Maneskin en interview : "On est loin d'être des enfants de choeur"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Phénomène incontournable de ces derniers mois, Maneskin électrise la scène internationale avec ses hymnes rock dévastateurs. Sans Victoria, souffrante, mais avec aisance et décontraction, les gagnants de l'Eurovision discutent concerts sauvages, Freddie Mercury, politique et nouvel album. Interview !
Crédits photo : RCA Records / Sony
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Puisque vous amenez une énergie très rock'n'roll dans le paysage musical, j'ai décidé de faire les choses un peu différemment aujourd'hui. Je n'ai préparé aucune question pour cette interview.
Damiano : Sérieux ? (Il frappe dans ses mains) Mais c'est génial.
Thomas : Allons-y !
Damiano : Let's go with the flow, comme on dit.

Exactement. Alors, de quoi avez-vous envie de parler ?
Damiano : Oh !
Ethan : Et bien, on préférerait parler de musique bien sûr.

La scène, c'est la finalité de tout
Ça me va ! Il se trouve que j'étais présent dans le public lors de votre passage au Global Citizen Live à Paris en septembre dernier. Quand vous êtes arrivés sur scène, les gens sont devenus fous, ils se sont mis à hurler et à sauter partout ! Je me souviens m'être demandé ce que vous ressentiez à ce moment-là.
Damiano : Honnêtement je ne vais pas te mentir, la seule chose à laquelle je pensais était les paroles. (Rires) Ils se moquent souvent de moi parce que je ne suis jamais surexcité. Je ne ressens jamais rien, presque comme si j'étais un robot. Je suis tout le temps super chill et détendu. Mais cette fois-là spécifiquement, c'était notre premier gros événement et on partageait la scène avec les plus grosses stars de la musique au monde, devant les caméras face à des millions de spectateurs en livestream. Je t'assure que je me chiais dessus. (Rires) Pour la première fois de ma vie, j'ai découvert le trac. Juste au moment où on devait commencer, et personne ne l'a vu parce que les lumières étaient éteintes, je me suis tourné vers Victoria et je lui ai murmuré : "Comment démarre "Beggin", déjà ?". J'avais oublié les paroles ! Et puis on a donné le coup d'envoi et là je me suis dit qu'il fallait surtout m'amuser, ne pas me poser de questions. Ça s'est super bien passé, en fin de compte. Mais je me suis senti en danger l'espace d'un instant. (Sourire)
Thomas : On a vraiment ressenti la pression parce qu'il s'agissait d'un événement planétaire avec des enjeux importants. Mais la scène était magnifique, avec la Tour Eiffel en arrière-plan, et le set était super. C'est toujours très spécial de voir ses chansons prendre vie en live, après les avoir écrites et répétées pendant des mois, s'être imaginé comment ça rendrait...
Ethan : La scène est un élément très important pour nous.
Damiano : C'est la finalité de tout ! On travaille énormément, on écrit des morceaux, on réfléchit aux costumes, à la scénographie mais personne ne voit tout ça, personne ne sait ce qu'il se passe en coulisses. Le public ne voit que ta performance sur scène donc il faut tout donner car c'est l'aboutissement de tous tes efforts.

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Je trouve intéressant que vous soyez devenus des rockstars alors que vous avez grandi à une époque où il n'y avait pas de grandes figures rock dans l'industrie musicale. Qu'est ce qui vous a fait croire que c'était possible ?
Damiano : Pour moi, tout est parti de cette photo iconique de Freddie Mercury en train de chanter à Wembley. Je suis tombé sur cette photo lorsque j'étais un petit garçon d'un peu moins de dix ans, très propre sur lui, et à ce moment-là je me suis dit : "Je veux devenir comme lui, et peu importe le reste". Quand je voyais des rappeurs et des popstars à la télé, ça ne m'impressionnait pas. Je me répétais : "Je peux faire encore mieux que ça. Je vais tous les surpasser". Ce n'est pas une question de compétition mais d'auto-motivation. Même si je savais que ce serait dur et difficile, que les gens essaieraient de me dissuader, tout ce que je voulais faire c'était de la musique.
Thomas : Mais à ta façon.
Damiano : Oui ! Dès nos débuts, on a voulu bâtir notre propre chemin. On puise forcément des inspirations dans le travail de nombreux autres artistes, comme le mouvement glam-rock, mais nous ne voulons pas recopier ou imiter quelqu'un, ou quelque chose qui existe déjà. Nous voulons construire notre propre héritage... en toute humilité. (Rires)

Quand on est artiste, on a forcément besoin d'un peu d'ego, non ?
Damiano : Disons que quand tu dois chanter devant 20.000 personnes, il faut être soit taré soit très confiant. Autrement, tu te plantes ! Moi, je ne suis pas fou.

Tu es sûr de ça ? Parce que sur Instagram, on t'a vu te tatouer à mains nues le nom du single "MAMMAMIA" sur le bas-ventre ! C'est un vrai ?
Damiano : Oui oui, je l'ai vraiment fait. (Il se lève pour exhiber le tatouage) On est loin d'être des enfants de choeur... (Rires) Vraiment, très loin !

On se faisait stopper par la police
D'où vous vient cette présence et cette énergie ?
Damiano : On a commencé en jouant dans la rue. Les gens se contentent de passer, personne ne te remarque. Alors, tu dois être capable d'attirer leur attention d'une façon ou d'une autre. On n'avait pas beaucoup de matos, juste un amplificateur de son qui n'était pas très fort. On a dû se concentrer sur la performance. On interagissait avec les gens, on leur agrippait le bras... Ce n'était pas notre scène, tu comprends ? On n'était pas censé être là, des fois on se faisait stopper par la police. C'était sauvage ! C'est là qu'on a véritablement appris comment jouer sur scène. C'est venu très naturellement car nous n'étions pas en train de réfléchir à ce que nous faisions. On était dans l'instantanéité. Ça fonctionne ? Ok, on garde. A force de jouer et jouer encore, on a fini par développer notre propre style, qui est très physique. Chaque fois qu'on monte sur scène, c'est comme si on se produisait pour la première fois en concert. Je crois que c'est ce qui fait la différence avec beaucoup d'autres groupes.
Ethan : On a énormément pratiqué, pas que dans la rue mais aussi dans les clubs. On a assisté à beaucoup de concerts pour voir comment les autres groupes occupaient la scène. "Oh ça, c'est un mouvement cool", "regarde comment il se déplace"... On faisait nos devoirs, quoi !

Où se situe la limite entre vos personnages de rockstars, sur les réseaux sociaux par exemple, et vous-mêmes ?
Damiano : Il n'y en a pas ! Je le dis d'une manière tout à fait désinvolte : on ne se prend jamais trop au sérieux. On essaie au maximum de prendre ce qui nous arrive avec légèreté, pour ne pas avoir l'impression que c'est un travail et garder une sorte d'enthousiasme. Être nous-mêmes nous aide à rester stables. Imagine, si l'on devait porter un masque à chaque apparition publique, après quelques années ça deviendrait vraiment lourd à porter et stressant. Sur nos réseaux sociaux, on expose notre vie telle qu'elle est. Elle n'est plus tellement privée, du coup, mais on apprend à gérer ce paramètre et tout le reste n'est que du plaisir.

Nous n'avons pas peur de dire non
C'est intéressant ce que tu dis parce que c'est vrai que c'est une industrie, avec ses enjeux financiers, ses contraintes, son rythme intense... Comment on fait pour conserver son intégrité artistique, quand on rencontre un succès comme le vôtre ?
Damiano : Je ne sais pas. Si l'on doit participer à un événement mais qu'on sent que ça ne nous représente pas vraiment, on préfère ne pas le faire. Nous n'avons pas peur de dire non et de refuser des propositions. Quand nous avons fait "X Factor" en Italie, nous étions très jeunes. Et les gars de Sony sont venus nous voir en disant : "Ok alors après l'émission, vous allez bosser avec ces auteurs et ces producteurs super cools !", et j'ai répondu "non". Il faut se rappeler que j'avais 17 ans, je pense que je n'avais peut-être pas conscience des mots que j'employais, j'étais insouciant. (Rires) Mais je ne faisais pas ma diva. C'est juste que j'écris moi-même mes chansons, nous composons nos propres chansons. C'est quelque chose que nous avons établi comme règle dès le départ, et les gens avec lesquels on a fini par travailler ont compris ça. Aujourd'hui, tout est fluide et personne ne nous pousse à faire ce dont nous n'avons pas envie. Nous sommes libres de construire un projet qui nous ressemble.
Ethan : Pour nous, c'est primordial que le public qui vient nous voir en concert sache que ce que nous chantons et jouons sont nos propres compositions. On est Maneskin et ce groupe, c'est le nôtre, c'est nous quatre.




Justement, comment se créent vos morceaux entre vous ?
Damiano : On se met dans la même pièce et on tape sur nos instruments. (Rires) C'est comme une machine à sous ! La plupart du temps, on se retrouve tous les quatre en studio et quelqu'un propose un riff, un groove, une mélodie. Thomas et moi, on travaille parfois ensemble séparément. On construit un début de chanson, on leur montre et les trois quarts du temps, ils détestent. (Rires) C'est très variable. Mais dès qu'on sent qu'on tient un bon truc, on ne le lâche pas.
Ethan : On sait aussi faire preuve d'écoute. Si Thomas a un riff de guitare en tête par exemple et qu'il a envie d'aller dans cette direction, on est toujours prêt à tester et voir ce que ça donne. Même si tu n'es pas très chaud à la première écoute, il faut rester ouvert d'esprit.
Damiano : On a tous un peu nos domaines de compétence. Si on veut un morceau bien énervé, alors Thomas est l'homme qu'il nous faut. Si on doit faire une chanson groovy et dansante, on se tourne vers Ethan et Vic car ça, c'est dans leurs veines. Si on cherche un titre plus lent et mélodieux, je prends les choses en charge. Mais on ne décide jamais de l'intention avant la composition. On laisse la musique nous porter. Jusqu'à aujourd'hui, ça fonctionne plutôt bien alors on va continuer comme ça.

Notre musique est politique mais ce n'est pas intentionnel
Vos chansons sont subversives, sexy et pleines de rage parfois. Avec ce qu'elles racontent et comment vous les présentez sur scène, je pense à la fois où vous vous étiez embrasés à la télévision polonaise pour soutenir la communauté LGBTQ+ persécutée, considérez-vous votre musique comme politique ?
Damiano : Notre musique est politique mais elle n'est pas faite pour l'être. Ce n'est pas notre intention. Quand j'écris les paroles, je parle toujours de ma propre expérience ou de ce qui est arrivé à des personnes dont je suis proche. Durant l'année qui vient de s'écouler, je me suis beaucoup renseigné sur ces questions-là pour apprendre. Alors, j'ai ressenti le besoin urgent d'en parler parce que j'ai pris conscience que notre société a énormément de travers et j'ai parfois réalisé que certains des moments les plus difficiles de ma vie découlaient de ces problématiques. C'est naturel d'en parler en chansons. Et en faisant cela, cela devient politique bien sûr car quand les gens écoutent les textes, ils se sentent représentés et décèlent une critique de la société dans laquelle on vit. Mais ce n'est pas le but. Je suis pas un leader.

Je ne sais pas si vous êtes au courant mais la cheffe du parti d'extrême droite en France, Marine Le Pen, a utilisé "Beggin" pour une vidéo de campagne sur TikTok...
Damiano : Oui, j'en ai entendu parler. (Il se tourne vers Thomas et Ethan) Elle a utilisé une de nos chansons pour faire sa promotion et attirer les voix des jeunes électeurs vers elle. De règle générale, nous n'aimons pas trop quand les hommes ou femmes politiques s'associent à notre groupe. Parce que c'est quelque chose qui est très loin de nous et de nos valeurs. Mais... nous n'en dirons pas plus à ce sujet. (Sourire)

C'est vrai qu'Amanda Lear devait chanter avec vous à l'Eurovision ?
Damiano : (Ils se mettent à rire) Qu'a-t-elle dit exactement ?

Amanda Lear est rock'n'roll
Qu'on lui avait demandé de faire une apparition à vos côtés pour le concours, mais qu'elle avait refusé parce que ce n'était pas payé.
Damiano : C'est vrai. Quand on a participé à Sanremo [mythique festival italien dont le vainqueur se voit proposer de représenter le pays à l'Eurovision, ndlr], on l'a contactée mais nous avons eu par la suite des désaccords de management. En fait à Sanremo, il y a une soirée où chaque candidat en compétition fait venir un invité sur scène et il y a une règle qui stipule que ce n'est pas rémunéré. On ne pouvait rien faire à ce sujet, ce n'était pas de notre ressort. Si ça ne tenait qu'à moi, je l'aurais payée de ma poche ! Elle est tellement iconique. Ça aurait été super mais c'est une règle. On est obligé de se conformer au règlement. C'est comme ça. Et puis on a gagné alors on a fait le bon choix.

Vous aimeriez enregistrer un duo avec elle ?
Thomas : Elle est rock'n'roll. Pourquoi pas dans le futur !




On écrit de nouvelles chansons
Je vois que le temps passe vite alors pour ma dernière question, j'aimerais savoir si vous travaillez sur un nouvel album.
Thomas : Bien sûr !

Ça en est où ?
Damiano : On écrit de nouvelles chansons mais, bien sûr, nous devons aussi assurer la promotion, participer à des événements, des plateaux télé, donc nous n'avons pas énormément de temps. Nous essayons de trouver quelques jours par-ci par-là, et pendant notre tournée, quand on est dans des pays étrangers, on essaie de trouver des studios à louer pour avancer sur nos musiques. La moitié du dernier album ["Teatro d'ira Vol. I", ndlr] a été enregistrée à Londres, donc on est habitué à composer sur la route. Et si l'on doit écrire à Stuttgart ou Strasbourg, pas de problème, on se tient prêt ! Les villes que l'on traverse peuvent même nous influencer, avec leur humeur et leur énergie. On fera peut-être un album très parisien, qui sait ? En tout cas, on va faire en sorte d'amasser plein de chansons avant de les assembler en un disque.

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