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Nicole Croisille en interview

C'est une Nicole Croisille pleine d'énergie, vive et en verve que nous avons rencontrée à quelques jours de son passage à l'Alhambra les 7, 8 et 9 octobre 2011. Une compilation incluant ses plus grands succès et quelques raretés sortira dans les bacs le 12 septembre. Retour sur plus d'un demi-siècle d'une carrière éclectique et ininterrompue !
Crédits photo : Catherine Chabrol

Bonjour Nicole, vous n'en êtes pas à votre première compilation (Mathieu Rosaz, rédacteur) ?
Nicole Croisille : Non mais je suis vraiment satisfaite du contenu de ce disque, j'ai choisi moi-même les titres, j'ai fait l'ordre, j'ai produit un titre inédit "Infiniment d'amour", J'ai apporté les photos qui sont ma propriété, faites par ma photographe, je gère un maximum de choses. Tous les titres que je n'ai pas mis dessus et qui sont des tubes n'y sont pas car ils sont encore sur le marché, sur la précédente compilation. J'ai souhaité ressortir quelques raretés comme "Fanny", "Laisse l'oiseau" ou "L'espoir".

Ecoutez un extrait de l'inédit de Nicole Croisille, "Infiniment d'amour" :


C'est une implication moindre que l'énergie mise dans votre précédent album d'inédits "Bossa d'hiver" en 2009, non ?
J'ai produit un titre inédit "Infiniment d'amour"
Oui, parce que c'était un album que j'étais allée faire pour un ami, le compositeur et producteur québécois Daniel Mercure. C'était une aventure d'amitié. Il m'a envoyé ses chansons par mp3 qu'on a écoutées avec Aldo Frank qui est mes dix doigts et ma tête pensante musicale. On s'est dit « c'est du joli matériel, ça va lui faire plaisir » et j'ai été passer dix jours à Montréal pour l'enregistrer dans son home studio. Ça n'a pas été de la rigolade mais je pense que les chansons étaient jolies. Bon, maintenant les albums ça ne marche plus donc je ne me fais plus d'illusions. Si je me bats par exemple sur la présentation du visuel de la nouvelle compilation, c'est parce que je trouve que ça fait partie de l'artistique et si moi, au stade où j'en suis de ma carrière, je laisse passer un truc que je trouve de mauvais goût, ça devient mon mauvais goût à moi de ne pas m'être impliquée.

Visionnez Nicole Croisille live, "Une femme avec toi" (2011) :


Maintenant les albums ça ne marche plus donc je ne me fais plus d'illusions
Que cela soit dans l'inédit de la compilation ou dans le petit mot que vous adressez au public au dos du disque, on sent une volonté de transmettre un message d'espoir tout en faisant un constat grave sur notre époque et sur le monde en général…
Vous la trouvez joyeuse, charmante, délicieuse et encourageante notre époque? Je me mets à la place des gens. Je regarde les visages des gens dans la rue. Puisque je suis souvent dans ma voiture, je peux regarder à l'aise. Je vois des visages sinistres, angoissés. Ils ne vont pas bien mais il n'y a pas de quoi aller bien ! La crise est passée par là, d'accord, ça explose dans énormément de pays… Ce qu'il se passe en ce moment en Afrique du Nord et qu'on appelle “le printemps arabe”, c'est une jolie façon de présenter une rébellion qui fait de nombreux morts ! Le printemps est normalement la saison où la nature renaît, où l'espoir grimpe en verdure. La nature nous montre que rien ne l'atteint quelque part. Tout s'abime et tout continue à pousser quand même. On est malgré tout sur une planète exceptionnelle mais on fait tout pour que cela soit invivable ! D'où mes réflexions… Ce que je veux leur dire c'est: « si vous êtes angoissés, si vous ruminez chez vous, venez passer une heure et demie ou deux heures avec moi, on va se rappeler nos bons souvenirs, ça ne nous fera pas de mal ! ». C'est ça l'idée… Il n'y a jamais eu autant de chômeurs, l'avenir est incertain. Mon futur à moi a toujours été incertain mais je fais partie des gens qui font un métier qui nous oblige à accepter ce principe. Une fois qu'on arrive à l'âge que j'ai et qu'on a essayé de ne pas se retrouver sur le carreau ni sur le trottoir, on est peut-être un petit peu moins angoissé mais pas tant que ça.

Visionnez Nicole Croisille, "Fané, fini, foutu" (1978) :


J'ai été une des premières à mettre des mini-jupes au ras du minou
Comment fait-on pour ne pas se lasser d'interpréter des chansons qu'on chante depuis des années et que le public réclame encore comme "Emma" ou "Téléphone-moi", entre autres?
"Emma" ça fait un moment que je ne la fais plus. Là, ça fait deux ans que je n'ai pratiquement plus fait de concerts mais du théâtre. Ce n'est pas comme si j'étais toute neuve, mais disons que je peux retrouver un peu d'innocence parce que ça fait un moment que je ne les ai pas chantées. Un interprète ça travaille comme un acteur puisque ça adopte des choses qu'il n'a pas écrites et qui ne sont pas des confidences. Donc je travaille comme une comédienne, je reprends la chanson et je la joue avec l'état d'esprit que j'ai à ce moment-là par rapport à la lecture que je fais du personnage. Ça peut changer d'un jour à l'autre. Il y a des jours où "Emma" est très dramatique et d'autres où elle l'est moins. En fait ce qu'il faut éviter c'est le rabâchage.

J'ai remarqué, que vous aviez la plupart du temps tendance à donner des versions live très différentes des versions studio, à décaler le phrasé sur scène…
Pierre Delanoë n'avait pas du tout du tout l'oreille musicale
J'ai commencé par le jazz alors me balader sur la musique ça fait partie de ma façon de comprendre ce qu'un interprète peut éventuellement apporter et surtout ça me permet de défendre le texte au maximum parce que lorsqu'on a la chance d'avoir un auteur magnifique, il arrive à faire en sorte que ses phrases correspondent aussi au phrasé musical mais tous les auteurs ne sont pas des musiciens d'oreille. Ils peuvent être très très bons au niveau de l'écriture et ne pas être très musiciens. Pierre Delanoë n'avait pas du tout du tout l'oreille musicale par exemple.

Visionnez Nicole Croisille, "Il ne pense qu'à toi (parlez-moi de lui)" (1974) :


Et pourtant c'était un auteur qui était très à cheval sur les mélodies, la langue française et les accents toniques des mots !
Goldman il ne s'appelle pas Goldman pour rien
Parce qu'il est tombé sur des chanteurs qui refusaient à l'époque d'inverser les accents toniques ! Maintenant plus personne ne sait même ce qu'est un accent tonique ! La nouvelle génération et les nouveaux auteurs et même certains artistes qui ne sont pas des débutants pourtant comme Goldman… J'ai entendu par hasard une chanson que Grégoire a eu la chance, dit-il, d'enregistrer avec Goldman et que Goldman lui a faite… Bon, Goldman il ne s'appelle pas Goldman pour rien. Il a un nom qui, si on le traduit, veut dire “l'homme en or”, ou “l'homme d'or”. Les noms sont révélateurs. Goldman fait une chanson pour Grégoire parce que Grégoire, ça marche. Mais je me demande ce qu'un homme qui a travaillé avec Céline Dion qui a l'oreille musicale va faire avec Grégoire ! La chanson de Grégoire marchera peut-être mais il y a quand même des accents à l'envers ! Quand j'ai entendu ça… C'est plus difficile d'écrire en respectant la langue… L'un des seuls qui défendait superbement la langue française et savait la faire sonner, c'était Claude Nougaro. Après Nougaro, il y a Gainsbourg qui, même s'il est parti du jazz pour faire des choses plus commerciales, a toujours été musicalement vachement intéressant. Michel Jonasz aussi. Ce sont des gens avec qui j'aurais aimé travailler et ils ne m'ont jamais donné de chansons. Nougaro m'a juste fait une adaptation à mes débuts et puis deux mois après son album à lui cartonnait et c'était fini. J'ai toujours chanté du Nougaro parce qu'au départ Nougaro m'a dit : « je t'écris tout ton matériel ». Et puis il est devenu interprète aussi et s'est réservé ses productions, ce qui est logique ! A l'Alhambra je vais garder "Toulouse" qui est magnifique, dans une version qui n'a rien à voir avec la sienne.

Avez-vous aimé l'hommage à Nougaro par Maurane?
Maurane est restée très fidèle à l'exigence musicale de Nougaro avec de très bons arrangements. Moi, c'était un spectacle avant tout dans lequel j'ai voulu mettre en avant les textes en montrant aussi comment un même auteur pouvait traiter du même sujet de manières très différentes parfois.
Maurane est restée très fidèle à l'exigence musicale de Nougaro
Maurane a été très soutenue par Polydor Universal alors que moi j'ai enregistré mon spectacle qu'Universal n'a fait que distribuer, deux ans avant Maurane. L'album que j'ai fait sur Nougaro n'était pas un album qui était fait pour passer en radio. On l'a enregistré parce que les spectateurs le demandaient. Richard Galliano, Didier Lockwood, qui étaient les fidèles de Claude ont participé à ce disque aussi. c'est une démarche très différente de celle de Maurane et le disque se vend très bien à la sortie du spectacle !



Il est impres-sionnant Léo
La chanson "Léo" en hommage à Ferré, sortie en 1980 et écrite par Didier Barbelivien était-elle une commande de votre part ? Vous avez aussi chanté "Vingt ans" de Ferré à la "Fête à Léo Ferré" aux Francofolies de la Rochelle en 1987, étiez vous proche de cet homme?
Barbelivien était fou de Léo Ferré et il m'a montré cette chanson à l'époque où nous étions en train de préparer un album. On a retravaillé la musique avec Michel Colombier car cet album a été fait avec Michel Colombier et c'était le rêve de ma vie depuis un bon moment même si j'avais déjà travaillé avec lui sur mes tous premiers 45 tours. Barbelivien avait écrit ce texte à partir de titres de chansons de Léo. C'était un hommage à Léo qui m'a ensuite demandé de venir chanter avec lui aux Francofolies de la Rochelle. On a montré la chanson à Léo pour la première fois lors d'une émission de Michel Drucker. Drucker recevait Léo et il m'a demandé si je voulais bien venir interpréter la chanson et la chanter à Léo. J'ai dit bien sûr et là on m'a mise dans des conditions effrayantes. Léo était assis au piano, j'étais à l'autre bout du piano à queue avec une caméra face à moi et une autre derrière moi qui prenait Léo. Il est impressionnant Léo. Même si je le connaissais et qu'on avait déjà beaucoup discuté ensemble, il était impressionnant. Je commence la chanson: « A la frontière de l'Italie tu regardes Paris en photo, Léo »… Et là je vois son œil qui me regarde et moi je ne pouvais plus le regarder parce que j'avais la trouille, je me sentais devenir rouge-pivoine alors j'ai commencé à regarder un peu au-dessus de lui pour pouvoir arriver au bout de la chanson et lui a commencé a avoir les larmes aux yeux… Bien sûr que la chanson l'a touché mais c'est un grand acteur Léo Ferré ! C'est dommage d'ailleurs qu'il n'ait pas fait de cinéma ! On était encore plus cloisonné à l'époque, regardez Biolay qui joue aussi la comédie désormais !

Vous avez chanté la bossa, le jazz, le gospel, la variété, fait du cinéma, du théâtre, de la comédie musicale…
Toujours trop tôt ! Vous remarquerez que j'ai toujours tout fait trop tôt ! Je ne suis pas à l'heure, je suis en avance tout le temps.

Comment avez-vous pu gérer toutes ces directions artistiques et tous ces désirs ?
Hallyday… Quand on n'a jamais fait de théâtre, on ne prend pas un premier rôle !
J'ai dû refuser des choses forcément pour des questions d'emploi du temps. Je n'ai pas eu de choix horribles à faire mais quand il arrivait parfois qu'on me propose une pièce de théâtre, j'étais bien obligée de dire que j'étais en train de faire des concerts. A l'époque on était bloqué un an à l'avance, musiciens et techniciens compris. Je ne pouvais pas les lâcher comme ça. Souvent au théâtre on vous fait d'abord lire une pièce prévue pour la rentrée et après pour diverses raisons c'est repoussé, comme pour les films d'ailleurs, et on se retrouve le bec dans l'eau. J'étais fidèle à mes équipes et la chanson avait la priorité puisque c'était ce que je réussissais le mieux. On ne s'improvise pas acteur. Vous allez voir ce qui va se passer avec Hallyday… Quand on n'a jamais fait de théâtre, on ne prend pas un premier rôle ! Le cinéma n'a rien à voir. Il y a des acteurs de cinéma qui sont très mauvais au théâtre, on le sait. Il y en a qui n'iront jamais au théâtre, ils ont trop peur. C'est un autre travail ! C'est tenir un personnage pendant une heure et demie ou deux heures, jouer avec d'autres, tous les soirs. Au cinéma c'est une technique de l'instant mais c'est avant tout une technique sauf pour les grands acteurs de cinéma qui ont tout, sans rien faire, les Al Pacino, les De Niro. C'étaient des acteurs de théâtre qui ont adapté leur manière de jouer pour le cinéma. Il faut du temps pour apprendre à jouer au théâtre. Moi ça fait 15 ans que j'en fais. Je ne veux pas forcément un premier rôle mais au moins un second car sinon le public ne comprendrait pas ce que je viens faire là. Mais ne nous leurrons pas: jouer une pièce et faire un tour de chant ça n'a rien à voir au niveau de l'épuisement. Chanter vous vide totalement. Le théâtre aussi parfois quand il s'agit de pièces comme "Folle Amanda" ou "Coup de soleil" où j'avais repris le rôle de Jacqueline Maillan qui était un bœuf ! Ces deux pièces m'ont épuisée littéralement. "Hello Dolly", aussi.

L'une de vos premières chansons très jazzy, sortie en 1961 : "Toi", est signée Boris Vian. Quelle est l'histoire de ce titre ?
J'avais le même directeur artistique que Boris Vian
Je sais qu'on en parle souvent mais je m'en rappelle à peine. Je connaissais Boris Vian par sa femme, Ursula Kübler, suisse-allemande qui était danseuse avec moi dans un spectacle en 1957. J'avais 20 ans et un premier rôle dans une comédie musicale qui a été un four! Signée Jean Marais: "L'apprenti fakir". On avait le pianiste d'Eddie Constantine : Jeff Davis, un américain qui vivait à Paris. Déjà j'essayais de travailler avec les meilleurs sur la place de Paris. C'était ça mon but: arriver à travailler avec les meilleurs, être reconnue par eux pour pouvoir faire les choses les plus belles possible. J'avais le même directeur artistique que Boris Vian et c'est comme ça que j'ai enregistré ce titre mais je m'en souviens mal car je ne l'ai jamais chanté sur scène ensuite.

Vous chantiez dans les boîtes de jazz qui existaient encore à cette époque-là, entre 1957 et 1960 environ…
C'est à dire que ça s'était décalé rue Saint-Benoît alors qu'avant c'était "Le Tabou" rue Dauphine et j'ai chanté dans des boites de jazz qui n'existent plus et qui étaient entre Saint-Michel et la rue Dauphine. Il y avait "Le Caméléon" rue Saint-André-des-Arts, "Le Club Saint-Germain" rue Saint-Benoît. Je n'enregistrais pas encore, je faisais mes classes ! Et si j'ai dû mettre un peu le jazz de côté, c'est parce que je faisais aussi de la chanson et que l'écart était trop grand pour les mentalités de l'époque. On m'a demandé de choisir. Peggy Lee, Julie London aux Etats-Unis faisaient des albums de jazz qui étaient en fait de la grande variété. Magnifiques !

Ecoutez Nicole Croisille, "Toi" - aux paroles de Boris Vian (1961) :


Vous avez eu des soucis de voix plusieurs fois au cours de votre carrière
J'étais la seule à faire ça à l'époque avec Nicoletta
J'ai fait opérer mes cordes vocales en 1978 si je ne me trompe pas, avant le deuxième Olympia. Surmenage vocal. J'avais commencé à m'esquinter les cordes vocales à New York en 1965 où je chantais dans un spectacle sans micro. Le micro était dans la rampe donc il fallait cartonner, tout en dansant en même temps. Et là j'ai commencé à me créer un polype sur les cordes vocales. Dix ans après ça m'a rattrapé au moment-même où le succès est arrivé et où j'avais "Femme" à défendre qui était une chanson quand même très acrobatique. Je chantais beaucoup sur la puissance. J'étais la seule à faire ça à l'époque avec Nicoletta. Tout le monde nous confondait tout le temps. Le polype s'est transformé en nodules et un jour j'ai craché du sang donc je me suis inquiétée… Quand j'ai fait "Un homme et une femme", j'avais un souffle sur la voix et ça a beaucoup plu à l'époque par rapport à ce qu'on faisait. Il fallait que cela soit la voix intérieure d'Anouk Aimée donc une voix de comédienne. Et Anouk a une voix assez grave. Donc le polype ne me gênait pas sauf qu'après j'ai commencé à avoir des problèmes de justesse, j'étais tout le temps enflammée, je marchais à la cortisone jusqu'au jour où le médecin m'a dit qu'il fallait enlever ce polype. Le plus dur à vivre ce sont les dix jours de silence total imposé ! Vous devenez fou ! Et j'ai rééduqué ensuite ma voix avec un ténor de l'opéra qui m'a fait travailler en souplesse, en finesse et j'ai tout récupéré. Avec mon pianiste on a réajusté les tonalités des chansons il y a 15 ou 20 ans et depuis ça ne bouge pas. Dès que ça bougera, j'arrêterai. Je ne veux pas être la chanteuse qui commence à chevroter. Les chanteurs qui chevrotent et qui continuent m'abîment le souvenir que j'ai d'eux. Du coup je ne vais plus les voir parce qu'ils auront du mal à me surprendre et c'est ça qui m'intéresse le plus : réussir à surprendre encore un peu les gens. Et ça devient très difficile! Ils ne veulent entendre que les chansons qu'ils connaissent ! Avec le spectacle sur Nougaro j'en ai surpris beaucoup ! Des gens qui étaient inquiets au départ que je ne fasse pas mes tubes…

Avez-vous toujours le trac ?
Il est là. Je suis impraticable une semaine avant le concert. Mes angoisses sont en amont. Plus la date approche et plus je sais que j'ai les capacités de le faire. J'ai juste la trouille du trou de mémoire dû au manque de concentration à un moment donné.

Je marchais à la cortisone jusqu'au jour où le médecin m'a dit qu'il fallait enlever ce polype
En 1975 dans "Je ne suis que de l'amour", vous chantez : « Il me parle aussi parfois comme à son chien / Il me fait mal, il me bat mais je reviens / Car je suis heureuse avec lui ». Ça a dû faire hurler le MLF à l'époque une telle déclaration !?
C'était la chanson du film "Histoire d'O" et c'était le personnage du film adapté du livre de Pauline Réage qui était comme ça, pas moi! Quand on m'a apporté ce texte de Pierre Delanoë, je voulais qu'il la change cette phrase mais il n'était pas là. On m'a appelée l'après midi pour enregistrer ce titre la nuit comme souvent à l'époque et Delanoë était injoignable… Maintenant cette chanson je la noie dans un medley, j'ai du mal avec elle… Tout comme "J'ai besoin de toi, j'ai besoin de lui" qui date au niveau de la musique. Concernant le MLF, on m'a fait la réflexion à l'époque de "Une femme avec toi" et j'ai répondu que ce n'est pas parce qu'une femme déclare le soir à un homme qu'il l'a rendue "Femme" sexuellement et émotivement, que cet homme-là ne va pas faire la vaisselle le lendemain! On m'a parfois reproché le fait que des chansons comme "Téléphone-moi" étaient des aveux d'impuissance féminine alors que pas du tout. C'est d'ailleurs un peu la même histoire que celle de la chanson de Jonasz "Je voulais te dire que je t'attends", écrite par un homme, et que j'avais reprise au théâtre des Champs-Elysées. On comprend que cet homme s'est endormi près de son téléphone en attendant un appel… Quand Brel dit dans "Ne me quitte pas" : « Laisse-moi devenir l'ombre de ton chien », est-ce plus choquant que « il me bat comme un chien mais je reviens » ? C'est un homme-serpillère au moment où Brel dit ça. Il se vautre là-dedans et tout le monde trouve ça magnifique parce que c'est magnifique, un homme qui brusquement oublie d'être un macho et met sa virilité au placard! Les féministes ont fait un travail de guerrières et si elles ne l'avaient pas fait, où en serions-nous, nous les femmes aujourd'hui? Il y a encore des connards de députés qui sont contre l'IVG! Pour le “droit à la vie” soi-disant. Et le droit à mon propre corps ? J'ai pas envie de l'avoir cet enfant, c'est pas le moment, je vais être toute seule pour l'élever, je ne veux pas. Ces droits-là on a tendance à oublier parfois à qui on les doit !

Ecoutez Nicole Croisille, "Je ne suis que de l'amour" - chanson du film "Histoire d'O" (1975) :


Les chanteurs qui chevrotent et qui continuent m'abîment le souvenir que j'ai d'eux
La dernière fois que je vous ai vue sur scène, j'ai constaté que les jeunes constituaient aussi une bonne partie de votre public !
Ils commencent à venir parce que je fais partie des dinosaures et qu'ils veulent voir comment elle fait, elle (moi). Elle ne montre pas son nombril, elle n'est pas comme nos copines chanteuses qui se tortillent, ce que j'ai fait quand j'étais danseuse et quand j'avais leur âge. J'ai été une des premières à mettre des mini-jupes au ras du minou mais pas sur scène! Le succès est arrivé quand j'avais 40 ans et je ne pouvais plus faire l'andouille!

En 1968, vous avez pris le pseudonyme de Tuesday Jackson pour interpréter "I'll Never Leave You", chanson du film "Les jeunes loups" de Marcel Carné. Pourquoi avoir changé de nom?
C'est un homme-serpillère au moment où Brel dit ça
C'est Marcel Carné qui m'a demandé de changer de nom. Il voulait refaire le coup du film "Les tricheurs" en 1958, film qui annonçait la génération à venir avec plein de nouvelles têtes. Il pensait qu'il allait faire pareil pour "Les jeunes loups" en 1968. Il avait fait des repérages dans les discothèques et s'était rendu compte que les jeunes n'écoutaient que des variétés anglo-saxonnes. Il a fait appel à mon éditeur Norbert Saada qui m'a proposé de faire le texte et de chanter le titre. On a présenté la chanson à Carné qui était emballé. Or j'avais fait deux ans avant "Un homme et une femme" et on a préféré changer mon nom le temps de cette chanson pour qu'il n'y ait pas d'interaction avec ce que j'avais fait pour Lelouch et pour être en adéquation avec le sujet du film.

Visionnez le scopitone de Tuesday Jackson aka Nicole Croisille, "I'll Never Leave You" (1968) :


Tuesday Jackson ? C'est Marcel Carné qui m'a demandé de changer de nom
La tournée "Age tendre et tête de bois" remporte un gros succès à l'heure actuelle, j'imagine qu'on vous l'a proposée?
Oui, ils sont derrière moi tout le temps. Mais je ne veux pas chanter quatre chansons. Ça ne m'intéresse pas. C'est un karaoké géant… J'en ai discuté avec Annie Cordy qui l'a fait et qui me dit : « mais tu devrais, ça fait plaisir aux gens ». Je lui dis: « écoute, je préfère leur faire plaisir dans une petite salle de 400 places avec une heure et demie de chansons qu'ils ont envie d'entendre ». Ça n'a aucun intérêt de chanter dans un chapiteau avec 4000 personnes qui chantent en même temps que vous. Où est l'échange? Y'a pas d'échange pour moi là. Je ne dis pas que ça ne doit pas exister mais je n'ai rien à faire là, ça ne me tente pas du tout. C'est pas pour ça que je monte sur scène. Pour moi la scène est un investissement personnel très important. Ça doit compter très fort dans ma journée. Ce sont mes deux heures d'éblouissement, c'est mon moment, le reste c'est du remplissage.

"Age tendre", ça ne m'intéresse pas. C'est un karaoké géant
2012 sera l'année des 20 ans de la disparition de Michel Berger. Vous avez joué le rôle de Cécile en 1976 pour le show TV "Emilie ou la petite sirène" de Berger et vous avez repris avec succès "Le blues du businessman". Est-ce une rencontre qui vous a marquée?
Oui et ça c'est une surprise mais je vous la dis: à l'Alhambra, j'ai prévu un medley de mes airs préférés de Starmania". Tout ça c'est dans la nostalgie. J'ai appelé le spectacle "Simplement", j'aurais pu l'appeler "Nostalgiquement" mais c'était un peu trop !

Merci beaucoup Nicole !
Mais je vous en prie, faut que je file, j'ai des messages...

Visionnez Nicole Croisille live, "Téléphone-moi" (2006) :
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Pour en savoir plus, visitez nicolecroisille.voila.net, ou son Facebook officiel.
Ecoutez et/ou téléchargez les différents albums de Nicole Croisille.
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Visionnez Nicole Croisille et Pierre Barouh, "Un homme et une femme" (1966) :

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