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lundi 26 novembre 2012 12:00

Canardo : "Je me vois mal rouler en Lamborghini dans mon clip !"

Il a signé l'un des tubes de la rentrée - et le plus gros hit de sa carrière - en s'associant à Tal sur le duo "M'en aller" et prépare son retour avec un nouvel album attendu début 2013. L'occasion pour Pure Charts de s'entretenir avec Canardo. Le rappeur, qui est aussi le frère de La Fouine, revient sur son parcours, ce succès, la créativité du rap français, l'importance du buzz et sa réticence à mettre des grosses voitures dans ses clips. Entretien.
Crédits photo : East West
Propos recueillis par Charles Decant.

Ca fait plusieurs années maintenant que tu fais du rap en tant qu'artiste et que producteur, mais tu viens seulement de signer ton premier vrai succès commercial avec "M'en aller". Tu te dis qu'il était temps ?
Pas du tout ! Rien n'est acquis. J'ai des objectifs, ce n'est pas encore les rêves que j'ai. Mais c'est vrai que c'est une partie de mes rêves ! Je m'étais "NRJ, non, jamais pour moi". Et finalement le titre a été en rotation pendant quatre mois. Skyrock ? Je me suis dit "Non, pas pour moi". Je n'y croyais pas trop, même si j'avais l'espoir. Et de voir qu'on a été dans le top des clips les plus diffusés, numéro un pendant je ne sais pas combien de temps, cinquième de l'airplay... Je me suis dit que c'était bien. Faut pas lâcher !

Mon rêve ? Durer, tout simplement
C'est quoi justement, les rêves dont tu parles ?
Déjà, tout simplement, ce serait bien de faire l'Olympia ! Je ne te parle pas de Zénith ou de Bercy, juste de l'Olympia parce que je trouve que c'est une salle mythique. Ensuite, il y a le disque d'or, évidemment. Et durer, tout simplement. Durer.

Ce single annonce un nouvel album attendu pour l'année prochaine ?
Non, en fait, mais je sais que c'est assez confus. Ce single était juste dans une mixtape que j'ai sortie qui s'appelle "A la youv", qui est déjà dans les bacs. Là je suis sur le prochain album, mais ça n'a rien à voir.

Pour ceux qui sont des amateurs occasionnels de hip-hop, peux-tu expliquer exactement l'intérêt de ces mixtapes, qui se multiplie dans ce milieu ? Pourquoi ne pas faire tout simplement un album traditionnel ?
Les mixtapes, en fait, on va dire que c'est une sorte de compilation. Comme à l'époque les compilations "Première classe" où on mettait plein de rappeurs différents sur des morceaux, et après on sort un projet avec tout le monde réuni. Comme ça n'existe plus, est né ce concept de mixtape : "Je fais ce que je veux, j'invite qui je veux, et si je veux je ne pose même pas dans un des morceaux, je laisse quelqu'un d'autre poser, c'est pas grave"... C'est ça qui est bien, c'est que c'est libre !

Et pourquoi on ne peut pas faire ça dans un album ?
Un album, je trouve que c'est beaucoup plus personnel. On peut autant s'amuser, mais c'est vraiment propre à soi. La mixtape, c'est impersonnel. Un album, tu peux faire des thèmes qui vont évoquer un décès ou des choses du genre. La mixtape, c'est plus pour s'amuser.

Pour toi, alors qu'on est de plus en plus dans un mode de consommation au titre par titre, le concept d'album a encore un sens ?
Ca reste important. Il y a des albums qui sont super bien, que j'ai découverts cette année. Par exemple, celui d'OrelSan, il y a vraiment un concept, il est uniforme et bien cohérent. OK, il y a la consommation du titre par titre mais si tu accroches à un titre, tu vas peut-être découvrir un autre, puis un autre, etc.

"M'en aller" est moins revendicatif que certains des titres de ta discographie. Tu crois que ça l'a aidé ? Peut-être que les radios sont plus frileuses face à du rap plus militant... ?
Non, pas du tout. La musique, c'est une science inexacte. Tu prends le meilleur guitariste et le meilleur chanteur du monde et il est possible que tu fasses de la grosse daube. Comme l'inverse et il est possible que tu fasses un gros single. Donc je ne pourrais pas dire si ça marche pour telle ou telle raison. Peut-être qu'à la radio, en ce moment, ça manquait de filles et il y avait une fille, ou ça manquait de rap et il y avait du rap...

Bien sûr qu'il reste une place pour le rap revendicatif
Le rap se porte très bien en France cette année, mais pour la plupart, ce sont des titres assez légers. Est-ce qu'il y a encore une place pour le rap revendicatif ?
Bien sûr, il y a une place. Il y a Youssoupha par exemple. Il est toujours aussi revendicatif, ce sont juste ses sonorités qui ont évolué. On ne va pas rester dans le passé. On évolue avec la musique et les tendances hip-hop du moment sont très pop, avec des vraies batteries, des vraies guitares, des arrangements, des petits synthétiseurs pour rendre ce côté frais...

Et des vrais refrains pop aussi !
Oui, exactement. C'est ça qui fait toute la différence, c'est vrai. Ca a un côté B.o.B, tout ça. Le hip-hop évolue.

On peut parler de compromis ? Il y a encore quelques années, quand un rappeur invitait un artiste pop, on parlait presque de trahison. Aujourd'hui, on est passé outre ça ? Ou il y a toujours cette quête de crédibilité ?
Il y en avait un qui l'avait bien fait c'est Sinik avec James Blunt. Sinik était à son apogée à ce moment-là donc il ne l'avait pas fait pour vendre des disques, simplement pour apporter quelque chose de nouveau, pour aller plus loin encore. Quand tu le fais bien, c'est ce qui compte.

Crédits photo : Abaca
Dans ton titre "J'perds pas l'nord", tu dis que les majors t'ont dit "On s'en fout qu'tu rappes bien, ici ce qui compte, c'est le buzz, donc va t'en faire un". Tu as toujours cette vision de l'industrie du disque ?
Oui ! C'est comme ça que je la vois, et je ne suis pas contre. C'est tout à fait normal. Tu vois toutes les nouvelles signatures de maintenant, on ne signe que s'il y a un buzz. Par exemple, faut que tu fasses de millions de vues sur YouTube, qu'on parle de toi. Que tu chantes bien, on s'en fout. Dans le métro, il y en a plein des gens qui chantent bien, qui sont super bons. Mais il faut s'intéresser au business ! Pour ma part, je trouve qu'on est forcé aujourd'hui de s'intéresser au business...

Et c'est positif ?
Je ne sais pas...

Si on veut durer, il faut s'intéresser au business
Dans une interview à Pure Charts, Ne-Yo a dévoilé récemment qu'avant d'entrer en studio, il faisait bien attention à ne pas confondre sa casquette d'artiste et sa nouvelle casquette de patron de label, pour ne pas que ça influe sur le processus créatif...
Moi aussi, c'est pareil, j'ai mon propre label, ma propre boîte d'édition. Pour ma part, je ne sais pas si c'est un changement positif, mais à ce que je vois, je pense que oui. Aux Etats-Unis, ils l'ont fait il y a dix ans de ça. On sait très bien qu'ils ont dix ans d'avance sur nous et Puff Daddy a été obligé de s'intéresser au business, comme 50 Cent, comme Rick Ross, Lil Wayne... Si on veut durer, il faut s'intéresser à son business, avoir un oeil sur les comptes, sur les contacts, gérer son lobbying, pour durer ! Si tu t'intéresses au business, c'est difficile pour toi de couler. Mais quand tu es dirigé par une équipe ou une maison de disques, qu'on te lâche et que tu te retrouves tout seul, c'est compliqué pour toi.

C'est quoi, ton buzz à toi ?
Je le crée, petit à petit. J'essaie de rester constant, de faire des freestyles, de rapper, d'être le meilleur, de reprendre des vidéos, de faire des bons clips. Toujours rester constant.

Tu parlais de millions de vues sur YouTube et justement, tu en as plus de 7 millions pour le featuring avec Tal. En revanche, côté ventes, même si tu t'es hissé dans le top 20, tu dois avoir vendu 30 ou 40.000 singles maximum. C'est ridicule par rapport aux 7 millions...
Après, il y a beaucoup de gens qui réécoutent aussi, mais c'est vrai que le décalage est énorme. Après, c'est un clip, les gens aiment bien regarder un clip.

C'est pas un peu décourageant, de voir que ton morceau marche vraiment, vraiment bien, mais que tu n'en as vendu que 30.000 ?
C'est clair, oui. Après, ce n'est pas quelque chose qu'on peut calculer. Tu as des gens qui sont au Canada qui cliquent...

Mais imaginons que seules 500.000 personnes aient vu une seule fois le clip et aient aimé, ça ne correspond pas du tout aux 30.000 ventes...
C'est vrai. Je ne sais pas quoi répondre à ça...

Il faut militer pour la valeur de la musique !
Ah mais je le fais ! Tu sais ce que je fais tous les mois ? Je vais à Virgin et j'achète toutes les nouveautés ! Hip-hop, R&B, parfois j'achète des trucs cubains... Et je présente mes achats du mois. Je me dis que si les gens voient que j'achète, ça peut peut-être les inciter ! J'achète même les collègues, et après je donne un verdict. Qu'est-ce que je peux faire de plus que donner le bon exemple ?

Quand on parle de buzz, ton frère, La Fouine, reprend Mimi Cracra, "Si maman, si"... C'est une façon de faire le buzz, ces reprises ? Aller chercher un peu dans des registres inattendus ?
Ces deux titres, c'est moi qui les ai composés. Il faut toujours trouver des idées, rester dans la tendance, apporter de l'originalité, faire rêver les gens, les faire kiffer. Ces reprises-là, à la base, elles étaient prévues pour son album. Mais il y a eu des fuites, et comme c'est sorti avant, on ne l'a pas mis sur la mixtape "Capitale du crime"

Comment on gère ces fuites, justement ?
Ca arrive... T'envoies le morceau à quelqu'un pour qu'il retravaille dessus, il se fait pirater son adresse mail...

Ce n'est pas trop frustrant ?
Non, ça va. Il y a bien pire ! J'ai des potes qui bossaient sur un projet, le studio a brûlé, un an de travail perdu... Donc il vaut mieux que ça fuite !

Puisqu'on parle de buzz, pour toi, le clash entre Rohff et Booba, c'est du buzz ?
Non... C'est une petite guerre qu'ils se livrent depuis longtemps. Tout le monde le sait. Je ne sais plus d'où ça a démarré. Mais je ne pense pas que ça soit juste pour le buzz. Ils s'en veulent un peu, je crois.

Des grosses voitures dans les clips ? Oui, à partir du moment où tu peux te les payer !
Toi qui t'inscris dans un rap plus ouvert, plus conscient, quand tu vois des rappeurs pas forcément comme eux, mais qui sont plus dans l'ego-trip, dans un rap plus bling-bling... Ca te parle ?
Il y a des trucs qui me touchent, d'autres qui me touchent moins. C'est comme tout. Pour Rohff et Booba. Il y a des choses qui me touchent beaucoup. D'autres pas. Du tout.

Et alors qu'on ne parle que de crise depuis plusieurs années, du pouvoir d'achat qui se rétrécit, voir des grosses voitures dans les clips, l'argent, l'or dans les vidéos, c'est mal placé ?
Moi je n'ai jamais trop adhéré, sauf à partir du moment où tu peux te le payer ! Quand tu les vois, eux, ces big rappeurs, ils ont les moyens. Donc pour moi, c'est normal. Mais moi, je me verrais mal rouler en Lamborghini dans mon clip alors que dans la vraie vie, je demande à ma soeur qu'elle me prête sa voiture de temps en temps ! (Rires) Parce que la mienne est en panne sur un parking et qu'il faut que je change la courroie ! (Rires)

Donc, quand on verra une Lamborghini dans ton clip, on saura que tu as la même à la maison !
Exactement !

Tu travailles sur un nouvel album, donc. A quoi peut-on s'attendre ?
Il est dans la direction de "M'en aller", que j'avais fait pour un nouvel album mais que finalement j'ai mis sur la mixtape. Ce nouvel album, je mélange de l'acoustique et du hip-hop. C'est-à-dire des caisses claires très sèches et très patate, mélangées avec des petits riffs de batterie, des petites guitares électriques, des pianos, des violons, des synthés... Là, on est encore à l'étape de maquettes, mais il y a pas mal de titres où on a fait poser des vrais pianistes, un batteur, des violonistes. Je bosse en ce moment avec Richard Sanderson, un petit virtuose qui fait beaucoup de musiques de films. Je l'ai croisé et il m'a dit "Il faudrait qu'on mélange le symphonique et le hip-hop" donc j'essaie ! J'essaie d'être original et d'apporter quelque chose.

Cet album va sortir sur un marché saturé d'albums de reprises. Il n'y a que ça qui marche...
C'est une tendance. En ce moment, ça marche, donc les gens le font. Mais les albums qui ont le plus marché, ce n'était pas trop ça. La Sexion d'assaut...

Les albums de reprises, ça va passer !
Mais c'est la seule exception !
Oui, c'est vrai. C'est une tendance, mais je crois que ça va passer. On est capable, on sait faire de la bonne musique. Quand j'écoute Youssoupha, qui est en indépendant et qui fait 100.000 disques, je me dis "Wow".

Donc il y a de l'espoir...
Bah oui ! Même OrelSan, qui sort du fin fond des oubliettes. Tout le monde croyait que c'était mort, que c'était fini, et il a réussi à se relever, à nous montrer son véritable délire, pour qu'on comprenne un peu mieux.

C'est peut-être dans le rap et le hip-hop français qu'il y a le plus de créativité, finalement... !
Je n'ai pas écouté les derniers albums en chanson française... Mais c'est vrai que je n'ai pas le souvenir de quelque chose fou. Je me rappelle de "Pomme C" de Calogero... De Francis Cabrel...

... qui vient de sortir un album de reprises !
Ah oui ? Son nouvel album c'est un album de reprises ? Je ne savais pas. C'est dingue ! Et en rock, il y a quoi ?

Il n'y a plus grand-monde...
Et Johnny, c'est un album de reprises aussi ?

Non, c'est l'exception ! Johnny et Mylène Farmer...
C'est déjà bien. C'est des artistes qui vont chercher, essayer de faire des nouvelles choses. Je pense ! Mylène Farmer, je la verrais mal faire des reprises.

Après, il y en a qui te diront que Mylène Farmer fait toujours un peu la même chanson ces dernières années...
Oui, c'est clair.

Heureusement qu'il y a le rap !
Oui !
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