ZebdaVariete Francaise » Rock Français
lundi 13 février 2012 15:57
Zebda : "Second tour", un retour présidentiable
Par
Guillaume JOFFROY
| Rédacteur
A avoir trop fait tomber de chemises dans les fiestas dici et dailleurs, le grand public en a peut-être oublié que Zebda soccupait aussi et surtout de la mouiller. Le groupe toulousain, malgré un hiatus de huit ans, le rappelle avec (im)pertinence et sélance au sprint dans un "Second tour" au goût de présidentielle : accent chantant, mots tranchants, propaganda-ayurveda au rythme dune musique métissée loin de nêtre que de banda
Tout un programme.
Crédits photo : DR
Zebda na pas perdu sa science de lurgence, son nouvel album en témoigne à la lettre, ne serait-ce que dans son timing : Mouss, Hakim, Vincent Sauvage et Magyd Cherfi auront beau dire que "Second Tour" est aussi un clin dil à la reformation de leur groupe pour un second tour de piste, cest avant tout un nouveau manifeste, dix ans après une "Utopie doccase" qui coïncidait avec une élection présidentielle traumatisante, où le FN sétait invité au second tour. Et lartwork de lalbum, représentant la légende de lathlétisme français Alain Mimoun en plein effort avec Herbert Schade et Emil Zatopek lors des Jeux olympiques dHelsinki en 1952, nest pas un choix anodin. (R)Eveil des consciences, métissage et tolérance, éducation, justice sociale et égalité des chances : les thèmes des ex-Motivé-e-s, qui se sont retrouvés en 2009 autour du Grand Jaurès de Brel et ont passé les semaines précédant ce nouvel album à disputer un « premier tour » en live, battent à nouveau la campagne, et battent le rappel. Avec toujours, quel que soit le degré atteint par le désir de révolte, un effort décriture et ce supplément de bonne humeur en bandoulière qui défient lobscurantisme moderne. Le réveil sonne : « Frère Jacques, dormez-vous ? / Quavez-vous fait du rendez-vous ? », chantent les Zebda à lunisson, en ouverture dans "Les Deux Ecoles". Sans brusquerie, mais avec une gravité quaccentuent la litanie de laccordéon, la mélancolie du piano et des guitares catalanes, ou encore la solennité de cuivres bruyants qui semblent échappés dun cortège funèbre cubain. Car cest un requiem : « à la vie, à la mort. » Le talent consommé de fabulistes (et donc de moralistes) des Toulousains saisit dentrée lauditeur dans sa léthargie : volontiers anecdotique et métaphorique, cette chanson à lâme démocratique et au mouvement dichotomique imitation caustique du bipartisme dominant - secoue la conscience citoyenne, ou ce quil peut en rester. Humaniste, elle pourfend tout simplement labstentionnisme, certaine que le pire des choix est de ne pas choisir. Quelques punchlines musclées tirent du sable la tête de lélectorat-autruche : « Ballotté tu finis comme un de ces spécimens qui dit non merci à la race humaine / Et pour pas être victime dune Hortefeux, un beau jour cest toi qui fais feu. » Quelques instants plus tard, cest carrément une bombe qui explose sans prévenir : « Putain quest-ce quelle prend dans sa gueule lidentité nationale », une déflagration positive dans le très joyeux souk du Dimanche autour de léglise, une « journée banale » où « les langues se mélangent », où « y a pas de prénoms ». Le métissage et la vie communautaire sont à lhonneur au son dun gimmick entraînant et fédérateur, véritable indicateur de richesse culturelle - « y a ». Ça tintinabule gaiement et ça jacte dans tous les sens, les cloches et les accents se répondent, le flow, riche et rythmé, imite la longueur des étals et le boniment des vendeurs de ce marché saveur reggae, pendant que « le vieux gratin » est dans léglise en ce jour du Seigneur où il se passe tant de choses à lextérieur On voit passer fugacement « des filles des quartiers couvertes de la tête aux pieds même si cest la canicule ( ), qui vendent des strings » : ce sera lobjet dun morceau beaucoup plus direct, "Le théorème du châle". Finies métaphores et paraboles, Zebda est de retour en pleine actualité et prend position sur le thème de la burqa, avec une instrumentation pensée en conséquence. Sur une musique traditionnelle nord-africaine, Zebda « tombe des nues », raille « ces barricades de chiffon », ce look qui, « sil fait peur à lAmérique, ne casse pas des briques », et cherche des réponses qui narrivent pas : « Est-ce pour être dégal à égal, ou quelquun qui ta fait du mal ? Dis est-ce que cest pour le scandale ? Est-ce quil ta promis les étoiles, le théorème du châle » Un théorème bancal, qui résiste mal à lépreuve de force imposée par les Toulousains à la langue franche. « Impossible est parfois français »Zebda, avec une partition métissée et un humour aussi grinçant quil peut être potache, multiplie les tonalités, les cadences, les musicalités et les angles dattaque, mais aussi les humeurs. La fanfaronnade de "Un je ne sais quoi", le rap smooth et lounge de "Le Talent", le Maghreb du "Théorème du Châle", la fable rigolarde façon saloon du Sud-Ouest quest "La Chance", le rock coléreux de "La correction" Il apparaît rapidement que chacun des morceaux de "Second tour", à limage de ses auteurs, a un caractère bien trempé, de loptimisme à la résignation, de la colère à lincrédulité La pompe pressée et les cuivres de banda de "Un je ne sais quoi", rappelant un peu "La Flamme" de Sinsemilia, donnent corps à un agacement palpable sur les questions délévation sociale et déducation, dintégration et dérudition (« Si tu tappelles Ben ou Mourad, fuck La Pléiade ( ) Entre la rue et lhistorien, y a toujours pour nous à peu près rien ( ) Ils sont tombés dans lescalier, cest pas une boutade, pour avoir dit fuck à Voltaire et à La Pléiade »). Un des thèmes phares de lalbum, qui revient plus tard dans un registre plus amuseur : jouant sur les mots et les adages en écho aux questions didentité et de langue nationale, le brûlot festif "Les proverbes" enrage « Il faut se les cogner, comme des menottes aux poignets », ces proverbes quon « ne recrute pas dans les cités » et qui inspirent à "Second tour" une nouvelle morale : « impossible est parfois français ». La langue, Zebda, sans être « le Grand Jacques ni Georges et son copain dabord », en fait bon usage, et le démontre à coups de rimes qui consolent, notamment dans linattendu et chiqué "Jsuis pas" : « Je chante, cest pas la mélopée / Regarde, mon micro se prend pour une épée », peut-on entendre dans cette élégante complainte désabusée, richement arrangée (sanglots longs de violons élégiaques dignes de "La Superbe" de Biolay, guitares et basse ultra-disco, pizzicato ). Etonnamment, la couleur musicale de ce morceau sétale en version sourdine sur le suivant, "Harragas (Les brûlés)", blues de transfuge méditerranéen hanté par le bruit des flots, les notes de lautre rive et une rare voix féminine. Lautre rive, lAfrique, devient dailleurs le point de vue de limpatient "Tu peux toujours courir" : « Est-ce quon est si peu de choses, ou pas assez mécontents ? » Ici ou là-bas, en fin de compte, même combat. Et même certitude : « La chance, cest pas populaire », malgré les airs jobards de la chanson qui lui est consacrée. Derrière la musique, tendance tube de lété, la fable, bien écrite une fois encore, et sa cruauté : « Sache que cest dans le berceau / Quon me trouve, pas dans le ruisseau. » Et lorsque, au fil du tryptique relativement insoucieux et souriant "La chance"-"Les proverbes"-"Le talent", on pense sacheminer paisiblement vers la fin du "Second tour" de Zebda, on se prend de plein fouet "La correction" : « Mais ça va pas ! » Une indignation, un appel à linsurrection populaire face à une phrase - devenue - inepte. « S'ils sont égaux les hommes, c'est à quelle heure ? / Je veux pas rater ce rendez-vous du bonheur / Je veux du concret, fais-moi le portrait / Fais-moi le plan de la fabuleuse contrée. » Un texte violent, corrosif, taillé à lacide, accompagné par surprise mais à bon escient dun rock ombrageux et nervuré, zébré déclairs synthétiques et dorage de guitare électrique. Ça prend aux tympans aussi fort que cette « énormité » saute à la gueule de Zebda. Le vent du boulet est passé pas loin de la campagne des candidats à la présidentielle. A vos marques... Tous en piste ! En mélangeant les points de vue, les humeurs et les couleurs, Zebda honore le contrat artistico-social que son retour induisait : celui dun chant partisan, courageux et populaire, où le propos nescamote ni lénergie positive, ni la création musicale, ni encore le plaisir dêtre ensemble. En résulte un album à larchitecture incertaine, drôlement éclaté mais assez éclatant.
Plus d'infos sur Zebda sur la page Facebook officielle du groupe.
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23/01/2012
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