Le nouveau Président des Victoires de la Musique, Thierry Chassagne, a voulu renouveler la cérémonie aux 25 ans dexistence. Après une première soirée, le 9 février dernier, où Ben l'Oncle Soul, Stromae, Gaëtan Roussel, Hindi Zahra ou Lilly Wood & The Prick ont notamment décroché un trophée, lacte II attribuera mardi soir six trophées. Une volonté «
d'être plus dynamique sur le programme » et moins long (2 heures 30 au lieu de 4 heures 10).
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Mardi soir se déroulera la seconde partie des Victoires de la Musique. Pourquoi cette division en deux cérémonies ?
Thierry Chassagne : On sétait aperçu que sur les Victoires passées, on était arrivé au bout dun cycle. Cétait une émission qui durait très longtemps. La dernière cérémonie avait duré 4 heures 10, et comme on souhaitait être plus dynamique sur le programme, il fallait réduire le temps. Mais sans supprimer de Victoire, et surtout de performances dartistes à la télé. Alors cétait une bonne occasion de le faire en deux parties. Et deux parties, cest deux émissions de 2 heures 30 soit 5 heures, sans compter les rediffusions. Du coup, ça donne plus de visibilité aux artistes qui aujourdhui ont du mal à être exposés à la télé.
Une autre cérémonie a beaucoup fait parler ces dernières semaines : les NRJ Music Awards. Peu dartistes se retrouvent dans les deux cérémonies, pourquoi ?
Cest assez différent : les NRJ Music Awards, ce nest pas une cérémonie dune profession, cest une cérémonie dune radio. Donc de fait, on est plutôt sur les artistes qui sont joués sur cette radio. C'est-à-dire que si vous nêtes pas sur cette radio, vous ne pouvez pas avoir accès aux NRJ Music Awards. NRJ est une radio importante, mais en même temps elle nest pas la seule radio. Vous avez des radios comme France Inter, RTL, Skyrock, Fun Radio : toutes ces radios ont des formats différents, de façons très larges et donc cest normal que des artistes qui vendent en France ne passent pas sur NRJ. Dailleurs on l'a vu, il y a des artistes sur NRJ qui ont eu des prix cette année, et qui nétaient pas forcément dans le succès objectivement de lannée, ce qui dailleurs nen fait pas de mauvais artistes. Un bon artiste nest pas forcément un artiste qui vend. En revanche, si on est dans une cérémonie, il faut au moins que ça corresponde à une photographie de ce qui sest passé dans lannée.
Comme dans tout palmarès, il peut y avoir des oubliés. Cette année, il y en a peut-être un peu moins, mais il y en a quand même. Je parle dartistes qui ont marqué lannée, soit en ayant fait beaucoup dentrées en concert, soit en ayant vendu beaucoup dalbums. Je pense à Yannick Noah, il a joué au Stade de France et quil est la quatrième meilleur vente de lannée avec son album. Il était au première tour, il nest pas au deuxième tour, je trouve ça dommage. Si on prend David Guetta, je trouve ça dommage aussi. Si on prend la musique urbaine, cest vrai quil y a eu une polémique sur Sexion dAssaut et je pense quils ont dû être affectés par le vote de lacadémie là-dessus. En même temps, ils ont vendu plus de 300 000 albums et cest un groupe qui existe et qui a vraiment marqué la musique urbaine cette année ; cest dommage quils soient au premier tour et pas au second. Vous avez également
Véronique Sanson : elle était au premier tour, elle aurait pu être au deuxième, elle est en tournée, ça se passe bien. De toute façon dans toute cérémonie avec des prix, que ce soit en France ou à létranger, on trouvera toujours un ou deux artistes qui peut rester au bord de la route, cest dommage mais ce sont les limites de lexercice.
Qu'avez-vous pensé des polémiques autour des NRJ Music Awards, de Jenifer et M. Pokora notamment ?
Très honnêtement, si on prend le cas de M. Pokora, qui est un artiste que jaime vraiment bien et qui au-delà de son expression artistique est quelquun de sympa, je trouve qu'on ne peut pas dire qu'il ait marqué lannée et ce nest pas négatif contre Matt, parce que vraiment je laime bien. Et il serait chez moi (ndlr : Warner Music), ce serait exactement pareil, je dirais la même chose. On ne peut pas dire que cette année son album ait fait un carton, quil ait fait des tournées à guichets fermés etc. Sil avait été dans le cadre des Victoires, les gens auraient trouvé ça étonnant. Si on prend les artistes masculins de lannée, Aubert par exemple, na jamais sorti un album aussi bien, un album qui a beaucoup vendu. Lavilliers, cest la première fois quil est récompensé et cest son dix-huitième album et pourtant il a vraiment marqué la chanson française sur les trente dernières années.
Et en revanche pour Mylène Farmer, pas nommée cette année ?
Non, je crois que sur
Mylène Farmer cest différent. Elle ne rentrait pas dans les cadres. Vous savez il y a des dates, et elle ne rentrait pas dans les dates qui faisaient quelle ne pouvait pas être nommée aux Victoires.
Donc on peut limaginer nommée lannée prochaine ?
Personnellement en tant que Président des Victoires, je dois faire en sorte que toutes les musiques soient représentées et que le public qui est devant sa télé se dise pas «
moi je le connais pas » ou «
tiens, jai acheté le disque de Mylène Farmer et je ne la vois pas aux Victoires ». Donc si
Mylène Farmer peut être aux Victoires, vraiment jadorerais. Si ça doit être une invitation, avec grand plaisir. Cest une grande artiste qui remplit le Stade de France, on voit que ses ventes ont été exceptionnelles. En plus, elle a su s'entourer au niveau production, elle a pris des risques. Elle n'a plus rien à prouver, et pourtant elle se remet en question artistiquement. Et on voit en plus que ça fonctionne, donc forcément on aurait voulu que
Mylène Farmer soit là mais au même titre que
Yannick Noah ou David Guetta. Cette année, on a fait beaucoup de changements en peu de temps. Je ne suis pas le seul à décider, il y a un conseil dadministration, des diffuseurs, il faut arriver à faire en sorte que ces gens-là cohabitent. Tous nont pas forcément les mêmes attentes ou la même connaissance du marché. De fait, ça doit être piloté avec beaucoup de diplomatie et faire en sorte que lensemble des gens de cette profession qui abondent dans le sens des Victoires puissent avoir de la satisfaction. Pour moi, jai trois catégories de population qui à larrivée doivent être heureux : cest avant tout les artistes parce que ce sont eux qui font les performances et cest important quils soient dans de bonnes conditions pour exposer leur art. Ensuite, les téléspectateurs parce que cest important, cest une émission de télé qui est en plus en deux parties. Les Victoires, si on rajoute le classique et le jazz, cest 4 émissions de télé et cest le but de cette association : exposer toutes les musiques sans laisser des gens au bord du chemin et faire en sorte que le public soit au rendez-vous et se dise «
tiens, cest une émission différente, en classique. Tiens cest super ce quils ont fait en variété. Tiens en jazz cétait cette année en extérieur à Juan-les-pins et cétait super ». Cest aussi notre responsabilité en tant quassociation des Victoires de la musique de proposer quelque chose de qualitatif, de différent et où le téléspectateur se retrouve. Et bien évidemment la troisième, ce sont les gens qui sont représentés au sein de lassociation des Victoires et qui font partie de cette filière de façon très élargie. Cest la seule fois dans lannée où lensemble de la filière est ensemble derrière un projet, ce qui est important. Ce nest pas toujours le cas, parfois on est en opposition. Là, lidée cest de faire une grande cérémonie où tout le monde est heureux et que ça se passe bien. Et donc tout le monde est heureux si effectivement lensemble de cette population est heureuse.
Selon vous, la musique payante est-elle aujourd'hui dépassée ?
Je ne pense pas que ce soit dépassé. Je pense quil y a différents formats qui existent. Le format gratuit déjà nexiste pas : vous allez acheter votre baguette, vous nallez pas avoir votre baguette gratuite parce quil y a un panneau de pub au-dessus de la boulangerie, ça nexiste pas. Donc le vrai problème cest la monétisation de la publicité. Cette publicité ne remplace absolument pas tout. Le vrai problème de fond cest comment produire de la musique ? Cest un coût. On sait aujourdhui quil y a huit artistes sur dix qui perdent de largent et quà un moment donné, il faut bien les produire. Ils rapporteront peut-être de largent au deuxième ou troisième album mais en attendant ils en perdent. Produire un artiste ça coûte beaucoup dargent, mais les gens ne sen rendent pas compte. Pour eux, une fois que cest sur Internet, ils nont pas limpression quil y a eu tout un travail de studio avec des musiciens payés, des clips de réalisés, du marketing, de la distribution et des gens qui ont travaillé dessus, des employés, des gens passionnés en plus.
Le nouveau single de Lady Gaga, "Born This Way", s'est téléchargé 450 000 fois en trois jours aux USA, 60 000 fois en Angleterre et seulement 11 000 fois en France. Peut-on parler d'exception culturelle française ?
Non, on sait quen France, le digital se développe plus lentement que dans dautres pays. Les pays dont vous parlez sont des pays dune culture très musicale où le digital est beaucoup plus développé. Aux Etats Unis, cest 50% du marché en digital. On a vu cette année que les sites de streaming ont beaucoup progressé. Voyez une offre très attractive entre Orange et Deezer ; aujourdhui on est à plus de 500 000 abonnements, ce qui est énorme. Dautres acteurs arrivent sur le marché. On est vraiment à lorée dun vrai décollage du digital avec des formes de consommation différentes ce qui est vraiment intéressant pour le consommateur parce quil a le choix. Donc oui, aujourdhui on n'est qua 16% de musique en digital mais on pense que ça peut très vite décoller. Et ce dautant plus que la loi HADOPI va être appliquée de façon un peu plus intensive sur ce semestre.
Les Prêtres ou Nolwenn Leroy, avec son album "Bretonne", sont des succès qui sadressent peut-être plus à un public plus âgé. Le public sénior est-il un eldorado pour l'industrie du disque ?
Je pense que si on se dit que le public sénior est leldorado, les producteurs de musique ne vont pas rester très longtemps ! En général, la musique a été très prescriptrice avec les jeunes : ils créent les mouvements. Après, vous avez certains types de musique, et notamment en période de fêtes, avec des ventes qui apparentent plus à des cadeaux. Et c'est ça qui fait en général une clientèle un peu plus sénior, mais tout au long de lannée, on voit que se sont les jeunes font les tendances et les modes. Ils peuvent sapproprier les vrais courants musicaux et je pense quun producteur de musique qui se dit «
je ne madresse plus quaux séniors », est amené à disparaitre, à terme. Ce serait une mauvaise stratégie.
Cette interview a été amendée par Thierry Chassagne.