Jennifer Lopez, Justin Timberlake : pourquoi les grosses tournées font un flop côté ventes

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Coup sur coup, Jennifer Lopez et les Black Keys ont annulé leurs tournées américaines face aux faibles ventes de billets. Les concerts de Justin Timberlake, Nicki Minaj ou Billie Eilish ont également du mal à faire le plein. Mais pourquoi un tel flop ? Éléments de réponse sur Purecharts !
Crédits photo : Bestimage
À chaque annonce de tournée, c'est la même histoire : la mise en vente des places attire des centaines de milliers de curieux, les sites plantent et les rares places (vendues à des prix de plus en plus exorbitants) s'arrachent en quelques minutes, laissant de nombreux fans sur le carreau. Si cela s'est vérifié avec Taylor Swift, Jul, Coldplay ou Beyoncé, la tendance est en train de s'inverser, et notamment aux Etats-Unis. En effet, ces derniers mois, bon nombre de grosses tournées ont beaucoup de mal à faire le plein sur le sol américain. Quitte à parfois obliger les artistes à prendre une décision radicale. Fin mai, les Black Keys annulent discrètement toute leur tournée américaine, prévue dans des grosses salles de 20.000 places. Aucune annonce n'est faite, mais la déprogrammation est repérée par certains médias américains, qui parlent immédiatement de faibles ventes de billets. Au dos du mur, le groupe de rock prend la parole pour parler d'une reprogrammation dans des salles plus intimes... avant de régler ses comptes avec son désormais ancien management. « On s'est fait baiser » a carrément tweeté le batteur Patrick Carney.

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"Qui peut se permettre d'aller à plusieurs concerts ?"


Dans la foulée, c'est Jennifer Lopez qui annule elle aussi sa tournée nord-américaine. Là encore, aucune explication n'est donnée et l'excuse des ventes de places insuffisantes est avancée, au vu des plans de salles disponibles. La chanteuse avait déjà déprogrammé quelques dates puis remodelé sa tournée façon best-of après le flop de son dernier album. Mais certains internautes révèlent que 70% des billets étaient vendus. Alors, info ou intox ? L'annulation successive des tournées des Black Keys et Jennifer Lopez sont loin d'être des cas isolés. Derrière le carton des tournées de Taylor Swift, Madonna, Bruce Springsteen ou Beyoncé, bon nombre d'artistes peinent à remplir leurs concerts, laissant croire que la folie post-Covid pour les concerts est révolue. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui pointent aussi du doigt d'autres tournées qui peinent à afficher complet aux Etats-Unis : celle du groupe de rock Wallows, la double affiche hyperpop Charli XCX / Troye Sivan, les stars du rap Metro Boomin et Future, et même Justin Timberlake, Nicki Minaj ou Kacey Musgraves, pourtant très populaires. Dans tous les cas, beaucoup de billets sont encore disponibles pour leurs shows.



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Offre surchargée ou prix des places exorbitant ? C'est un peu des deux ! « Après le Covid, il y avait tellement de demandes pour les concerts de n'importe quel type. Beaucoup de décisions ont, je pense, été prises en se basant sur cette demande. Et maintenant, les choses commencent à se stabiliser après l'explosion post-Covid. En 2022, les gens avaient hâte de retourner aux concerts » analyse Eric Renner Brown, journaliste chez Billboard. Et l'explosion des dépenses y est pour quelque chose : un tourbus peut coûter 100.000 dollars pour six semaines de location, les salaires des équipes augmentent, tandis que le prix des places moyen aux Etats-Unis est passé de 91 à 122 dollars entre 2019 et 2023, à cause des tarifs dynamiques faisant évoluer les prix en fonction de la demande. On se souvient de l'énorme polémique provoquée par certains billets pour Taylor Swift ou Bruce Springsteen vendus jusqu'à 10.000 dollars. Ce pourquoi bon nombre d'Américains préfèrent s'offrir un voyage en Europe, où l'intégralité du voyage (hôtel, avion, concert) coûte moins cher qu'une place de concert dans sa propre ville !

"Le capitalisme à son maximum"


Cliff Russell, spectateur canadien de 39 ans, explique que ses filles voulaient aller voir les concerts de Drake, Billie Eilish ou Olivia Rodrigo. Mais après avoir mis près de 3.000 dollars dans quatre tickets pour un concert de Taylor Swift, « sans compter le transport, le parking et les souvenirs », dépenser 300 dollars pour une place tout en haut des balcons pour un autre concert « n'était pas possible » comme le note le New York Times. « Ce qui était autrefois un prix de place élevé est aujourd'hui devenu la norme. Du coup, tu fais plus attention et tu choisis judicieusement » poursuit Cliff Russell. « Qui peut se permettre d'aller à plusieurs shows ? » ajoute un tour manager : « Deux tickets, ça coûte déjà dans les 200 dollars avec les frais. Si vous allez dîner avant, ajoutez 100 à 200 dollars pour un bon resto. Puis il y a le parking [les salles étant souvent peu accessibles en transports en commun, ndlr], la baby-sitter, les packs VIP si vous voulez en faire une soirée spéciale. On parle d'une soirée à 500 à 1.000 dollars pour un couple. C'est le capitalisme à son maximum ».



« Les Black Keys sont allés au front pour de nombreux artistes qui ne vendent pas si bien » assure un salarié d'une billetterie, interrogé par Stereogum : « Ils devaient jouer à Louisville dans la salle de basket des Cardinals, qui est une des plus grandes d'Amérique du Nord, mais avec une audience ciblée assez pauvre. Et ça se vendait très mal ». Pour lui, l'organisation d'une telle tournée aussi ambitieuse est de la « pure vanité » de la part de Live Nation, qui détient la plupart des salles étasuniennes : « Si vous avez déjà fait une tournée des arenas, c'est plus difficile de faire ensuite une plus petite tournée qui vous fera gagner moins d'argent. Personne ne veut présenter ça à un manager ou un groupe ». Jordan Kurland, co-fondateur de l'agence Brilliant Corners Artist Management, ajoute : « C'est dommage qu'une telle chose ait été rendue publique. Mais c'est le monde dans lequel nous vivons. Les plans détaillés des salles sont disponibles en ligne ».

Des salles à moitié vide


Si le dernier tube des Black Keys remonte à 13 ans, que leur dernier album a sous-performé et que le groupe a sans doute vu trop grand avec sa tournée, le cas inverse se produit également. Très populaire en streaming où il est écouté par plus de 2 millions d'auditeurs mensuels, l'artiste électro Porter Robinson a lui aussi du mal à attirer les foules dans les grandes salles américaines. Sa tournée prévue à l'automne se vend très faiblement, avec des tickets qui peuvent s'acheter à 25 dollars sur certaines dates. « Les données sont très confuses » abonde un tourneur anonyme : « Vous pouvez avoir des millions de streams, mais ça ne veut pas dire que ça va se matérialiser en achat de places. Au contraire, certains artistes qui n'ont pas beaucoup d'écoutes peuvent vendre 2 ou 3.000 billets ».



La France touchée par les faibles ventes en festival


Ces derniers temps, les exemples se multiplient. Courant 2023, Kim Petras a également performé une grande tournée américaine dans des salles aux trois quart vides, bradant ses places à 11 dollars. Là encore, les organisateurs ont misé sur le succès surprise du tube "Unholy" pour espérer faire le plein. On se souvient aussi de l'ambitieuse tournée du groupe de pop indé alt-J en 2018, programmée dans d'immenses salles européennes. Résultat, à l'Accor Arena de Paris, la bande a joué dans un Bercy en demi-configuration et très peu rempli. Dans de plus grosses proportions, l'exemple de Coachella est assez criant : le prestigieux festival californien a connu sa plus faible vente de billets cette année, en raison d'une programmation jugée trop faible avec Lana Del Rey, Tyler the Creator et Doja Cat en têtes d'affiche.



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Les Etats-Unis ne sont pas les seuls impactés. Au Royaume-Uni, certains concerts de la tournée de Billie Eilish ont du mal à faire le plein. A Manchester, il reste beaucoup de places en gradins ou en fosse, ce qui peut s'expliquer par le prix élevé des places, 145 livres pour être debout. En France, ce sont moins les concerts mais plutôt les festivals qui peinent à se vendre. Solidays, Main Square Festival, Vieilles Charrues... Habitués à faire le plein en quelques jours voire quelques heures, ceux-ci ont encore énormément de places à vendre avant d'afficher complet. « Les affiches sont moins fortes qu'après le Covid, lorsque tous les artistes internationaux étaient sur la route. Beaucoup d'artistes étrangers ne tournent pas cet été en France, à cause des Jeux olympiques » reconnaît Malika Séguineau, directrice d'Ekhoscènes (ex-Prodiss).



Dans le cas des Black Keys, de Jennifer Lopez ou même de Justin Timberlake, le flop de leurs derniers albums n'a pas aidé à vendre davantage. Au contraire, d'autres préfèrent miser, à raison, sur la nostalgie. Au lieu de promouvoir son dernier album "Saviors" aux résultats mitigés, Green Day axe sa tournée sur les albums cultes "Dookie" et "American Idiot", interprétés dans leur intégralité pour leurs 30ème et 20ème anniversaires. Et les billets s'arrachent ! Idem pour la double affiche Death Cab For Cutie/Postal Service aux Etats-Unis. « C'était complet à 100% ! Je pense qu'on a sous-estimé la tournée. On s'est basés sur ce qu'on a vu en 2013 : des gens qui ne veulent pas voir The Postal Service dans des grandes salles » poursuit Jordan Kurland : « On s'est dit qu'on n'allait pas viser le TD Garden de Boston [19.000 places, ndlr], mais faire à la place des concerts dans des salles de 5.000 places remplies à ras bord. Mieux vaut faire faire ça qu'un TD Garden avec seulement 6.000 billets vendus. On ne peut jamais savoir ».

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