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Gjon's Tears (Eurovision) en interview : "Être favori met plus de pression qu'autre chose"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Gjon's Tears représente la Suisse à l'Eurovision avec "Tout l'univers". Depuis un square du 11ème arrondissement de Paris et sous un beau soleil, le chanteur a répondu aux questions de Pure Charts sur la naissance de son titre, son rapport à l'Eurovision et surtout son statut de favori.
Crédits photo : Oscar Alessio
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Quel est ton premier souvenir lié à la musique ?
Ça doit être quand j'ai découvert la musique avec Bach. Le premier album que j'ai reçu de mon père était "La toccata et fugue". On est vraiment dans le bon cliché de Bach (rires). C'est une musique que j'ai toujours trouvé très mystique. C'est assez angoissant, l'atmosphère que ça crée, c'est un peu comme les films d'horreur : ça nous fait peur mais on a quand même envie de regarder. J'y ai découvert une forme de discipline. La beauté de la discipline et du fait d'être un génie, c'est quelque chose qui m'a fasciné tout de suite.

On me dit que j'ai un don
Quand as-tu su que tu voulais devenir chanteur ?
Suite à l'année où j'ai commencé le piano, mon grand-père est venu en vacances chez moi. Il m'a demandé de lui chanter sa chanson préférée qui est "Can't Help Falling In Love With You" d'Elvis Presley. Je lui chante et il s'est mis à pleurer. Ses larmes ont été tellement symboliques et ça a vraiment été le déclic, le moment où je me suis dit "Je ne sais pas forcément chanter mais je peux transmettre quelque chose". Souvent on me dit que j'ai un don, mais je considère qu'il n'est pas lié à la voix. Je pense qu'il y a des personnes qui sont faites pour partager leur énergie et leur joie de vivre avec les gens, et d'autres qui ont moins cette faculté. Pour moi, ça fait partie du charisme. J'ai la sensation qu'enfant j'étais assez charismatique et que je m'en suis vraiment rendu compte grâce à mon grand-père et ça m'a motivé à continuer la musique. J'avais neuf ans et je me suis dit "J'ai un super pouvoir, je peux faire pleurer les gens". Il fallait que je continue à faire ça car c'est chouette de pouvoir rentrer dans l'intimité des gens en les émouvant.



L'Eurovision, j'en ai rêvé dans mon sommeil
Tu as fait tes armes en participant à "Incroyable Talent" et "The Voice" : ces émissions ont été un bon tremplin pour toi ?
Elles ont permis de me forger dans mon expérience de la scène, avec la télévision et les caméras. Ça m'a permis de me développer à ce niveau-là. Mais musicalement, oui et non. Je pense justement m'être construit musicalement en me retirant de ces concours et en me focalisant sur ce que j'avais envie de faire. Ces concours-là m'ont permis de mieux comprendre les aspects scéniques, comment me présenter sur scène et ce que j'ai envie de véhiculer.

Tu vas donc représenter la Suisse à l'Eurovision ! Tu étais fan du concours ou c'est une découverte ?
Ce n'était pas une découverte et je n'étais pas fan non plus ! J'ai découvert ça en 2011. Avec mes cousins et mon frère, on cherchait un film à regarder et on est tombés dessus. Ça m'avait beaucoup impressionné avec ces shows de lumière incroyables. Ça faisait plaisir de voir un show aussi long avec beaucoup de chansons. Je me suis dit qu'un jour je pourrais faire ça. Je me souviens encore que quand je suis allé me coucher, j'ai fait un rêve où j'étais en train de réfléchir à ce que j'allais dire si je remportais l'Eurovision. Mais comme je n'arrivais pas à sortir le discours du gagnant, les gens me huaient (rires). Mis à part en avoir rêvé dans mon sommeil après l'avoir découvert à la télévision, je n'ai jamais vraiment suivi l'Eurovision par la suite. Des fois, j'entendais certaines chansons à la radio, j'allais voir de qui il s'agissait et je tombais sur "Soldi" de Mahmood ou la chanson de Salvador Sobral "Amar Pelos Dois", et du coup je me suis intéressé aux autres chansons. Mais c'était toujours un peu par hasard.

Ma chanson a fait la différence
Comment s'est passée la sélection en 2020 avec "Répondez-moi" ?
J'avais dû soumettre une chanson, qui a été ensuite soumise à un jury d'une cinquantaine de professionnels de la musique et d'une centaine de personnes qui, l'année précédente, avaient donné un résultat proche du résultat final. Ils avaient reçu plus de 500 chansons, puis je suis arrivé dans les 10 derniers. Chacun a chanté en live son titre et c'est là où j'ai fait la différence.

L'édition 2020 a été annulée : quelle a été ta réaction à ce moment-là ?
Je ne m'y attendais pas tellement car je savais qu'ils avaient prévu des solutions de secours. Déjà à ce moment-là, ils parlaient de livestream, d'une soirée où chacun le faisait depuis son pays. Ou alors qu'on aille tous là-bas [à Rotterdam, ndlr] mais sans personne dans le public. Du coup, on m'a dit trois jours avant l'annonce officielle que ça allait être annulé. C'était une frustration, évidemment, car je n'ai pas la sensation d'avoir vécu l'expérience. En fait, je ne l'ai même pas vécu. Sortir une chanson et un clip, c'est le processus normal d'un artiste et la différence, c'est le live. J'attendais ce live avec impatience. Après, c'était la solution qu'il fallait prendre de toute façon, mais c'est vrai que ça a été un peu une surprise. A vrai dire, je n'y ai pas cru jusqu'au moment où j'ai vu l'émission de remplacement, "Shine a Light", et là je me suis dit "Je devrais être là-bas en ce moment même et je me retrouve devant ma télé".

Pourquoi tu as voulu revenir en 2021 ?
Comme je n'ai pas eu la sensation de vivre l'expérience Eurovision, c'était essentiel pour moi que je la vive. J'avais hâte d'être sur cette scène, ce n'était pas possible de partir, il fallait que ça se fasse. On a discuté avec le chef de la délégation et je lui ai dit, "J'ai envie de revenir et d'aller jusqu'au bout, de chanter sur scène, d'avoir ces conditions qui font rêver avec cette lumière incroyable et ces mises en scène...". Ils m'ont répondu "Tant mieux" car ils avaient envie que ce soit moi, ils sentaient frustrés. C'est assez fusionnel car on a un très bon feeling et ils m'ont complètement fait confiance pour faire ma chanson.

Découvrez "Répondez-moi" de Gjon's Tears :


C'était essentiel de revenir en 2021
Tu mises sur la chanson "Tout l'univers" : peux-tu nous raconter son histoire ?
Elle est née tout d'abord en anglais, elle s'appelait "Ground Zero". Ce que je trouvais intéressant avec cette idée, qu'on a travaillé avec Nina Sampermans et Wouter Hardy, le producteur d'"Arcade", c'est que je n'avais jamais entendu ce mot qui n'a pas d'équivalence en français. Je l'ai trouvé vraiment beau, tout comme sa signification puisque c'est, à la base, le centre d'une explosion et ça s'est énormément développé avec le 11-Septembre. Le mot est revenu à jour. Je me suis dit que c'est un mot qui voulait dire beaucoup : c'est là où tout se détruit mais c'est aussi là où tout se reconstruit et j'avais envie de traiter de cette thématique là. On a d'abord écrit le texte en anglais. Après, comme j'avais envie de garder la même sensation qu'avec "Répondez-moi", c'est pour ça que j'ai voulu traduire le texte en français avec Xavier Michel. On a fait un camp d'écriture, et ça s'est fait très naturellement pour arriver finalement à "Tout l'univers".

Comment est né le clip ?
Il y a plusieurs idées importantes dans cette chanson : le point d'impact, ou Ground Zero et le côté déconstruction-reconstruction. C'est pour ça que je n'ai pas voulu appeler la chanson "Le point d'impact" mais plutôt rester sur quelque chose de très grand avec "Tout l'univers". Le titre envoie à quelque chose de l'ordre de l'espoir : on a l'occasion de faire mieux donc pensons à le faire. Du coup, pour le clip je voulais que ce soit un accident de voiture car j'ai un rapport particulier avec les voitures : une fois ma voiture a pris feu sur l'autoroute et j'ai cru que j'allais mourir avec ma meilleure amie. J'avais envie de parler du fait que dans l'accident de voiture, on voit l'impact. Il y a aussi l'idée de se sauver soi-même car on est les seules personnes à croire en nous, et j'avais envie de le mettre en avant. On a tourné ça à La Roche Guyon. Très beau village et très beau château !

"Tout l'univers" envoie de l'espoir
Tu es un des favoris de cette année : qu'est-ce que ça te fait ?
Evidemment ça fait plaisir, mais ça met plus de pression qu'autre chose. A mon avis, c'est en même temps représentatif et on ne sait jamais car il faut quand même voir les répétitions et le live. Mais évidemment que ça me fait plaisir. Ça prouve que les gens me soutiennent, qu'ils ont retenu ce que j'ai fait avec "Répondez-moi". On est une quarantaine dans le concours donc les gens peuvent ne pas te retenir mais ça me touche qu'ils me soutiennent !

Tu es d'autant plus favori que l'année dernière tu étais déjà 3e des bookmakers !
C'est vraiment chouette ! C'est assez dingue et ça fait vraiment plaisir. En même temps, ce n'est pas quelque chose que j'ai envie de regarder car j'ai tellement d'autres choses à penser ou à regarder. Je veux que la prestation me ressemble complètement et que je sois fier de moi. Je n'ai pas le temps de regarder les bookmakers (sourire).

Être favori, ça prouve que les gens me soutiennent
Tu penses pouvoir gagner ?
J'en sais rien... Franchement, je pense que ça se jouera sur le moment. Il faut juste bien partager des énergies positives et s'amuser. Pour moi, c'est un challenge. Je veux absolument réussir ma prestation, c'est le plus important. Finir en première place avec une prestation nulle, ça me ferait vraiment chier ! (sourire). J'ai vraiment besoin que ça plaise aux gens et que ça me plaise aussi. Aujourd'hui, c'est quelque chose qui me dépasse totalement, c'est 200 millions de téléspectateurs et c'est quelque chose que j'ai vraiment envie de faire car je vais présenter mes projets, ma chanson. Au niveau de la mise en scène ou des lumières, j'ai envie que tout soit comme j'ai envie. C'est important que ça me ressemble et pour ça que j'ai envie d'être fier de moi. Je ne sais pas du tout si je peux gagner mais mon but personnel, dans ma tête, ce serait le plaisir incroyable de finir dans les trois premiers. Entre le premier et le troisième, c'est plus une question de goût, mais quand tu arrives dans les trois premiers, il y a quand même quelque chose de qualitatif. Finir dans les trois premiers, ça veut dire que qualitativement ce que tu fais, c'est là, et les gens l'ont remarqué. Après que l'on soit en première ou en deuxième position... Mahmood a fini deuxième et qualitativement, elle est extraordinaire. Après c'est une question de goût, mais ça représente beaucoup.

Quels sont les gros concurrents potentiels selon toi ?
Je ne sais pas si j'ai des concurrents potentiels. C'est une émission, un concours donc on est tous forcément concurrent. On est pas tous en train de présenter notre projet, il y a quand même ce petit challenge. Je dirais Barbara Pravi parce qu'on chante tous les deux en français, on a ça en commun et peut-être que les gens vont faire le rapprochement. C'est peut-être ça qui fera un peu la différence et les autres pays n'ont pas ça : en Italie c'est l'italien, la France c'est le français... La Suisse c'est un peu un OVNI avec ses quatre langues. C'est un peu ma concurrente et pas vraiment en même temps !




L'Eurovision est un challenge
Chanter en français à un concours international, ce n'est pas forcément évident. Beaucoup préfèrent miser sur l'anglais pour toucher un plus large public. Pourquoi avoir quand même voulu se tenir à chanter en français ?
Dans les chansons qu'on a faites, il y en a certaines que j'ai besoin de chanter en français et d'autres en anglais. C'est assez difficile à expliquer mais c'est beaucoup de ressenti et de sensations. Je trouvais que "Tout l'univers" méritait d'avoir un texte en français, pour voir ce que ça donne notamment. Et surtout au niveau de l'interprétation, comme c'est ma langue maternelle et une langue nationale suisse, c'était plus naturel que l'anglais. Et comme c'est un concours national énorme, tu as tout intérêt à montrer qui tu es vraiment. Et si cela passe par chanter en français, il faut le faire. C'est ce que j'avais envie de faire parce que ça montre qui je suis.

Cette année, les trois chansons favorites, la tienne, "Voilà" de Barbara Pravi et "Je me casse" de Destiny, sont chantées, intégralement ou en partie, en français : ça te fait quoi de voir ça ?
Ça fait plaisir ! Je suis content parce que je trouve que Barbara, sa chanson est extraordinaire et je suis convaincu que ça va très bien se passer pour elle. C'est quelqu'un qui a plus travaillé dans l'ombre, maintenant elle se met plus en avant et elle le mérite car elle chante extrêmement bien et elle montre qui elle est vraiment. C'est ça que j'aime quand on montre notre empreinte artistique et qu'on n'a pas peur, sous prétexte d'un certain format, de devoir la changer. Moi, c'est ce que j'ai fais avec ma chanson. Avec les deux autres favoris, c'est pas que je suis content que ce soit la francophonie qui soit représentée, mais plus qu'ils aient fait ce qu'ils avaient envie de faire et non pas de se dire qu'il fallait forcément faire de l'anglais. S'ils ont envie de faire de l'anglais, c'est qu'ils ont envie et qu'ils sont doué pour ça. Je pense à Dadi [le candidat islandais favori en 2020, ndlr] qui avait chanté "Think About Things" et qui revient avec un titre en anglais, pareil pour The Roop [le groupe lituanien en compétition, ndlr]. Ça se sent que c'est leur empreinte, leur manière de se présenter... Ça fait plaisir de voir des gens qui ont leur identité et qui ne la perdent pas.

Mon but c'est de finir dans les trois premiers
Si tu gagnes, tu serais le premier représentant de la Suisse à l'emporter depuis Céline Dion : là aussi, ça te met la pression ?
Franchement non. Ce sont des choses qui vont se faire étape par étape. Tout va se faire petit à petit et je vais pas mettre de pression. Je vais simplement rester moi-même comme je le fais maintenant avec ma chanson.

Que peut-on attendre de ta performance à Rotterdam ?
Bonne question (rires) ! Il faut pas avoir trop d'attente... Simplement que ce soit moi (sourire).

Il y aura du public. J'imagine que ça te fait plaisir de pouvoir à nouveau chanter devant des gens !
C'est vraiment ça : enfin ! Ça va être l'occasion de finir ce processus de l'Eurovision car maintenant ça va faire deux ans. J'ai hâte que ça se finisse, mais pas dans le sens négatif, j'ai hâte que ça se fasse, que ça se concrétise. Je suis content qu'il y ait ce public-là car ça va permettre de créer quelque chose d'organique, de vivant. Ça fait du bien parce que ça manque !

La chanson de Barbara Pravi est extraordinaire
Après l'Eurovision, quels sont tes prochains projets ? Un album ?
Oui, l'idée est de faire un album. J'aimerais bien faire ça cette année mais on verra comment les choses avancent. De toute façon, il y en aura un puisque j'ai signé avec un label en France, maintenant c'est plus une question de timing. J'ai envie qu'artistiquement, j'ai le temps de faire ce que je veux et de trouver les bonnes personnes avec qui le faire. C'est pour ça que j'aime bien venir ici, pour rencontrer les gens avec qui je veux travailler. Je sais avec qui j'ai envie de travailler, au niveau de l'écriture, des compositions et des collaborations. Au niveau des chansons, tout est à faire même si j'ai environ 80% des chansons de l'album. Il faut juste trouver comment les arranger et les préparer mais je n'ai pas encore trouvé la bonne personne.
Gjon's Tears en interview
29/04/2023 - Révélé dans "The Voice" puis à l'Eurovision, Gjon's Tears fait le grand saut avec la sortie de l'album "The Game". Un premier disque d'équilibriste où les multiples inspirations de l'artiste caméléon cohabitent. Rencontre avec une voix prodigieuse et un coeur sensible.
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