Victoires 2021 : pourquoi aucune femme n'est nommée pour le meilleur album ?

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Comment expliquer l'absence d'artistes féminines dans la catégorie Album aux Victoires de la Musique 2021 ? Après les interrogations de Camélia Jordana et d'une partie du secteur musical, Virginie Petit, la directrice artistique de la cérémonie, répond aux questions de Pure Charts sur ce sujet sensible.
Crédits photo : France TV
Julien Doré, Benjamin Biolay, Gaël Faye, Grand Corps Malade et Ben Mazué. Voici le nom des cinq artistes nommés aux Victoires de la Musique 2021 dans la catégorie prestigieuse de l'Album de l'année. Une liste se voulant un aperçu des disques ayant rythmé l'actualité musicale au milieu d'une pandémie qui a privé le public de l'adrénaline des concerts, mais qui fait grincer des dents. Personne ne remettrait en question la qualité des albums qui s'affronteront lors de la cérémonie le 12 février prochain. Seulement, la question se pose : aucune oeuvre réalisée par une artiste féminine parue sur les 12 derniers mois ne méritait de figurer aux côtés de "Aimée", "Grand prix", "Lundi méchant", "Mesdames" et "Paradis" ?

En pleine vague #MusicTooFrance, qui vise à dénoncer le sexisme de l'industrie musicale et que portent des voix influentes comme Christine and the Queens ou Pomme, le message envoyé fait tâche. Dans les colonnes de Libération, Camélia Jordana livrait récemment son analyse. « On est en France, en 2021... Mais la majorité des gens qui votent sont des hommes, puisque c'est l'industrie qui vote. Les labels font des deals entre eux : je vote pour ton artiste, tu votes pour mon artiste » avance la chanteuse, qui sera en lice dans la catégorie de la Chanson originale avec "Facile".

"Tout ça est une question de saison"


Il y avait pourtant une artiste féminine qui figurait dans les pré-nominations aux Victoires de la Musique 2021 dans la catégorie Album : la chanteuse franco-israélienne Yael Naim, auteure du sublime "Nightsongs". Seulement, l'Académie de votants n'a pas plébiscité ce projet intimiste, au même titre que les albums de Vianney, Francis Cabrel, Amir et Louis Chedid, eux aussi écartés de la sélection finale. Au fil des ans, les Victoires de la Musique ont souvent été sous le feu des critiques pour des omissions jugées curieuses. Comme celle du rappeur belge Damso en 2018, après le carton critique et public de l'album "Ipséité". « Son absence est certainement regrettable. Mais les Victoires expriment le désir des professionnels, et non celui du public comme c'est le cas le reste de l'année. Peu nous importe le nombre de ventes d'untel ou d'untel » répondait alors Gilles Désangles, le directeur général des Victoires. Depuis, la présidence des Victoires de la Musique a changé. Sous l'impulsion de Romain Vivien, le collège de votants a été élargi l'an dernier pour passer de 600 à 900 membres. Parmi ce panel ? 200 personnes non-professionnelles, 100 hommes et 100 femmes, recrutées sur lettre de motivation pour amener une plus grande diversité. La proportion de femmes déposant un bulletin dans l'urne atteint désormais 40%.

Regardez le clip "Shine" de Yael Naim :


Comment, dès lors, ne pas s'étonner de cette absence de femmes dans la catégorie reine de l'Album de l'année ? Pour Virginie Petit, la directrice artistique des Victoires de la Musique, contactée par Pure Charts, la cérémonie est simplement « la finalité de la production musicale sortie dans l'année ». « C'est le reflet de l'industrie. Tout ça est une question de saison : quand il y a moins d'albums de femmes, il y a moins de chances qu'on en retrouve. Tout est complètement transparent. Sur le site des Victoires de la Musique, il y a un aide-mémoire qui recense tous les albums, chansons majeures [443 au total, ndlr] et artistes qui sont proposés au vote en fonction des sorties. Ça se veut le plus exhaustif possible » détaille-t-elle à notre micro, même si Aya Nakamura, Louane, Pomme, Carla Bruni ou Yelle ont tout de même marqué 2020. Selon le règlement officiel, il est même possible de voter pour un artiste, un album, une chanson ou une création audiovisuelle ne figurant pas dans cette liste « à condition que le choix soit conforme à la définition de la catégorie ».

Pure Charts a pu consulter ce document proposé à l'Académie de votants répartie en plusieurs collèges, comprenant à la fois des producteurs de spectacles et de disques, des interprètes, des auteurs, des compositeurs mais également des journalistes et professionnel des médias, des programmateurs radios et 200 personnes du public. Pour cette année 2021, le nom de 29 chanteuses figure dans la catégorie Artiste féminine. On en compte 103 chez les hommes. Dans la catégorie Album, celle qui suscite le débat, 28 artistes féminines ou groupes comprenant une voix féminine sont cités, contre 101 homologues masculins, soit 21,7%. Virginie Petit nuance en rappelant que cette catégorie répond à des critères précis, à savoir qu'elle comprend des artistes « confirmés » ayant sorti au moins trois albums ou, a minima, un album certifié disque d'or (soit plus de 50.000 ventes).

"Ce n'est pas un bon procès"


A y regarder de plus près, la proportion est légèrement plus égalitaire quant on regarde les catégories Révélations qui, par définition, offrent un aperçu des nouvelles générations : 43 femmes contre 98 hommes, soit 30,4%. « Chez les jeunes artistes et sur cette génération, on aurait donc plus de signatures féminines dans les labels. La tendance a tendance à s'inverser » analyse la directrice artistique des Victoires de la Musique, qui souligne par ailleurs que dans la catégorie Chanson originale, la parité est parfaitement respectée avec "Corps" d'Yseult, "Facile" de Camélia Jordana et "Mais je t'aime", interprété par Camille Lellouche en duo avec Grand Corps Malade, face à "La maison de retraite" de Michel Jonasz et "Comment est ta peine ?" de Benjamin Biolay.

« On peut s'étonner de tout résultat. L'an dernier, on pointait du doigt un manque de diversité. C'est pareil : il faut voir le contexte du marché musical. Cette année, la diversité est extrêmement présente entre Aya Nakamura, Hatik, Yseult, Lous and the Yakuza ou Gaël Faye. L'année prochaine, il y aura sans doute beaucoup plus d'albums réalisés par des femmes qui seront éligibles » prédit-elle, en citant Jane Birkin, Clara Luciani, Camélia Jordana, Vanessa Paradis ou encore Amel Bent : « Pour moi, ce n'est pas un bon procès. La vitrine de l'année, c'est la vitrine de l'année et toutes les années sont différentes, aussi bien pour la diversité que pour la parité ».

Regardez le clip "Corps" d'Yseult :



Un problème de sexisme dans l'industrie ?


Reste ce chiffre éloquent. Depuis la première cérémonie des Victoires de la Musique en 1985, seule 1 artiste féminine a été sacrée dans la catégorie de l'Album de chansons ou Album de l'année, lorsque celle-ci n'était pas déclinée selon le genre musical : c'était La Grande Sophie avec "La Place du Fantôme" en 2013. Faut-il, dès lors, y voir un problème de parité dans l'Académie de votants ? Virginie Petit balaie la remarque d'un revers de la main : « C'est absurde. Les hommes doivent voter pour les hommes et les femmes pour les femmes ? Parité dans l'Académie ne veut pas dire parité dans les nommés. Je pense qu'on n'est pas sur le bon débat ». Pour la directrice artistique, le problème de fond ne concerne non pas la cérémonie des Victoires de la Musique mais l'industrie musicale au sens large : « Citez-moi cinq productrices ou directrices de label ».

C'est donc le serpent qui se mord la queue, car c'est tout un écosystème à repenser. « On n'a jamais donné la place aux femmes. Je ne doute pas qu'une personne de sexe féminin aurait autant de goût qu'un homme pour être directeur artistique. Mais je n'en ai jamais croisé dans ma carrière » se désole Camélia Jordana dans Paris-Match. Tout en reconnaissant, au micro de Pure Charts, participer à cela malgré elle : aucune autre femme à part elle ne figure aux crédits de son nouvel album "Facile x Fragile", par exemple, alors que les hommes sont légion. « C'est hyper révélateur, pas que d'une industrie ou d'une société. C'est aussi révélateur de mon fonctionnement que je dois déconstruire » reconnaît l'artiste de 28 ans qui collabore avec Renaud Rebillaud, Tristan Salvati, Woodkid, Jérémy Chatelain ou encore Dadju et Soolking. Cette question ne relève pas uniquement d'un système à la française : elle nourrit aussi les discussions à l'international, avec un pourcentage de seulement 7.6% d'artistes féminines nommées dans la catégorie Album de l'année aux Grammy Awards entre 2013 et 2020 selon une étude menée par The Annenberg Inclusion Initiative. Comme le résume en des mots très clairs la popstar suédoise Zara Larsson : « On a besoin de plus de femmes dans les salles de décision ».

Charts in France

  • A propos de Pure Charts
  • Mentions légales
  • Publicité
  • Politique de cookies
  • Politique de protection des données
  • Gérer Utiq
  • Nous contacter