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La Grande Sophie en interview

Pour son sixième opus, La Grande Sophie a décidé de se mettre à nu mais s'est servie d'un voile pour cacher son intimité. Autrement dit, la chanteuse s'ouvre et fait part de ses songes les plus secrets sans jamais donner les clefs de son mystère. Avec "La place du fantôme", La Grande Sophie fait un retour détonnant, à l'image du titre "Bye Bye Etc.", et propose au public un album beaucoup plus produit que les précédents. C'est à cette occasion que nous avons rencontré l'artiste. La Grande Sophie nous a délivré de nouvelles pistes mais jamais la solution.


Après 15 ans de carrière, comment envisage-t-on un nouvel album ? Autrement dit, comment l'inspiration est-elle venue pour "La place du fantôme" ? (Jonathan Hamard avec Sarah Merlo)
La Grande Sophie : L'écriture n'a pas été une phase évidente en premier lieu. J'étais à l'époque entre Les Françoises et des projets de musiques de téléfilms. J'ai voulu réécrire même si je n'avais pas beaucoup de temps pour le faire. Je reprenais ma guitare tous les matins. Mais ça n'a pas été aussi rapide que je l'aurais imaginé. Peut-être la peur de connaître la fameuse page blanche dont on parle souvent. Ça ne m'était jamais arrivée auparavant car j'ai toujours trouvé un peu de temps pour écrire. Une musique de téléfilm prend toute votre énergie, tout comme ce fut le cas pour Les Françoises. J'étais à la fois musicienne et chanteuse.

Je suis allée me perdre dans mes labyrinthes.
Mais l'album est maintenant sous nos yeux...
Finalement les chansons sont arrivées les unes après les autres en abordant un moment de ma vie plus douloureux, si bien que "La place du fantôme" a été pour moi une évidence. J'étais à la recherche d'une présence sans pouvoir la trouver. J'ai dû, à ce moment précis de ma vie, faire face à un obstacle. J'ai voulu le contourner et le surmonter mais j'ai compris que je ne pouvais pas. La solution devait venir de moi.

Un album autobiographique d'une part, mais également une introspection si je comprends bien.
L'album a effectivement été une introspection. Je suis allée me perdre dans mes labyrinthes en faisant dans le même temps un bilan. Je suis retombée dans le thème du temps qui passe et qui me ronge avec des titres comme "Sucrer les fraises" et "Tu fais ton âge". J'ai créé un nouveau personnage, comme Suzanne. Elle est fictive mais m'accompagne tout le temps. Étant imaginaire, il était plus simple de tout lui confier. Suzanne est devenue le témoin de cette période. Elle a toute son importance dans le disque, c'est pourquoi elle le clôture. L'album représente beaucoup pour moi, il est presque un refuge. Aujourd'hui, c'est un marque-temps. Après l'avoir fait, je me sens différente, car il m'a donné l'envie de passer à autre chose en dépassant tout ça.

En écoutant l'album, j'ai trouvé qu'il n'était pas aussi facile d'accès que les précédents. Quelle est vraiment la destination finale de ce cheminement ?
L'album est très intime. "Bye Bye" en dit long sur cet aspect. J'avais besoin d'évacuer mais je ne pouvais le formuler qu'en chanson. C'est mon mode d'expression favori, même au quotidien. Je ne parviens qu'à mettre en forme mes pensées qu'en chanson. C'est difficile pour moi d'expliquer, si bien que je deviens très gestuelle quand je dois le faire. Lorsque j'écris une chanson, je prends mon temps. J'ai besoin que les choses n'aillent pas trop vite en fixant tout petit à petit. J'ai besoin de revenir dessus et pouvoir me dire que c'était ce mot-là et pas un autre. Lorsque je suis entrée en studio, je ne connaissais pas mes textes par cœur parce que je savais que j'aillais modifier certaines choses. Je suis aussi exigeante pour mes textes qu'au niveau musical. Ma ligne directrice était très synthétique, avec un mélange acoustique. En écrivant les maquettes, j'entendais déjà ces lignes. Je me suis entourée de trois co-réalisateurs qui ont réussi à obtenir ce type de sons, chose que je ne maîtrise pas du tout.
Ma ligne directrice était très synthétique.


Vous dites avoir pris votre temps entre le dernier album et celui-ci. Pourtant vous n'avez laissé qu'un an et demi entre les deux ?
C'est peut-être mon petit côté impatient...

Un disque pour lequel nous entrons littéralement dans un univers, dans votre imaginaire, où les rêves sont bannis.
La rupture est là. Dire au revoir à ses rêves est douloureux. C'est un des thèmes de cet album.
Mais j'aime laisser cette part d'imaginaire à celui qui va recevoir la chanson. Le public va certainement s'emparer d'un mot, d'une phrase et faire son histoire parce que c'est le rôle d'une chanson. C'est vraiment une porte ouverte à l'imaginaire de chacun.

Vous ne vous êtes jamais perdues dans cette imaginaire ?
Si. C'est un domaine dans lequel j'aime me perdre. Dans fantôme, il y a fantasme...

Retrouvons-nous les vrais fantasmes de La Grande Sophie dans cet album ?
Oui, le fantasme est de créer un personnage, comme arriver à créer Suzanne.



On retrouve plusieurs définitions du terme "fantasme" sur votre blog spécialement créer pour suivre l'avancée du projet. On retrouve le mot spectre dans sa double définition. Le spectre, c'est la lumière, mais certains textes ont quand même quelques couleurs morbides.
Le site existait effectivement avant la sortie de l'album. Je voulais que le public puisse aller voir comment l'album se construisait sans pour autant qu'il se transforme en blog quotidien. Il fallait laisser une place à l'imaginaire et que l'on puisse s'amuser avec les définitions sur le fantôme. De ce que j'ai pu voir des réactions au sujet de "La place du fantôme", la première impression ressenti par les gens est qu'il est morbide alors que pour moi c'est une lumière. Cette présence que j'ai tant cherchée, j'ai su la réinventer à travers certains personnages afin de dépasser ce moment difficile. Mais le spectre est aussi lié à la voix. Il y a peu de titres sur cet album car j'ai voulu être précise sur les tessitures vocales et au niveau du tempo sur chaque chanson. Rien n'est anodin dans cet album. Par exemple, je passe en voix de tête sur "Bye Bye", ce que je faisais rarement parce que j'avais du mal à l'assumer. Par contre, dans d'autres titres, je plonge dans les graves. Ces tessitures sont trouvées en fonction des thèmes du morceau pour servir au mieux ce que je raconte.

Il est vrai que ce travail vocal est clairement perceptible d'entrée de jeu. C'est d'ailleurs ce qui différencie "La place du fantôme" de vos précédents albums.
Dans mes autres albums, cette tessiture vocale était moins précise, ce qui me donnait une façade plus joyeuse. J'avais l'impression que les gens ne me voyaient qu'à travers cette unique facette alors qu'elles sont multiples. Et c'est seulement sur le précédent disque que le public a commencé à en découvrir d'autres, alors que j'en avais déjà fait quatre avant. C'est pourquoi j'ai voulu être plus juste pour cet album, ce qui m'a pris du temps.

J'ai tenté d'exploiter complètement ma voix.
La voix est donc utilisée comme un instrument à part entière.
J'ai tenté d'exploiter complètement ma voix. J'ai la chance d'avoir une voix très étendue mais je n'aime pas l'utiliser et en faire démonstration. Ça ne m’intéresse pas. Il faut que ce soit juste et qu'il y ait une certaine vérité dans chaque chanson.

Pour en revenir à vos propos au sujet de la morbidité perçue dans certains titres. Il n'y a peut-être rien d'étonnement à cela car certains morceaux comme "Sucrer les fraises" parlent de l'au-delà. Et puis les histoires de fantôme font appel à la mort.
La mort est surtout présente dans "Sucrer les fraises" et dans une moindre mesure dans "Tu fais ton âge". Mais c'est tout. Dans "Ton royaume", peut-être... Elle est marrante cette chanson. Les côtés sombres de ces labyrinthes, ce sont aussi tous les éléments qui peuvent nous perturber comme les défauts dont on a conscience. Ils deviennent gênants lorsqu'on en prend conscience et qu'on veut s'en débarrasser.

Lorsqu'on parle de fantômes, on parle aussi de revenants, avec la folie et la schizophrénie qui peuvent apparaître. C'est un peu ce qu'on peut d'entendre de voir ici.
Je voulais une pochette en noir et blanc. C'était mon souhait d'être découpée en deux. Lorsqu'on fait ce genre de voyage à l'intérieur de soi, on se surprend parfois. La vie continue d'avancer et on en découvre toujours de nouvelles facettes. C'était une façon de représenter ce dédoublement, c'est aussi moi.

Pourquoi avoir choisi "Ne m'oublie pas" en premier single au lieu de "Bye Bye", qui explique en quelque sorte ce projet ?
C'est vrai qu'il y a des évidences, je n'étais pas contre. Lorsque j'écris des chansons, j'ai envie de toutes les défendre et de toutes les chanter. Mais le choix du titre, ce n'était pas de mon domaine, c'est celui de la maison de disque. Je pense tout de même qu'on me retrouve dans ce titre. Si on était parti sur un "Bye Bye", il l'aurait certainement été plus déroutant pour ceux qui me connaissent déjà.

Regardez le clip "Ne m'oublie pas" de La Grande Sophie :


Parlons de la scène. Aura t-on un univers particulier développé lors de vos prochains concerts ? La Grande Sophie apparaîtra-t-elle sous un voile blanc ?
J'ai toujours soigné l'univers visuel. On va travailler sur le concept de l'éclairage. Tout va se mettre en place comme l'ordre des chansons. Comme j'aime tout construire, le choix des chansons ne sera pas anodin. J'ai quelques idées mais tout va se passer cette semaine où je vais prendre mes marques et voir les liens que l'on peut établir. Je ne sais pas encore comment je serai habillée. J'ai quelques idées en tête mais elles ne sont pas encore fixées

Enfin, on s'attendait aussi à trouver un "ghost track" qui finalement n'apparaît pas sur cet album. L'idée aurait pourtant tout à fait convenu.
La "Ghost Track" ? On s'est beaucoup amusé avec les définitions. Après je ne voulais pas de "Ghost Track". Je ne veux pas rentrer dans des images de Casper et Fantomas dont certains m'ont parlé. Je voulais rester dans mon propre univers.

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