité, c'est exactement ce que je pense.

Il y a trois ans, on se disait déjà que le monde marchait sur la tête. Après l'écoute de votre nouveau disque, j'ai envie de dire la même chose. Ça veut dire que ça ne s'arrange pas ? C'est peut-être même pire, non ?
Je ne pense pas que ce soit pire. Je dirais plutôt que tout est en train de se déliter parce qu'on ne fait que vous balancer des choses négatives tout le temps. On traite les hommes politiques comme de la... Du moment qu'un homme politique est un escroc, on les met tous dans le même sac. On généralise tout. On fait des espèces d'amalgames avec des choses terribles. On a l'impression qu'il n'y a plus rien qui marche. Alors que ce n'est pas vrai ! On est dans un pays où il y a énormément de choses qui fonctionnent bien. On a une chance extraordinaire de vivre en France. Je reviens justement de pays où c'est plus difficile, où il n'y a pas de protection sociale et beaucoup de misère. Et pas si loin de nous ! Aujourd'hui, c'est même encore plus difficile dans certains endroits comme l’Égypte et le Liban. On n'a pas connu de guerre depuis 1945. Ce n'est pas rien de nos jours ! Alors, évidemment, il y a aussi des choses qui ne vont pas. Mais quand même, on est des privilégiés mais on voit tout en noir.

Beaucoup pensent que tous les problèmes doivent être réglés par l'entremise de l’État
Il se dit d'ailleurs régulièrement que le moral des Français est en berne par rapport à celui de nos voisins européens.
Beaucoup pensent que tous les problèmes doivent être réglés par l'entremise de l’État. C'est l’État sparadrap ! Peut-être que ça aussi c'est quelque chose qui pollue l'atmosphère. Il faut aussi voir l'initiative personnelle. J'en connais beaucoup qui dépendent plus d'eux que de l’État. C'est aussi d'une certaine manière la faute de nos politiques qui nous ont habitués à ce que chaque chose soit sécurisée. Moi, j'ai une autre vision de ce pays.

Crédits photo : DR.
Vous nous parlez de la France, mais aussi de l'Inde, en nous proposant de voyager à travers la chanson "Quand Shahrukh danse". C'est un pays que vous connaissez bien et qui vous inspire ?
Je dois dire que je vais en Inde depuis quelques années. Shahrukh Khan, c'est un peu une superstar là-bas. J'ai été très séduit par ce mec-là. Il est chanteur, acteur... Il fait tout ! Il est très charismatique. Et c'est vrai qu'en allant en Inde, j'ai découvert ce cinéma de Bollywwod dont on se moque un peu. Moi, j'y retrouve un peu ce qu'on a vu dans les comédies musicales avec Fred Astaire et Grace Kelly. J'ai vu des choses extrêmement bien faites. C'est bien huilé ! Et puis j'aime beaucoup la musique indienne. Au-delà d'être un hommage à cet homme-là, ce titre est un hommage à l'Inde en général. C'est un pays qui me touche énormément.

Je ne croyais pas en une suite du "Soldat Rose"
Un pays où vous pourriez passer votre retraite ?
Ah non (sourire) ! J'aime beaucoup la France. Si un jour je prends ma retraite, parce que ce n'est pas au programme, je la prendrais en France.

D'ailleurs, le dernier titre de cet album s'appelle "Au revoir". Pas "Adieu". C'est un morceau pour terminer les prochains concerts ?
Il y aura peut-être des gens qui le prendront comme un "adieu". Mais ce n'est pas le cas. Vous savez, ce n'est pas moi qui décide de la fin. "Au revoir", ça veut dire on se revoit. Ça peut vouloir dire à l'année prochaine. Mais, c'est vrai que c'est une chanson de fin de concert.

Entre tout ça, vous n'avez pas eu le temps de travailler sur le "Soldat Rose 2". Pourquoi Matthieu et vous n'avez-vous pas participé à ce projet avec Pierre-Dominique Burgaud ?
En ce qui concerne Matthieu, il faudrait plutôt lui demander. Moi, j'avais mon album à terminer. Et puis, sur le premier "Soldat Rose", je m'étais beaucoup investi. J'ai vécu des choses tellement intenses avec ce projet, que je ne croyais pas en une suite. C'est en tout cas ce que j'ai dit à Pierre-Dominique quand il m'a proposé d'écrire "Le Soldat Rose 2". Je ne sais pas trop ce qu'il voulait en faire. Mais je l'ai encouragé à le faire. Et puis, ils sont tombés sur Cabrel, qui n'est pas n'importe qui. Je leur dis "bravo". Tout s'est passé de manière civique. On ne m'en veut pas et je ne leur en veux pas. Je ne voulais tout simplement pas faire ce que j'avais déjà fait. Je préfère que Cabrel se réapproprie les choses. Je leur souhaite le meilleur.
Pour en savoir plus, visitez louischedid.net et onneditjamaisassez.com.
Écoutez et/ou téléchargez le nouvel album de Louis Chedid.

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