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Lynda Lemay en interview

Lynda Lemay publie cette semaine son premier Best-of, couronnant vingt ans de carrière, vingt-ans de rires et de larmes que des histoires personnelles et universelles ont su provoquer. Poétesse, la musicienne canadienne se confie sur ses inspirations, sa vie de famille et son prochain spectacle qu'elle a souhaité plus théâtral. Lynda Lemay sera en France en 2012 pour une série de concerts dont deux à l'Olympia les 30 et 31 janvier.
Crédits photo : Jean-François Bérubé
Salut Lynda. Nous revoilà un an après l'album "Blessée". Tu pensais déjà à ce projet de "Best-of" en septembre 2010, lors de notre première rencontre ? (Jonathan HAMARD et Sarah MERLO)
Lynda Lemay : On y pensait depuis un bout de temps, mais je n'avais jusqu'à maintenant jamais trouvé le moment idéal pour ce projet. Au mois de décembre 2010, après la fin de la tournée, j'ai commencé à travailler sur le spectacle qu'on débute actuellement en tournée. Et puis je l'ai bien peaufiné. C'est un nouveau concept. Pour la première fois de ma carrière, c'est vraiment le piano qui est en vedette avec le violon. Et puis, je joue de la guitare dans certaines chansons sans pouvoir me cacher derrière un autre guitariste. Tu vois, c'était pour moi un beau gros défi à relever. C'est un défi aussi de faire un show autour du piano parce qu'il y a beaucoup de chansons composées à la guitare. Il fallait trouver celles qu'on pouvait intégrer dans un même spectacle sans qu'il n'y ait de problème au niveau du rythme. On a relevé le défi et je suis très fière du spectacle que l'on offre. C'est là que je me dis que ce serait triste de commencer un si beau spectacle, parce qu'il me plait beaucoup, je me sens bien dedans, sans l'accompagner d'une sortie d'album.

Tout c'est fait dans l'urgence alors.
Oui. On n'avait pas vraiment le temps de construire le projet. C'est pourtant pas les chansons qui manquaient. J'en avais assez pour faire un nouvel album, mais c'est le temps pour trouver le concept, l'orchestration et tout ce qui peut tourner autour. C'est là que ma sœur Diane, ma grande complice, presque ma jumelle m'a dit : "mais pourquoi tu ne le fais, le Best-of dont on parle". Depuis la sortie du dixième album, j'avais fait un petit bilan. J'ai pris le temps de regarder en arrière : dix albums, ça faisait beaucoup. Je me disais : "c'est quelque chose que j'ai accompli quand même !". C'était le moment idéal : un Best-of avec des inédites, évidemment, pour annoncer ce qui s'en vient et donner un petit avant-goût du spectacle sans tout dévoiler.

Est-ce que le choix des titres pour cette compilation est calqué sur le nouveau spectacle ?
Pas vraiment parce que je me suis cassée la tête pour trouver ces titres -là.

C'est vrai qu'il y a des morceaux que je m'attendais à voir et que je ne retrouve pas.
Oui, mais c'est ça ! C'est parce qu'il n'y avait pas de place pour les mettre tous. Il fallait faire un choix au niveau des rythmes aussi. Le problème avec moi, c'est qu'il a des albums de chansons inédites qui ne sont que "studio", des albums qui ne sont que "live" et des albums mélangés. En règle générale, on ne peut pas coller un titre live et un titre studio : ce n'est pas homogène. Il fallait donc trouver un tracklisting qui rende possible l'ensemble de l'écoute fluide, qu'on rentre dans une émotion sans que ça "clash", en bon français. On m'a demandée : "Pourquoi ne ferais-tu pas une partie studio et une partie live ?". Mais je n'étais pas au bout de mes peines parce qu'il fallait aussi accorder les thèmes des chansons. Ça ne devait pas être trop répétitif. Plusieurs de mes chansons ont marqué sur le thème de la famille, sur le thème de la maternité, sur les relations parents-enfants... Je ne pouvais pas les mettre toutes !

Depuis la sortie du dixième album, j'avais fait un petit bilan.
J'attendais une chanson plus rock aussi : "J'aime pas les femmes". Il y a du punch dans ce titre. Tu as privilégié les ballades pour le Best-of.
Ah tu vois ! C'est parce que je ne t'ai pas fait faire la liste. J'ai demandé à quelques amis, quelques fans et quelques connaissances de faire la liste des quinze ou vingt titres préférés. "J'aime pas les femmes" n'est pas revenu, même pas une fois ! C'est la préférée d'un, et pas nécessairement la préférée de l'autre. Je me retrouve avec à peu près cinquante chansons citées pour contenter tout le monde. Au niveau des rythmes, je ne pouvais pas aller juste dans les ballades, donc effectivement, je me serais bien servie de "J'aime pas les femmes". Mais comme je n'avais pas eu assez de retours sur cette chanson-là, je ne pensais pas que des gens aimeraient la retrouver. Je me suis trompée. Ce sera pour le "Tome 2" ! [rires]

Regardez le clip "J'aime pas les femmes" de Lynda Lemay (2003) :


Petite déception également, avec beaucoup de guillemets. Je m'attendais à un titre pour ce Best-of, surtout pour toi qui a toujours su trouver des intitulés originaux ou imagés à tes précédents disques.
Oui, j'y ai pensé. C'est peut-être le manque de temps qui fait que je n'ai pas "brainstormé" assez.. Nous en avions trouvé un mais c'était trop tard parce que la pochette était en conception. En tout cas, nous avions trouvé une façon de présenter le projet. Je comprends ta déception parce qu'elle fait partie de mes déceptions à moi aussi.

Du coup, si le track de ce Best-of ne correspond pas forcement à tes propres choix ni à tes meilleurs souvenirs. Qu'est-ce que toi tu retiendras de ces vingt dernières années ?
J'ai beaucoup aimé le spectacle avec le lit sur scène. J'ouvrais avec la chanson "Du coq à l'âme". Il y avait le T-shirt de Johnny Hallyday sur l'oreiller et des éléments de décors qui m'aidaient beaucoup à me mettre en situation. Il y avait un côté théâtral qui me plaisait beaucoup. Je retrouve un petit peu de ce spectacle dans celui que je vais venir jouer ici, avec peut-être moins d'éléments de décors, mais très chaleureux. C'est plein de cœurs partout, et le spectacle commence avec la "Déclaration d'amour au public".

Je laisse la place à la comédienne, encore un peu petit peu plus que d'habitude.

Est-ce qu'on peut avoir une toute petite idée ou un petit quelque chose qui nous donnerait l'eau à la bouche ?
C'est construit d'une certaine façon. Autant on va passer par des moments émouvants, évidemment. On ne peut pas faire autrement avec mes chansons ! Mais je voudrais faire ressortir une impression de légèreté, de "on a bien ri". Les côtés "humour" et "autodérision" sont très présents et je vais encore plus loin dans ce que j'ose faire, dans ce que j'appelle la "non-peur du ridicule". Il y a beaucoup de place pour l'aspect théâtral : dans une chanson, c'est presque une narration parce que le piano plaque uniquement les accords pendant que je joue la comédie. Je laisse la place à la comédienne encore un petit peu plus que d'habitude.

Ce spectacle sera présenté en France...
...Il était temps que j'y retourne parce qu'on a raté le dernier rendez-vous à l'Olympia à cause du volcan.

C'était un impératif pour toi de passer à l'Olympia ?
Ça va être les 51ème et la 52ème fois que je fais l'Olympia. Quand je viens à Paris, si la salle est libre, c'est là que je vais choisir d'aller parce que je m'habitue. Je suis assez conservatrice de nature. Oui, je suis curieuse. Oui, j'aime découvrir. Je m'attache facilement aux endroits que j'ai aimés, aux gens que j'ai connus. Je suis fidèle dans ma personnalité et c'est pour ça que je reste fidèle à l'Olympia. J'aime ces rendez-vous qui sont donnés aux mêmes endroits pour renouveler le plaisir à chaque fois.

Regardez le clip "Un paradis quelque part" de Lynda Lemay (2005) :


Entre cette façon de te raconter et tes chansons, Y-t-il a une frontière ?
Je ne pense pas qu'il y ait une grosse frontière. Toutes les chansons que j'ai écrites ne sont pas inspirées de ma vie, mais ce sont quand même mes propres réactions face à des situations qui pourraient éventuellement m'arriver. Dans mes chansons, j'utilise le "je" pour bien comprendre la situation que je veux décrire. J'ai besoin de jouer un rôle pour que les émotions montent plus facilement. A ce moment-là, je peux capter les émotions et les décrire puisqu'elles deviennent les miennes.

Je pense que les émotions devraient vite arriver sur scène avec "Pas de mot", premier extrait de ton nouvel album. Pourquoi avoir choisi un titre aussi triste pour représenter vingt ans de carrière ?
"Pas de mot" est une chanson triste. Les mots me sont venus de cette manière, mais je la trouve réconfortante. Quand on écoute l'extrait, il y a le petit ukulélé qui chante derrière et on se croirait presque en voyage. Quand je l'ai chantée, elle a plu a beaucoup de gens. On se sent tous solidaires quand on pense à ceux qui ont perdu leur enfant. La vie continue malgré tout. Après avoir entendu Patrick Sebastien me dire qu'il n'y avait pas de mot, lui qui a vécu la perte d'un enfant, j'ai eu besoin d'écrire là-dessus. Après avoir écrit cette chanson, j'ai entendu deux femmes dans l'émission "Tout le monde en parle" au Québec qui avaient exactement le même discours. Je me suis dit qu'il y avait un vrai besoin de mettre des mots là où il n'y a pas de mot justement. J'ai toujours aimé le faire et je pense que ça représente bien ce que je fais depuis 20 ans. Et pour répondre plus précisément à ta question, "Pas de mot" est tout simplement le titre le plus radiophonique des cinq inédits.

Écoutez un extrait du single inédit de Lynda Lemay, "Pas de mot" :


Le sexe féminin par exemple, j'appellerais ça une "cloise".

Pourquoi ne pas avoir mis de mots ? Pourquoi ne pas en avoir inventé un ?
On en parlait tantôt. Quand on n'aime pas le mot qui est choisi pour le sexe féminin par exemple. Je n'aime pas les mots avec les "v" alors j'appellerais ça une "cloise" ou une "cloisette". Je trouve que c'était beaucoup plus beau : ça sent bon. Mais je n'ai pas encore fait de chanson dessus, et on vient de m'apprendre que Brassens en a fait une, sur le fait qu'il n'y avait pas de beau mot pour décrire ça.

Tu cites d'ailleurs tes filles en premières dans la liste des remerciements. Pourquoi elles en particulier ?
C'est une évidence et, justement, ça rejoint la chanson "Pas de mot". Quand on a des enfants, on est complet qu'avec eux. Je vois qu'elles me ressemblent de plus en plus dans leur façon de faire les choses, de penser, d'agir avec les autres. Elles me ressemblent physiquement aussi. C'est une fierté. Elles sont l'une de mes plus belles raisons de vivre.

Elles sont tes sources d'inspirations aussi...
Oui, beaucoup. C'est pour ça que j'en parle aussi dans mes chansons, de "Je voudrais voir ton visage" à "La marmaille". C'était avant que je sois enceinte. "Donnez-lui la passion" qui fait d'ailleurs partie du nouveau spectacle, mais pas du Best-of. A voir pour le "Tome 2" ! Je pense à mes deux filles avec beaucoup d'émotions. On se dit qu’on n'est pas éternel, donc on souhaite vivre le plus longtemps possible cette belle complicité pendant qu'on est bien en forme. Si l'avenir fait que l'un de nous s'absente, on pourra se dire qu'on a vécu de belles choses qui nous nourrirons pour le reste de nos vies.

Tu a utilisé l'expression "Tome 2" à plusieurs reprises, et évoqué d'autres chansons déjà prêtes. Y-en a-t-il beaucoup en stock ?
D'habitude, j'ai toujours six projets d'avance. On a d'ailleurs peur que je les publie parce que je dis des choses un peu blessantes mais toujours avec humour, ce qui pourrait quand même offusquer. C’est un peu du "allez l'écouter mais sans rancune", mais je ne suis pas sûre que j'oserais un jour. "Lynda Lemay : les chansons interdites" [rires] ! Pour le moment, je suis réellement à 100% dans ce nouveau spectacle, prête à le vivre, à le déguster. La scène m'a manquée depuis décembre dernier et j’ai juste envie de me lancer dans ce projet de nouveaux concerts avec bonheur. Je ne vois pas vraiment plus loin. C'est devenu très compliqué de concilier famille et travail. Je pense que tout va désormais se simplifier étant donné que la petite vient d'entrer à l'école. Pour faire mon travail, je ne me sentirai plus coupable de m'absenter. J'aurai la liberté de faire des petites choses : aller m'entrainer, penser à moi un peu. Je serai là pour le retour de l'école sans avoir à me sentir déchirée entre des besoins de femme et non de mère.

Le docteur Tropper s'est occupé de moi. Ça a vraiment sauvé les bonus et le spectacle.

Dans la liste des remerciements, il y a le docteur Tropper. Qu'a-t-il fait pour toi ?
Pour les cinq chansons inédites, je devais les enregistrer à la dernière répétition devant le public. Nous avions invité une centaine de personnes pour pouvoir attraper la spontanéité. On ne savait pas encore comment le public allait réagir parce que c'était la première fois que je chantais ces titres. Interpréter "Le mariage" devant le public et le voir s'amuser, c'était un bon retour. On devait capter cette improvisation et cette première interprétation des chansons. Mais j'ai été touchée par une extinction de voix complète. Il n'y avait pas de son. C'était juste de la malchance car je ne suis pas fragile des cordes vocales. C'est juste que ma petite avait attrapé un virus à trois jours de l'enregistrement. A un moment donné, je mettais des masques pour ne pas l'attraper. Une nuit, j'ai pris ma fille dans mes bras sans avoir eu le temps de mettre mon masque. Elle toussait à côté de moi. Elle a perdu la voix, son père a perdu la voix et j'ai perdu ma voix. C'était un virus qui se déposait sur les cordes vocales. En France, les docteurs m'avaient fait des inhalations de cortisone lors de concerts plus anciens. C'est la seule chose qui ait déjà sauvé des spectacles. J'ai donc demandé aux médecins de me le faire mais personne ne voulait jusqu'à ce que je rencontre le docteur Tropper. Il a fait deux heures de route jusqu'à la clinique pour s'occuper de moi. Je me sentais comme en France ! Le système de santé au Québec n'est pas au top. J'aurais pu attendre une semaine avant d'avoir un rendez-vous chez un médecin ou devoir attendre quatorze heures aux urgences. Je n'avais pas quatorze heures ! Alors le docteur Tropper s'est occupé de moi. Après tout ce qu'il avait fait, je lui ai demandé comment je pouvais le remercier. Il m'a dit : "Parle de moi, parle de la clinique !". Il ne le sait pas encore que j'ai écrit ça dans le livret, mais je vais lui dire sitôt que je peux avec une petite note personnelle. On entend quand même que j'avais eu une extinction de voix à l'écoute "Le mariage". La voix est un petit peu éteinte mais j'ai pu l'interpréter et poursuivre le spectacle intégralement. Ça a sauvé les bonus et le spectacle ! Cependant, on a repris en studio "Pas de mot", "Pas ta première femme", une chanson qui est arrivée à la dernière minute, et "La boue dans les yeux". C'est le piano du live qui a servi pour le disque, mais c'est la voix enregistrée en studio. Même en studio, quand j'ai travaillé "Pas de mot" et "La boue dans les yeux", ma voix n'était pas revenue, ce qui a apporté de l'émotion à mes titres. Je n'ai jamais été une chanteuse à voix de toute façon.

Voilà une histoire à chanter !
Pourquoi pas !

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