Nelly Furtado

Crédits photo : Bertrand Exertier
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Tu opères ton grand retour après sept ans d'absence. Pourquoi avoir pris autant de temps ?
Il y a plusieurs raisons à cela. En effet, mon dernier album remonte à 2017 et après, j'ai eu deux enfants à 14 mois d'écart. Donc j'ai dû prendre du temps pour moi, pour m'occuper de mes deux enfants. J'ai eu une vie plus calme. Aussi, je sentais à l'époque que j'étais trop occupée pour parler musique, j'avais oublié à quel point il était important de poursuivre sa passion et de la matérialiser. D'un côté, c'était assez bénéfique de m'être tenue éloignée des studios pendant tout ce temps... J'ai commencé à travailler sur ce nouvel album en septembre 2020, donc ça va faire bientôt quatre ans. Quand je suis retournée en studio, j'avais l'impression d'être un petit chiot perdu. Je me demandais où était ma maison (sourire). J'ai invité plusieurs amis et collaborateurs très proches pour m'aider à installer le studio comme si c'était une scène de concert. Tout sortait des enceintes et on enregistrait toutes les notes qui en sortaient. C'est pour ça qu'on a 300 chansons parmi lesquelles choisir pour faire un album de 14 chansons !

Il y a eu un déclic ?
J'ai vécu une rupture à ce moment-là, je traversais une période très difficile. Mais ça s'est rapidement transformé en moment joyeux quand j'étais en studio car je me rendais compte que mes vrais moments de joie, c'était de créer en studio avec mes amis. Au même moment, je luttais contre le TDAH, qu'on m'a diagnostiqué très récemment. Toute ma vie, je me suis dis que j'étais peut-être un peu lunaire, flemmarde ou désorganisée, mais en fait c'est un trouble du déficit de l'attention. C'est comme si une lumière s'était éclairée et quand j'étais en studio, mon cerveau fonctionnait normalement. J'étais ultra efficace, soudainement je pouvais écrire trois chansons, faire deux choses en une... Je me sentais vraiment en position de pouvoir.

Tu dis t'être sentie « rappelée à la musique par la communauté des DJ ». En quel sens ?
C'est une histoire de collaboration et de communauté. J'ai appris ça en collaborant avec des DJs. La culture DJ, c'est une histoire de communauté. J'ai fait la chanson "Eat Your Man" avec Dom Dolla il y a un an et demi. L'entendre jouée dans des raves, des clubs, Lollapalooza ou Coachella, peu importe, mais l'atmosphère et l'énergie de cette musique électronique, c'est quelque chose que j'avais oubliée, car c'est comme ça que j'ai commencé dans mes jeunes années. Beaucoup de choses se sont passées en sept ans !



"Eat Your Man" et "Love Bites" sont des morceaux très club, loin de ce qu'on a connu de toi par le passé. Il y a cette idée de n'être jamais là où on t'attend ?
Je vois la musique comme un langage universel. Je ne me sens jamais limitée par un seul genre. Je ne sais pas si c'est parce que mon grand-père était un compositeur, mais j'avais l'habitude de jouer dans des groupes, de faire du trombone. Quand on regarde un orchestre de musique classique, on y retrouve tous les genres de musique. C'est comme ça que j'ai été élevée et influencée, à ne jamais voir les genres comme des barrières ou des limites. J'ai fait des chansons avec Andrea Bocelli, The Game, Tiësto, Juan Luis Guerra... Je ne vois pas les genres comme une limite. Et j'ai tellement un esprit curieux ! Ce matin, je pensais créer une version opéra de "Padam Padam" de Kylie Minogue. Tout le monde se moquait de moi, mais je pense que ce serait excitant.

Oui, ce serait intéressant !
Exactement ! Je voyais ça sur une scène d'opéra avec un air très dramatique. (Elle se met à chanter comme dans un opéra) "You look like fun to me". Tu vois le genre ? (Rires) J'adore jouer, ça fait partie de ma personnalité, je suis très joueuse.

On retrouve cet esprit sur le nouveau single "Corazon" créé avec le groupe Bomba Estéreo, plus reggaeton...
Pour cette chanson, je voulais tous les membres de Bomba Estéreo avec tous leurs instruments. Je leur ai dit "Les gars, je sais que vous venez de faire un concert sold-out, que vous êtes épuisés, mais venez en studio avec moi. Allons dans la voiture et allons en studio". Il faut beaucoup de passion et de vision pour faire ça ! Le travail que j'ai fait sur moi-même a beaucoup servi.

Depuis plusieurs mois, tu parles de l'arrivée de ce nouvel album qui s'appellera "7". Que peut-on en attendre ?
Tu sais, c'est un album dont je suis très très fière. J'y ai mis tellement de larmes, il y a beaucoup d'émotion. J'avais beaucoup de choses à dire, je devais faire face à beaucoup de douleur, j'ai fait beaucoup de travail sur moi-même ces dernières années. Je devais savoir comment j'allais, comment allait mon coeur, mon monde intérieur. Quand je suis retournée en studio, j'avais l'impression d'être une nouvelle personne donc j'avais la possibilité d'essayer de nouvelles idées avec plus de confiance qu'auparavant. J'ai toujours été productrice, et j'ai co-produit la plupart de mes albums, mais cette fois-ci c'était différent. Il faut toujours avoir du courage et de la bravoure pour produire. Je me sens plus forte, en tant que personne, et plus confiante. C'est ce qui a tout changé. On entend beaucoup d'idées ambitieuses. Mais c'est aussi assez pop, car je veux donner aux gens quelque chose de sain, un vice qui serait sain. Car pour moi, la musique est le plus sain des vices. Ça ne peut pas vous faire du mal ! Je voulais donner aux gens une occasion de s'évader en l'écoutant.

Avec des chansons pop, électro ou reggaeton, est-ce facile de créer une unité et d'homogénéiser le tout sur un seul album ?
C'est la question difficile pour moi ! Car c'est vraiment difficile de choisir et de définir ce qui va être un album. C'est demander beaucoup à ceux qui vont écouter l'album. Si je suis triste, je veux que l'album le soit, si je suis contente, que l'album soit solaire... C'est la façon dont on écoute la musique aujourd'hui. Mais cet album, c'est une expérience : il y a des hauts et de bas, des up tempos et des ballades. C'était une vraie expérimentation pour moi : tu mets ton habit de DJ, et tu commences à gérer les tempos, les transitions, et tu essaies vraiment de faire du mieux possible. Ça restera toujours un patchwork, pas quelque chose d'uniforme. Peut-être qu'un jour je réussirai à faire quelque chose d'uniforme, j'adorerai en tout cas (sourire).



En 2022, une version sped up de "Say It Right" a cartonné sur TikTok. "I'm Like A Bird", "Maneater", "Promiscuous" ou "Give It To Me" continuent d'être très populaires en streaming... Quel regard portes-tu aujourd'hui sur ces tubes ?
Tu sais, je m'amuse toujours autant ! Je viens de faire quelques concerts dans les pays nordiques, au Portugal et au Royaume-Uni. C'est assez drôle de voir des jeunes qui viennent de découvrir ma musique, pas par l'intermédiaire de leurs parents, mais par eux-mêmes. C'est quelque chose de différent pour moi, et c'est super ! Ça me fait réfléchir un peu plus, ça me permet de me donner un peu plus de crédit (sourire). Il m'arrive d'être très humble par rapport à moi-même : je fais les choses parce que je les adore, ce qui me force à me dire que je fais du bon travail (rires). Ça m'a pris 25 ans, mais maintenant je peux me dire que j'ai fait de bonnes chansons. C'est assez cool ! Et j'adore cette culture du remix et de la nostalgie. C'est comme si je faisais un livre de photos. Les gens reprennent des éléments, les DJs remixent mes propres chansons... C'est tellement amusant ! J'adore les réseaux sociaux et TikTok. Ça m'intrigue vu que mes chansons cartonnent dessus, j'adore y passer du temps. C'était vraiment un alignement des planètes parfait !

Il y a quelques mois, tu as scellé tes retrouvailles avec Justin Timberlake et Timbaland sur le titre "Keep Going Up". Ça s'est passé comment ?
C'était comme un petit miracle : comment, toutes ces années après, on allait se retrouver ? Ça signifie tellement pour moi que Justin et Timbaland aient pris du temps pour ça. C'est comme si on se remerciait tous, qu'on se célébrait. En un sens, c'est assez réparateur d'être dans la bonne énergie. En 2005, on a fait "Loose", puis Timbaland m'a dit que ça l'avait inspiré pour faire "FutureSex/LoveSounds" avec Justin Timberlake. Le fait qu'il m'ait dit qu'il adorait "Eat Your Man" m'a vraiment touchée. On est donc retournés en studio. Timbaland et moi, on se comprend vraiment car on est capables d'être nous-mêmes quand on est ensemble. On a une sorte de folie musicale et c'est génial d'être entourée de personnes qui ont le même état d'esprit.

Justement, sur "Keep Going Up", tu dis « My new life is better than the old one » (Ma nouvelle vie est meilleure que l'ancienne) : est-ce vrai ?
Oui ! J'ai beaucoup travaillé pour être heureuse et être aussi concentrée que je le suis désormais. Certains choses sont plus faciles que d'autres, tout le monde a ses bons et ses mauvais jours mais, ce qui compte au final, c'est que la vie est imparfaitement parfaite. Ce qui a changé pour moi, si ma vie est meilleure aujourd'hui, c'est que je suis plus reconnaissante. J'ai bien plus de gratitude !