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La Grande Sophie en interview : "Dans la musique, j'aime l'idée d'infini et d'absolu"

Par Jonathan HAMARD | Rédacteur
La Grande Sophie est de retour avec un septième album baptisé "Nos histoires", plus direct dans le style mais toujours ponctué par des mélodies enivrantes qui font la force de ses chansons. L'artiste lorraine a puisé son inspiration dans différentes rencontres, réelles ou imaginaires, et nous invite à voyager dans le temps, de la Russie de Staline jusqu'à Hanoï.
Crédits photo : DR.
Propos recueillis par Jonathan Hamard.

Revenir avec "Maria Yudina", qui est à mon sens un ovni sur ce nouvel album et dans votre discographie, n'est-pas symptomatique d'une volonté de prise de risques ?
La Grande Sophie : Oui, et en même temps, quelque part, j'ai l'impression de revenir aux sources avec ce titre-là, au milieu dans lequel j'ai commencé, dans des lieux très undergrounds ou dans le réseau associatif. C'est un milieu dans lequel j'essayais des choses, où j'avais tendance à vouloir rentrer dedans, notamment vocalement. On le retrouve peut-être effectivement dans "Maria Yudina". Mais, pour moi, cet album est une ouverture à l'autre, sous différentes formes. Il se trouve qu'avec cette chanson c'est la découverte d'une pianiste sous le régime de Staline. C'était une résistante. J'étais à la fois admirative de la femme, en tant que musicienne classique, et de cette sensibilité qu'a eu Staline pour une artiste qui s'opposait à lui. Cette histoire est incroyable.

"Maria Yudina", c'est la volonté de surprendre le public. C'est inhérent à votre manière de construire votre carrière de chanteuse ?
La volonté de surprendre a toujours été là. J'ai toujours voulu me renouveler et ne pas faire le même album. J'ai découvert Maria Yudina un peu par hasard car je n'ai pas une grande culture classique. Je pense que j'ai été sensible à son personnage parce que c'est une femme qui s'est battue, parce qu'elle avait du courage... Ce n'est pas forcément évident d'écrire une chanson comme celle-là mais les mots me sont venus assez facilement finalement. Et ça c'est quelque chose de nouveau pour moi.

Rien ne s'est passé comme prévu au Vietnam !
Cet album s'intitule "Nos histoires", alors qu'il aurait aussi pu s'appeler "Mon histoire".
Je ne suis pas tout à fait d'accord. Cet album est une ouverture à l'autre. Et cette ouverture était pour moi un réel besoin. Je pense qu'on apprend toujours à se connaître à travers une autre personne. C'est nécessaire pour moi. D'autant plus que je sortais d'un album très introspectif, "La place du fantôme", où j'allais fouiller... Là, je voulais quelque chose de plus direct et de plus lumineux.

N'est-ce pas dire aussi, qu'un jour ou l'autre, nous vivons tous la même histoire et sommes confrontés aux mêmes doutes ?
Après mes concerts, je remarque que les spectateurs aiment bien venir discuter. Et ce qu'ils me racontent de mes chansons sont de toutes autres histoires (Sourire). Donc, est-ce qu'on vit les mêmes choses ? Pas forcément ! C'est l'imaginaire qui prend le dessus sur les mots que je peux chanter. En aucun cas je ne veux brider le public en essayant d'imposer mon histoire. Quand j'écris une chanson, c'est comme une lettre. Je m'adresse à ceux qui vont lire ses lettres et en tirer quelque chose par rapport à leur histoire. Le "Nos" est multiple. Moi je donne des éléments.

Je ne donne de leçon à personne
Mais le point de départ de cet album, son origine, n'est ni la découverte de Maria Yudina ni "La place du fantôme", mais la chanson "Hanoï". Qu'est-ce qui a pu tant marquer votre visite au Vietnam ?
Nous sommes partis au Vietnam avec toute mon équipe pour le dernier concert de ma précédente tournée. Rien ne s'est passé comme prévu là-bas. On devait jouer dans un festival où il y avait à la fois des groupes vietnamiens et français. Mais en arrivant là-bas nous avons vécu un grand moment historique. C'était en novembre 2013. Le général Giap, leur héros national, est mort. Il y a eu plusieurs jours de deuil. Finalement, si tout a été annulé, nous avons pu jouer à l'Institut français avant le jour de deuil. C'était un concert plus minime prévu à l'origine. Nous devions rejouer après mais le deuil s'est prolongé. Je devais visiter le pays et il y a eu un typhon... Rien ne s'est déroulé comme prévu ! (Sourire) Et pourtant... Je me suis perdue dans les rues de Hanoï. J'y ai rencontré des gens, dont certains parlaient très bien français. J'y ai trouvé une certaine pureté et une force. En revenant de ce voyage, je voulais qu'il y ait une trace et j'avais envie de le partager.

Vous y retournerez pour chanter à nouveau ?
Oui, je vais aller chanter "Hanoï" à Hanoï. Je pense que ça risque d'être très émouvant.

Ecoutez la chanson "Hanoï" de La Grande Sophie :



Cet album fait de rencontres évoque également l'individualisme et les relations de plus en plus lâches de nos jours, notamment à travers le titre "Les portes claquent". Qu'est ce qui favorise ce phénomène selon vous ?
La rencontre peut être joyeuse mais, parfois, il n'y a aucune réciprocité et ça peut générer de l'indifférence ou de la colère. Je m'en vais sur d'autres titres de l'album... Mais on a aussi envie des fois d'aller réveiller des gens. C'est ce que je chante dans "Tu dors". La rencontre n'est pas toujours comme on peut l'imaginer. Je dis bien "imaginer", parce que dans "Les lacs artificiels", je chante le fantasme de la rencontre dans un décor. Mais tout ne se passe pas toujours comme on l'entend. C'est effectivement ce que je chante dans "Les portes claquent". N'oublions pas que nous sommes dans l'air du selfie ! Et je me mets dans le lot. Je ne donne de leçon à personne. C'est vrai qu'on a tendance à regarder le bas de sa porte ou à vivre dans un espace virtuel à travers les réseaux sociaux. Moi, j'ai besoin de concret.

Vous êtes également adepte de Facebook, Twitter et Instagram. Vous avez plusieurs comptes à travers lesquels vous avez créé une relation avec le public. Pensez-vous que ce soit désormais un passage obligé pour les artistes à l'ère du numérique ?
En ce qui me concerne, j'aime bien avoir une personne au bout du fil, même si j'envoie aussi beaucoup de messages. Les réseaux sociaux, c'est une façon de communiquer différente mais qui m'amuse. C'est aussi pouvoir faire entrer les gens dans les studios, alors que c'est quelque chose qui est techniquement très difficile. C'est un espace à huis clos, où règnent parfois des tensions... Et puis, c'est difficile de chercher lorsque quelqu'un vous observe. J'invite les gens à entrer dans mon univers avec des images ou quelques mots. Je ne peux pas non plus tout leur dire. Je crois que le mystère c'est important.

Tout le monde ne vieillit pas de la même manière
N'y a-t-il pas de limites à ces moyens de communiquer ?
Il faut le voir comme un outil. Pourquoi ne pas s'en servir ? Mais il faut s'en servir à bon escient. Je vois beaucoup de choses ! Il y a des gens qui y passent énormément de temps. D'ailleurs, je me demande comment certaines personnes peuvent trouver autant de temps pour dire autant de mal. Je suis très claire à ce sujet. Ma vie privée n'apparaît pas. Je n'ai jamais aimé ça. Je fais la distinction.

Si les réseaux sociaux représentent une vraie révolution pour le marché de la musique, le streaming l'est aussi. Certains artistes n'y sont pas favorables et évoquent des rentes minimes. Quelle position adoptez-vous à ce sujet ?
Le rire ! (Sourire) Ce sont même des fou-rires que j'ai en lisant mes relevés... C'est hallucinant ! On pourrait vraiment en pleurer. Il y a des gens qui n'ont pas conscience du travail que ça représente d'aller en studio, avec des musiciens. C'est tout un corps de métier. C'est du travail !

Ce sont les artistes qui doivent en faire prendre conscience ?
Je crois qu'il devrait y avoir des accords pour que les artistes s'y retrouvent. On est quand même la matière première. Sinon, c'est injuste.

Crédits photo : DR.
Le temps est toujours très présent dans l'œuvre de La Grande Sophie, et plus encore peut-être dans "Nos histoires". Qu'est-ce qui vous inquiète dans cette fuite du temps ou dans la mort, si l'on adopte un point de vue plus pessimiste ?
Ce n'est pas la mort qui me fait peur. C'est marrant parce que beaucoup de gens me posent cette question sur la mort... (Sourire) Je crois que c'est la souffrance qui m'effraie. J'ai très peur de la maladie, de la dégradation... Tout le monde ne vieillit pas de la même manière. Je m'en rends compte parce que j'observe beaucoup. Et les personnes âgées sont importantes pour moi. Je les écoute. Elles m'émeuvent aussi. Quand je vois un couple de personnes âgées qui se tient la main dans la rue, je m'arrête et je les regarde. J'imagine alors tout ce qu'ils ont traversé ensemble. C'est quelque chose qui me touche. C'est une chance d'arriver à vieillir à deux.

J'ai eu un fort choc émotionnel quand j'ai vu Jacques Higelin sur scène
Comment fait-on pour se renouveler au bout de 20 ans de carrière, tout en conservant une patte qui nous est propre ?
J'ai voulu travailler avec les trois réalisateurs de "La place du fantôme", en leur demandant une chose : "Il ne faut pas refaire le même album". Je garde en tête qu'il faut évoluer, ne pas s'enfermer dans un style de musique précis, de pousser plus loin et de faire des mélanges. Même si j'ai certainement des tics, j'essaie de les rompre aussi. Ce que j'aime dans la musique, c'est qu'il y a cette idée d'infini et d'absolu. Je m'en rends compte quand je repars en tournée. Chaque fois, j'ai envie de donner la couleur du nouvel album. Donc je vais retravailler mes anciens morceaux. Il faut que je trouve comment les actualiser. Un titre comme "Du courage", j'ai dû en faire sept versions. Je me demande comment je vais pouvoir en faire une huitième... C'est ça qui est magique dans la musique.

On parlait d'une rencontre, ce n'en est pas vraiment une, mais on retrouve sur cet album Jeanne Cherhal. Elle vous accompagne au piano sur le titre "Tu dors". Il aurait fait un très beau duo. Pourquoi ne pas l'avoir invitée à chanter ?
J'aurais pu... Mais j'étais tellement préoccupée par la composition. Je ne suis pas pianiste. Donc j'ai travaillé dessus comme je pouvais, avec la main du capitaine crochet. Une fois que je me suis retrouvée en studio, je me suis demandée comment j'allais faire pour la jouer. Je n'y suis pas arrivée. J'ai donc appelé Jeanne, parce qu'elle allait apporter à la fois une force et une douceur. Elle a tout de suite compris ce que j'attendais. C'est ça qui est important. Arriver à se faire comprendre. C'est comme ça qu'on peut amener les choses encore plus loin.

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Si l'on sort de cet album pour regarder autour, quels sont les artistes qui vous interpellent actuellement ?
J'ai eu un fort choc émotionnel quand j'ai vu Jacques Higelin sur scène. Ça fait deux tournées que je vais voir de lui. Je n'étais pas forcément pas fan quand j'étais adolescente. Mais, pour moi, c'est un poète. Ce que je cherche quand je vais à un concert ou à une exposition, c'est recevoir une émotion, qu'il se passe quelque chose. Avoir un frisson.

Et parmi la jeune génération ?
J'aime beaucoup aimé le dernier album de Luce, "Chaud". Je l'ai vue en concert avec Mathieu Boogaerts. J'avais devant moi une interprète et un guitariste très complémentaires.
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