Daniel Auteuil en interview : "Les acteurs-chanteurs sont mal vus, mais je m'en fous"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Daniel Auteuil sort son premier album "Si vous m'aviez connu", réalisé par Gaëtan Roussel. Avec malice et beaucoup de plaisir, l'acteur devenu chanteur se confie à Pure Charts sur sa passion pour la musique, son enfance, ses textes, et son deuxième album déjà en préparation. Entretien avec un artiste passionné et passionnant.
Crédits photo : Yann Orhan
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Vous venez de sortir votre premier album "Si vous m'aviez connu". Comment vous sentez vous ?
Sortir un album, c'est un peu comme monter les marches à Cannes. C'est rien de les monter, c'est plutôt comment on va les descendre et ce qu'il va se passer pendant la projection. Là il sort, et je sais qu'il plait aux gens qui l'écoutent. Mais le pas à franchir pour que les gens aillent l'écouter... C'est votre travail, je compte sur vous. (Rires) Comment je me sens ? Je suis heureux. On ne m'a pas apporté 11 chansons, j'ai écrit une vingtaine de chansons donc il y a quelque chose de presque inimaginable. C'est comme le premier spectacle que j'ai donné aux Francofolies, ça a été un énorme succès. Et le lendemain, je me suis dit : "Putain, il faut refaire, comment je fais ? Comment j'ai fait ?". J'ai analysé car j'ai continué à faire des chansons, elles sont là...

Les acteurs-chanteurs sont très mal vus
On ne le sait pas forcément, mais vous avez baigné dans la musique...
Je suis né dans un opéra, tout ma vie j'ai entendu de la musique. Quand je viens à Paris pour la première fois pour faire du théâtre, je fais des comédies musicales. Mes parents sont chanteurs. Qu'est-ce qui fait que je ne me lance pas ? Je suis né à Avignon et avec son fameux festival. Même si des jeunes chanteurs m'ont marqué quand j'étais plus jeune, il y a surtout un acteur qui me foudroie : Gérard Philippe. Johnny n'est pas encore là, Elvis non plus. Il y a quelque chose dans l'art dramatique qui m'attire. Mais ça reste la scène... Si nous nous retrouvons aujourd'hui pour parler d'un disque, c'est que ça part de la scène, du spectacle ("Déjeuner en l'air", ndlr). J'ai été empêché de jouer mon spectacle à cause du Covid donc j'ai demandé à en faire un album.

Les acteurs-chanteurs sont parfois mal vus en France. Vous redoutiez un peu les critiques ?
Oh oui, ils sont très mal vus ! (Rires) Mais à 70 ans passés, je m'en fous un peu de ce qu'on va dire là-dessus. Ce qui était très important, c'était d'être crédible. A partir du moment où j'ai pu, dans mon métier d'acteur, faire des choix et être crédible, j'ai travaillé à ça. Et je voulais emmener les gens en haut, plutôt qu'en bas. En partant de Voltaire, de Musset, de Paul-Jean Toulet et en mettant mes propres musiques dessus, il ne fallait pas que ça ait l'air d'un truc un peu chiant. La rencontre avec Gaëtan Roussel est fantastique parce qu'avec ses arrangements, il me parait d'être audible dans ce temps d'aujourd'hui musicalement. Ce sont mes mélodies mais il sait les arranger... C'est comme un grand chef opérateur dans un film, il va éclairer.

La musique façonne vos première émotions
En préparant cette interview, j'ai donc découvert que vos parents étaient chanteurs d'opéra, comme vous le disiez juste avant. Votre passion vient d'eux ?
Oui ça vient d'eux, et puis comme pour vous, comme pour tout le monde, la musique est partout. On l'entend dans la rue, elle façonne vos première émotions, elle vous fabrique. Alors qu'une pièce de théâtre, il faut aller le voir, un film pareil. Aujourd'hui, on me le dit et je suis touché, les gens ont grandi avec mes films et se sont identifiés, comme moi avec Delon, Belmondo et d'autres. Mais il n'empêche que les plus grosses émotions, attachées à des événements de ma vie, sont reliées à la musique. C'est ça que je rends.

Vous avez toujours chanté ?
J'ai chanté enfant. A chaque fois qu'il fallait un enfant, j'étais sur une scène de théâtre... Mon rapport est surtout un rapport à la scène. A 16 ans, j'étais choriste dans les opérettes et les opéras jusqu'à ce que je parte à Paris pour essayer de devenir acteur.

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Vous aviez déjà sorti une chanson en 1985. Vous aviez quoi en tête à ce moment-là ?
Ce n'était pas une lubie. Mais puisque ça tardait tant... Ça ramait un peu. Mais, en même temps, je suis quelqu'un d'extrêmement pressé. Rien n'allait au rythme que je voulais. Alors que j'avais fait des feuilletons, j'étais connu, j'avais déjà fait "Les sous-doués". C'était juste avant "Jean de Florette". Mais même aujourd'hui, ça ne va pas assez vite. (Sourire) Mais c'est différent car le temps est davantage compté... C'est comme ça. A l'époque, c'était surtout l'envie de tenter autre chose. C'était une forme d'ambition artistique, de passer partout où c'est possible de passer.

Je sais qu'il faut profiter du succès
Vous avez eu envie de mettre des poèmes en musique, et d'écrire également des chansons. Vous qui avez joué les plus grands auteurs, là vous les côtoyez avec vos mots. C'est beaucoup de pression ? Car il faut être à la hauteur...
(Rires) Je travaille beaucoup beaucoup mes textes. Ce qui m'aide c'est d'avoir joué Molière ou Marivaux et d'avoir passé ma vie avec les grands textes. Je ne dis pas que je suis à la hauteur de leurs textes, mais sur la façon de les rendre musicaux, c'est un travail de ciselage qui me demande des jours et des jours. Je ne me suis pas ennuyé. Le temps passe à une vitesse, cette guitare qui me fait sortir des musiques, ces mots... Demain, je vais faire l'acteur, donc ce soir, je dois apprendre mon texte car je ne le sais pas. (Rires) On fait un remake du "Jouet" de Francis Weber avec Jamel et James Huth. Tout ça pour dire que faire tout ça après cette année et demi où on s'est tous dit qu'on allait mourir, qu'on ne ferait jamais rien, c'est joyeux.

On vous sent transporté par ce projet...
Ce qui me plait beaucoup, et ce n'est pas à tous les coups dans une carrière... Ça a dû m'arriver dix fois peut-être. La dernière fois, c'était le film de Nicolas Bedos, "La belle époque". Quand on sent d'un coup que tout le monde aime. Il y a plein de fois, on sent que ça ne plait pas, vous êtes polis, nous aussi, alors vous faites votre travail, je fais le mien. Mais quand il y a cette adéquation entre la presse et l'artiste, il manque plus que le public, c'est délicieux car je sais que la presse va faire son travail pour faire partager tout ça. Dans le cas contraire, c'est douloureux, je le sais, je l'ai vécu aussi. Donc là, quand c'est comme ça, j'en profite. Par expérience, je sais qu'il faut en profiter. C'est ce qu'il faut dire aux jeunes gens qui commencent : "Profite, profite". Parce que la prochaine fois, on ne sait pas. Mais ça me nourrit, je prends votre sang. (Rires)

Pourquoi ne pas avoir tout écrit ?
Le prochain, je suis en train de l'écrire !

J'ai toujours voulu vivre tous mes rêves
Ah oui, quand vous dites que vous êtes pressé, vous ne mentez pas !
Oui, vous savez, c'est parti ! J'ai dit à la maison de disques : "On peut pas faire le deuxième ?". Ils me disent : "Mais attend, laisse sortir le premier". J'ai dit : "D'accord mais quand est-ce qu'on va rentrer en studio ?" On me répond : "C'est occupé". Alors, on attend. (Rires) Donc on travaille sur les cinq prochaines chansons déjà. Je refais équipe avec Gaëtan Roussel, et les musiciens qui m'entourent sur ce projet, parce que c'est trop fort comme relation. C'est génial d'être avec ces jeunes gens, c'est magnifique. Ça me rend joyeux de partir en tournée, d'avoir mon étui à guitare, d'arriver sur scène. C'est ce que j'ai rêvé de faire, pas toute ma vie parce que j'ai été comblé par le cinéma, mais je suis quelqu'un qui a toujours voulu vivre tous ses rêves. Et je les vis.

Comment vous êtes arrivés à composer ?
Je voulais que mon fils de 11 ans se mette à la guitare. Pour l'encourager, je me suis dit que j'allais prendre des cours avec lui. On est gauchers tous les deux. Je demande au prof de m'apprendre les arpèges, et il me dit : « A votre âge, ça sert à rien, amusez-vous à composer ». Facile à dire ! Rires Donc voilà, le temps passe, et ça m'est revenu, en tournée dans les théâtres, ou dans ma caravane sur un tournage, entre deux plans, il y a quatre ans. Je n'avais pas du tout l'intention de faire un spectacle ou un album. Mais l'ego, le fameux ego, qui donne envie finalement... Et ça a été encouragé par Gaëtan qui a trouvé ça... bien. (Sourire)



On a parlé de vos textes et de vos mélodies, mais pas de votre voix, qui est très reconnaissable. Quand avez-vous pris conscience de cette voix-là ?
Quand j'étais plus jeune... Mais je ne suis pas un chanteur, je suis un interprète. Je me vois comme ça. Je me souviens quand j'ai rencontré pour la première fois Montand, Trintignant, Mastroianni... La voix c'est quelque chose de très fort. Donc oui, je comprends quand on me dit qu'on me reconnait à la voix. C'est très fort. Je ne cherchais pas, j'avais cette voix-là, déjà jeune... Je l'ai juste poussée un peu à mes débuts, et je me disais : "Fais ça, tu seras toi, tu seras crédible".

J'adore ce que fait Eddy de Pretto
Vous me parliez de votre rapport très fort à la scène. Vous avez commencé votre tournée en tant que chanteur, et non pas en tant qu'acteur, qu'est-ce que cela vous procure ? Car les gens viennent voir l'acteur j'imagine d'abord...
Ils viennent par fidélité, par curiosité. Ils ont confiance. Après je leur dis : « Merci de vous laisser surprendre ». Quand le noir se fait, les musiciens viennent sur scène, commencent l'intro, et je dois entrer en scène. Je n'ai pas peur, je suis content. J'arrive sur scène, ils applaudissent... Ça me rend tellement heureux. Je suis porté par une espèce de plaisir à partager, avec les arrangements de Gaëtan, les textes de Toulet, qui sont formidables. Je sais qu'il y a une tenue, une rigueur.

Vous avez l'impression de jouer sur scène ?
Non. Là, pour la première fois, non. Je suis. J'aimerais jouer tous les soirs, parce que je suis habitué avec le théâtre à jouer tous les soirs. On jouait 700 fois d'affilée les pièces, on faisait des deuxièmes saisons, des dépressions, on n'en pouvait plus... (Rires) Mais là, la musique c'est différent. Comme au théâtre, il y a toujours des choses à découvrir tous les soirs.

Vous pensez à vos parents sur scène j'imagine ?
(Ses yeux se mouillent) Oui, ils viennent, ils sont avec moi. Je lui dis : "Allez maman, on y va". Je ne le dis pas trop pour pas passer pour un dingue, mais oui on est connecté.

Avec quels artistes de la nouvelle génération vous pourriez travailler ?
J'aime bien Eddy de Pretto. J'adore ce mec. Il a, à la fois, la voix, magnifique, à la Nougaro un peu. Musicalement, il est en plein dans son époque. Il écrit des textes, c'est Baudelairien ce qu'il écrit. Il y a quelque chose qui me plait beaucoup chez ce mec.

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