Joe Dassin

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Dimanche 15 octobre, 22h53. Le coup de sifflet final retentit et la sentence tombe. La France est éliminée en quarts de finale de la Coupe du Monde de rugby, après sa défaite face à l'Afrique du Sud sur le score de 28-29. Si les millions de supporters sont déçus, une chanson a resonné toute la soirée : "Dans les yeux d'Emilie". A la plus grande surprise, le classique de Joe Dassin est revenu en force chez les fans, devenant ainsi l'hymne officieux des supporters des Bleus durant le Mondial. Un engouement inattendu qui n'est que la dernière étape du revival, tout aussi surprenant, de Joe Dassin. Car depuis une dizaine d'années, le répertoire de l'emblématique chanteur français est plus plébiscité que jamais, que ce soit à travers des albums de reprises ou des films.

"Ses chansons parlent aux gens"

Les tubes de Joe Dassin connaissent aussi un boost incroyable en streaming. Sur Spotify, l'artiste compte 2,2 millions d'auditeurs mensuels. C'est bien plus que les autres grands noms des années 70 comme Mike Brant (250.000 auditeurs) ou Claude François (975.000 auditeurs). "Les Champs-Elysées" reste la chanson la plus plébiscitée avec 84 millions de streams, devant "Et si tu n'existais pas" (50 millions) et "L'été indien" (30 millions), qui cartonne aussi bien en français que dans sa version allemande. "Dans les yeux d'Emilie" frôle quant à elle les 20 millions d'écoutes. « Qu'il y ait autant d'écoutes, ça me bluffe à chaque fois. Ce qui fait que ce soit comme ça, c'est vraiment la musique, le fait que ça parle aux gens. On a besoin de mélodies faciles à retenir, il faut que ça touche le public, que ça crée une émotion » commente Julien Dassin, le fils cadet de l'artiste, joint par téléphone.

Ayant-droit du catalogue musical de son père depuis 1995 avec son frère Jonathan, Julien Dassin a sa petite idée sur les raisons qui expliquent l'engouement continue pour son père Joe : « Les chanteurs sont là pour donner du plaisir aux gens. Il était très très bon là-dedans. Il était très proche de son public, très humble. Et surtout il a fait des chansons qui parlaient aux gens. "Et si tu n'existais pas, dis-moi pourquoi j'existerais ?", qui n'a jamais pensé ça ? Si un touriste traverse les Champs-Elysées, forcément il va fredonner la chanson. C'est quasiment un hymne ». Il faut dire que Joe Dassin symbolise la France des années 70 et a multiplié les tubes que des générations connaissent par coeur. Outre les précités, il y a bien évidemment "Salut les amoureux", "A toi", "Siffler sur la colline", "L'Amérique", "Le petit pain au chocolat", "Les Dalton" ou "L'équipe à Jojo". « Les mélodies sont très entêtantes et les paroles parlent à tout le monde. Il ne se passe pas une année sans que je rencontre une personne qui me dise qu'elle s'est mariée sur telle ou telle chanson. Ce n'est même plus la chanson de Joe Dassin, le public se l'approprie » poursuit Julien Dassin, impressionné par cette ferveur toujours aussi vive.

Plusieurs albums de reprises cartonnent

L'une des premières phases de ce retour en force a lieu en 2013 lorsqu'Hélène Ségara se lance dans un projet risqué : un album de duos virtuels avec Joe Dassin, "Et si tu n'existais pas". « Pour un album de reprises, tu pars avec un cahier des charges qui peut te rendre tout à fait libre. Là, on n'était pas libre. On avait une voix avec des tonalités, des instruments originaux qu'on a souhaité garder pour conserver des ambiances » confiait la chanteuse à l'époque, approchée par les fils de l'artiste disparu qui la voient comme « une Joe Dassin au féminin » : « Il y a eu un énorme travail pour caler mes mots, caler mes phrases, et puis en même temps se réapproprier ses chansons à ma manière ». Malgré une promotion stoppée nette après un seul single, le disque rencontre un joli succès avec plus de 100.000 exemplaires vendus.

Neuf ans plus tard, c'est Garou qui se prête au jeu avec l'album "Garou Joue Dassin". « Depuis que je suis tout petit, avec mes parents, on écoutait ses chansons à la maison ou dans la voiture, on chantait ça en famille très, très jeune » confesse le chanteur canadien au micro de Purecharts, lui qui a voulu mettre de côté certains de classiques comme "Les Champs-Elysées" sur ce projet de reprises : « Quand j'ai travaillé sur le choix de chansons pour le disque, je me disais qu'elles ne cadraient pas forcément et je ne voulais pas aller dans ces évidences-là ». Le public répond un peu moins présent mais 30.000 copies sont tout de même achetées, et surtout, Garou s'élance dans une tournée qui sillonne le monde entier. Des concerts sont programmés à Londres, à Prague, au Canada, en France...

Un succès en musique et au cinéma

En parallèle, -M- reprend "A toi" et un album hommage, lui aussi intitulé "A toi", voit le jour en 2020. Patrick Fiori, Jérémy Frérot, Trois Cafés Gourmands, Ycare ou Les Frangines revisitent ses chansons cultes. « Joe Dassin, c'est les années 60-70, Hélène Ségara, c'est 2000. Forcément, l'association des deux a plu au public de Joe Dassin originel, et ça plaît à la génération qui aime Hélène Ségara. Garou, je l'ai souvent au téléphone, et il me dit que ça a vraiment bercé sa jeunesse. Il y a un public plus jeune qui découvre ou redécouvre des mélodies et des belles paroles. Peut-être que grâce à ça, ils se mettent à écouter du Dassin » analyse Julien, face à ces projets successifs.

Le cinéma s'est lui aussi emparé du répertoire de Joe Dassin. Ces dernières années, on a pu entendre "Les Champs-Elysées" résonner dans "A Bord du Darjeeling Limited" de Wes Anderson, "Salut les amoureux" dans "Le processus de paix" et "Et si tu n'existais pas" dans, pêle-mêle, "Les passagers de la nuit" de Mikhaël Hers, "Le daim" de Quentin Dupieux ou encore "Vers un avenir radieux" du réalisateur italien Nanni Moretti. Sans compter les séries "iZombie" et "Brassic". Mais comment expliquer un tel engouement des cinéastes pour les tubes de Joe Dassin ? Là encore, tout passe par la musique selon Julien Dassin : « 90% des demandes, c'est parce que les gens aiment. Fabien Onteniente nous avait appelés pour "Camping" et nous avait dit que ça avait bercé son enfance. C'est le truc qui revient tout le temps (...) Vraiment, c'est la mélodie et les paroles, qui sont très souvent des chansons d'amour. Une chanson d'amour, on peut tous se reconnaître dedans. Ce sont des chansons qu'on peut s'approprier très facilement, qui parlent à tout le monde ».

"Les étrangers adorent la chanson française"

Ainsi, le succès viral de "Dans les yeux d'Emilie", propulsé comme hymne des supporters de la Coupe du Monde de rugby, a jeté un coup de projecteur sur le répertoire de Joe Dassin pour la jeune génération : « Ça se ressent oui... Sur l'album "A toi", j'avais repris "Dans les yeux d'Emilie" et c'est l'une de celles qui a le mieux fonctionné au niveau des écoutes. Je suis quand même bluffé à chaque fois de voir que ça tient. Les enfants à l'école, on leur apprend les chansons de Joe Dassin. C'est quand même un truc de fou ! ». Et le fils du chanteur d'étayer ses dires en rappelant que Joe Dassin a réussi à s'exporter dans le monde entier : « Je tourne énormément à l'étranger, en Bulgarie, en Russie, en Ukraine, en Roumanie... Les étrangers adorent la chanson française. Ils sont friands de chansons françaises de cette période-là. A l'Est, un des secteurs où je travaille le plus, les plus grosses vedettes c'est Mireille Mathieu et Patricia Kaas. Parce qu'ils aiment ça. Et à l'époque ils étaient très chics, très classes, ils étaient tous très bien habillés. C'était quelque chose d'aller en télé. Quand le public vient vous voir, il prend du temps pour venir vous voir, donc vous vous devez d'être au top ».

Aujourd'hui, les prochains projets autour du répertoire de Joe Dassin restent flous, alors qu'on célébrera son 85ème anniversaire le 5 novembre prochain. Mais Julien Dassin assure être là « pour répondre à la demande de son public » : « Si je peux le faire, pourquoi pas, mais c'est le public qui décide ». Et ne lui parlez pas de chansons finies par intelligence artificielle, comme celle des Beatles ("Now and Then") qui va sortir jeudi prochain : « Ça m'inquiète, et pour tout le monde en général ! J'ai un peu peur déshumaniser un peu tout. Votre ordinateur ne peut pas être amoureux ou triste, il n'a pas de sentiment. Et puis le spectacle, c'est de l'artisanat ».