dimanche 24 novembre 2019 16:14
James Blunt en interview : "A quoi bon faire de la musique si elle n'est pas sincère ?"
Par
Yohann RUELLE
| Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
James Blunt était de passage en France il y a quelques jours pour défendre son nouvel album "Once Upon A Mind". Un disque intime dont il raconte la naissance parfois douloureuse en interview pour Pure Charts, tout en se remémorant les souvenirs de l'époque où "You're Beautiful" envahissait les radios.
Crédits photo : WEA
Propos recueillis par Yohann Ruelle. Il y a 15 ans, tu te révélais aux yeux du public. Une chanson a bouleversé ta vie. Quels souvenirs gardes-tu de cette époque ? C'est difficile de m'en rappeler avec précision, pour bien des raisons. J'ai été emporté dans un véritable tourbillon avec "You're Beautiful". Des brides de souvenirs me reviennent maintenant car je suis en pleine promo. Hier j'ai fait un plateau télé à Londres, aujourd'hui je suis à Lille et à Paris, demain je serai à Lyon... Ça me revient en mémoire car il y a 15 ans, mon planning était aussi chargé ! Ma famille, c'est ça le vrai bonheur J'imagine que c'était une période de bouleversements assez intimidante.Oh, ce n'était pas si terrifiant que ça. C'était surtout excitant ! Remarque, tu n'as pas tort. Peut-être qu'au moment où "You're Beautiful" s'est hissé numéro un des ventes, et que l'album a lui aussi été propulsé à la première place du top, ça a été la panique. (Rires) C'était beaucoup plus que ce à quoi je m'attendais. Comment on fait pour garder les pieds sur terre ? Tu sais, je me suis lancé dans la musique quand j'étais déjà un peu plus vieux, après ma carrière dans l'armée. Je pense que ça m'a aidé à ne pas avoir la folie des grandeurs. Entre nous, je n'ai pas l'impression d'exercer un vrai métier. Etre médecin ou pompier, ça c'est un vrai travail ! Soyez sérieux deux minutes, je suis juste chanceux. Incroyablement chanceux. (Sourire) Je vis de ma passion, c'est super mais ce n'est pas comme si j'étais plus savant qu'un autre. Ton parcours dans la chanson est-il confirme à l'idée que tu t'en faisais ? Devenir musicien professionnel était mon objectif depuis mes 14 ans. Mais je n'ai jamais réfléchi à une carrière. Je voulais simplement enregistrer des chansons et faire des concerts. C'est totalement différent de ce que j'imaginais. Je vis dans un bus. Je vis littéralement dans un bus pour voyager autour du monde ! On ne peut pas imaginer ça quand on débute. Et il y a beaucoup de fêtes, on rencontre des tas de gens... Je vais te dire. La première chanson de mon nouvel album s'appelle "The Truth", et la vérité c'est que j'ai tout fait, tout connu. J'ai eu une vie incroyable, j'ai passé des moments mémorables sur la route. Ça a été un voyage extraordinaire en tant qu'homme célibataire. Aujourd'hui, j'ai une femme, des enfants, une famille que j'ai la chance d'avoir. C'est vers ça que m'a conduit mon parcours : le vrai bonheur. Regardez le clip "Cold" de James Blunt : Je ne suis pas dans le business de la musique L'industrie de la musique a considérablement changé depuis 2004. Il est plus difficile de vendre des disques car la musique est consommée différemment. Ce sont des problématiques qui t'affectent ?Honnêtement je n'y pense pas. Et j'y ai pensé encore moins durant la préparation de "Once Upon A Mind". Sur mes albums précédents, c'est vrai que j'ai pu penser aux radios, à ce qu'aimait le public. Mais sur celui-ci ? Pas du tout. Ça n'est même pas entré en ligne de compte. J'ai écrit des chansons pour mon père qui est malade, pour ma nouvelle famille, pour mes enfants et mon épouse, que je laisse derrière moi quand je pars en tournée. Je ne suis pas dans le business de la musique. Je suis dans la musique. C'est ton sixième album. En quoi pourrait-on le rapprocher de "Back to Bedlam", ton premier sorti en 2004 ? Dans le titre déjà. "Back to Bedlam" parlait de la solitude de l'esprit, comment nous n'apprenons pas de nos erreurs comme si nous restions prisonniers de nos pensées. "Once Upon A Mind" évoque la même chose de bien des façons. Beaucoup de choses me pèsent et j'en fais des histoires. Ces chansons sont écrites sans filtre, elles représentent des risques émotionnels. Je n'avais pas fait ça depuis "Back to Bedlam". C'est la raison pour laquelle on a décidé de faire du clip de "Cold" la continuation directe de "You're Beautiful", avec ce joli clin d'oeil. J'ai d'ailleurs enregistré ce disque dans des conditions similaires. Je n'ai essayé de sonner comme personne d'autre. Je n'ai pas écouté d'autres musiques, je ne me suis pas demandé à quoi ça devrait ressembler. J'ai couché sur papier exactement ce que je voyais dans mon esprit. Pour moi, toute chanson commence par un sentiment, par quelque chose que tu as besoin de dire. Je parlais de mon père tout à l'heure. J'ai ressenti que j'avais des mots à lui dire quand j'ai réalisé que mon temps avec lui était compté. Mais je ne pouvais pas lui dire en face, alors je l'ai dit en chanson. Si tu te mets à nu, autant te mettre vraiment à nu C'est un sujet très personnel. Est-ce qu'on hésite à se livrer publiquement de la sorte ?Avec cet album, j'ai fini par comprendre... A quoi bon faire de la musique si elle n'est pas sincère ? Peut-être qu'elle se vendra bien. Peut-être que je récupérerais une belle somme d'argent grâce à elle. Ça sera peut-être fun. Mais ça ne m'émouvra plus de la même façon. Quel est l'intérêt ? Je me suis dédié à la chanson parce que j'y ai trouvé un moyen de m'exprimer. Donc non, je n'ai pas hésité. Si tu te mets à nu, autant te mettre complètement à nu. Tu te souviens du moment où tu as commencé à écrire "Monsters" pour ton père ? Bien sûr. J'avais déjà l'idée de la chanson en tête et j'ai demandé à mon ami Jimmy Hogarth, qui a co-écrit plusieurs chansons de mon premier album, de me prêter main forte. Je suis venu chez lui et je lui ai dit : "Voilà le refrain, voilà ce que je vais chanter, appuie sur le bouton pour enregistrer". C'était très simple. Comment va ton père aujourd'hui ? On fait ce qu'on peut. Comme beaucoup d'autres personnes, il est en attente d'une greffe de rein. (ll marque une pause) Tu sais, c'est le cycle de la vie. Les grands-parents partent en premier, les parents sont les suivants. C'est triste bien évidemment, mais il y a une certaine beauté dans tout ça. Ça t'oblige à faire le point. S'il n'avait pas eu ces problèmes de santé, peut-être que je ne lui aurais jamais dit ce que je dis dans cette chanson. Quand quelqu'un part, d'autres viennent remplir le vide qu'il laisse dans ton coeur. La vie est ainsi faite. Ecoutez "Monsters" de James Blunt : Tu penses qu'une chanson a le pouvoir de changer le monde ? Je ne crois pas. Mais après tout, une chanson a bien changé ma vie ! La musique a ce quelque chose de magique qui rassemble les gens. Dans un monde de plus en plus divisé, où les politiciens tentent de nous séparer et où l'on ne communique plus que par écran, la musique est un endroit à part qui unit des personnes inconnues. C'est pour cela que l'attaque du Bataclan a été une véritable tragédie. Il s'agissait d'hommes et de femmes qui ne se connaissaient pas mais qui étaient connectés à la musique à un niveau émotionnel proprement humain. Ça me rend toujours triste d'y repenser. Les gens sont tellement désagréables sur Twitter Sans transition, et sur une note plus légère, as-tu réellement faire croire à ton label que tu étais en train de créer un album de techno ?Tout à fait. (Rires) Paul, qui travaille dans ma maison de disques, est un bon ami et je lui ai souvent raconté des salades donc il est constamment sur ses gardes. Je passais l'été à Ibiza, où j'ai écrit et enregistré plusieurs titres, et ça faisait un moment qu'on ne s'était pas donné de nouvelles. Il m'a juste demandé "Hey, comment ça va ?" et je lui ai balancé ça comme ça, pour le fun. Il prétend avoir compris de suite que je blaguais mais sa réaction disait tout l'inverse ! Tu es une superstar de Twitter, où ton humour fait des ravages. C'est une bonne façon de se protéger ? J'imagine. Les gens sont tellement désagréables sur Twitter. Je préfère le vrai monde. Ricky Gervais [un humoriste anglais, ndlr] raconte qu'il lui suffit d'aller sur Twitter pour trouver des idées pour ses prochains sketchs. Tout le monde s'offense et s'emporte pour un rien, tout le monde est si méchant. J'y fais juste un tour juste pour me rappeler pourquoi je ne dois pas y être. (Rires) Une fois par mois, juste assez pour me dire "oh mon dieu, mais quel monde terrible" ! Je suis convaincu qu'on devrait se débarrasser de nos téléphones portables. Radical mais efficace. Tu comptes publier un recueil de tes meilleurs tweets ? C'est une super idée ! Un bon ouvrage à lire quand les gens sont (en français) "dans la toilette" !
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