TétéVariete Francaise » Variété française
jeudi 28 mars 2013 0:00
Tété : "Je suis hyper redevable aux gens parce que sans eux je ne pourrais pas continuer"
A l'occasion de la "Pure Charts Live" de Tété au Trianon, juste avant son concert sold-out la semaine dernière, le chanteur a accepté de prendre quelques minutes afin d'évoquer son nouvel album "Nu là-bas", sa volonté de parler de ses origines, mais aussi de la crise du disque, le rêve d'un album en anglais et son regard sur les télé-crochets.
Propos recueillis par Julien Gonçalves.
Pour ce "Pure Charts Live", vous avez fait une reprise de Prince. Pourquoi ce choix ? Prince, quand j'étais jeune, il faisait des morceaux qui étaient très pop, avec des grosses mélodies, des gros refrains, jusqu'à un moment où il est passé sur des trucs qui étaient beaucoup plus funk, avec moins de mélodie. Moi je suis toujours resté super fan du Prince première époque, de ce Prince là. Je trouve que "Raspberry Beret", c'est une des plus belles chansons pop qu'il a fait. C'est pour lui rendre hommage donc ? Oui, je trouve ça super de faire des reprises régulièrement pour glaner d'autres idées, se faire plaisir, faire des chansons qui nous ont fait rêver pendant des années et puis je pense que ça ouvre aussi des portes. Votre nouvel album s'intitule "Nu là-bas", vous avez eu envie d'aborder des thèmes plus personnels, notamment votre maman dans "Comment te dire". Pourquoi autant et pourquoi maintenant ? J'ai beaucoup écrit pour des gens depuis quelques années et à chaque fois ça se passait de la même manière. C'est un peu comme si là je vous écrivais une chanson, ça commencerait comme ça. Je vous demanderais de me parler de vous, de l'endroit où vous avez grandi, des choses qui sont importantes pour vous. On a tous des sujets qui nous entêtent mais dont on parle jamais. C'est la démarche des interprètes en fait, essayer d'aller tirer les vers du nez. Les sujets qui eux les obsèdent, ce sont jamais les sujets dont ils parlent en premier évidemment. C'est un travail qui est très intéressant, en amont de l'écriture d'une chanson. Et en sortant de ça, je me suis rendu compte que je ne l'avais jamais fait pour moi. J'ai voulu arrêter de me cacher Ça a été l'élément déclencheur ?Oui, ce travail là en fait, de faire une, deux, trois chansons pour les autres. Et de revenir ensuite à avoir envie de faire un disque miroir où l'idée c'est pas d'être égocentrique, parce que finalement je crois que c'est un disque qui reste plein de pudeur parce que ça aborde des thèmes qui sont super universels. Ce dont parle cette chanson en fait, c'est surtout un signe des temps, de la génération de cette époque-là, la génération qui a grandi dans des foyers monoparentaux. Et Dieu sait que dans les enfants qui sont nés dans les années 70 et 75, il y en a eu plein. Il y a une chanson qui s'appelle "La ritournelle" qui parle du fait de ne pas parler la langue de mon père, mais au-delà de ça la vraie question, c'est comment est-ce qu'on dit "je t'aime", quelle que soit la langue. C'est une chanson qui est pour le coup assez intemporelle et universelle. J'ai voulu aborder tous ces thèmes-là en arrêtant de me cacher parce que finalement quand je me suis rendu compte que je ne l'avais jamais fait avant, je me suis dit "Est-ce que tu as eu raison de faire ça ou est-ce que tu te racontais une petite histoire ?". Et puis on en a beaucoup discuté avec les gens avec qui je travaille, il y avait un côté un peu peur du vide, et je pense qu'il a fallu le temps que ça mûrisse. En écoutant le disque j'ai senti un retour aux sources au niveau de la musique, à l'époque de "L'air de rien" et "A la faveur de l'automne". Était-ce voulu ou est-ce que vous vous en êtes rendu compte en studio ? C'est arrivé comme ça en studio et pendant l'écriture de l'album. Pendant que je travaillais sur les morceaux de "L'air de rien", j'écoutais beaucoup de folk, je commençais à écouter un peu de blues et surtout j'écoutais beaucoup de rythm'n'blues jamaïquain des années 60-70, voire 50. C'est l'époque où les Jamaïquains essayaient de refaire la soul américaine avec des sons beaucoup plus abruptes, plus terreux. Ça avait beaucoup teinté sur cet album-là. Et là j'ai eu envie de me rapprocher de ces musiques-là parce que c'est un peu des musiques de chez moi. Ma grand-mère était d'une île anglophone et c'était la musique qu'elle écoutait quand elle était jeune. C'est vrai que c'est assez émouvant de se dire que c'est là-dessus qu'ont pu se rencontrer mes grands-parents. Ayant envie de faire un disque ADN, je ne pouvais pas ne pas parler du monde créole, ayant été élevé par des antillais. Ce qui me rend vraiment heureux c'est cette vie d'artisan Vous n'êtes pas un artiste extrêmement médiatisé, pourtant les albums fonctionnent bien, les salles sont pleines, la profession vous a déjà récompensé aux Victoires de la musique. Vous vous qualifiez même d'artisan. On dirait que vous avez trouvé le juste équilibre.Vous savez je crois que je fais comme tous les copains, je fais du mieux que je peux. Je crois que tout le monde fait du mieux qu'il peut. Je crois que c'est le seul truc qu'on peut faire dans ce métier-là, se lever le matin, remobilisé, de faire du mieux qu'on peut, avec le cur et sincèrement. C'est vrai que moi ce qui me rend vraiment heureux c'est de pouvoir avoir cette vie d'artisan. Je suis hyper redevable aux gens de venir dans les salles et d'acheter mes disques, parce que sans eux je ne pourrais pas continuer. La réalité d'un artisan c'est aussi ça. Cette saison-ci fait le lit de la prochaine. Et puis c'est quelque chose sur lequel on n'a pas de prise. On essaie juste à chaque fois qu'on écrit des chansons d'essayer de bosser, entre chaque album de prendre des cours de chant, se dire "Est-ce que ça je ne l'ai pas déjà fait, déjà dit ?". De toujours se remettre en question, en fait. Essayer. Essayer d'être à l'écoute de ce que les gens ont à dire. A la fin, c'est toujours les gens qui choisissent. Après si votre question c'était "Est-ce qu'il y a une recette ?", je sais pas encore, c'est les gens qui l'ont. Re-découvrez le clip "La bande son de ta vie" de Tété : La question de ce disque c'est : "Comment on fait pour se définir ?" J'ai vu que l'album sortait au Japon. Est-ce que vous avez déjà rêvé d'une carrière internationale, d'enregistrer un album en anglais ? Car vos influences sont clairement anglo-saxonnes.Si si j'en ai hyper envie. J'en parle depuis quelques années en fait mais c'était hyper important pour moi d'enregistrer ce disque "Nu là-bas" avant, d'aborder ces sujets-là. Je crois que c'est une manière de clore un cycle. Je crois que "L'air de rien" c'était aussi un disque qui a été la bande-son du départ de Saint-Dizier et du fait de prendre la route et d'oser le faire. A l'époque c'était après avoir lu des livres comme Kérouac "Sur la route", et qui sont quelque part des livres de fuite. Parce que le bonheur ça peut pas être toujours ailleurs, là-bas, demain. Du coup, dix ans plus tard il y a cette envie-là aussi, de s'atteler un bon coup et se dire "Tu peux pas ne pas parler de la ville où tu as appris à lire". Pas parce que c'est important et universel, mais parce que tout le monde a appris à lire quelque part. En fait, je crois que ce qui nous définit c'est ça. J'ai un héritage qui est très disparate, j'ai un père qui est moitié sénégalais, moitié guinéen, ma mère est Caraïbes anglophones et francophones. Quand on a grandi en France, c'est ça la question de ce disque c'est comment on fait pour se définir. Est-ce qu'on se définit par rapport à la culture de l'un ou de l'autre, mais il n'y a pas de raison que l'un l'emporte sur l'autre, surtout qu'il s'agit de pays où je n'ai jamais vécu. Du coup, on revient aux fondamentaux. C'est Saint-Dizier, les premières guitares, les copains. C'est ça finalement qui nous construit. Souvent on résume votre nom au titre "A la faveur de l'automne", qui date déjà de 2003. Est-ce que ça vous fatigue parfois qu'on ne parle que de ce titre-là ? Non, pas du tout. En plus pour répondre à la question précédente sur le Japon, "A la faveur de l'automne" en fait ça a été une porte ouverte vers le Japon. C'est à partir de ce morceau-là qu'on m'a proposé d'y aller. C'était il y a six tournées. Je vais y retourner en mai, ce sera mon septième voyage là-bas et c'est grâce à "A la faveur de l'automne". Après ce qui a été cool c'est que le label là-bas a eu envie de sortir les autres albums et d'organiser des tournées. Donc je pense qu'il ne faut pas cracher dans la soupe, un morceau comme ça c'est avant tout une porte ouverte vers tous mes autres morceaux. Il ne faut pas cracher dans la soupe C'est un cadeau.Oui ! Et puis cinq albums, c'est une centaine de morceaux. Donc d'avoir un morceau comme ça qui est une espèce de passeport pour un an et demi de liberté à chaque fois sur la route, avec des gens qui viennent, je trouve ça génial. Ça nous est arrivé souvent, des gens qui viennent et qui disent « Je connaissais que "A la faveur de l'automne" et le reste je m'attendais pas du tout à ça mais je suis resté et j'ai eu envie de rentrer dans le truc ». Ou pas. Mais j'aime vachement cette idée de porte ouverte. En plus de dix ans de carrière, quel regard portez-vous sur la crise du marché du disque, est-ce que parfois vous y pensez quand vous écrivez ? C'est forcément un sujet de réflexion, ne serait-ce que parce qu'il y a plein de copains qui ne peuvent plus faire de tournée ou enregistrer des disques. Maintenant ce n'est pas la première fois qu'il y a un déclin comme ça. Dans les années 20, la crise qu'il y a eu en 1929, il y avait déjà une industrie musicale aux États-Unis mais c'était les big bands donc c'était super cher à produire. Avec la crise, ça s'est effondré, et c'est ça qui a fait l'avènement du rock'n'roll. D'un seul coup, on passait de trente mecs dans un bus à quatre mecs dans une voiture pour faire trois concerts par jour. Ça a créé un nouveau style de musique. Donc du coup c'est la contrainte qui est devenue un super moteur artistique. Donc là je ne sais pas du tout où ça va aller, il y a des gens qui disent que ça va être, c'est un peu prétentieux de le dire comme ça mais un peu comme ce que j'ai essayé de faire sur l'album, on va être obligé de revenir aux fondamentaux. On ne va plus pouvoir tricher. En tout cas, on va être souvent sur la route, essayer d'être généreux et de donner. Mais est-ce que c'est pas la meilleure chose qui peut vous arriver quand vous avez choisi ce métier-là ? Finalement, c'est de pouvoir continuer à faire des concerts parce qu'on n'est jamais tout seul. On me demande souvent pourquoi dans mes phrases je dis "nous" au lieu de "je", c'est parce qu'on est une équipe. Je travaille avec la même équipe depuis quinze ans, sur la route c'est une famille, on est avec les copains. C'est tout ça une tournée en fait. Parlons d'un autre aspect de la vie d'artiste, la télévision. Est-ce que l'on vous a déjà proposé d'intégrer le jury d'un télé-crochet ? On me l'a proposé mais pour une émission qui ne s'est pas montée. Je ne suis pas le mec le plus médiatisé et ça fait quinze ans que je peux faire ce métier Donc si on vous proposait "Nouvelle Star" ou "The Voice" ?Oui, j'accepterais. Après il faut voir le projet car toutes ces émissions elles ont des ADN pour le coup différentes mais je n'ai pas d'opposition systématique. Encore une fois, il y a eu un moment où ça s'est beaucoup fait de questionner la moralité de certaines de ces émissions. Mais moi ce que j'y vois dix ans plus tard, comme vous le disiez, je ne suis pas le mec le plus médiatisé et ça fait quinze ans que je peux faire ce métier-là. J'ai vu tellement de copains arrêter, c'est vrai que ça fait mal au cur. Je me dis qu'à l'époque j'ai eu la chance d'avoir ma guitare. Si là au jour d'aujourd'hui j'avais vingt ans, que j'étais à Saint-Dizier, que je n'avais pas de connexion, pas de piston, moi je viens de province, on pense toujours qu'à ça, on se dit que c'est inatteignable. Et bien ça c'est une porte d'entrée. Il y a plein de mecs comme Julien Doré ou Olivia Ruiz qui viennent de cet univers-là et qui ont montré que le profil des candidats a changé. Il y a de plus en plus de gens qui sont de vrais artistes, qui ont une proposition. Je reviens sur ce qu'on disait tout à l'heure, on fait un peu ce qu'on peut. Et moi ce que j'ai glané en quinze ans, ce que les copains m'ont passé, être juré, surtout les trucs où il y a des ateliers. Juste être un passeur. Finalement, on est rien. C'est les rencontres qui font tout. Dans la mesure où ces émissions-là, elles tournent autour de ça, je suis pour. Vous êtes engagé auprès d'associations, vous aviez participé au titre "L'Or de nos vies" du collectif Fight Aids. Je vous verrais bien intégrer la troupe des Enfoirés. Vous aimeriez en faire partie ? Oui je le ferais. Je crois qu'en fait il y a des causes comme ça qui méritent qu'on mette son égo de côté. C'est important, quand je parle de se souvenir d'où l'on vient, de garder cette humilité-là, et c'est génial de pouvoir participer à des projets. Donc la réponse évidemment c'est oui. Par peur du vide quand j'ai commencé ce métier, les premiers mecs avec qui j'ai parlé m'ont dit « Tu verras c'est super difficile, ça se trouve tu vends plein de disques tout de suite soit t'es la coqueluche de certains médias ». Étant ni dans l'un ni dans l'autre, moi je me suis dit « Tu vas pas faire ce métier toute ta vie donc commence à préparer l'après », donc j'ai toujours fait les choses un peu comme ça. Donc du coup on apprend plein de choses tout seul, c'est bien. Mais en groupe, avec les gens, c'est quand même vachement mieux.
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