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dimanche 31 janvier 2021 16:30

Bénabar en interview : "Faire de la musique et exprimer mes états d'âme est un privilège"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Bénabar est de retour avec "Indocile heureux'', un neuvième album vivifiant, romantique et teinté d'humour qu'il présente au micro de Pure Charts. L'occasion d'évoquer 20 ans de carrière sous le feu des projecteurs, les travers du show-business ou la crise sanitaire qui touche les artistes.
Crédits photo : Matias Indjic
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Vous venez de sortir votre neuvième album studio, ''Indocile heureux''. Est-ce qu'il y a toujours ce petit frisson d'excitation, ce coup de stress ?
Tout à fait ! C'est marrant parce que je me suis posé la même question avant de recevoir le CD. Est-ce que ça continue de me faire quelque chose ? Est-ce que je ne suis pas blasé ? Eh bien non ! Dès que j'ai eu la galette en main, j'ai eu cette émotion, un peu de trac et ce sentiment d'achèvement, de plaisir, j'étais troublé par la trouille et fébrile. Donc oui, le frisson est encore là ! Et j'étais très soulagé, très rassuré. De pouvoir repartir en promo, discuter, faire de la musique et exprimer mes états d'âme, c'est un privilège. Je le savais déjà mais ça m'émeut beaucoup de pouvoir encore faire ce métier.

Le confinement a été source de motivation
Sortir un album dans cette période assez délicate pour l'industrie de la musique, ça revêt une signification pour vous ?
Je mesure à quel point c'est une réussite de pouvoir s'exprimer. Je sais à qui je le dois, le public, et je mesure le pouvoir des mots. Quand vous regardez les mouvements sociaux en France, que ce soit les Gilets jaunes ou autres, ce sont des gens qui ont des trucs à dire et qui veulent qu'on les entende. Et on ne les entend pas. Moi je fais partie de ceux qui sont entendus parce que j'ai la chance de passer par des médias et des outils musicaux qui amplifient ma voix. Ça je le ressens vraiment et ça donne une responsabilité, celle de ne pas dire n'importe quoi. Et puis, par rapport à cette crise, on ne peut pas faire autrement, les artistes. Quand tu es écrivain, tu écris, quand t'es musicien, tu joues. Il y a quelque chose qui n'est pas calculé, comme une obligation de créer.

L'album devait à l'origine paraître quelques mois plus tôt. Comment a-t-il évolué ?
Il était fini avant le confinement, on pensait le sortir avant l'été. Et puis on s'est retrouvé confiné, avec tous les doutes qu'on avait à l'époque. Plutôt que d'être dans l'attente, ce qui n'est jamais productif, je me suis dit tout de suite : allez, on refait des chansons. On s'est donc repenché sur l'album. On a viré des chansons qui étaient finies pour les remplacer par d'autres, on a retravaillé des textes, on a prolongé l'exercice et l'inconvénient est en quelque sorte devenu un avantage. Créativement, c'était une source de motivation. Sinon j'aurais été frustré chez moi, en jogging sale, en boucle sur les chaînes d'infos – un gros défaut qu'il faut que je corrige – à flipper. Et puis quand j'ai commencé à appeler les copains, tout le monde était à fond !

Regardez le clip "Les belles histoires" de Bénabar :



J'ai fait un coming out de romantique
Vous parlez joliment d'amour dans la chanson ''Tous les divorcés'' et dans ''Les belles histoires'', où vous vous demandez : « Où sont passés les derniers romantiques ? ». Au fond, ce ne serait pas vous qui l'êtes ?
Mais oui, je m'en rends compte. Je ne pensais pas à ce point-là. J'ai fait un coming out de romantique, et en l'assumant ! Putain, je suis romantique. Ça c'est l'avantage d'avoir eu une carrière assez longue et de pouvoir regarder l'ensemble des chansons qu'on a faites. J'assume même ce côté fleur bleue, à la limite de la mièvrerie. Je suis comme ça, j'aime bien ces grands sentiments un peu outrés, un peu exagérés. Et puis le romantisme littéraire du XIXe siècle, les poètes maudits, c'est une littérature qui me bouleverse. La vie, la mort, devant l'océan, ces élans un peu théâtraux, je trouve ça fascinant. Et ça rejoint l'homme de scène que je suis, ce goût du spectacle qui entraîne les musiciens, le public et qui m'entraîne moi aussi. Ce mouvement, cette émulation collective qui tire vers le haut, j'ai voulu ça aussi sur l'album. Avoir cette volonté-là, palpable, que l'auditeur la sente. On est là pour ça, pour essayer de mettre de l'enthousiasme.

Et de l'énergie, il y en a à revendre sur des titres légers et plein de dérision comme ''Âme de poète'' avec ses gros mots ou ''William et Jack''. Cet humour sans filtre, ça permet de dire tout ?
Peut-être pas de dire tout mais d'aborder plein de sujets en contournant le pathos. Sans faire le donneur de leçons surtout, ce que je trouve dégueulasse en chanson. C'est ce qu'il y a de pire. Ça permet aussi de prendre du recul sur soi, de ne pas se prendre trop au sérieux. Quand tu es chanteur, c'est pas mal de se rappeler que ça va, tu n'es que chanteur... (Sourire) L'humour ça offre un discours assez direct, assez simple pour véhiculer les émotions à l'auditeur. Avec toujours, en toile de fond, cette volonté de divertir artistiquement. Pour moi c'est pas du tout contradictoire avec l'art de divertir. C'est très important d'avoir envie de faire passer un bon moment à quelqu'un, le temps d'une chanson, d'un album, d'un concert.

Beaucoup de gens se retrouvent sur le carreau
C'est important d'avoir un tube, ou du moins de continuer d'en rechercher ?
Ceux qui prétendent ne pas vouloir de tubes sont un peu hypocrites. Même si c'est ingrat, d'avoir un tube ! Parce qu'il y a le côté succès mais aussi le côté ça rentre dans la vie des gens, de tout le monde. Et le propre du tube, c'est aussi de toucher des gens qui ne connaissent pas forcément ton répertoire et qui, grâce à une chanson, vont venir t'écouter. C'est important de toucher les gens. Bon, toucher la SACEM aussi ! (Rires) Mais ce n'est pas le but premier. C'est de parler au plus grand nombre. Et quand tu as un tube, ça veut dire que tu y es parvenu, c'est une forme de validation. La peur que j'ai, c'est de ne parler qu'à moi. Quand tu as le sentiment que ça parle à tout le monde, c'est terriblement gratifiant.

Si vous pouviez "exiger l'impossible" comme le dit la chanson, vous exigeriez quoi ?
Aujourd'hui, simplement de la solidarité avec les personnes qui vivent la période que l'on traverse de façon difficile, certains beaucoup plus que d'autres. Et ce n'est pas fini, malheureusement. Beaucoup de gens se retrouvent sur le carreau, ça va des techniciens de la musique à des petites boîtes de production, des restaurants aux commerçants, tous les domaines. Essayer de maintenir collectivement une cohésion, que tout n'éclate pas. Je n'ai pas la prétention de l'exiger mais je le souhaite plus exactement. ''Soyons réaliste, exigeons l'impossible''. C'est une phrase de Che Guevara.

Ça se dit anarchiste mais ça dîne à l'Elysée...
Dans le titre ''Indocile heureux'', vous égratignez « les artistes fortes têtes qui la baissent en douce, enfoncent des portes ouvertes à grands coups de pied de biche en mousse ». Vous y allez fort !
Et encore, je me suis retenu. (Rires) C'est mon petit plaisir bagarreur de donner un coup de pied aux faux rebelles, et dieu sait qu'il y en a dans mon domaine. C'est tellement criant dans le showbiz, tous ces mecs - et ces nanas d'ailleurs, la parité est respectée dans la connerie – qui tiennent des beaux discours révolutionnaires et qui mènent une vie de grand bourgeois ultra protégée dans le 6ème arrondissement de Paris... Des gens qui, en plus, donnent des leçons d'intégrité. Ça se dit anarchiste mais ça dîne à l'Elysée. On les connaît tous. C'est ça qui me pose problème surtout parce qu'après, tout le monde vit avec ses contradictions, moi le premier. Je ne suis pas un saint. Mais quand on dit au public de ce qu'il faut penser, ça m'énerve. Qui sont ces gens pour se permettre d'être des tribunaux ambulants ? Cette chanson m'a permis de m'adonner au plaisir malsain et personnel de titiller ces connards.

Les réseaux sociaux renforcent-ils cette hypocrisie ?
Je ne suis pas sûr de ça. Je pense que les réseaux sociaux sont à l'image du monde : il y a le pire et le meilleur. Ce qui me pose problème, en revanche, c'est la rapidité, l'immédiateté. Aller plus vite, travailler plus vite, faire à manger plus vite, télécharger un fichier vidéo plus vite, se déplacer plus vite, tout le temps : ce n'est pas bénéfique. Et malheureusement, la société d'aujourd'hui cherche la vitesse à tout prix. A mon sens, ce n'est pas une bonne bataille et c'est même un peu dangereux. Le problème sur les réseaux, c'est que tout le monde intervient à la seconde. C'est super que chacun puisse s'exprimer, c'est démocratique et la critique peut être constructive. Mais ça manque de recul, on ne prend plus le temps de la réflexion. On s'indigne et on analyse après.

Vous gérez vos réseaux sociaux vous-mêmes ?
Non, il y a équipe avec moi qui s'en occupe formidablement bien. Je n'ai même pas les codes ! Je ne sais même pas si je suis allé sur Twitter une fois dans ma vie. En revanche, je valide les publications, sur Instagram par exemple. Tout ça m'empêche en sortant de table, un peu bourré, de commencer à gueuler sur untel ou untel. (Rires) Ça ne sert à rien d'essayer de me mettre dans des clashs : ce n'est pas moi qui répond. Et puis ça prend un temps fou. J'ai 51 ans, je n'ai pas ce réflexe. Je ne sais même pas comment on fait, c'est désespérant.

Souvenez-vous du "Dîner" de Bénabar :



Que des chansons comme ''Le Dîner'' ou ''L'effet papillon'' soient entrées dans la culture populaire, ça vous inspire quoi ?
En premier lieu, une vraie gratitude. Très sincère et réelle, parce que ces chansons m'ont permis de mener une vie d'artiste. Je me suis beaucoup méfié de ce mot-là pendant longtemps parce que j'ai souvent cru que le faire de se dire artiste c'était prétentieux. Mais depuis, je sais qu'on peut être un artiste de merde. (Rires) Donc c'est pas forcément prétentieux ! C'est comme être plombier : il y a les plombiers compétents et les autres. C'est pareil. Donc je suis un artiste, ce qui ne veut pas dire que je suis un bon artiste. Mais ce sont mes propres luttes internes. (Sourire) Ces chansons-là font partie de ma vie, comme les autres, comme l'ensemble de mes albums, et me motivent. On n'a pas envie de décevoir et donc j'espère que ce nouveau disque plaira à mon public, sans qui je ne serais pas là.

Faire des chansons sans la scène, ça ne sert à rien
Avec la situation actuelle, cet album pourra difficilement exister en tournée. Comment vous vivez la période, vous, en tant qu'artiste ?
Je ressens la frustration. C'est un sentiment qu'on connaît tous mais je la ressens au fond de moi, qui bouillonne, de la frustration dans mon expression artistique. C'est comme dans un cauchemar : tu cries mais personne ne t'entend. Il y a un peu de ça, ça me bouleverse. J'ajoute tout de suite, et vraiment je tiens à le dire, que je ne fais pas partie de ceux qui se plaignent. Il y a des gens qui connaissent des difficultés tellement plus grandes. Je le sais donc je ferme ma gueule. C'est d'ailleurs pour ça que tu ne m'as pas vu pleurer à la télé. Ceci dit, voilà le fond de ma pensée : faire des chansons sans aller sur scène, ça ne sert à rien. C'est comme écrire un bouquin que personne ne va lire. Alors je sais qu'on peut d'écouter un album en ligne. Mais je viens de la scène, j'ai commencé dans les bistrots, c'est comme une partie de moi qui m'échappe. Depuis 25 ans, dès que j'avais fini une tournée, je faisais un disque pour repartir en tournée. Ça bouscule complètement ma vision des choses, je suis en pleine auto-analyse.

D'autant qu'on a tendance à l'oublier mais si vous, les artistes, êtes en lumière, c'est parce qu'il y a des gens de l'ombre.
Pour tous les musiciens et les techniciens, pour les producteurs, les petites salles, c'est difficile. On a fait une télé il y a quelques jours et j'ai vu un technicien la larme à l'oeil, on était tous émus de pouvoir enfin jouer. Ça, c'est le pouvoir de la musique. C'est peut-être ce que la période nous aura appris, à quel point ça compte. Sans ces moments de communion, sans vie sociale, sans restaurants, sans bars, on est des sauvages.
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Et que la culture est essentiel...
Oui alors je me méfie un peu de ça. Il y a eu la petite blessure narcissique de plein de mes confrères, "je ne suis pas essentiel". La vérité c'est que si tu ne manges pas, tu meurs, si tu ne vas pas voir un concert de Bénabar, tu ne meurs pas. Moi cette appellation ne m'a pas bousculé parce que c'est une maladresse. Ceux qui parlent au nom de la culture se trompent et mettent leur ego avant leur intelligence. La culture elle existait avant, même dans les dictatures. Elle existe et elle existera toujours. En France, on n'est pas dans une dictature jusqu'à preuve du contraire. Et s'il faut qu'on joue devant un iPhone à défaut d'être face à un public, on le fera.
Visitez le site Internet officiel Benabar.com et sa page Facebook.
Écoutez et/ou téléchargez l'album "Indocile heureux" de Bénabar.

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