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Zucchero en interview : Claudio Capéo, Johnny Hallyday, sa relation avec la France...

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
A 65 ans, Zucchero reste l'un des artistes italiens les plus populaires au monde. Alors qu'il sera l'invité de "Taratata 100% live" ce soir aux côtés de Claudio Capéo, rencontre avec le bluesman pour parler de sa riche carrière, son lien privilégié avec la France, son duo avec Sting, le 30ème anniversaire de son tube ''Senza Una Donna'' et l'amitié qu'il entretenait avec Johnny Hallyday.
Crédits photo : Polydor
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Nous vivons un moment très particulier dans l'histoire. Comment avez-vous vécu l'année écoulée ?
Ce fut une année terrible. Terrible et dont on se souviendra. L'année dernière, on était censé partir pour une tournée de 150 dates à travers le monde entier. On avait déjà fait toutes les répétitions et puis on s'est soudainement retrouvé bloqué. Il a fallu reporter tous nos concerts à cette année, mais il semblerait que ce soit aussi fichu. Les 6 dates qui sont prévues en France auront lieu en mai 2022. Les premiers mois de cette pandémie ont été instables mais ça m'a permis de me remettre à l'écriture et au travail. On a pu sortir une édition deluxe de l'album ''D.O.C'', avec six titres supplémentaires dont le morceau ''September'' avec Sting. J'ai fait d'autres choses aussi, j'ai pris part au grand concert ''One World: Together At Home'' de Lady Gaga, j'ai eu la chance de chanter avec Bono au Colisée de Rome, de faire un live avec Michael Stipe depuis la place Saint-Marc à Venise... Et aujourd'hui, il va falloir que j'invente de nouvelles choses pour tenir jusqu'à l'année prochaine. (Rires)

A 11 ans, j'avais déjà mon groupe
Ça a été une année studieuse, finalement !
Oui. Jusqu'en décembre, ça s'est plutôt bien passé en fin de compte. J'ai réussi à faire mon métier d'une manière ou d'une autre. Et puis j'ai passé davantage de temps avec ma famille, c'était une bonne chose. Maintenant, si je dois tout repousser à 2022, il va falloir que je m'occupe.

Oublions la pandémie et revenons dans le temps. Vous vous souvenez de vos premiers pas de musicien, en Toscane ?
Bien sûr que je m'en souviens ! J'ai vécu en Toscane mais en réalité, je suis né dans une autre région, en Émilie-Romagne. Assez tôt, j'ai commencé à être passionné de musique. A 11 ans, j'avais déjà mon groupe ! J'étais petit. (Rires) Je faisais du clavier, je ne chantais pas encore. Plus tard, j'ai changé de groupe et là j'étais au saxophone. Je voulais vraiment vivre de la musique. Si un groupe avait besoin d'un batteur, je me présentais en disant : ''Coucou c'est moi, je suis batteur''. Et je passais les deux semaines suivantes à me préparer pour l'audition en trouvant quelqu'un pour me donner des leçons ! (Rires) Et puis un jour, le chanteur d'un groupe dont je faisais partie n'est pas venu et je l'ai remplacé au pied levé. Il fallait bien qu'on sauve la soirée, après tout ! J'étais le seul qui se souvenait des paroles. Les autres musiciens m'ont finalement préféré au chanteur d'origine et c'est comme ça je suis devenu chanteur. Autant vous dire que j'ai commencé tôt.

Regardez le clip "Facile" de Zucchero :


Quel a été le moment décisif qui a changé votre vie et votre carrière ?
Je dirais l'année 1985. Après des années et des années, j'avais enfin un contrat avec une maison de disques, la même avec laquelle je suis resté toutes ces années [Polydor, ndlr]. On venait de sortir un album qui n'avait pas très bien marché et j'étais vraiment sur le point de me faire virer. On m'avait dit : ''C'est bien ce que tu écris mais bon... Tu comprends, la voix, ta tête, du rhythm and blues, ça ne va pas marcher''. Le moment qui a tout changé, c'était un moment où j'étais vraiment hors de moi, très énervé. Cette colère a provoqué en moi une réaction : j'avais envie de leur crier d'aller se faire voir ! J'ai décidé d'aller de l'avant et de croire en mes convictions. Je leur ai dit que je voulais faire le disque que je voulais, avec les musiciens que je voulais. Ils m'ont répondu : "Ok mais c'est ta dernière chance". Ils m'ont alloué un pauvre budget de rien du tout en me disant : ''Fais ce que tu veux. Mais si ça ne marche pas, ciao bambino''. Et c'est là que ma carrière a décollé.

Il faut être costaud dans ce métier
C'est une belle leçon de persévérance !
Il faut y croire. Il faut être costaud parce que ça peut vous abîmer et vous faire souffrir quand les autres vous disent ''Tu ne vas jamais y arriver'' ou ''ta musique n'intéresse personne''. Si tu ne crois pas en toi dans des moments pareils, tu es foutu. Si je les avais écoutés, j'aurais peut-être poursuivi mes études pour devenir vétérinaire ! J'ai toujours adoré les animaux. Mais j'aurais sans doute été frustré toute ma vie.

Pour vous qui êtes devenu l'un des artistes italiens les plus reconnus dans le monde, de quoi êtes-vous le plus fier dans votre carrière ?
D'avoir créé deux albums en particulier, un qui s'appelle ''Blue's'' [1987] et l'autre qui s'appelle ''Oro Incenso & Birra'' [1989]. Ces deux albums détiennent encore le record de ventes de toute l'histoire de la musique italienne. Au delà des résultats commerciaux, ce sont deux albums qui m'ont permis de sortir des frontières de l'Italie, de participer à des événements d'envergure internationale comme une tournée des stades avec Eric Clapton, le concert en hommage à Freddie Mercury au Wembley Stadium avec Queen ou la deuxième édition du festival Woodstock en 1994. Ces deux disques m'ont permis de faire des tournées mondiales avec mes propres chansons. Et d'être aujourd'hui ici à Paris, avec vous. (Sourire) La France a été le premier pays étranger à publier un de mes disques.

Quel lien particulier entretenez-vous avec notre pays, justement ?
Toute l'Italie, je pense, possède un lien particulier avec la France. Surtout sur le plan artistique. Comme tu le sais probablement, il y a beaucoup d'artistes italiens qui ont fait le choix de passer une grande partie de leur vie en France. Il y a toujours eu cette connexion, cet appel vers la France et plus particulièrement vers Paris. C'est le pays de la liberté et de la culture, un endroit où on est respecté en tant qu'artiste, où les plus grands musiciens du jazz sont venus parce qu'ils avaient du mal à s'imposer dans leur pays, comme aux États-Unis par exemple. Paris, pour l'art, pour les écrivains et les poètes aussi, a toujours exercé un fort pouvoir d'attraction.

Avec Sting, on se connaît depuis longtemps
Vous venez de ressortir votre album "D.O.C'' avec de nouvelles chansons dont ''Facile'', au texte très romantique. Vous pensez que c'est important, en cette période, de parler d'amour ?
L'amour est une force indiscutable. L'amour balaye tout, il fait tout, il fait même pousser les cheveux. (Rires) Il te maintient à l'écart des mauvaises personnes. L'amour c'est comme Dieu. Pas de la façon dont il est parfois mis en scène dans des chansons très commerciales et mielleuses. Moi je parle de l'amour universel. C'est fondamental.

Regardez le clip "September" de Zucchero et Sting :


Vous parliez tout à l'heure de ce duo avec Sting, ''September''. C'est un peu le choc des titans !
Avec Sting, on se connaît très longtemps. Ça doit faire au moins... (Il mime un geste) depuis le début des années 90. Lui l'été, il allait toujours en vacances du côté de la Toscane. Il se trouve que j'habite en Toscane, c'est un ami commun qui nous a présentés. Je suis le parrain de sa fille mais honnêtement, je ne sais même pas pourquoi il m'a demandé. (Rires) Peut-être qu'il s'est dit que j'étais quelqu'un de confiance, il a senti ça. On a fait ce morceau ensemble, ''Mad About You'' [1991], qui est devenu ''Muoio per te'' en Italie. J'ai réussi à le convaincre de chanter en italien et résultat, la chanson a rencontré un grand succès. On a même fait une tournée des stades ensemble. On ne s'est jamais vraiment quitté. Dans sa maison en Toscane, il fait de l'excellent vin d'ailleurs. L'été dernier, comme d'habitude, on a partagé quelques bons moments ensemble et il m'a dit un soir : ''Écoute, j'ai écrit une chanson que je trouve très italienne. Et si tu essayais de fredonner un petit quelque chose par dessus ? On fait des essais et on voit ce que ça donne''. Il n'y avait pas d'idée précise mais la chanson nous a plu. Donc on a décidé tous les deux de l'inclure dans nos albums respectifs, ''D.O.C'' pour moi et ''Duets'' pour lui, qui vient juste de sortir.

L'année 2021 marque également le 30ème anniversaire de votre célèbre duo avec Paul Young, ''Senza Una Donna''. Est-ce que vous sentiez déjà, à l'époque, que cette chanson était spéciale ?
Non. Pas du tout ! Moi je l'ai enregistrée en 1987 sur l'album ''Blue's'' dont on parlait tout à l'heure. Au départ, je ne voulais pas la mettre dessus. C'est mon producteur de l'époque, Corrado Rustici, qui m'a dit : ''Si tu ne mets pas cette chanson, t'es un fou''. Pour lui, elle avait une mélodie internationale et c'est comme ça qu'il m'a convaincu. Le titre a cartonné en Italie et même en Espagne, ce qui est plutôt rare. L'année d'après, j'étais aux studios Olympic à Londres en train de faire mon disque suivant et là, je tombe sur qui ? Paul Young. Je fais sa rencontre au petit-déjeuner et là il se jette sur moi. ''Ah, Zucchero !'' qu'il me dit, ''j'ai entendu une de tes chansons en Espagne l'été dernier. J'aimerais beaucoup la chanter sur mon prochain album''. Il faut savoir que je suis fan de Paul Young donc tu imagines ma surprise ! Je lui ai répondu : ''Paul, c'est un honneur. Et si on essayait de la faire ensemble ?''. On a laissé l'introduction en italien et après on s'est amusé, c'était très ludique. Il l'a envoyé à sa maison de disques et moi à la mienne. Universal a dit oui tout de suite. On avait rien : pas de clip, aucune promotion de prévue. La diffusion s'est faite grâce aux radios et en un mois, ''Senza Una Donna'' était numéro un partout dans le monde, y compris dans des pays tout à fait improbables comme la Corée du Sud, les Philippines, la Malaisie... Ça a soudé notre amitié.

Le chanteur français Claudio Capéo a fait une reprise de ''Senza Una Donna''. Ça vous inspire quoi de voir que votre musique traverse les générations et que de nouveaux artistes se l'approprient ?
Ah oui je l'ai entendue, c'est un bon chanteur ! Je prends ça comme un signal positif. Ça veut dire qu'il n'y a pas que le rap. Actuellement, tout le monde ne jure que par le hip-hop et la trap mais il y a d'autres artistes qui vont puiser dans des chansons d'un autre temps, et ça fonctionne encore. La preuve !

Johnny Hallyday était un homme authentique
Justement, dans les années 1990 en France, il y a eu un vrai phénomène autour des artistes italiens comme Laura Pausini, Eros Ramazotti et vous bien sûr. Cette époque semble aujourd'hui révolue. Pourquoi, selon vous, les artistes italiens ont plus de mal à s'exporter aujourd'hui ?
Je ne sais pas trop l'expliquer. Ce sont les goûts du public qui ont évolué. A mon sens, ça fonctionne comme des vagues : ça va et ça vient, puis ça revient un peu plus tard. Par exemple en Italie, il y a eu toute une période où c'étaient les chansons espagnoles qui étaient très prisées. Chaque été, on avait le droit à une grande chanson lyrique en espagnol. Dans les années 60 et 70, c'étaient des artistes français comme Sylvie Vartan, Johnny Hallyday ou Michel Delpech qui rencontraient un vif succès chez nous ! Christophe, Salvatore Adamo, Nino Ferrer... Gérard Lenorman aussi, j'adore. Tous étaient très connus en Italie. Alors qu'aujourd'hui, il n'y pas ou très peu d'artistes français qui fonctionnent en Italie. Tout ceci fonctionne par cycle.

Découvrez Claudio Capéo reprendre "Senza Una Donna" :



Vous évoquez Johnny Hallyday, avec lequel vous avez chanté plusieurs duos du temps de son vivant. Qu'est-ce que vous rapprochait, tous les deux ?
On a eu une relation à la fois très belle et très étrange. Parce que moi je ne savais pas qu'il était admiratif de mon travail. Il était fan ! Très fan. Je l'ai découvert alors que j'étais en train de regarder une chaîne italienne à la télévision, un show avec plein d'invités dont Johnny Hallyday. C'était une grande émission culturelle, il y a plus de 20 ans. Et tout d'un coup, il se met à dire : ''Moi je suis amoureux de Zucchero. Pour moi, c'est le meilleur chanteur de blues au monde''. Il exagérait, bien sûr ! Mais j'étais très étonné parce qu'on ne s'était jamais rencontré. Notre rencontre a eu lieu plus tard à Paris, par le biais du prince Emmanuel-Philibert de Savoir qui était un très bon ami de Johnny. Il l'a amené incognito à mon concert, le visage masqué. Il était derrière dans les coulisses et de temps en temps, il me faisait un petit signe du pouce pour me dire qu'il était aux anges. (Rires) Johnny nous a invités après dans son restaurant et toute la soirée, c'était un festival de compliments. Il était adorable, vraiment charmant. Je suis allé manger plus d'une fois chez lui avec ma compagne. La dernière fois que je l'ai vu, c'était lors d'un déjeuner à Los Angeles où je me produisais sur scène. Et c'est là qu'il m'a annoncé qu'il avait un problème de santé. C'est vraiment dommage. En ce qui me concerne, c'était quelqu'un d'authentique, un homme très sensible. Un grand personnage et une belle personne.

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