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Claude en interview : "Je ne fais pas de la musique heureuse, il y a Pitbull pour ça !"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Claude a charmé le public de We Love Green lors de son édition 2025. Croisé dans les coulisses du festival, le jeune chanteur révélation fait le bilan de son année, de son premier album "In Extremis" et se confie sur la suite de sa carrière.
Geray Mena
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Tu viens tout juste de donner ton premier concert à We Love Green. C'était comment ?
C'est un soulagement, en vrai. C'est ma première véritable saison de festival ! Là, on doit être à notre sixième ou septième date de l'été. Il y a ce truc très particulier de multi-scènes, avec des gens qui ne sont pas là et qui, d'un coup, arrivent. Ça, c'est terrifiant : tu es en train de monter ton matos sur scène, tu fais des petites balances, ton soundcheck, et puis en fait tu regardes et il y a déjà des gens qui arrivent. Il y a 40 personnes qui sont assises devant, qui attendent le concert, ceux qui connaissent très bien. Mais la majorité des gens ne sont pas encore là. Tu descends de scène, et quand tu remontes, d'un coup tu as 4.000 personnes devant toi. Et là c'est un peu terrifiant. (Rires) Donc les premières secondes je me suis dit : "Merde, il y'a énormément de monde". Très vite, on était dedans parce que les gens étaient adorables. On avait un petit stress d'être convaincant pour un dimanche après-midi. En fait, j'ai l'impression que les gens étaient quand même chauds, ils étaient quand même là. Ils étaient adorables. À partir de là, c'était un plaisir pour tout le concert.

C'est difficile de redescendre après l'adrénaline du concert ?
En vrai, je redescends très très vite. Deux minutes après, je suis normal. (Sourire) Je pense que même si j'essaye d'être complètement libéré sur scène, la réalité, c'est que je suis quand même un peu en dissociation. Ce qui fait que je ne suis pas dans cet état de transe qui fait que quand je descends de scène, je me demande ce qu'il se passe. Je n'ai pas besoin de m'allonger une heure pour redescendre. Une fois que c'est terminé, c'est terminé. Mais ça n'empêche pas de profiter, même si c'est quand même assez maîtrisé. Je ne suis pas complètement hors contrôle comme sur scène.



J'ai beaucoup de chemin à faire avant d'être une révélation
Ton album "In Extremis" est sorti l'année dernière. Ce statut de "révélation" est-il pesant ?
Non, pas vraiment, je pense que c'est flatteur, c'est cool, c'est sympa. Je pense que ce n'est pas encore converti. J'ai beaucoup de chemin à faire avant d'être une révélation ! Donc c'est gentil les médias qui me disent ça, c'est sympa et ça fait plaisir. Mais il reste encore beaucoup de choses à faire. Ce qu'il faut, c'est faire surtout de la bonne musique pour convaincre de plus en plus de gens.

Tu as choisi Claude comme nom de scène : pourquoi ce prénom ?
Parce que je ne voulais pas mon blase. (Rires) J'aime bien l'idée d'avoir un alter ego, il n'y a pas beaucoup de situations où tu peux en avoir. Tu ne peux pas être dans le monde du travail normal et dire "Bonjour, je m'appelle Princesse KO XXX". C'est possible dans la musique car ça te permet de trouver un personnage. Je voulais avoir un blase très court, monosyllabe, un peu "bloc". Claude : c'est tout petit, c'est très rapide, j'aime bien.

C'est aussi une façon de se cacher derrière un personnage ?
Un peu oui. Pas se cacher, c'est pas une histoire de se cacher... La musique dit certaines choses, elle ne raconte pas toute la vie de quelqu'un. Donc en gros, ça ne sert à rien d'être soi-même en entier. C'est bien d'avoir un personnage qui permet de sélectionner ce qu'on dit, ce qu'on présente, de sélectionner un peu les parties de la vie qu'on a envie de révéler aux gens.

Claude : c'est tout petit, c'est très rapide, j'aime bien
Ton album s'appelle "In extremis", mais c'est aussi un album des extrêmes. Il mélange ballades mélancoliques et gros beats électro. Comment arriver à faire cohabiter ces émotions ?
Je pense qu'on ne s'est pas posé la question, on voulait juste s'amuser. On voulait vraiment faire des morceaux sur le tas. Donc automatiquement, au bout d'un moment quand tu fais des morceaux qui sont sur le tas, t'arrives à du très lent et à du très vénère. Ou inversement, à des trucs instrumentaux et à des choses avec beaucoup de textes. Ces extrêmes-là sont nécessaires quand tu veux faire de la musique différente d'un morceau à l'autre.

On y retrouve aussi trois instrumentaux, placés en début, milieu et fin d'album, comme un chapitrage...
Tout à fait ! Il y a "Réveille-toi" qui est le morceau d'intro : on voulait vraiment le présenter comme une introduction à la journée normale de quelqu'un. "Réveille-toi tout de suite" et tu as tous tes problèmes, tout ton bordel de ta vie qui arrive pour le reste de l'album. Tu as "Changement à Mannheim" qui parle de changement, donc de changer de train, mais en vrai c'est un changement, car il est pile au milieu de l'album et il permet de passer d'un côté de l'album à la deuxième face. "La nausée", c'est exactement ce qu'il fallait dire sans paroles. On ne s'est pas trop posé la question parce que c'était pertinent. C'est un premier album, donc à la fois c'est très important, mais c'est aussi l'occasion d'explorer beaucoup de choses. Parce qu'après, la carrière, c'est un peu plus... Enfin, je n'en sais rien d'ailleurs, mais j'imagine que ça peut être un peu plus cadré parce qu'il y a des attentes. En ce moment, on est en train de faire beaucoup de musique. Je sais que là, on fait quelque chose qui est quand même plus contrôlé en termes de texte. On s'amuse beaucoup mais je ne pense pas qu'on va se permettre de faire des morceaux qui n'ont rien à faire les uns avec les autres. On essaie de faire attention.



Ce qui m'a beaucoup intéressé, c'est la construction, le séquençage de l'album, qui commence sur quelque chose d'assez intime pour aller vers quelque chose de plus exutoire.
Je pense qu'il y a un peu un accident dans tout ça. Moi, je n'avais jamais conçu d'album donc il n'y avait pas vraiment d'idée. Je savais où je voulais mettre "Réveille-toi", "Changement à Mannheim", je voulais que les titres "Addition" et "Soustraction" soient en symétrie... Finalement, on n'a pas réussi parce que ça ne collait pas. Ça ne collait pas parce qu'en fait, en faisant ça, j'avais un album qui faisait des vagues en termes d'énergie : haut, bas, haut, bas... Ce n'est pas comme ça qu'on construit un album. Effectivement, on s'est retrouvé avec un début d'album plus lent, plus concis, plus retenu. Et au fur et à mesure de l'album, on est arrivé sur un truc beaucoup plus libérateur et "pétage de câble". Parce que c'était comme ça que ça marchait le mieux pour pouvoir l'écouter en boucle.

Je suis hypocondriaque, ça peut me flinguer des journées

Entre toi, Zaho de Sagazan ou encore Yoa, il y a une appétence des nouveaux artistes français pour l'électro. Comment l'expliques-tu ?
C'est vraiment une question de génération, de ce qu'on a écouté. Il y a un peu une histoire de coïncidence aussi. Zaho de Sagazan et moi, des deux côtés de la France, on a été biberonnés aux mêmes choses dans l'électronique. Alors qu'en fait, c'était un accident ! Effectivement, moi j'ai écouté beaucoup d'acid house, beaucoup de musique électronique, et je ne connaissais pas la chanson française. Et je ne la connais toujours pas d'ailleurs. C'est juste que je voulais chanter, je voulais écrire des choses, donc j'ai écrit en français, ça fait de la chanson française avec de l'électronique. Zaho, elle, est très fan de chansons françaises, elle sait créer de très belles chansons, et ensuite en changeant sa couleur, l'électronique a fait son entrée. Ce sont un peu des accidents car ça s'est produit au même moment... Il faut ajouter tous les logiciels de production qui facilitent la tâche à tout le monde, et qui permettent à des gens qui n'ont pas forcément des bases de musicien de créer des trucs de dingue. Ces gens-là souvent, on les retrouve dans l'électronique parce que c'est un genre musical qui est très propice à la création sur ordinateur. Tout ça a fait qu'on s'est retrouvé avec beaucoup de gens qui commencent à rajouter un peu d'électronique, des éléments d'EDM, d'acid house, de breakbeat... Je ne sais pas si c'est la norme aujourd'hui, mais j'ai l'impression que tout le monde veut mettre ça là-dedans. Nous, à la fois, on continue dans ce qu'on fait actuellement, mais on essaye justement de trouver un nouveau truc qui ne soit pas un peu du réchauffé, parce que sinon ce serait un peu ennuyant.

J'ai isolé trois phrases de ton album : "Faut faire avec", "Aujourd'hui, je suis heureux, mais je me prépare toujours au pire" et "In extremis au bord de la crise de nerfs". Pour toi, quelle phrase représente le mieux l'album ?
"Aujourd'hui, je suis heureux, mais je me prépare toujours au pire". Je suis très content que tu aies repéré ce morceau-là parce que c'est clairement un de mes préférés. Quand j'écoute cette phrase, je trouve qu'elle symbolise exactement ce que veut dire l'album. C'est vraiment le propos de l'album en général, la phrase parfaite à mes yeux. Elle n'a pas de rime, elle n'est pas très belle, elle n'est pas très intelligente, mais elle dit quelque chose. Et c'est quelque chose qui me revient beaucoup. Je fais attention quand j'écris les textes parce que j'y reviens beaucoup à ce sentiment-là. Le fait de me dire "Là, ça va, mais prépare-toi à ce qui arrive derrière, qui sera moins bien". C'est un peu un enchaînement de mauvaises surprises. (Il sort son téléphone) Je vais écrire "mauvaises surprises", ça j'aime bien !



Je n'aime pas les rééditions, c'est rare qu'il y en ait une bonne
Il y a une thématique forte dans l'album, et assez "insolite", celle de l'hypocondrie. C'est quelque chose qui te touche ?
Un premier album est un album de présentation, donc il faut dire ce qu'on est. Et c'est probablement un des traits de personnalité les plus évidents chez moi. Tous les gens qui me connaissent bien savent que c'est probablement un des trucs les plus importants de ma vie. Malheureusement, je suis hypocondriaque : ça peut me flinguer des journées, des mois, des semaines. Pendant une grosse partie de ma vie, c'était vraiment handicapant. Je passais vraiment mon temps à m'ausculter en rendez-vous médical, même si je n'avais rien. Donc c'est tellement important que ça aurait été dommage de ne pas en parler. En plus, c'est un exercice d'écriture facile : tu te connais par cœur, tu sais ce qui tu es, donc les phrases viennent toutes seules. C'est très révélateur de ce que je suis. Et ce morceau me touche beaucoup.

Tu disais à la sortie de l'album que "la musique joyeuse, ça ne m'intéresse pas". Et tu disais que "Le label a essayé de me faire écrire une chanson joyeuse". Est-ce que depuis, ça a changé ?
Ce sont des gens absolument adorables qui ne forcent à rien du tout. Par contre, ils m'ont invité à essayer des trucs... Mais je te répondrais oui et non. Ça n'a pas changé dans le sens où on ne fait pas de la musique "purement heureuse". Chacun son truc. Pour la musique purement heureuse, il y a Pitbull, il y a des morceaux ultra universels qui font ce job et c'est très bien ! (Rires) Moi, je pense que c'est pour ça qu'ils m'inspirent. Le bonheur, ce n'est pas un truc où je trouve des trucs à dire dessus. Je n'ai pas envie de faire un morceau sur les vacances. Ça ne m'attire pas plus que ça. Par contre, dans la couleur musicale, en ce moment, on cherche notamment à varier un peu. On va avoir encore plus de couleurs. Il y aura des morceaux où, justement, on a quelque chose qui peut être très solaire, même si dans le propos, ça reste moi. Et on essaie de voir un peu comment on peut organiser ça, mais c'est toujours le cas sur les textes.

J'étais déçu de ne pas être aux Victoires mais je m'y attendais
Avec ces alternances entre ballades et électro, comment construis-tu ton live ?
Ça se construit avec les personnes avec qui j'ai fait ce live. On a été accompagnés par deux directeurs musicaux qui sont de très bons amis et des instrumentistes fantastiques. C'est Alexis Delong, avec qui j'ai fait mon album. Il connaissait toute la musique par cœur, on a tout fait ensemble. Et un autre bonhomme qui s'appelle Tom Geffray, qui est musicien et directeur musical de la tournée de Zaho de Sagazan, qui est un très bon ami. On s'est rencontrés grâce à la musique dernièrement. Ces deux personnes ont une compréhension du live, une créativité de fou furieux et ils veulent tenter plein de choses. On a pris le temps, plus de trois semaines, pour reprendre tous ces morceaux et les repenser vraiment en live. Et ça donne ce résultat ! Mais l'idée est toujours la même : les morceaux n'ont pas besoin de faire deux minutes. Parfois il faut, mais si on a un morceau de trois minutes qu'on va pouvoir étirer sur neuf minutes, on va le faire car c'est ça qu'il faut. Il n'y a pas trop de barrières en termes de créativité, en termes de repenser les morceaux.

À ma grande surprise, tu n'étais pas nommé aux Victoires de la Musique cette année. Cela t'a déçu ?
Deux choses. Déjà, je m'y attendais complètement. Et j'étais déçu bien sûr. Mais parce que dans tous les cas, je suis quelqu'un qui est très scolaire, qui fonctionne beaucoup aux récompenses. Évidemment que ça aurait été cool. Mais la réalité, c'est qu'il y avait d'autres artistes ultra méritants cette année, tous les artistes qui ont été nommés sont trop talentueux et méritaient complètement de l'être. Il y a des places limitées et c'est comme ça. Il y a aussi l'histoire de la structure : je suis dans un petit label indépendant, on n'a pas la force de frappe des grosses structures. Ce qui fait qu'on y va un peu plus au bluff : on espère que les gens vont voter, mais rien n'est garanti. Donc, mini-déception, mais en vrai, je m'y attendais un peu aussi. Effectivement, tous les médias que je voyais me parlaient des Victoires...



On travaille sur la suite, un deuxième album
Tu as chanté un inédit sur scène, "Les reproches". De nouvelles chansons arrivent ?
"Les reproches", c'est un morceau que j'affectionne de tout mon coeur, mais qui n'est pas terminé, on a encore plein de travail dessus. On reprend les festivals la semaine prochaine, mais là, cette semaine, on part en résidence pour faire de la musique. On a commencé à travailler et "Les reproches", il est un peu fondateur de la suite. J'ai dû l'écrire au moment où l'album est sorti. J'étais déjà en train d'écrire d'autres trucs et il y avait ce morceau-là qui était là. J'aime beaucoup et on va voir ce que ça donne. Je suis trop content de le chanter en live parce qu'en fait il n'y a pas de pression, il n'y a rien, les gens le découvrent.

Ce serait pour une réédition ou un deuxième album ?
Un deuxième album. Je n'aime pas les rééditions : c'est très rare qu'il y en ait une bonne. Dans les faits, c'est un exercice marketing pour revendre des vinyles, des albums, des CD, vraiment des places de concert pour Noël, les festivals... Ce qui est tout à fait normal, ça fait partie du circuit. Quand ce sont des albums qui se sont extrêmement bien vendus, c'est très bien. Moi, j'ai un album qui fait son chemin tranquille, mais je n'arrivais pas à changer énormément de choses sur une réédition. Donc je préfère recréer une identité vraiment forte et avoir un deuxième album où on a pensé de bout en bout chaque morceau, et pour que ce ne soit pas juste du rajout. Je ne veux pas rajouter du trop-plein à mon album, il n'y en a pas besoin. C'est plutôt fondateur pour la suite.