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Lynda Lemay en interview

Ce n'est pas parce que Lynda Lemay a annulé ses spectacles à l'Olympia en avril dernier qu'elle nous a oubliés. Pour preuve, est disponible en bacs dès aujourd'hui l'album "Blessée". Enregistré en live, il est la conjugaison des mots de l'artiste et des tranches de vie que son public lui évoque. Passant par ses propres émotions pour transmettre des messages, Lynda Lemay chante la nostalgie et les blessures auxquelles chacun peut un jour ou l'autre être confronté. L'artiste nous invite au courage de reconquérir le bonheur.
Avec "Blessée", vous proposez un opus enregistré en live mais travaillé comme un album studio. C’est plutôt rare dans le paysage musical mais pas dans votre cas. On l’a vu en 2002 avec "Les lettres rouges". Pour "Blessée", ce sont 13 chansons inédites sur 18 titres. Comment avez-vous écrit ces nouvelles chansons et pourquoi privilégier le live ? (Jonathan Hamard, rédacteur)
Lynda Lemay : On l’appelle un album à 75% live et retravaillé en studio. Je ne calcule rien. Je fais ce que j’ai envie de faire spontanément pour que ce soit le plus beau et le plus touchant possible. Le fait d’enregistrer en live, je savais que ce serait plus efficace parce que ça me permet de mettre un peu plus d’humour, d’entendre le rire des gens, c’est contagieux. Sur un album studio, une fois qu’on a entendu la chanson, le rire n’est plus forcément là et on se lasse plus vite. Il y a évidemment des titres plus anciens comme la chanson "Gros Colons / gros blaireaux" qui était déjà sur "Les lettres rouges".

Je me suis aperçue que ça ne touchait pas les gens en France : l’humour ne passait pas du tout à cause des références trop québécoises. Du coup, je me suis dit que je devrais en faire une adaptation en français de France. A l’époque, c’est Laurent Gerra qui avait fait l’adaptation. On ne pouvait pas trouver de meilleurs mots car c’est un professionnel en la matière. Si j’ai décidé de faire un live, c’est parce j’avais envie de sentir une émotion palpable car l’interprétation n’est pas la même qu’en studio. Là, on a juste perfectionné ce qui nous manquait. On a ajouté des boites vocales et des basses sur tous les titres pour que le son s’écoute mieux. Je l’appelle donc l’album du public, non seulement parce que le public est là presque tout le temps, mais aussi parce que les thèmes qui sont abordés sont ceux que les fans me proposaient après les spectacles. On a cherché l’émotion plutôt que la perfection.

La vie peut basculer d’un jour à l’autre : on peut être heureux et perdre un enfant, et là tout bascule.
Je voudrais évoquer le titre éponyme de l’album « Blessée », qui est aussi le premier mot de cet opus. Est-ce vous qui êtes « blessées mais toujours prêtes à se redresser » ?
Moi, entre autres. Mais je pense surtout à toutes ces rencontres que j’ai la chance de faire avec des gens de toutes les générations, les confidences que je reçois. Je me rends compte que les blessures sont vraiment nombreuses. Souvent, ces rencontres qui sont touchantes m’en disent beaucoup. Même si on ne se dit que quelques phrases, elles font que l’on comprend qu’une personne rayonnante à des problèmes : l'une est anorexique, l’autre a eu des problèmes avec ses parents... Et là, grâce au métier que je fais, je reçois toutes ces confidences là de tous ces visages que je connais mieux en l’espace de quelques minutes. Je me dis que tout le monde a son lot de blessures. On ne vit pas sans être blessé à un moment ou à un autre de sa vie. Et puis c’est vrai pour moi aussi dans certains cas. Je me suis sentie pendant longtemps épargnée : j’ai eu une belle enfance, mes rêves se réalisent et mes enfants sont heureux et en bonne santé. Et puis, ça ne veut pas dire que je n’ai pas eu mon lot de blessures, de déceptions et de souffrances. Mais il a fallu que je sois forte et que je reste debout pour continuer à construire mon bonheur, car tout n’est pas gratuit non plus. Il faut faire des efforts. C’est ce que représente la pochette de l’album : la vie peut basculer d’un jour à l’autre, on peut être heureux, être cette personne privilégiée, et on peut par exemple perdre un enfant, et là tout bascule.

"Blessée" par tout ce qui peut arriver à une femme ?
J’ai effectivement un discours de femme. Cependant, je peux être aussi empathique avec les hommes. Je pense que c’est l’être humain qui me touche beaucoup. Souvent, c’est vrai que dans les chansons j’incarne une femme. Toutefois, ce n’est pas toujours moi. Par exemple, pour la chanson "J’ai rencontré Marie", ce sont des femmes qui sont venues me voir à la fin de mes spectacles et qui ont voulu que je parle de l’homosexualité féminine.

Je dois avouer que j’ai été très surpris à l’écoute du titre "J’ai rencontré Marie". Une histoire d’amour homosexuel dans votre œuvre, vous l’aviez déjà fait mais pas de cette manière. Pourquoi avoir à nouveau écrit sur ce thème ?
L’inspiration me vient du souhait de plusieurs femmes qui m’ont demandé pourquoi je ne parlerais pas d’elles. Elles avaient dû entendre "Les deux hommes". Dans ma tête, je me suis dit que j’avais déjà écrit "Les deux hommes", puis sur l’homoparentalité, et je me suis demandée quelle était la différence. Et puis j’ai écrit sous un autre angle : j’aborde la difficulté d’accepter que l’amour de sa vie soit du même sexe que soi, que ça arrive comme une surprise et puis que ce serait tellement énorme pour les proches de l’apprendre. C’est donc une histoire précise. Ce n’est pas quelque chose que tout le monde vit de la même manière. Là, je me suis demandée comment je réagirais si j’étais dans cette situation, et j’ai fait passer mes propres émotions. C’est donc toujours très personnel même quand ce ne sont pas mes histoires.

Il émane de surcroît de cette nouvelle production une certaine nostalgie sur de nombreux titres. Est-ce comme cela que l’album a été pensé, et est-ce le reflet de votre état d’esprit actuel ?
Oui. Une de mes plus grandes blessures, c’est le deuil de ma naïveté. Je m’ennuie du temps où je ne voyais que le beau chez tout le monde. Il a fallu que j’admette et que j’apprenne que le monde n’est pas toujours beau. Les gens ont souffert et parfois, certains qui sont brisés, tombent dans la méchanceté. Il a fallu que j’apprenne ça pour tout simplement me protéger. Il faut en être conscient car les manipulateurs existent, et ça peut nous briser. Je m’ennuie de ce temps là, même si je sais que d’apprendre nous rend plus fort. Il y a donc aussi des bons côtés à mieux connaître la nature humaine. Effectivement, il y a là une certaine nostalgie.

C’est un album fait de tout ce que j’ai recueilli auprès du public.
Cet album est comme un point d’orgue à la vie, comme si on se regardait dans un miroir. Et tout cela est bâti avec le public.
Oui, car c’est un album fait de tout ce que j’ai recueilli auprès du public et puis aussi de ma sœur de qui je suis très proche. Par exemple pour le titre "Jumelle", je n’ai jamais pensé à écrire sur les relations entre sœurs, et particulièrement entre jumelles. Je n’aurais jamais pensé à aborder ce sujet s’il n’y avait pas eu deux femmes qui étaient venues à la fin d’un spectacle en me demandant d’écrire sur les jumeaux alors que j’en ai moi-même dans ma famille. En ce qui me concerne, ma relation avec ma jeune sœur, on vit nos émotions par procuration. On veut souffrir peut-être même plus que l’autre dans les moments difficiles. On va avoir le même humour, les mêmes réactions.

Ecoutez le nouveau single de Lynda Lemay "Debout sur les pissenlits" :


Il y a également moins de titres humoristiques dans cet album : l’humour pour hier et la nostalgie pour aujourd’hui en étant « Blessée » ?
J’écris toujours moins de chansons humoristiques que de chansons plus tendres et plus bouleversantes.

Mais là, il y en a vraiment beaucoup moins.
Peut-être tout simplement parce que j’ai dû faire le deuil de l’une de ces chansons très drôles qui s’appelle "Tête de bouchon". C’était grinçant, il y avait du mordant là dedans. A la limite, c’était même déplacé. Ca parlait du cycliste qui prend toute la place par rapport au conducteur. C’était drôle, sur une musique enlevée. Mais il y a justement eu pas mal de décès de cyclistes sur les routes à ce moment-là au Québec. Ca a d’ailleurs confirmé que ma chanson était d’actualité parce que pas mal de familles ont perdu un proche dans un accident. Ca a fait polémique au Québec et il y a eu un débat au cours duquel on a parlé d’éduquer les automobilistes. Donc, ça faisait partie des moments drôles du spectacle, mais que je n’ai pas pu le chanter. Ca ne veut pas dire que je n’écrirai plus de chansons humoristiques. Il y en aura dans le prochain spectacle.

Dans les quelques titres plus amusants d’ailleurs, il y a "Farce d’oreille". C’est plutôt osé comme titre, non ?
Et là aussi il a fallu que je me censure parce que j’en avais des plus osés encore. Mais on m’a défendu de le faire. Quand on ne sait pas de quoi on parle, c’est toujours marrant au début, on cherche à comprendre les jeux de mots. La musique aussi est intéressante car c’était nouveau pour moi de chanter sur une musique comme celle-là.

D’ailleurs, est ce que vous imaginez par avance les réactions du public lors de l’écriture de ces chansons ?
Je n'y pense pas vraiment parce qu’au départ je pense très égoïstement à moi. Il faut que ça me fasse rire. Je ne sais pas du tout ce que ça donnera sur scène. Il faut que je trouve ça drôle, et après je teste. Comme là, on a écrit trois chansons pour le nouveau spectacle qui ne figurent pas sur cet album là. Je les teste actuellement sur scène.

Justement, on n’a pas vu le dernier spectacle en France. C’était prévu en avril dernier à l’Olympia.
Ca aurait été mes 51ème et 52ème représentations, mais c’était à cause du volcan. J’aurais été dans les premiers vols d’essai pour traverser l'Atlantique, mais j’avais trop peur de prendre un risque. Si on a perdu tout cet argent là, c’est que le risque était réel. Je ne me voyais pas comme un cobaye dans l’avion. Je n’annule jamais mes tournées, même quand je suis malade et que je passe les 2 heures de concert en tirant sur ma voix. Mais là, j’avais trop peur. Ma fille me demandait de ne pas y aller.

Ce serait une bonne idée de chanson cette aventure, non ?
Oui, en effet, parce que là-dessus je n’ai pas le contrôle. Sur bien des choses je l’ai, mais pas sur un volcan qui éclate. On ne sait pas s’il va cracher quand on est dans les airs. D’autant plus que je suis craintive en avion depuis la mauvaise expérience que j’ai eu : un atterrissage forcé. Mais bon, je prends sur moi, et avec deux petits verres de vin ça passe mieux. Mais avec le volcan, je n’ai pas eu le courage, même si ce n’est pas l’envie qui me manquait. Ce fut un déchirement de ne pas pouvoir venir.

J’ai besoin des rencontres avec le public comme j’ai besoin de nourriture pour vivre.
D’ailleurs la dernière chanson de l’album "Entre deux paradis" évoque votre bonheur de recevoir l’amour que vos fans vous offrent lors de chaque concert. C'est bien sûr un titre que vous avez écrit en hommage à votre public.
J’ai besoin des rencontres avec le public comme j’ai besoin de nourriture pour vivre. Pour être en bonne santé mentale, pour être une bonne maman et pour être une femme épanouie qui est capable de faire tout le reste, j’ai besoin de ces moments-là avec le public. Je savais que ces moments ne seraient pas nombreux car l’été était complet. Je savais la déception du public : j’ai répondu à de nombreux mails de fans pour m'expliquer.

Il y a quand même des nouvelles dates annoncées en France mais pas d’Olympia. Une séance de rattrapage serait-elle envisagée pour les parisiens ?
Non, on n'a pas pu. L’Olympia était déjà pris tout le temps. Il n’y avait qu’une seule possibilité à la fin août / début septembre, mais ma productrice ne préférait pas par crainte que les places se vendent moins bien pendant l’été.

Si l’on parle de malheur, de tristesse et de nostalgie, c’est que l’on a connu le bonheur. Quelle est justement votre définition du bonheur après avoir chanté "Blessée" ?
Ma définition du bonheur, c’est qu’il ne faut jamais le prendre pour acquis. C’est bien ça l’album "Blessée" : le bonheur ce sont des moments, des souvenirs, des projets et idéalement le moment présent. C’est un disque de bonheur et je l’aime à 100%. Je l’assume complètement. Le bonheur c’est par exemple être à la maison avec toutes ces âmes qui m’entourent. Le bonheur est toujours présent mais des fois un peu plus loin, et il faut savoir se défaire de tous les stress de la vie pour s’en rapprocher le plus possible. C’est aussi la pochette du disque : une photo de guerre pour montrer le courage qu’il faut avoir parfois pour arriver à trouver ce bonheur. Il y a des blessures avec lesquelles on vit qui donnent des comportements très précis. C’est comme un enfant qui n’a pas eu l’amour de ses parents. Il va être toute sa vie à la recherche de cet amour là. Ca ne veut pas pour autant dire qu’il n’y a pas de bonheur dans une vie comme celle-ci, mais il y a cette blessure avec laquelle on vit dans notre recherche du bonheur.

Enfin, pour terminer, je voulais savoir ce que vous pensez et ressentez lorsque je vous répète cette citation de Charles Aznavour que vous avez peut-être déjà entendue : « Elle ajoute à ses dons, indispensables pour réussir, des idées originales, une imagination fertile et très personnelle, une rare qualité d'écriture, une personnalité pleine de fraîcheur. » ?
Je n’en suis pas revenue encore du fait qu’il est écrit cela pour moi. Ca fait partie de la générosité qu’il a et aussi du succès que j’ai. Je pense que bien sûr j’aurais bâtie ma carrière, mais pas aussi rapidement. Si on a un pilier de la chanson française comme lui qui écrit ces mots pour un artiste, c’est évident qu’il y a un grand public qui se penche sur ce que j’ai à dire et à raconter. Quand j’entends ces mots, je considère que c’est un cadeau de la vie qu’un si grand artiste m’offre.

Retrouvez l'actualité de Lynda Lemay sur son site officiel internet.
Ecoutez et/ou téléchargez l'album "Blessée" en cliquant sur ce lien.
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