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jeudi 17 octobre 2013 13:37

Yodelice : "Ma plus grande crainte ? La page blanche"

Par Jonathan HAMARD | Rédacteur
Après avoir trouvé un peu de temps pour voyager afin de prendre le recul dont il avait besoin, Maxim Nucci alias Yodelice est de retour avec un nouvel album, "Square Eyes". Le chanteur propose un disque de douze plages écrit et enregistré à New York avec une équipe qui a déjà fait ses preuves. Il nous en livre les secrets et se projette dans l'avenir en évoquant différents projets qu'il espère bien développer sur son propre label.
Crédits photo : Yann Orhan
Propos recueillis par Jonathan Hamard.

Pour ce nouvel album, tu as décidé d’être uniquement sous licence chez Mercury, contrairement à ce que prévoyait ton contrat précédemment. Pourquoi avoir changé maintenant ?
J’ai monté mon propre label. Je travaille très bien avec Mercury, qui est mon label historique. C’est vrai que j’ai aussi formé une petite famille d’artistes avec lesquels je travaille depuis la création de Yodelice. J’avais envie de tendre vers quelque chose de plus indépendant, et puis aussi de travailler sur d’autres projets totalement différents avec d’autres artistes que j’aime et qui ne rentrent pas dans les cases d’une grande major.

Je ne vais pas faire un concert à côté d’une machine à laver
C’est important pour toi d’être toujours distribué par Universal ? C’est tout de même une vraie opportunité de bénéficier dans le contexte actuel d’une plus grande exposition…
Je crois que je ne me rends pas vraiment compte de l’état actuel du marché du disque. Entre les rayons des grandes enseignes qui rétrécissent de plus en plus au profit de l’électroménager, ou qui ferment tout simplement, comme Virgin, il ne reste finalement que les grandes surfaces comme points de distribution importants. Il y a un retour au disquaire indépendant. Moi, c’est ce qui me touche. C’est ce qui me plait. Tu vas chez le disquaire comme tu vas dans une librairie. Tu y rencontres des vrais passionnés de musique. Dans les grandes surfaces, j’ai l’impression qu’on ne trouve que les cinquante premiers du Top Albums (sourire). Et moi, je n’ai pas l’impression de faire partie de cette catégorie-là. Et puis, on vit pleinement dans l’ère du digital aujourd’hui. Ou alors de l’objet unique avec des vinyles pour les puristes du son. Au milieu de tout ça, je ne sais pas si être signé sur une major est quelque chose de primordial. Je ne devrais peut-être pas dire ça (sourire), mais internet et l’évolution des technologies nous permettent de pouvoir produire quelque chose à moindre coût. D’autant plus que 99% des projets aujourd’hui ne s’adressent pas au "grand public". Je pense donc qu’il y a plein de projets qui peuvent exister en parallèle d’autres financés par des grosses maisons de disques…

Ça fait quoi de se dire que ton nouvel album se retrouvera peut-être entre un lave-linge et un aspirateur ? Qu’est-ce que ça révèle selon toi dans la manière dont le public appréhende la musique ?
En même temps, ce serait vraiment génial d’avoir à côté de mon disque un bouquin d’Edgar Poe ou de Nietzsche…! La culture peut se trouver n’importe où ! Ce n'est pas très sexy dans l’absolu, mais je ne vais pas non plus faire un concert à côté d’une machine à laver. J’aimerais que ma musique touche le plus de monde possible. Maintenant, dire le contraire, ce ne serait pas vrai.

Il n’y a pas un enjeu grave dans ce que je dis
Tout ça passe par un personnage que tu as appelé Yodelice. Jusqu’à quand comptes-tu le faire vivre ?
Je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la question. Je crois qu’il continuera de vivre jusqu’au bout. C’est vraiment devenu mon avatar musical. On s’est épousé tous les deux. Il fait partie de moi. Je fais partie de lui. Il y a eu un effet schizophrénique au début. Parce que j’enfilais vraiment le costume de quelqu’un d’autre, même si je chantais des chansons qui venaient de moi. Mais à force de porter d’autres vêtements et de me maquiller avant de monter sur scène, il y a un mariage qui s’est fait progressivement. Il est devenu moi à la ville et je suis devenu lui sur la scène.

Est-ce qu’il ne te permet pas tout simplement de dire des choses que tu ne pourrais pas raconter en tant que Maxim Nucci ?
Au début, c’était le cas. Effectivement. Je ne suis pas sur un créneau d’artistes politiques qui dénoncent des choses comme Bob Dylan par exemple. Avec Yodelice, on reste en surface. C’est une simple analyse de soi, une analyse de la personne que je suis et dans laquelle d’autres pourraient se retrouver. Yodelice, c’est aussi la quête d’un être humain qui essaie de vivre au mieux. C’est-ce que j’essaie de faire, avec mes faiblesses, mes défauts, mes erreurs, les murs que je me suis pris ou les bonheurs intenses qui m’ont inspiré. Il n’y a pas un enjeu grave dans ce que je dis. Mais c’est vrai que je me suis vite demandé comment je pouvais chanter des choses aussi intimes sur scène, devant un public. J’ai commencé en étant môme. Je jouais en tant que guitariste dans des petits groupes. Mais du moment où j’ai commencé à gagner ma vie en tant que technicien de l’industrie, je n’ai plus fait de scène pendant très longtemps et je ne savais pas comment y retourner. Yodelice m’y a aidé. Aujourd’hui, je me suis un peu décomplexé. Quatre cents concerts, ça laisse des traces ! Ça désinhibe ! La confiance en soi est arrivée. Mais en même temps, il faut faire attention parce que cette confiance est tout aussi dangereuse. Il faut la gérer quand même.

Crédits photo : Yann Orhan
Cet album "Square Eyes", c’est un nouvel instant T dans cette quête que tu viens d’évoquer. Par rapport à la personne que tu étais, aux questions que tu te posais il y a quelques années à travers "Cardioid", à qui a-t-on à faire aujourd’hui ?
L’instant T, c’est une belle image qui représente bien chacun de mes précédents albums. Le Yodelice de "Square Eyes", il est plutôt bien dans ses pompes. Il est plutôt énergique, tonique… Après quatre ans de tournée, j’ai passé une période où j’étais vraiment fatigué. Je saturais de pas mal de choses. J’ai fait un long break pour vivre une vie normale et passer du temps avec ceux que j’aime. Une journée de tournée, c’est très prenant. Il se passe chaque fois la même chose. Tu arrives chaque jour dans une nouvelle ville, tu fais ton check-in à l’hôtel, tu prends ta douche, tu fais tes balances, tu fais ton concert et tu remontes dans le tour bus. Alors, moi, c’est génial parce que j’ai une troupe qui m’entoure et qui est à la fois une vraie famille. Mais malgré ça, au bout d’un moment, quand ça commence à devenir trop cyclique, je ne me renouvelle pas. Même musicalement. Pour se renouveler, il faut vivre de nouvelles choses.

J’avais envie d'un son particulier pour cet album
Ce nouveau disque puise son inspiration dans la ville de New York, où tu as passé quelque temps...
J’ai effectivement vécu à l’étranger pendant deux ans. En partie à New York. C’est une ville complètement dingue avec une énergie folle. Je me suis rendu compte que j’étais très sensible en termes d’inspiration aux points géographiques dans lesquels je me trouve et aux éléments qui m’entourent. Moi-même j’ai vraiment été très surpris lors des premières sessions de studio. Le tempo était beaucoup plus élevé que ce que j’avais pu faire avant. J’ai été touché par une envie de guitares électriques beaucoup plus pesante que sur mes précédents albums où j’évoluais dans quelque chose de beaucoup plus organique, très aérien… Mais tout ça est encore très frais pour moi. Je suis encore dans une forme d’auto-analyse de ce que j’ai fait (sourire) !

"Square Eyes" est un disque plus urbain, et presque déroutant par certains moments, tant en ce qui concerne la texture que pour les nappes de synthés qui interviennent sur certains morceaux à des moments impromptus, comme sur "Time" par exemple...
J’aime ça ! C’est un album où les chansons sont un peu déstructurées. Je ne voulais pas travailler sur la formule couplet/refrain/pont/refrain. J’avais envie d’outros psychédéliques. Pour cet album, j’ai cherché la production. Ce que je veux dire, c’est que sur mes précédents disques, j’ai cherché davantage un certain lâcher prise sur des morceaux de songwriter. Là, j’ai passé du temps sur la prod et les textures. J’ai utilisé une console des années 60, un micro des années 60 et un magnéto des années 60. J’y ai ajouté des synthés analogiques qui datent plutôt de la fin des années 70, voire début des années 80. Un peu ce qu’utilisait Pink Floyd. J’avais envie de trouver un son particulier pour cet album. Je ne voulais pas faire dans le simple calque, bien que le rock demeure une grande tradition. C’est difficile d’être très original ou de faire une proposition artistique dans ce registre. C’est un peu comme le blues. C’est l’énergie qui parle.

"Square Eyes" est un disque plus subtil qu’il y paraît au premier abord
On sent tout de même une retenue...
Je pense que c’est un disque qui gagne à la réécoute. Il y a plus d’arrangements et d’orchestrations qu’il n’y paraît. Plus on l’écoute, plus on découvre de choses. C’est une impression en tout cas. "Square Eyes" est un disque plus subtil qu’il y paraît au premier abord. Il y a vraiment des sons et des arrangements cachés qu’on ne découvre qu’après.


Écoutez le titre "Time" de Yodelice, extrait de l'album "Square Eyes" :



Ton style évolue mais pas ton équipe. C'est une question de confiance ou d'assurance ?
Dans la vie, on n’est jamais le même. Je ne suis plus celui que j’ai été à 15 ans et à 20 ans. Et je serai différent à 50 ans. Les parcours de vie, c’est-ce que je trouve génial. Je suis quelqu’un de famille et de très fidèle. Je vais toujours privilégier de jouer avec quelqu’un qui met beaucoup de cœur plutôt qu’un grand technicien. Je pense que l’apport est décuplé dans ce cas-là.

Maxim Nucci/Yodelice, ce sont deux noms qu’on connait, qu’on associe à d’autres artistes ou à des bandes originales de films, mais pas nécessairement à tes albums. Comment penses-tu être perçu ?
J’avoue que c’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre. La question de la représentation et de la projection est vraiment flippante. Ça pourrait me paralyser de savoir comment les gens me voient. Et puis, c’est tellement subjectif. Il y en a qui aiment ma musique, d’autres non. Certains doivent être totalement hermétiques à ce que je fais. Mon seul souci réel, c’est de pouvoir conserver une liberté artistique et de m’épanouir dans ce que je fais. Le succès, il ne peut pas toujours être au rendez-vous. Je suis quand même un dinosaure de la musique pour ceux qui me connaissent bien. Je fais ce métier depuis très longtemps. Les carrières sont faites de haut et de bas, de virages… Les chiffres ne sont pas de vrais révélateurs. Car ils dépendent de beaucoup de paramètres. Il faut aussi tenir compte de la radio, qui est un amplificateur. Est-ce que je vais avoir la radio ? Ça peut changer du tout au tout. On ne peut pas prédire un succès commercial. Mon plus grand bonheur, c’est qu’on a ouvert une trentaine de dates partout en France et que beaucoup sont déjà complètes. On ouvre une troisième Cigale à Paris au bout de trois semaines. Tout ça, c’est le fruit de quatre longues années de travail.

Il y a des albums qui se font sans péridurale. Ça peut être long et douloureux
Tu parles de ton plus grand bonheur, mais quelle est ta plus grande crainte ?
Ce serait la page blanche je crois. Avant tout ! Parce que les craintes sont nombreuses. Comme par exemple de ne pas remplir les salles, de se faire bouder par un public qui est habituellement fidèle… Mais la plus grande d’entre toutes c’est de ne pas trouver l’inspiration.

As-tu déjà connu la page blanche ?
J’ai vécu des périodes de doute. Je peux faire de la musique pour d’autres avec légèreté. Mais pour Yodelice, je deviens très cérébral. Parfois, c’est comme un accouchement. Il y a des albums qui se font sans péridurale. Ça peut être long et douloureux.

La proposition artistique sur "Génération Goldman" est pauvre
Des collaborations, tu en comptes d’ailleurs de nombreuses à ton actif. Tu figures notamment aux crédits du nouvel album de Christophe Maé. Crois-tu qu’un jour tu travailleras sur un projet collectif comme "Thérèse" ou "Génération Goldman", dans un tout autre registre ?
Non. Je ne pense pas. Goldman, c’était un super mélodiste. Je trouve que pour cette compilation de jeunes chanteurs, la proposition artistique est pauvre. Mais bon, c’est génial parce que ça permet à des jeunes de découvrir l’œuvre d’un artiste qui s’est mis en retrait avec beaucoup d’élégance. Je suis très admiratif. Monter un collectif de musiciens en vue de travailler sur un spectacle ? Pourquoi pas. C’est déjà plus inspirant. Mais, malheureusement, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Y-a-t-il d’autres collaborations à venir ?
Je travaille constamment avec d’autres artistes. Mais pour l’instant, c’est encore flou, vague. Je ne sais pas encore si ça aura un but commercial. Là, je suis dans le kiff. Je ne suis pas seulement guidé par un but commercial. Je peux simplement jouer de la musique comme ça, sans chercher à en faire quelque chose. Je peux très bien faire des trucs avec des potes qui ne verront jamais le jour.

Même pour le cinéma ?
C’est différent et un peu particulier. J’ai commencé le cinéma un peu naïvement, comme un enfant à qui on propose un premier rôle dans un film. Je n’étais pas dans l’exigence artistique à l’époque. J’étais juste content de participer à une aventure. Je n’ai pas réalisé ce que pouvait dire cette musique que j’avais composée sur mesure. Je trouve en tout cas que c’est très récréatif. Je suis quand même musicien avant tout. Après "Les petits mouchoirs", on m’a proposé tout un tas de choses mais rien qui puisse me donner envie de mettre ma carrière de chanteur entre parenthèses. Rien de très glorieux pour être honnête.
Pour plus d'infos, rendez-vous sur la page Facebook officielle de Yodelice.
Ecoutez et/ou téléchargez la discographie de Yodelice sur Pure Charts.

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