Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
La jeune sensation TESSAE cartonne avec "Bling", devenu un phénomène sur TikTok. L'artiste de 18 ans se confie sur le harcèlement scolaire qu'elle a subi, le soutien de Booba, sa peur de l'échec et son ambition, les femmes dans le rap ou encore son premier album à venir. Rencontre avec un talent sur qui il faudra compter !
Crédits photo : Eugénie Atinault
Propos recueillis par Julien Gonçalves.
Le public t'a découverte l'an dernier au festival We Love Green puisque tu as chanté durant un concert de Booba, après avoir gagné un concours. Comment ça s'est passé avec lui ?
On s'est rencontré la veille du show car il y avait les répétitions à faire. Ça s'est super bien passé. Evidemment, j'étais en flip, car Booba c'est Booba. Déjà, il est super grand ! (Rires) Non mais il est super cool. Quand on faisait des changements dans la musique, il venait checker si ça allait à tout le monde. Avant le concert, il nous a donné de la force, après le concert il est venu nous féliciter. Très bonne expérience !
Le concert de Booba, ça m'a ouvert beaucoup de portes
Tu voyais ça comme un tremplin ?
Au début, je n'ai pas vraiment vu ça comme ça. Ça me permettait de reprendre la scène, et c'était surtout une opportunité à ne pas rater. Après le concert, je me suis rendue compte que c'était un véritable tremplin parce que ça m'a ouvert beaucoup de portes, ça m'a donné beaucoup de visibilité. La veille du show, j'avais sorti le single "La luna", donc le public de Booba est venu écouter ce que je faisais. J'ai pu faire découvrir le début de mon univers.
Il t'a donné des conseils pour ta carrière ?
Non pas vraiment. On parlait parfois sur Insta, il checkait mes stories. Il me donnait de la force par message. Mais après il s'est fait supprimer son compte !
Booba a créé son label, 7 Corp, où il signe de jeunes artistes prometteurs. Vous n'avez pas parlé de rejoindre son écurie ?
Non, on n'a jamais parlé de ça ensemble. J'ai signé sur le label Belem, chez Wagram. Je suis en indé, tranquille.
Je me suis renfermée dans la musique
Et comment as-tu commencé à écrire ?
De base, je n'écrivais qu'en anglais. J'écoutais beaucoup d'artistes qui chantent en anglais, notamment Rilès, un rappeur français qui rappe en anglais. Ça m'a donné envie de le faire aussi. Dans les périodes où j'étais pas bien, au collège et lycée, je me suis renfermée dans la musique et j'ai vraiment accroché aux textes de Twenty One Pilots, Billie Eilish ou Rilès. Je commençais à m'épanouir en écoutant et en chantant des covers, mais je voulais plus, m'exprimer avec mes propres mots. J'avais envie de me vider la tête en écrivant. En anglais au début car je ne voulais pas que ce soit trop clair ce que je disais. Là, ça fait un an que j'essaie d'écrire en français. C'est plus facile pour moi et j'ai pas mal accroché donc je continue.
Regardez le clip "Panthéon" de TESSAE :
J'étais phobique scolaire et sociale, et en pleine dépression
Qu'est-ce que tu avais besoin d'exorciser ?
J'étais phobique scolaire et sociale, et en pleine dépression à cette période-là. J'avais besoin d'extérioriser un mal-être, de se sentir différent, des problèmes d'anxiété. Des trucs que les adolescents, et même les adultes, traversent. Je ne parlais pas à grand monde, je n'avais pas trop de potes, donc j'avais besoin d'extérioriser ça d'une façon intime mais quand même publique.
En quoi tu étais différente pour les autres ?
Clairement, le physique. A l'école, j'étais très garçon manqué, et je ne traînais qu'avec les filles hype qui portaient des marques, qui se maquillaient. Je me faisais pas mal critiquer pour ça. Aussi, j'ai toujours été très gamine et rêveuse. Les gens trouvaient ça drôle. Quand on est jeune, on aime se moquer des trucs débiles, c'est un passe-temps. Les gens me trouvaient bizarre, donc on m'a facilement collé cette étiquette de le meuf bizarre qui n'a pas les pieds sur Terre. C'est devenu lourd et pesant.
Dans un de tes sons tu dis que tu as touché le fond...
Je suis partie en dépression, j'ai été suivie psychologiquement en hôpital. J'ai carrément été déscolarisée. J'ai vu des PSY pendant deux ans et demi. Depuis que je suis sortie du système scolaire et que je me suis mis à fond dans la musique, tout va mieux, je ne suis plus suivie.
Ça te fait du bien de pouvoir en parler et de montrer qu'on peut s'en sortir ?
Totalement. On peut avoir tendance à avoir peur d'en parler pour ne pas inquiéter la famille ou se dire que c'est normal, que les jeunes passent par là. Ça reste un sujet tabou. Quand tu es dedans, tu peux vraiment croire que tu ne peux pas t'en sortir et avoir les idées noires. Je veux en parler dans ma musique, comme a pu le faire Billie Eilish pour aider les jeunes, parler des soucis que j'ai pu avoir. J'ai été harcelée, cyber-harcelée, mais j'ai réussi à faire de la musique et je suis en train de tout faire pour réaliser mon rêve.
Ecoutez "Purple Rain" de TESSAE :
Tu fais partie d'une nouvelle génération d'artistes qui parlent ouvertement de leurs failles, de leur anxiété. C'est important ?
Je trouve oui. Quand tu vois des artistes clean, sans aucune faille, maintenant ça fait fake parce que tout le monde a des problèmes dans la vie. Quand tu vois que des artistes sont des portes-paroles ou des exemples pour des générations, c'est cool de voir qu'on est de plus en plus à exposer nos soucis, à être fiers de nos différences. En France, Sally parle de sa bipolarité, Pomme chante son anxiété. Ça montre que les personnes qui font de l'art et qui arrivent à en vivre, ce ne sont pas des personnes qui ont zéro souci et une vie parfaite.
Il peut y avoir de la place pour tout le monde
Sur TikTok, tu t'es moqué des critiques qui ne comprennent pas comment tu peux avoir cette phobie et faire ce métier, être au contact du public.
Je ne sais pas pourquoi mais la seule activité dans laquelle je n'avais aucun souci d'anxiété, c'est le chant, quand j'étais sur scène. Je ne peux pas l'expliquer mais c'est l'endroit où je me sens bien. Quand je me suis rendu compte de ça, j'ai continué et j'ai pris ça en tant qu'appui, une aide pour remonter la pente. Maintenant, évidemment que je stresse en montant sur scène, mais c'est plus de l'ordre d'oublier les paroles ou des trucs comme ça. Je n'ai pas de crise d'anxiété comme je peux en avoir dans la vie.
Tu vas sur tes 19 ans. Tu te sens armée à affronter ce métier, qui est fait de compétition, de pression et des critiques ?
J'ai la chance d'avoir une équipe super à l'écoute, en mode famille. On essaie d'être entourés des mêmes personnes sur les clips, les shootings photos, des gens qui sont sains. C'est important que j'ai un bon lien avec les gens qui m'entourent. Ils savent que j'ai des problèmes d'anxiété donc ils font très attention à ça. La compétition, je me mettais beaucoup de pression là-dessus au début, mais j'aimerais que les choses changent car il n'y a pas de compétition à avoir dans ce monde-là. Il peut y avoir de la place pour tout le monde. Chacun est unique et a sa nouveauté à apporter. Je ne veux pas entrer là-dedans. On peut réussir sans avoir à écraser les autres.
Ecoutez "La flemme" de TESSAE :
Je me répète constamment que j'ai de quoi réussir
Il y a une phrase qui revient dans plusieurs de tes chansons : "J'ai peur de l'échec".
C'était vraiment un truc que j'avais au lycée. Je ne savais pas quoi faire, j'étais en L, rien ne m'intéressait, et la musique c'était un rêve inatteignable. Je ne voulais pas décevoir ma famille donc je continuais mes études mais je n'étais pas bien. J'étais anxieuse, j'ai fini par me noyer dans mes soucis, j'ai décroché des cours, je ne savais pas quoi faire, j'étais face à l'échec. Maintenant, je ne me vois faire que de la musique mais j'ai toujours cette peur que ça ne marche pas. Mais je fais tout pour que tout aille bien.
Dans tes sons, on ressent à la fois cette peur de l'échec et une ambition incroyable. Elle te vient d'où cette rage de réussir ?
Je pense du fait de m'être laissée aller bien bas, de ne pas avoir cru en moi à l'époque. Maintenant, je sais que ça peut être simple de me faire bouffer par la pression mais je ne laisse pas ça arriver. Si je ne crois pas en moi, même si d'autres autour peuvent croire en moi, ça ne sert à rien, il faut que ça commence par moi. Même si j'ai du mal à croire en ce que je fais parfois, je me répète constamment que j'ai de quoi réussir. Même si au final j'ai un petit public, je continuerai à bosser pour ces personnes-là !
Ton titre "Bling" cartonne sur TikTok, entre même en playlist sur Skyrock. C'est une revanche ce titre ?
Dans le texte, c'est une dédicace aux personnes qui ne croyaient pas en moi. Ils disaient que j'étais trop rêveuse, etc. Aujourd'hui, elles allument la radio et elles m'entendent dessus ! C'est toujours bizarre quand des gens du lycée m'envoient des stories en mode : "Tu passes à la radio" !". Bah ouais, tu as vu, j'étais trop rêveuse et maintenant j'y suis ! (Rires)
Regardez le clip "Bling" de TESSAE :
Si je peux représenter le rap féminin, j'essaie
Le succès de "Bling", tu le vis comment ?
Je ne m'en rends pas trop compte. Quand on me sort "Tu as une entrée en radio, ton clip passe à la télé", c'est trop bien mais c'est un peu flou. Je ne m'entends pas à la radio et je ne me vois pas à la télé, quand j'allume je n'y suis pas ! (Rires) J'essaie de prendre ça normalement, sans me dire que c'est extraordinaire, même si ça l'est. Mais je ne veux pas entrer dans un truc égocentrique, genre ce qui m'arrive c'est mieux que ce qui arrive à d'autres. Tu vois ce que je veux dire ? Je ne veux pas devenir ce genre de personne qui prend la grosse tête. Je préfère prendre les choses tranquillement. Je ne veux pas passer en mode stress.
Comment est née la chanson ?
C'est parti d'un délire. De base, je fais des sons qui sont assez chill, mais je me suis dit que ce serait cool de faire un son qui pourrait passer en soirée, en mode banger. Ce qui m'est venu naturellement c'est un flow rap. Si je peux représenter le rap féminin, j'essaie, parce que c'est toujours vachement tabou ce sujet-là. Je ne dis pas que je fais du rap, mais la plupart des retours que j'ai c'est que c'est du rap. On peut me mettre dans la case que l'on veut, ça ne me dérange pas. Mais si je peux être une meuf et faire du rap, et passer sur Skyrock, ça me va !
Ce serait cool de sortir l'album pour l'été 2021
Comment tu expliques que ce soit si difficile pour les artistes féminines de s'imposer dans le rap ?
Clairement, la simple idée que de voir qu'une meuf qui fait du rap c'est tabou, elle n'a pas le droit parce qu'elle est vue comme trop fragile... Même si le monde s'ouvre, il y a ce côté sexiste sur l'avis des auditeurs. Forcément, quand tu gères une radio, tu passes des sons qui vont plaire aux gens donc quand tu sais que ce sujet-là est un peu fermé... Enfin, après je ne sais pas comment on gère une radio !
Sur ton titre "Purple Rain", tu dis : "La petite fait pas du rap, elle fait juste des lalala". C'est une expérience perso ?
Pas directement comme ça mais on me sort souvent que ce n'est pas du rap ce que je fais. Mais je ne pense même pas en faire ! C'est peut-être un mix des deux, de la pop et du rap. Mais bon, ça change, on voit de plus en plus de femmes dans le rap... On avance !
Tu as sorti l'EP "Printemps". Maintenant, la suite arrive en fonction des saisons ?
Oui, "Eté" sortira le 4 septembre. On cherchait une idée pour être présent toute l'année, c'est venu comme ça. On a essayé de trier les sons selon les moods et les ambiances, avec un truc solaire et lumineux pour "Printemps" et "Eté", et un truc plus dark, mélancolique pour "Automne" et "Hiver". C'est comme ça que je vois les choses, ce que j'écoute en fonction des saisons.
Donc pas d'album rapidement ?
Non pas tout de suite. Peut-être que cet été, je vais prendre du temps pour bosser l'album pour l'année prochaine. Si tout va bien, tous les EP devraient sortir cette année, donc ce serait cool de sortir l'album pour l'été 2021.