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Pomme en interview : "J'ai écrit cet album comme si personne n'allait jamais l'écouter"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Sur son deuxième album, Pomme assume pleinement ses "Failles" avec 11 titres épurés mais touchants. Rencontre avec une artiste passionnante qui nous évoque la conception de ce nouveau disque.
Crédits photo : Emma Cortijo
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Comment as-tu ressenti l'étape du deuxième album ?
Je n'ai pas du tout eu les mêmes conditions pour faire le premier et le deuxième album. J'ai ressenti que j'avais une plus grande liberté, que je savais plus ce que je voulais faire et que j'avais les moyens et les conditions pour faire exactement ce que je voulais, ça a plutôt été une étape agréable.

J'ai lu que tu ne te sentais plus en adéquation avec ton premier album, sur quels points ?
Sur le premier album, je n'avais pas écrit toutes les chansons. Certaines me ressemblaient moins parce que je m'en suis éloignée. Il y a certains titres qui ont été difficiles à porter sur la durée : trois mois après la sortie du disque, je n'avais plus envie de les chanter parce qu'elles ne me ressemblaient pas, ce qui n'était pas le cas des chansons que j'avais personnellement écrites. Je me suis dit que j'allais écrire toutes les chansons de ce deuxième album, ça allait me permettre de les assumer plus longtemps.

Cet album m'a fait du bien
L'album s'appelle "Les failles". C'est important pour toi de les montrer ?
Ça m'a surtout fait du bien. C'était ce dont j'avais besoin à ce moment-là, d'écrire de la musique sans savoir ce que les gens allaient en penser, si c'était adéquat ou pas. J'ai écrit l'album dans une optique dans l'idée de faire comme si personne n'allait jamais l'écouter. Ça a donné cet album-là qui parle de failles, mais ce n'était pas prévu dès le départ. C'est venu sur le moment. En écrivant les morceaux, je me suis aperçu que j'écrivais des choses qui n'étaient pas très joyeuses et pas très évidentes. Au fur et à mesure, ça s'est transformé en un album qui parle de failles et d'imperfections. C'est ce qu'il fallait faire.

Regardez le clip de Pomme "Je sais pas danser" :


Au fil de l'écriture, c'est devenu une sorte de thérapie ?
Complètement ! Faire de l'introspection à ce point-là et évoquer des choses dont on ne parle pas forcément avec ses proches... J'ai du mal à verbaliser ces choses-là, j'ai du mal avec l'échec et l'imperfection. Et le fait de pouvoir l'écrire dans une chanson, de les extérioriser, ça me soulage. Le fait de les mettre en musique, ça allège également, et ça met une distance, un filtre qui rend le tout moins compliqué. Ce n'est pas comme si je disais tout ça à l'oral, "je suis anxieuse, j'ai peur de la mort".

L'anxiété reste un sujet encore trop invisible
Tu dénotes de l'ambiance générale avec des chansons très calmes, sombres et très épurées : c'était un choix voulu ?
Pas forcément. Quand je me suis retrouvée dans cet endroit en Bourgogne où j'ai enregistré pendant deux semaines et que je me suis demandée ce que je voulais faire comme musique, le but était de m'affranchir de tout ce que j'écoutais pour voir ce qui allait en sortir. Je n'ai pas écouté de musique pendant plusieurs semaines, et j'ai essayé de me foutre complètement de ce qui sortait à ce moment-là, de ce qui était à la mode. Ce qui en est ressorti, ce sont des compositions très épurées en guitare-voix. Je me souviens d'une phrase d'Albin de la Simone qui m'a dit : "Tu n'es pas obligée de faire la musique que tu écoutes". J'ai vraiment essayé de m'affranchir de ça pour faire cet album très épuré. Ma musique c'est ça, celle qui me ressemble. Aujourd'hui, je ne suis dans aucun game et je préfère ça plutôt que de faire quelque chose qui est à la mode mais qui ne me ressemble pas. Ce n'est pas une victoire de faire un succès avec une musique qui ne me ressemble pas. Les petites victoires avec de la musique qui me ressemble, ce sont de plus grosses victoires.

Tu collabores avec Albin de la Simone : pourquoi lui avoir fait confiance ?
Quand je me suis rendue compte que j'avais des envies acoustiques, je lui ai écrit car je savais qu'il maîtrisait ça. Il a une expérience de réal depuis plusieurs années. On n'est pas de la même génération mais j'avais besoin de ça. Je savais exactement ce que je voulais faire mais j'avais besoin de son expertise, de quelqu'un qui ait de la bouteille. Ensemble, on a vraiment fait l'album de mes rêves. On était dans la communication constante, main dans la main.

On voue un culte à l'apparence des femmes, j'en ai fait les frais
Qu'a-t-il apporté à ce deuxième album ?
C'est difficile de départager ce qu'il a apporté de ce que j'ai apporté. On a tout fait en cinq jours, un peu sur le moment. Forcément, il a plus de connaissances techniques, avec un aspect d'ingénieur son. Et c'est aussi un musicien de malade : il chante, il joue du clavier ou de la basse... Il est très efficace ! Quand j'ai des idées, ça me prend plus de temps et je suis moins sûre de moi. Lui, il sait tout de suite ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Le plus important, c'est qu'il ait surtout cette expérience et que ça aille vite.

Regardez le clip de "Anxiété" par Pomme :


"Anxiété" commence sur ces mots : "Je suis celle que l'on ne voit pas, que l'on entend pas". Dans "Saphir", tu dis avoir "détesté [ton] corps". Tu parles de ton vécu ?
Dans "Anxiété", je la personnifie. C'est quelque chose qui touche énormément de gens mais qui reste encore trop invisible. Quand on rencontre des gens, on ne se doute pas qu'ils peuvent être anxieux et cela reste un sujet très tabou. Dans "Saphir", je parle de moi, j'évolue en tant que femme dans une société où l'apparence physique est centrale. Il est beaucoup question du corps dans l'album, c'est quelque chose d'obsédant, encore aujourd'hui. C'est partout dans les médias, à la télé ou au cinéma qu'on voue un culte à l'apparence des femmes, et des hommes aussi, mais moins. Il y a quelque chose qui est assez intense et j'en ai fait les frais comme toutes les filles depuis la nuit des temps.

Je me suis posée énormément de questions sur moi
La question du corps, et les autres thématiques de l'album, sont en décalage avec la douceur des arrangements.
J'aime bien l'ambivalence et les décalages. D'ailleurs, l'illustratrice qui a fait la pochette s'appelle "Ambivalently Yours". J'aime cette idée qu'il y ait à la fois de la violence et la douceur. Le but n'est pas forcément d'être plombant ou négatif. C'est un album qui m'a fait beaucoup réfléchir, en l'écrivant je me suis posée énormément de questions sur moi. Aujourd'hui, je peux dire que rien n'est forcément tout noir ou tout blanc, il y a tout le temps un mélange d'émotions. La vie c'est un peu ça. Je ne crois pas à l'idée d'un bonheur exclusif à 100%, c'est un mensonge. La vraie vie, c'est quand ça va et ça ne va pas. J'essaie de me dire que la vie est beige. Les extrêmes, ce n'est pas cool.

Comment tu expliques qu'aujourd'hui les artistes évoquent de plus en plus leur anxiété ?
Peut-être parce que ça manquait. On s'est rendu compte que ça nous faisait du bien, à nous, mais aussi aux gens qui écoutent. Je crois fermement que l'art dans toutes ses formes, peut faire changer et évoluer les choses dans la société. C'est hyper important !

Tu penses libérer la parole sur ces thèmes ?
Je n'ai aucune prétention avec cet album, à part de me faire du bien. Si c'est le cas, tant mieux !

Cette idée de la mort, c'est un grand mystère
Le clip d'"Anxiété" fait beaucoup penser à l'univers de "Black Mirror", c'est une inspiration ?
J'ai beaucoup regardé la série, après ce n'est pas voulu. Après, "Black Mirror" ce n'est pas la vraie vie, mais presque puisqu'on vit dans une société qui ressemble à celle de la série. Donc on m'inspirant de la vraie vie, je m'inspire aussi de "Black Mirror". C'est un portrait de la technologie assez effrayant mais réel. Je voulais surtout retranscrire de se sentir submergé de ce flot d'informations sur nos smartphones, de nos apparences physiques... Et mettre en images les thèmes de l'album. C'est vrai que ça donne une ambiance "Black Mirror". Le côté science-fiction était voulu dans la vidéo mais ce qui est fort, c'est que ça parle de la vraie vie mais de manière effrayante parce que c'est vrai.

Pourquoi cette idée de se noyer dans le clip ?
Il n'y a pas que moi, mais plein d'autres capsules aussi. Je vis ça, mais tout le monde vit ça aussi. Je ne suis pas la seule à être angoissée par les réseaux sociaux.

Ecoutez "Grandiose" de Pomme :


Sur "Grandiose", tu chantes "Depuis que je n'ai pas le droit / Je veux un enfant dans le ventre" : c'était important d'en parler ?
Encore une fois, ce n'est pas quelque chose que je verbalise une fois chez moi. J'écris sur des choses que je ressens ou je vis à un instant T. "Grandiose", je l'ai écrite il y a deux ans, à une époque où j'étais en plein questionnement sur la maternité et de ce que ça représentait. J'ai écrit cette chanson sans aucun désir de militantisme envers la PMA ou autres. C'était juste un désir un questionnement personnel. Je ne pensais absolument pas qu'il y aurait des gens qui viendraient me parler de cette chanson, je pensais qu'elle allait être noyée dans l’album.

La mort est aussi un thème récurrent dans "Pourquoi la mort te fait peur" ou "Soleil soleil" : pourquoi ?
Ça fait peur. Et personne ne sait ce qui se passe après. Ça m'effraie depuis toujours et je me suis dit qu'écrire des chansons dessus, ça allait peut-être être moins pire. Ça ne marche pas forcément mais ça m'aide et ça m'apaise quand je les écris et quand je chante. C'est un grand mystère pour moi que cette idée de la mort. J'aimerais trop être immortelle, je trouve ça dommage de mourir, c'est nul, il n'y a rien après. Je ne crois pas au fait qu'il y ait quelque chose après. Mais j'invente des histoires dans mes chansons pour que ce soit moins dark, moins dur.

C'est un album dans lequel je retourne beaucoup à mon enfance
"Une minute" se termine sur un message de ta grand-mère : pourquoi avoir fait ce choix ?
J'aime trop ma grand-mère et je trouve que c'est très important la notion d'héritage. Je me suis posée beaucoup de questions là-dessus, je crois qu'on sous-estime un peu cela et ce qui s'est passé dans notre famille. Il y a toujours des histoires, des secrets. Je voulais ancrer l'importance de ma grand-mère et de mes ancêtres dans l'album. Et elle me laisse tout le temps des messages vocaux. Elle signe tout le temps avec son nom et ça je trouve ça trop drôle. Personne fait ça, sauf elle. Dans ce message-là, elle me disait "bonne chance" et je me souviens que ça m'a marqué. Ma grand-mère a 88 ans et je me disais qu'elle pouvait mourir. A chaque qu'elle me disait ça, ça me faisait bizarre. Je l'ai mis dans mon album en me disant que si elle mourrait demain, au moins elle serait sur le disque. Ça rejoint ces questions d'angoisse de la mort, c'est quelque chose de très intense dans ma vie.

L'album se termine sur "Chapelle" : quelle est la symbolique ? Est-ce vraiment enregistré dans une chapelle ?
J'ai chanté cette chanson, si on peut appeler ça une chanson, dans une chapelle durant ma résidence d'écriture en Bourgogne, dans cette même idée d'improviser et de faire de la musique sans me soucier de ce que le public pouvait en penser. Je faisais beaucoup d'écriture automatique et d'improvisations vocales et c'est un moment où j'ai improvisé dans la chapelle. Beaucoup de gens m'ont dit que sur ce titre, il y a des extraits d'autres chansons qu'on reconnaît. Je ne m'en suis pas rendue compte car à ce moment-là, je composais les chansons donc je les ai inconsciemment chantées à ce moment-là. Clôturer l'album avec "Chapelle", c'était symboliquement histoire de me dire à moi-même "tu fais ce que tu veux, si tu veux mettre un instrumental de toi en train d'improviser, tu peux le faire". Ces endroits religieux comme les chapelles, les églises, sont des choses qui m'ont beaucoup marqué parce que j'ai grandi dans une famille hyper-croyante et j'ai passé beaucoup de temps dans ces lieux. Aujourd'hui, ça fait partie de moi, même si je ne suis pas une pratiquante croyante. C'est un album dans lequel je retourne beaucoup à mon enfance, et mon enfance est beaucoup teintée de chants, de messes et d'églises.

Crédits photo : Emma Cortijo .
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