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C'était un événement immanquable pour tous les amateurs de rap. Le festival belge Les Ardentes était de retour pour une nouvelle édition du côté de Liège, du 6 au 8 juillet,
avec une programmation tout bonnement époustouflante. Et malgré un cru 2023 de seulement trois jours, le dernier ayant été annulé en raison de risques d'orages importants (qui ne sont finalement jamais venus) nous privant de poids lourds tels que Metro Boomin, Central Cee, Booba, Freeze Corleone, Niska, Kekra, SDM ou encore DJ Snake, le spectacle a bien été au rendez-vous avec des shows particulièrement aboutis. Purecharts était sur place et a sélectionné pour vous (en toute subjectivité) les concerts les plus impressionnants auxquels nous ayons pu assister.
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Kendrick Lamar, de l'art pour des cochons
Le festival a frappé très fort en s'offrant tout simplement le meilleur rappeur américain de sa génération. S'il est un peu moins populaire que son confrère, la rockstar Travis Scott, qui se produisait le lendemain et qui est sûrement responsable à lui-seul de la majeure partie des recettes de la billetterie, c'est tout simplement car les deux hommes ont une approche diamétralement opposée de la musique. Alors que le rappeur texan offre des performances explosives tout en exigeant presque de la foule qu'elle se transcende, "Kung Fu Kenny" n'en a cure et fait étalage de sa vision musicale avec une facilité déconcertante. Si ces deux visions bien distinctes ne les ont pas empêché de collaborer ensemble (le hit exceptionnel "Goosebumps" et le titre "Big Shot") et de figurer parmi
les artistes les plus attendus pour cette nouvelle édition, elles sont perçues différemment. Ainsi, devant un public pas vraiment concentré sur le show, Kendrick Lamar a déroulé un concert magistral d'un peu plus d'une heure qui n'a pas reçu l'accueil mérité. Il faut dire que le spectacle, découpé en entractes marquant les différents chapitres de sa discographie et de sa splendide évolution artistique, est assez exigeant, notamment de part ses sonorités avec des réarrangements pour le live qui diffèrent quelque peu des versions studio.
Bien que la mise en scène, quasi-christique, soit épurée avec un drap faisant office de tableau, des effets pyrotechniques quasi-inexistants et des danseurs à couper le souffle, le résultat est tout simplement grandiose. Notamment dans son tour de force vocal avec des textes débités à merveille sans même un clignement des yeux, les mains dans les poches, sans artifice. Le rappeur de Compton, aujourd'hui âgé de 36 ans, s'érige en pape du hip-hop, devant des spectateurs qui deviennent ses pèlerins. Sa messe, composée de ses titres légendaires de ses albums classiques que sont notamment
"Good Kid, M.A.A.D City",
"To Pimp a Butterfly", "DAMN", et agrémentée d'extraits de son dernier album "Mr. Morale & the Big Steppers", est un récital complexe, élégant et raffiné, sans aucune faute. C'est à se demander si la foule, bien moins compacte au fil des minutes, s'est rendue compte de ce qui se déroulait sous ses yeux : un chef d'oeuvre non pas du rap, non pas de la musique, mais de l'histoire de l'art contemporain.
Kaaris au pays de l'Or Noir
Même s'il a perdu de sa superbe au fil des années, Kaaris demeure une légende du rap français qui a marqué ce courant musical. Pas forcément habitué au format festival, où il se fait plutôt rare, le rappeur de Sevran était attendu au tournant, devant un public nombreux et dense qui ne demandait qu'à s'enflammer. Il faut dire que la promesse était belle : un show consacré à son classique absolu, "Or Noir", pour les dix ans de sa sortie, unanimement reconnu comme celui qui a permis à la trap tricolore de rayonner pendant de nombreuses années, influençant une floppée d'artistes au passage. Un concert d'autant plus unique que l'autre date où il devait l'effectuer, au festival Yardland la semaine précédente, a été annulée en raison des émeutes. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que K2A a été à la hauteur. Après une entrée inoubliable sur le titre "Zoo", il a enchaîné les tubes : "Bizon", "Bouchon de Liège", "Ciroc", "Je Bibi", "Paradis ou Enfer", "Dès Le Départ", "63" ou bien sûr la piste éponyme, tous extraits de cet effort mémorable. L'occasion pour tous les spectateurs présents, qui chantaient en choeur, de se rappeler la densité de sa discographie et l'importance qu'il a pu avoir au sein de la scène française.
Car Kaaris s'est aussi accordé quelques titres en dehors de cet "Or Noir", comme "Chargé", "80 Zetrai", "Gun Salute", "Se-vrak", "Arrêt du coeur" avec un Kalash Criminel qui a fait le déplacement pour l'occasion (un moment d'anthologie avec les deux rappeurs qui ont sorti
un album commun nommé "SVR") ou encore "Kalash", son featuring avec
Booba (avant les embrouilles et
la baston d'Orly), une collaboration d'exception. En découle un show bouillant d'une réussite absolue, le sourire éclatant du principal intéressé ne mentant pas. À tel point qu'il a même offert un bon quart d'heure de bonus aux fans - le seul artiste à avoir fait part d'une telle générosité durant ces trois jours (à notre connaissance). Pour ceux qui ont manqué ce petit bout d'histoire, ce n'est que partie remise : Kaaris a quitté la scène en annonçant qu'il se produirait pour la première fois de sa carrière à l'Accor Arena le 29 février 2024.
Playboi Carti, le démon de minuit
Alors que Travis Scott a livré une prestation en demi-teinte la veille malgré son aura d'icône absolue, la faute à un temps de spectacle réduit (moins d'une heure de concert) et une partie de l'audience davantage concentrée sur leur téléphone plutôt qu'à profiter de l'instant, tout en faisant attention de ne pas se faire emporter à tout moment par
un mouvement de foule comme lors de son festival Astroworld, ce fût au tour de Plaiboy Carti de prendre le relais le samedi soir, chargé d'assurer le closing sur l'immense mainstage pour ce qui s'avèrera être le dernier show des Ardentes version 2023. Ce choix pouvait interroger sur le papier tant la proposition artistique du rappeur d'Atlanta est particulière et que sa notoriété est moindre que celles de Kendrick Lamar ou que Travis Scott . Mais il a suffi d'une introduction foudroyante sur les coups de minuit, après tout de même vingt bonnes minutes de retard, pour effacer tous les doutes, et rappeler que Sir Cartier compte tout de même plus de 31 millions d'auditeurs mensuels sur Spotify (bien qu'il n'ait pas sorti le moindre projet depuis plus de trois ans).
Il est un rappeur particulièrement confidentiel. Le voir à Liège est un privilège. Pourtant, son univers n'est pas accessible à tous et il faut être un minimum initié. L'intensité est redoutable, avec cette alliance d'une voix aiguë au possible, de basses monstrueuses et d'un guitariste qui électrise la moindre décibel avec des riffs brutaux. Le mélange, entre trap et punk/metal, est particulièrement radical, bien plus qu'à l'écoute des disques, et se révèle aussi déroutant qu'efficace sur scène. Les tubes s'enchaînent à une vitesse folle sans le moindre temps mort, à l'aide de transitions si parfaites qu'elles deviennent à peine audibles, épuisant des festivaliers déjà bien entamés. Les pogos, aussi effrayants et rudes que la veille, se succèdent. La scénographie apocalyptique, probablement déconseillée aux personnes épileptiques et renforcée par les machines à fumer et autres flammes directement sorties de l'enfer, vient renforcer l'ambiance démoniaque, quasi-sataniste, de cette performance stupéfiante et extrême. À en juger par le public, clairsemé, cela n'a pas plu à tout le monde. Si Kendrick Lamar est Dieu, Playboi Carti est sans aucun doute le diable.
Mentions spéciales : Josman, Disiz, Luidji, SCH, Gazo, Dinos, Travis Scott, Hamza...