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Zazie en interview : "Les artistes ne sont pas des politiques, on a nos limites"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Pour défendre son album "Aile-P" et parler de son arrivée dans "The Voice", Zazie se confie en interview à Purecharts sur l'exercice de la promotion, comment le métier d'artiste a changé, sa chanson politique "Couleur", les Victoires de la Musique ou encore le choc des générations avec Bigflo & Oli.
Crédits photo : Laurent Seroussi
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Un mois et demi après la sortie de l'album "Aile-P", vous reprenez le chemin de la promo. Un exercice que vous n'avez jamais vraiment aimé...
C'est à dire que, c'est pas grave, il y a des contraintes dans la vie et on peut les faire... Mais c'est vrai que c'est un exercice très narcissique la promo, et loin de la musique. On croit qu'on choisit de faire de la musique et en fait on peut passer 75% du temps à parler de ce qu'on a fait. Et forcément mal par rapport à ce qu'on a fait à peu près bien. (Rires)

Même si vous parlez globalement de votre album et vos chansons, c'est un autre métier en fait...
Oui bien sûr. C'est le même métier paraît-il, je l'ai bien imprimé maintenant, et je comprends que les gens aient besoin d'être informés pour savoir si on est en concert, si on sort quelque chose, ce qu'on fait... Je comprends, et moi-même, quand j'aime bien un groupe ou un musicien, je suis pas contre savoir deux-trois trucs mais autour de la musique. C'est vrai que ça s'est un peu multiplié avec la multiplication des réseaux. Et on est un peu perdu parfois dans cette toile... d'araignée. (Sourire)

On devrait rester à peu près dans l'ombre
Ça vous a fait vous poser des questions sur votre métier ?
Je pense qu'il faut continuer à lutter sur la manière dont on nous demande de faire notre métier, et ce qu'on peut, nous, y réinjecter en disant : "Non, ça je ne fais pas. Ça, ce n'est pas fait pour moi. Ça, ça n'a pas de sens". J'ai croisé beaucoup d'artistes qui étaient à deux doigts d'un petit petit burn-out à cause de la multiplicité des choses à faire... "Tiens tu peux nous faire la pub de ça ? Et qu'est-ce que tu penses de ça ? Et l'Ukraine ? Et tu voterais qui ?". (Elle souffle) Notre vie n'est pas intéressante mais ce qui est potentiellement intéressant, c'est la musique qu'on fait. Mais on devrait rester à peu près dans l'ombre. Je pense que ça mérite moins de lumière ce qu'on fait.

Mais vous entendez que les gens ont aussi envie de connaître votre point de vue sur certaines choses ou même un peu savoir votre vie ?
Je comprends si c'est pour informer les gens sur ce qu'on fait, décortiquer une chanson ou parler autour de ce qu'on fabrique oui. Mais les médias, ça vient du latin, ça veut dire "moyen", c'est un moyen d'arriver aux gens, d'arriver aux gens. Quand on commence à nous demander un avis sur tout... Déjà on n'est pas très doués ! Moi, je ne suis pas spécialiste des problèmes de société. Qu'on en parle parce que j'en ai parlé dans une chanson, je comprends, mais on n'est pas des politiques. On a nos limites. Et certains réseaux ont leur limites de prendre comptant ce qu'on dit, qui n'est pas très intéressant. (Rires)

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Depuis quelque temps, on sent chez vous un véritable vent de liberté. Là encore avec "Aile-P", qui ne contient que huit titres dont quatre déjà sortis sur un EP. On ne vous a pas dit que vous étiez kamikaze à votre label ?
(Elle éclate de rire) C'est vrai que la liberté peut ressembler à un truc autodestructeur de nos jours. Je pense que si c'est pas moi qui essaie des trucs, qui le fera ? Ça fait 30 ans que je vis grâce à la musique. C'est marrant, en fait ! La société nous dit : "Il faut acheter la musique comme ça, album ou alors streaming". Je pense qu'il faut se marrer. Ne confondons pas la source et le robinet ! Admettons je suis la source. De temps en temps, elle n'est pas forcément potable je vous l'accorde mais ça coulera toujours. Le robinet c'est ce qu'on nous propose, c'est ce que le format nous propose. On m'a dit : "Pour un artiste de ta trempe, il faut sortir que des albums". Mais pourquoi ? Si j'ai envie de faire une chanson comme ça de temps en temps et que j'ai pas envie d'attendre un siècle avant la deuxième ? Il faut sortir de ces codes-là puisque les gens n'en ont plus tellement quand ils écoutent de la musique.

Je n'ai pas la pression des ventes
Vous ne pensez pas à l'impact sur les ventes ?
Si, sûrement. (Rires) Mais ce n'est pas une pression. Quand on fait ce métier depuis un moment... Moi je me réjouis du chemin. S'il y a du résultat c'est vachement bien, ça veut dire que je pourrais faire celui d'après. Mais je me réjouis beaucoup plus du chemin que du résultat. Il est urgent de le faire aussi pour soi. Je sais qu'à partir du moment où j'ai fait un travail qui me correspond, qui est honnête, un peu risqué peut-être, la manière de le sortir, oui, est intéressante, on appelle ça du marketing. Mais comme dit Pascal Nègre, le patron de mon petit label et ancien PDG d'Universal monde, le meilleur marketing d'un album, c'est l'album, le contenu. Après on pourra toujours tromper les gens pendant deux-trois mois sur un faux produit parce que ce sera super bien marketé mais au final... Par exemple, mon album "Cyclo" n'a pas vendu énormément. On avait fait 120.000, à l'époque je trouvais ça un peu tiède. On venait de 600.000 donc forcément... Mais maintenant, il s'est vachement bien vendu. Il faut laisser le temps.

Est-ce que l'album sera agrémenté d'autres titres prochainement ?
Les huit titres, vous n'êtes pas contents ! (Rires)

Non mais vous aviez laissé la porte ouverte à une version augmentée...
Oui oui il y a aura une version "réelle" je dirais. On dit que l'album c'est "Aile-P", peut-être pas. Peut-être qu'il y aura une suite à ça... Après, j'ai bien insisté auprès de mon label pour qu'on le vende à un prix qui corresponde au contenu. On l'a vendu moins cher car il y avait quatre chansons en moins, on va dire. Après, des albums de huit-neuf titres, ça existe. J'en ai fait un de 49 une fois, bon j'avais un peu exagéré je l'avoue, j'étais un peu fatiguée à la fin ! (Rires) Il faut rester un peu joyeux là-dedans, et simplement dire aux gens qu'on les prendra pas pour des idiots en leur faisant croire que c'est un album alors qu'il y a moins de contenu.

Oui et puis quantité ne veut pas dire qualité. Il y a des albums de 19-20 titres...
Qui sont chiants à mourir. Ou ratés ! (Rires) J'avais envie, puisque j'ai 58 ans, de coller au format du vinyle. Les anciens formats de vinyle c'était maximum quatre titres par face. C'était technique, plus on met de sillons, moins la qualité est bonne. Pour ne pas altérer la qualité, il vaut mieux d'où les quatre titres par face. Elle est pas belle la vie ?




Vous n'avez jamais perdu votre côté engagé dans vos albums. Vous évoquez le racisme et d'autres discriminations sur le single "Couleur". Aujourd'hui, à l'ère des polémiques, tout a changé. Est-ce que vous vous êtes posée la question des réactions qu'elle aurait pu provoquer ?
Je me suis posée ce genre de questions, pas du tout pour me contraindre à uniformiser mon discours mais au contraire pour qu'il soit bien entendu et pas récupéré. Comme je ne voulais pas que ce soit une chanson politique, c'est une chanson engagée humanistement, sur les différences, mais toutes les différences. Je parle du racisme, mais on peut parler de l'homophobie, de la xénophobie, et toutes les sortes de trucs qui finissent en phobie. L'idée c'était de faire une chanson sur nos différences, sur le fait que ce qui nous fait peur chez l'autre, c'est l'inconnu et c'est pas grave, il faut apprendre à connaître. J'ai pris la couleur parce que le côté peinture me plaisait, on pouvait repeindre une société dans les couleurs de notre choix. Et j'ai pris Blake et Floyd exprès ailleurs qu'en France pour éviter le côté politico-politique. Bien sûr que c'est une chanson politique mais au sens étymologique du terme. La politique, c'était l'organisation, ça vient de police... La fille qui ne fait que des cours de latin, je ne sais pas ce qui me prend aujourd'hui ! (Rires)

Les énormes buzz, c'est la peur du vide
Allez-y, apprenez-nous plein de trucs !
Non mais étymologiquement, c'est l'organisation des gens entre eux. Là oui, c'est une vaste pagaille... C'est très compliqué d'aborder un sujet comme ça sans qu'il soit récupéré politiquement ou qu'il n'y ait pas trop de lynchage de l'autre côté, même si c'est un lynchage de deux jours jusqu'au prochain os à ronger chez quelqu'un d'autre. Je lutte aussi contre cette immédiateté un peu pornographique de notre monde où on devrait avoir peur de tout, où il y a des énormes buzz, mais de rien en fait. C'est des buzz du vide, c'est la peur du vide. Quand je dis "Le sauvage n'est peut-être pas celui qu'on arrête", c'est pas du tout sur les violences policières cette chanson, c'est vraiment sur nos différences, accepter que l'inconnu soit pas forcément le mal et qu'on est tous l'inconnu de quelqu'un. Et donc que ce serait bien qu'on se mette pas sur la gueule trop souvent.

Vous chantez "Ce monde je peux plus le voir en peinture, ça fait trop longtemps que ça dure". Vous avez encore de l'espoir ?
J'ai tout l'espoir du désespoir. Je pense que la force du désespoir est très intéressante, surtout chez les Français qui sont de sacrés Gaulois. On a vachement l'art de la manif, de la réaction, de la colère. Je suis née moi aussi dans la réaction. Une tuile sur la figure et hop ! (Elle fait mine de l'esquiver) C'est là-dedans qu'on fait de belles choses. Quand il y a quelque chose qui ne nous plait pas, je pense qu'on est capable de belles choses. Donc je le dis, j'enfonce mon petit clou, ça me fait du bien à moi de me le redire, comme un mantra.

Je prends de plus en plus soin de mes textes
On vante beaucoup vos textes et votre poésie depuis plus de 30 ans. A chaque album, est-ce que vous avez la pression de cet héritage-là ?
Alors se mettre la pression à soi-même... Je comprends ce que vous voulez dire. Je prends grand soin à écrire mes textes. De plus en plus ! Je crois qu'il y a aussi l'âge qui fait qu'on regarde pas le même problème, de société ou une névrose personnelle, de la même manière à 20 ans, 30 ou presque 60. Mais tant mieux ! Ça me permet de parler de la même chose mais en l'éclairant d'un autre point de vue. Oui ça me prend du temps, de plus en plus, de faire les textes. Pas du tout parce que je me suis dit : "Oh la la, qu'est-ce que les autres vont en penser ?". C'est d'abord un texte qu'on s'offre à soi un texte. Et c'est oser l'honnêteté. Alors oui parfois, on est plus souple à 20 ans qu'à 58 ans ! (Rires) Et parfois on dit des choses qu'on a déjà dites. Il y a souvent pas mal de questionnements, même sur une phrase qui ne me va pas. Après, il y a des fuites mais il faut l'accepter. Il faut accepter qu'une chanson soit vecteur d'émotions, pas les nôtres mais de la personne qui va l'écouter. J'adore cette idée-là !



Vous n'êtes pas nommée aux Victoires de la Musique cette année...
Oh bah comme d'habitude j'ai envie de vous dire ! Peut-être que j'en ai eu trop ! J'ai eu mon quota.

Les Victoires, je ne crache pas dessus
Oui vous êtes l'une des artistes féminines les plus récompensées. Est-ce qu'aujourd'hui, ça compte encore ?
Si j'étais sélectionnée, ça me ferait plaisir, mais ça ne va pas m'empêcher de dormir de ne pas en être. Après je pense qu'il y a beaucoup beaucoup de gens qui arrivent et qui font de la musique, et qui sont un peu frais, pas que par leur âge mais parce qu'on n'a pas entendu parler d'eux avant. Les Victoires de la Musique, c'est un genre de tremplin aussi. Est-ce que j'ai besoin d'un tremplin ? J'ai envie de vous dire, la vie est un éternel recommencement. Mais je veux bien filer ma place sur les trophées pour ceux qui arrivent, pour qu'ils aient une merdaille. (Rires) Je ne crache pas dessus ! Quand "Speed" est sorti, il était question qu'il y soit je crois, et puis après il n'y était pas. On ne savait pas où il était passé mais ce n'était pas grave. Mais il y a beaucoup de gens qui font des choses nouvelles et formidables, et moi j'en ai eu pas mal donc il faut partager un peu !

On va vous retrouver dans la nouvelle saison de "The Voice" alors que vous disiez vous faire plus rare dans les médias. C'est pas un peu paradoxal ?
Ah non mais ce n'est pas les médias, c'est une émission !

Mais vous allez être chaque samedi soir dans les foyers des gens...
Ça j'adore, je veux bien y aller tous les jeudis aussi. Ce n'est pas un moyen pour moi. Je ne fais pas "The Voice" pour accéder à ma carrière. C'est parce que j'ai cette carrière que "The Voice" fait appel à nous. C'est très différent. J'ai passé de très bons moments pendant les quatre années où je l'ai fait, mais vraiment ! Au-delà de ce que j'aurais pu imaginer. On est aux premières loges pour voir des gens qui ont des voix de dingue, ce qui réhabilite l'interprète en France. Cette émission a aussi généré que les profs de chant sont complets, comme plein d'autres émissions avant elle. Ça fait du bien de chanter, on est proche de ces émotions.

Et cette année alors ?
On se marre ! Cette année franchement.. Le fait qu'il y ait plusieurs générations, qu'on ait nos petits Flo & Oli, qui pourraient être mes enfants clairement. On se marre ! Quand ils m'ont dit : "Zazie, on devrait faire ça sur Twitch". Je leur ai dit : "C'est quoi ça ? Un twist à St Tropez ?" Grosse crise de rire, ils se moquent bien de moi ! Et pareil quand ils ne connaissent pas un titre de Léo Ferré. C'est toujours bienveillant mais il y a un truc assez léger et je pense qu'on en a besoin. Une des raisons du succès de l'émission c'est que oui, c'est la même mécanique, il y a deux-trois règles qui changent de temps en temps, là il y en a des marrantes, mais c'est une émission nouvelle parce que ce sont des gens qu'on n'a pas vus avant. Et ça c'est extraordinaire. A chaque fois quand j'accepte, je me dis : "Est-ce que tu vas pas t'ennuyer de cette grosse mécanique ?" Bah non parce que ce ne sont pas les mêmes, et donc j'ai 8 ans et demi. Je suis moins dans le jeu que dans le privilège d'assister aux premières prestations ou d'aider à mettre un peu sur les rails des talents, jeunes ou pas. Dans mon équipe... Ah non, j'ai pas le droit d'en parler ! (Rires)
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