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samedi 02 juin 2018 12:31

Marc Lavoine en interview : "Je ne veux plus avoir de regrets"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Marc Lavoine vient de sortir son nouvel album "Je reviens à toi". Au micro de Pure Charts, l'artiste se confie sur les événements tragiques qui ont marqué l'enregistrement du disque, son envie de chanter un duo avec Imany, son admiration pour Calogero ou ses regrets. Interview !
Crédits photo : DR
« Je suis épuisé de joie. Tiens, je vais me le noter, c'est un bon titre de chanson ». Voilà comment démarre ma rencontre avec Marc Lavoine dans le patio d'un hôtel parisien, chic, branché mais sans artifices. A l'image du chanteur au regard perçant et à la voix grave si reconnaissable, en fin de promotion de son nouvel album "Je reviens à toi", où il ne cherche plus à plaire, juste à faire les chansons qu'il aime. Il me parle de ses regrets, de ses duos avec son fils Roman et Benjamin Biolay ou de son rapport à l'image et au temps qui passe. Rencontre avec un artiste passionné, et surtout passionnant.

Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Après 12 albums, est-ce que vous avez toujours un trac particulier en sortant un nouveau disque ?
J'ai eu le trac pendant deux ans, parce que la réalisation a pris deux ans de travail. L'écriture, ça a été plus rapide. Mais bon un album s'écrit jusqu'au moment où on écrit le mot "fin" dessus. Je me suis battu contre moi-même sur le temps.

Je n'ai pas hésité à dire non
C'est à dire ?
Une chanson c'est comme une personne, il faut l'habiller sans réfléchir mais en pensant à ce qu'on raconte. Qu'est-ce qu'elle veut dire ? C'est quoi le fond et quelle forme elle doit prendre ? Je n'ai pas hésité à dire non. J'ai souvent dit oui... Quelques fois, en tout cas. Par exemple sur mon précédent album "Je descends du singe", j'ai dit oui pour le deuxième extrait mais je ne voulais pas sortir celui-là. Je voulais sortir "Notre histoire". Et je l'ai regretté. Et je le regrette. On me dit souvent « "Notre histoire", c'est la plus chanson de l'album ». Oui bah je sais, putain ! (Rires) Je m'en veux. Quand je dis oui pour faire un film parce que c'était des amis, je l'ai regretté aussi. Après, il faut travailler pour remonter le truc. Parce que ça vous abîme quand même. On peut être amis avec les gens mais ce n'est pas une raison.

C'est rare qu'un artiste tienne ce discours publiquement.
Oui mais pourquoi on aime telle personne, tel film ou tel artiste ? Parce qu'ils ont fait des choix. Et parce qu'ils ont été radicaux dans leurs choix. Ils ne savent pas faire autrement. De temps en temps, j'ai essayé de savoir faire autrement mais, au fond, je ne sais pas faire autrement.

La peur c'est inutile
Et sur cet album, emmené par le single "Je reviens à toi", alors, vous avez fait comment ?
Sur celui-ci, j'ai une idée dans la tête, je crois savoir ce que je dois faire, je sais pourquoi je demande à Fabrice (Aboulker, ndlr). Hop, il pose les doigts et il me dit : "Cette chanson, je la vois plutôt comme ça". Je lui disais : "Mais vas-y, fais le !". Une chanson avec Fabrice, c'est nous. Ce disque c'est vraiment nous. Je voulais respecter ce "nous". On s'est connu on avait 18 ans. On a commencé à faire des chansons en 79-80. On sait pourquoi on a fait "Les yeux revolver", "Qu'est-ce que t'es belle", ou "Paris". Ces chansons-là quand même, elles comptent pour moi. On fait des chansons mais de temps en temps, on fait une chanson et... Comme "Paris". L'autre fois, une dame posait ses journaux par terre dans un kiosque à la Gare Saint Lazare. Elle me dit : "Paris, boulevard des bouleversés. Chapeau !".

Ça vous arrive souvent ?
Oui... L'autre jour, j'étais dehors dans la rue, je fumais une cigarette. Je croise un monsieur, un Français issu de l'immigration, je le vois arriver vers moi, il me regarde. Il avait une bonne tête. Je me disais : "Qu'est-ce qu'il va me dire lui ?". Il ne me dit rien, je le vois partir de dos, et il me dit : "C'est ça la France !". Je me dis, quand même... Juste pour ça, ça vaut le coup de travailler un peu.

Lors de l'écoute de l'album "Je reviens à toi", il y a quelques semaines, vous m'aviez dit qu'il avait été jalonné par plusieurs événements tragiques...
Oui, il y a eu la mort de la maman de mon fils aîné, en plein tournage, je n'avais pas fini mon disque. La mort de mes parents. J'ai écrit un livre sur mon père, là j'en écris un sur ma mère. Il y a eu la mort d'un ami très très proche aussi, qui avait fait rebattre le coeur de mes parents et de certains de mes amis. Ce sont des tableaux qu'on enlève du mur, et il reste une trace blanche. Ça s'appelle le chagrin, les souvenirs. Qu'est-ce qu'on fait quand on est vivant et que d'autres meurent ? (Il réfléchit) Je leur dirais : "Gardez la vie, choisissez la vie. Ne m'oubliez pas mais choisissez la vie". C'est ce que j'essaie de faire.

Regardez le nouveau clip de Marc Lavoine, "Je reviens à toi":



C'était douloureux de transformer ça en chansons ?
"Comme je t'aime", c'est différent. Parce que ce n'est pas l'ordre des choses... Un enfant ne meurt pas avant ses parents. C'est arrivé à quelqu'un et je l'ai dédiée à cette personne. Elle était écrite la chanson et je l'ai transformée pour lui. On ne sait pas trop pourquoi on fait les choses. C'est automatique. Je ne veux plus avoir de regrets. Je me souviens... Un jours dans les années 80, le Sida est arrivé. J'avais des amis gay, parce que je travaillais beaucoup à l'Olympia. Ils travaillaient dans la mode, dans les arts. L'un d'entre eux était barman dans un endroit où j'allais tous les jours. Il me servait un, deux, trois ou quatre verres. Il m'en faisait payer un de temps en temps. Il me donnait des sandwichs. Moi, j'étais un fils de travailleur, je faisais du théâtre. Un jour, il a eu des tâches sur le visage. C'était un des premiers symptômes du virus du sida. D'habitude, je l'embrassais et ce soir-là, je ne l'ai pas embrassé, je l'ai repoussé. Je suis rentré chez moi, j'habitais rue Lecourbe. Je m'en souviendrais toute ma vie. J'ai mis un disque d'Yves Montand en boucle. J'étais terriblement déboîté. Le lendemain, je suis allé au bar et je l'ai embrassé en lui demandant pardon. Il m'a dit "Merci" et il est mort. Je ne veux pas avoir des regrets comme ça. Ce n'est pas bien. La peur c'est inutile. Il faut faire attention aux gens. Ce n'est pas parce qu'on a peur qu'il faut occulter la douleur de l'autre. Donc voilà, ce que je tire des leçons de ma vie. C'est une petite vie, ce n'est pas grand-chose. Je suis pas du tout un génie, je suis un homme qui travaille. Mais je veux rester enfant au point de pouvoir embrasser les gens quand ils sont malades. Désolé, j'ai plombé l'ambiance ! (Rires)

Enfant, j'étais gros, j'étais mal dans ma peau
Pas du tout, l'anecdote est très touchante... Pour revenir à l'album, vous partagez un duo très réussi avec votre fils Roman sur "Le temps perdu". J'ai trouvé ça osé de faire chanter ces paroles à un enfant de 10 ans. Comment c'est venu ?
Un enfant, c'est grand. Un adulte, c'est plus petit. Un adulte c'est un enfant qui a raté sa vie. Mon fils, quand ma mère l'a vu arriver au monde, elle m'a vu. Marco. Elle a retrouvé la vue et un bout de sa vie aussi. Elle a passé quatre années de joie. Quand j'ai fait cette chanson, je me suis dit que quand j'étais petit, j'étais effrayé par "Pierre et le Loup" mais je le comprenais, j'étais terriblement triste par la mort du papa de Cendrillon mais je comprenais. Les histoires d'amour, je les comprenais aussi. J'avais déjà le coeur amoureux. J'avais déjà des souffrances, j'étais gros, j'étais mal dans ma peau. J'avais envie de retrouver cette voix quand j'étais enfant, pour raconter ce que je voyais, le monde des adultes, des chagrins d'amour, des cicatrices de l'amour. Je trouvais que c'était sa place. Je crois que ça fonctionne.

Et ça lui plait de chanter ?
Je crois que ça le rend très joyeux de chanter. Dès lors qu'on chante les choses, un chagrin... Ça nous donne du bonheur. Avec mon fils, c'était la même chose. Le temps, c'est important. Il existe mais il n'existe pas. C'est ce que disait Souchon d'ailleurs. Ce n'est pas juste qu'on nous fasse vivre si vite. Qu'on veuille nous rendre si minces, si jeunes. Pourquoi ? Pourquoi tuer l'image de son père ? Vivre avec c'est pas possible ? J'attends des réponses mais il n'y en a pas. On nous inflige des idées. "C'est comme ça qu'il faut faire". Mais non...

Sur pratiquement tous vos albums on retrouve un duo féminin, qui ont souvent été de grands succès...
C'est vrai que je suis gâté. Entre Véronique Sanson, François Hardy, Catherine Ringer, Claire Keim, Souad Massi, Princess Erika, Julie Depardieu.... C'est vrai que ce sont des voix. Elles sont lumineuses.

J'aimerais chanter avec Imany
Vous n'aviez pas envie d'un duo féminin sur ce nouvel album ?
Au début, il ne devait pas y avoir de duo du tout sur l'album. C'est venu par hasard. Sur "Le temps perdu", il y avait la musique très joyeuse et le texte assez dépressif. Au milieu, il y avait une voix possible, celle de l'enfance. Je voulais rendre le tout cohérent. Je travaille toujours sur trois zones musicales pour créer une histoire, album après album. "Le pont Mirabeau" est lié à "Paris", "Paris" est lié avec "C'est ça la France"... Il y a toujours une corrélation et une correspondance entre les chansons. Je peux les mettre dans un ordre différent, elles marcheront.

Il y a aussi un superbe duo avec Benjamin Biolay, "Un chagrin n'arrive jamais seul".
On s'admirait comme ça, on se disait bonjour. Mais on a chanté ensemble un jour. On a joué comme des gamins, du coup on s'est fréquenté de façon plus régulière. Partager une chanson de Gainsbourg, de Delpech. Et on a parlé de Françoise Hardy. Quand elle a sorti "Partir quand même", j'ai écrit "Chère amie" pour lui répondre. Elle m'avait envoyé une lettre, comme si elle avait compris. Je l'ai chanté en duo avec elle. Et un jour, elle a parlé de moi avec Benjamin Biolay et elle lui a fait écouter "Chère amie", qui lui a inspiré "Chère inconnue". J'avais envie de travailler avec lui. Je lui ai envoyé la chanson, et il a eu envie d'entrer dedans, il voyait un film en l'écoutant. Je lui ai laissé une nuit, et elle est encore plus jolie comme ça.

Souvenez-vous de "J'ai tout oublié" de Marc Lavoine et Cristina Marocco :



Et il y a des voix féminines que vous aimeriez explorer ?
J'aime Imany, beaucoup. Sa voix me plait énormément. Elle est vraiment impressionnante. D'intelligence, d'autorité. Elle a un caractère très courageux. Elle a une voix très profonde. Et elle est très jolie. J'aimais beaucoup le chanteur Jimmy Scott, on a l'impression que c'est un homme et une femme qui chantent en même temps. Elle a un mélange d'humanité qui oscille. Je trouve qu'elle chante divinement bien.

J'admire Calogero, il a une voix remarquable
Sur le titre "45 tours", il y a, comme son nom l'indique, une vraie nostalgie. C'est facile de vieillir pour vous ?
Honnêtement, je ne m'en rends pas vraiment compte. Je dis : "Je cours après mes chansons d'amour". Et c'est la vérité. J'aime les photos qu'on accrochait sur les murs. Avant, nos chambres étaient jonchées de 45 Tours. Aujourd'hui, c'est difficile, les carrières sont très courtes. J'admire Calogero, parce qu'il est pile sorti à l'époque où une carrière au bout de deux ans, tu peux être complètement pressé. Il a une voix remarquable, il fait de très bonnes chansons. Il a su toucher une sorte d'intemporalité. Et il travaille beaucoup. On a une chance de pouvoir durer mais c'est vrai que le temps qui passe, j'ai pas envie de me battre contre lui. D'abord, c'est un combat perdu. Il y a des gens qui ont 20 ans, et qui sont des petits vieux. Comment ils pensent. Et parfois, c'est le contraire. Il y a des chanteurs qui partent mais ils n'étaient déjà plus là. D'autres, comme Gainsbourg, ils ne sont plus là mais ils sont encore tellement là. Pour moi, c'est un peu subjectif. Je n'ai pas d'analyse sur moi mais j'espère ne pas avoir pris de coup de vieux considérable.

Je ne veux pas passer pour un people
Michel Sardou arrête sa carrière et il a dit que dans 30/40 ans, personne ne se souviendrait de lui et de ses chansons. Et vous, vous pensez qu'on se souviendra de vous ?
Pour moi, je n'en sais rien. Mais regardez, Brassens, ma fille de 20 ans écoute encore "Les passantes" en boucle. Pareil pour Gainsbourg, Léo Ferré, Boris Vian, Trenet... Je ne me situe pas à ce niveau-là, et je ne veux même pas le savoir. Je ne vis pas du tout avec moi en tant que vedette. Je n'ai pas de photo de moi chez moi, ni de disque d'or ou d'affiche de cinéma. J'ai tout donné à ma mère, je ne sais même pas où c'est rangé. C'est mon frère qui a dû tout prendre. Je n'ai pas envie de me croiser. La photo de l'album par exemple, pour moi je vois un acteur. Ce n'est pas moi que je vois. C'est moi en mieux. Ce n'est pas moi quand je me réveille, quand je suis malade... Je n'ai pas envie de me prendre pour moi. Il y a des gens qui le font, et tant mieux, si ça leur plait. Mais je ne préfère pas les fréquenter. Chanter, ce n'est pas être soi-même. Je n'aime pas les making-of, car on fait semblant d'être soi-même. Je ne veux pas passer pour un people, je ne suis pas un people. Parfois, à la télévision, une fois, on a présenté Thierry Lhermitte comme un people. Ça me fait beaucoup de peine. Ce n'est pas un people, c'est un artiste ! On ne se rend même plus compte de ce qu'on dit.

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