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Fauve en interview : "Les haters ? C'est déstabilisant au début, mais on s'y fait !"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Avec son phrasé percutant et ses textes incisifs, Fauve a réussi en deux ans à fédérer autour de lui une large communauté de fans. Adulé par les uns, décrié par les autres, le mystérieux groupe parisien, qui tient à son anonymat, évoque à cœur ouvert son explosion médiatique et les passions qu'il déchaîne, alors que son nouvel album "Vieux frères - partie 2" est déjà un succès dans les bacs.
Crédits photo : Fauve Corp
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Là aujourd'hui, vous n'êtes que deux devant moi mais Fauve c'est avant tout un collectif. Comment ça fonctionne ?
A la base c'est l'histoire d'une bande de potes, avec plein de projets à droite à gauche. Fauve, c'était juste un de ces projets annexes. Je ne sais même pas si ça s'appelait Fauve à l'époque ! On était trois, et puis on s'est dit que ça serait cool de pouvoir intégrer de l'image à notre musique. A partir de là, le noyau dur a commencé à grossir : on est passés à cinq, puis sept, huit, on a tourné des vidéos, fait de la promotion sur le web... L'idée c'était de garder la porte ouverte à toutes les bonnes volontés, souvent des amis prêts à filer un coup de main ponctuel. Mais tout le monde ne bosse pas sur Fauve à temps plein.

Donc les décisions c'est finalement vous, le noyau dur, qui les prenez ?
Voilà. Ça fonctionne de manière très organique. Ce qui est important, c'est que toutes les disciplines soient représentées dans ce noyau dur. Il y a des gens qui ne jouent même pas de la musique !

Fauve, c'était un projet parmi d'autres
Vous vous souvenez d'un moment précis où Fauve est passé du stade d'un projet entre potes à celui de concret ?
Il y a eu des marqueurs. Le premier, c'est quand on s'est rendus compte que des gens qu'on ne connaissait pas nous laissaient des messages sur Facebook. Ça fait très bizarre. Et puis y'a des indicateurs à la con comme le compteur de vues de notre première vidéo, "Kané", ou quand des pros nous ont sollicités pour la première fois. Il y a eu des phases comme ça. Tout a vraiment commencé à la rentrée 2012, quand on a sorti notre troisième titre "Les nuits fauves". En parallèle, on a entamé nos premiers concerts et Le Monde a sorti un super papelard sur nous. C'est comme si on avait tendu un ressort pendant un an et qu'on l'avait relâché d'un coup.

Et puis il y a eu l'EP "Blizzard" en mai 2013...
La machine s'est emballée à partir de là. Dix-huit mois plus tard, on sort notre deuxième album et on s'apprête à entamer une deuxième tournée aux quatre coins du pays. C'est dingue ! Mais on n'oublie pas qu'avant ça, il y a eu dix-huit mois de galère et d'incertitude, le temps de dessiner les contours du projet et de le construire. Là, après toute la tournée des festivals de cet été, ça se tasse un peu. Ce qui n'est pas plus mal... C'est super mais c'est épuisant. La fin de "Vieux frères - partie 2" s'est un peu faite dans la douleur et dans le stress, à cause de la fatigue. On l'a voulu hein ! Le truc, c'est qu'on n'a jamais été confrontés à ce genre de situation... donc on apprend sur le tas. Au début on s'est dit "On sort un EP, on tourne, un album, on tourne, on compose, un deuxième album, on tourne"... Et c'est ce qu'on a fait. C'est éreintant. Y'a un moment, on a compris pourquoi certains groupes disparaissaient de la circulation pendant trois ou quatre ans entre deux disques.

Visionnez le clip "Kané" de Fauve :



Séparer "Vieux frères" en deux parties, c'était planifié ?
Non, pas du tout. Ça ne devait être qu'un seul album à l'origine. Quand on s'est posés en studio pour faire le catalogue de nos intentions, au niveau des instru, des thèmes, des textes, on s'est rendus compte qu'il nous faudrait au moins 17 chansons différentes pour créer un projet qui nous plaise. Sachant qu'aucun morceau de l'EP n'est dessus ! C'était indigeste, on le savait. Puis l'une de nos tantes a fait une suggestion. « Pourquoi vous sortez pas un album d'abord et puis l'autre six mois après l'autre ? ». Et c'était pas con du tout. Le procédé se fait beaucoup au cinéma, plus rarement en musique. On est partis sur ce concept de manière chronologique, en arrêtant la narration à juin 2013 et puis en la reprenant plus tard, après la sortie de la première partie. On savait qu'il allait se passer plein de choses entre temps, dont on voudrait forcément parler. Et pourtant, là, au moment où tout se concrétise et que la boucle se boucle, on se dit que c'est drôle parce qu'on n'aurait jamais imaginé que le produit fini ressemble à ça...

On a pas de pouvoir de guérison
Qu'on dise que vous faites de la "musique générationnelle", ça vous inspire quoi ?
C'est joli de dire ça, mais on ne se reconnaît pas vraiment là-dedans. On a toujours voulu se distancer par rapport à cette formulation parce qu'il suffit de jeter un coup d'oeil au public qui vient nous voir en concert pour se rendre contre que c'est faux : il y a des ados, des trentenaires, des quadras... C'est très hétéroclite. Et puis on ne fait pas l'unanimité auprès d'une génération. Ce serait très prétentieux de notre part de se proclamer porte-drapeau, ne serait-ce que pour les gens qui n'adhèrent pas à notre projet. Faut vraiment être mégalo ! Quand bien même ce serait le cas, on n'a pas envie de l'assumer non plus. Si quelqu'un compte sur toi alors que toi t'as juste l'impression d'être un clampin avec tes potes qui n'a pas les épaules en béton armé... Ça peut vite être très pesant.

Depuis la parution du premier EP, est-ce que c'est troublant de voir à quel point vos textes trouvent un écho dans le coeur de milliers de personnes ? J'imagine que vous devez recevoir de nombreux témoignages touchants...
On ne s'y attendait pas du tout, pour être honnête. Faut remettre les choses dans leur contexte : à l'époque, on avait l'impression de ne parler que de nos p'tits nombrils. Fauve, ça a été pour nous un exutoire, un moyen d'exorciser nos peurs, nos doutes et nos angoisses. Qui ça pouvait bien intéresser ? Personne et on s'en foutait parce qu'on avait l'impression de faire quelque chose de nos dix doigts et de se faire du bien. C'est une démarche égoïste et égo-centrée, une thérapie. Alors les réactions qu'on reçoit en retour, c'est très surprenant. Souvent très émouvant. Parfois déstabilisants aussi, parce qu'on nous confie des choses très fortes sur lesquelles on a besoin de prendre du recul. C'est un exercice très compliqué de décrypter et gérer les signaux que tu reçois. On est à la fois pétris de gratitude, pour toutes ces personnes qui nous permettent de vivre ça, et en même temps il faut savoir aussi se protéger et ne pas se laisser happer par ces émotions. Qu'on apporte du réconfort à des personnes dans le besoin, c'est super. Sauf que ce n'est pas fait exprès. On n'a pas de pouvoir de guérison ! On n'a donc pas envie de porter cette responsabilité, par humilité. Fauve, c'est un peu comme un logiciel open source : on le met à disposition de tous et si ça en peut aider certains, c'est tant mieux.

Les haters ? On s'y fait
Est ce que ce retour, en bien ou en mal, n'est pas symptomatique de la société d'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux qui poussent les gens à s'exprimer librement et de manière plus tranchée ?
Internet offre une vision tronquée de l'opinion des gens. Ceux qui trouvent notre musique bien sans être géniale, pas terrible sans trouver ça nul, ils ne donnent pas leur avis donc ils ne se font pas entendre... ce qui nous donne des réactions très extrêmes entre les fans dévoués et les haters. C'est très déstabilisant au début, parce que tu es persuadé que c'est la vérité. Tu ne comprends pas pourquoi des personnes seraient aussi haineuses ou aussi dithyrambiques. Mais c'est la règle du jeu ! On s'y fait. Nous on s'est beaucoup développés grâce à cette communauté virtuelle. Donc on est fair-play : on l'accepte.




Dans ce deuxième album, l'humeur est différente du premier, plus optimiste. Par exemple sur "Parrafine" vous dites : « J'crois que j'suis plus heureux, moins amer, moins en colère qu'avant / Plus apaisé aussi j'espère ». C'est de grandir avec l'épopée Fauve qui a apaisé vos inquiétudes ?
Y'a un "j'crois" quand même, tu noteras ! Mais c'est vrai : tu ne peux pas vivre un truc pareil sans que ça te marque en profondeur. C'est impossible. Alors il est plus lumineux, oui, parce qu'il se base sur des événements fous. C'est important de fixer ce moment, pour ne pas l'oublier.

On a eu un besoin d'exprimer de belles choses
Certains fans de la première heure risquent d'être surpris...
On n'a jamais fait de la dureté notre fond de commerce. C'est de la sincérité, dans les bons moments comme dans les mauvais. C'est ça notre oxygène. Il n'était pas question de faire un disque véner juste pour être sûr de ne pas perdre les gens qui nous suivent depuis le début ! Ça aurait été ridicule. Et puis on a eu un vrai besoin d'exprimer des belles choses. Il y a avait déjà des morceaux comme "Vieux frères" dans le premier album ou les RAG, plus enjoués que le reste. Après, la vie reste ce qu'elle est et tu ne sais pas de quoi demain est fait... Mais on est pas gens tristes. Fragiles peut-être, un peu bancals, hyper anxieux et donc parfois désarçonnés, oui. Mais pas tristes. On a jamais cultivé la tristesse ou la destruction. C'est tout le mal qu'on peut nous souhaiter, d'aller mieux !

En même temps, vos angoisses sont toujours là. Sur "Azulejos" et "Bermudes" notamment.
Ben ouais, tu as toujours des moments où tu en ras le cul. (Rires) On ne peut pas schématiser l'ensemble du projet "Vieux Frères" de façon manichéenne, avec l'EP et le premier album très sombres, puis le deuxième album joyeux, fini les soucis et on est profondément heureux. Y'a des petites colorations qui vont teinter l'un et l'autre. Quant on nous parle de ce deuxième disque, on fait souvent l'impasse sur une dimension qui est peut-être moins marquée et plus subtile mais tout aussi importante : on est un peu plus ouvert sur le monde extérieur. "Les hautes lumières", c'est un titre qui se construit sur l'idée de deux personnes, "Révérence" rend hommage à une famille de vieux frères beaucoup plus large qu'à nos débuts... Sur "Juillet (1998)", le personnage porte son regard sur ce qu'il voit dans la rue et dans le métro au contraire de celui de "Voyou" sur le premier album par exemple, qui est enfermé sur lui-même.

Conclure l'épopée "Vieux frères" avec les notes d'espoir des "Hautes lumières", c'était donc une évidence pour vous ?
On aime bien les happy end. (Sourire) C'est une chouette fin.




On parle beaucoup de vos textes et de votre phrasé, en oubliant parfois le soin particulier que vous portez aux mélodies. Sur "Tallulah" par exemple, on s'évade vers des sonorités africaines... Vous aviez envie d'explorer de nouveaux horizons ?
De proposer quelque chose de différent, oui. Et de nous surprendre nous-mêmes avant tout ! On s'est imposé une espèce de petit cahier des charges, au niveau des prods mais aussi du discours. C'est moins premier degré, plus abouti. Par rapport à notre éducation hip-hop, on a senti ce gros besoin de ramener plus de percussions.

Se surprendre soi-même avant tout
On sent effectivement l'influence du rap français des années 90-2000 sur un titre comme "Bermudes" : la Fonky Family, IAM... C'est une période dans laquelle vous vous retrouvez ?
C'est tout un pan de notre adolescence. Ce côté old school, on y tenait beaucoup pour que la musique puisse porter cette même évolution. Mais on était plus Akhenaton que Rat Luciano !

On vous a récemment vu reprendre "Pour que tu m'aimes encore" de Céline Dion dans une émission radio. Chanter une chanson dans son intégralité, c'est au programme ?
On chante déjà un peu sur "Infirmière", "Nuits fauves"... Mais un titre sur lequel on chante du début à la fin ? Ce n'est pas prévu ! Enfin, rien n'est prévu mais on ne l'a pas fait et on a pas ressenti le besoin de le faire, donc il est peu probable que ça arrive. C'est très contraignant, pour des raisons évidentes de mélodie, de vers, de pied, tout. Ça bloque l'intensité du texte, à laquelle on est attachés.

Regardez le clip "Bermudes" de Fauve :



Vous souhaitez préserver votre anonymat et vous refusez d'apparaître dans des émissions télévisées. J'imagine que c'est à la fois un confort pour votre vie personnelle mais aussi une contrainte pour votre vie professionnelle. Vous n'avez jamais regretté cette décision ?
C'est une contrainte de chaque instant. On l'a fait pour des raisons qui nous tiennent à coeur. Parce qu'on ne voulait pas individualiser les tâches, mettre des visages sur le projet... Parce qu'on est un collectif. Encore une fois, ça fait partie du jeu ! Ce choix, on ne l'a jamais regretté malgré les sacrifices. On a bien conscience des barrières que ça impose, sauf qu'on n'a pas un concept malin qui nous permette d'avoir les avantages sans les inconvénients... comme Daft Punk ! On aurait dû mettre des casques. (Rires) Ceci dit, ça nous a forcé à développer d'autres aspects du projet, et notamment l'image. Plus qu'une contrainte, on le voit comme une opportunité de se dépasser.

La musique est un produit gratuit
Vous pensez quoi du débat qui agite la profession autour du streaming et de la rémunération des artistes ?
On part du principe que la musique est un produit gratuit, aujourd'hui. Nous on a entre 25 et 30 piges, on fait partie d'une génération qui payait ses albums mais faut pas se leurrer : de nos jours, dans le meilleur des cas, t'as un abonnement premium en streaming, sinon tu vas sur YouTube ou tu télécharges illégalement. On a pas de chiffres, pas de stats sur ces données donc on est peut-être pas les mieux placés pour parler de ce sujet mais nous ce qu'on se dit, c'est qu'on arrive à vivre d'un produit gratuit. Rien que ça, on se sent hyper privilégiés et ça ne sert à rien, à notre sens, de bloquer le truc en retirant son catalogue des plates-formes comme certains artistes ont pu le faire. Tu vois, lundi matin quand le deuxième album est sorti, à 9h toutes les chansons étaient sur notre chaîne YouTube. Nos places de concerts ne sont pas trop chères, on essaie de faire "pression" sur les magasins pour que notre disque soit proposé à un tarif abordable... Tu ne rattrapes pas une économie qui est en train de se casser la gueule en gonflant les prix. Peut-être que la musique sera, à terme, comme la télévision ? Avec une redevance que tu paies à l'année pour l'écouter de manière illimitée. Toute la question, c'est de savoir comment cet argent récolté sera reversé de manière équitable entre tous les acteurs de l'industrie. Nous on a pas de solution miracle. On fait le maximum avec ce qu'il y a.

Après la grande tournée qui débute ce mois-ci, les festivals, Rock en Seine... Il se passera quoi ?
On ne sait pas. Et en toute franchise, on est attachés à l'idée de pas savoir.
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