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Magic System en interview

"Ça va aller !" : plus qu'un mantra optimiste, c'est le message d'espoir qu'envoie Magic System à son pays, la Côte d'Ivoire. La sortie de "Touté kalé", leur nouvel album dévoilé le 4 avril dernier, a été l'occasion d'une rencontre avec le groupe. Entre désirs de changement et touche d'optimisme, récit d'un virage en douceur pour la formation qui livre ici son album « le plus abouti ».


C'est aujourd'hui que ''Touté kal钒 sort dans les bacs. Quelles sont vos espérances au niveau des ventes pour ce nouvel album ? (Jonathan HAMARD et Bridget UGWE)
A'salfo : Plutôt bonnes, vu l'engouement qu'il suscite déjà ! On a toujours eu du succès avec nos albums précédents mais pour celui-ci, la maison de disques nous prédit dores et déjà de bons chiffres. C'est inédit !

Ça fait bientôt quinze ans que vous évoluez ensemble en tant que groupe. Quel bilan dressez-vous de votre parcours ?
A : Sans donner dans l'autosatisfaction, le bilan est assez positif. Il est vrai que nous avons traversé un passage à vide entre le premier et le deuxième album. Puis après ‘’Poisson d'avril’’, le groupe a connu une certaine ascension qui ne peut que nous faire plaisir. Tous les disques sortis depuis sont quand même devenus disques d'or. Le plus dur maintenant sera de maintenir la barre et surtout de continuer d'aller de l'avant.

Vous êtes aussi des amis dans la vie. En quinze ans de collaboration, l'entente est toujours la même ?
Manadja : Le plus important pour nous c'est le respect. Le boulot vient après. Dans notre culture en Afrique, le grand frère est une figure d'autorité ; on se doit de l'écouter ! Par-dessus tout, nous sommes des amis d'enfance, nous avons grandi ensemble.
A : Au départ, on ne s'est pas rencontrés pour former un groupe. Notre amitié remonte à bien plus loin et nous a servi de socle dans notre parcours professionnel. On a traversé ensemble les moments les plus difficiles et ce passé commun a forgé notre amitié qui va au-delà des guerres de leadership. Chacun sait mettre son ego de côté. Et puis vous savez, on est amenés à se voir quasiment tous les jours donc même si l'on voulait se bouder les uns les autres on ne pourrait pas ! On ne change pas une équipe qui gagne. Nous sommes quatre et chacun est indispensable à l'équilibre du groupe. Nous sommes complémentaires !

C'est plutôt rare pour un groupe de votre registre musical de passer la décennie. Il y a eu les boys-band à une époque mais aucun n'a passé le cap des dix ans. Surtout avec de la musique faite pour les clubs...
A : C'est vrai qu'en Afrique on est le seul groupe à avoir tenu dix années sans se séparer. Les gens nous demandent souvent comment nous avons fait pour résister face à tout ce succès. En général, ce sont les difficultés qui soudent les liens alors que le succès divise. Mais pas nous, et c'est ce qui fait la force de notre message. On est crédibles parce qu'on donne une image d'union et de solidarité et l'exemple est fort. Notre carrière musicale a débuté en 1997, mais pour certains d'entre nous, on se connaît depuis 1982. On a vécu tellement de choses ensemble qu'il est difficile d'imaginer se séparer maintenant. C'est comme si nous étions liés par un pacte, notre histoire nous unit.

Oui, c'est ce que vous dites dans la chanson ‘’Ça va aller’’ : l'union fait la force. Le clip de ce single a été révélé en fin de semaine dernière, à peine quelques jours après la diffusion de ‘’Chérie Coco’’. C'est très rapide non ?
A : Parce que ce n'était pas dans le même concept. Le titre ‘’Ça va aller’’ est un message d'espoir destiné à la Côte d'Ivoire avant tout, car le pays traverse des moments difficiles. Si on voulait lancer un message d'union, c’était maintenant, alors que le pays traverse la crise. Sinon ce titre n'aurait servi à rien. C'est pourquoi nous avons choisi de faire passer le clip principalement sur des chaînes qui sont diffusées en Afrique, notamment en Côte d'Ivoire. Le but était vraiment de pouvoir faire passer un message important et nous sommes heureux qu'il soit perçu en tant que tel. Ce morceau-là, on ne le compte pas comme faisant partie des éléments de la promo de l'album.

Visionnez le clip "Ça va aller" de Magic System feat Tiken Jah Fakoly


Ce n'est pas anodin que Tiken Jah Fakoly, artiste africain très engagé, soit invité sur ce morceau, non ? Il s'agit de votre première collaboration avec lui : comment s'est faite cette rencontre ?
A : Le choix s'est fait de manière logique et naturelle, tout d'abord parce que nous sommes du même pays, la Côte d'Ivoire. Tiken Jah est une figure emblématique de la musique africaine et pour lancer un message fort, il nous fallait un homme fort. Nous avions déjà collaboré avec Alpha Blondy en 2005, au plus fort de la crise ivoirienne. Tiken Jah Fakoly fait lui aussi parti des rares artistes ivoiriens dont le message est bien perçu ; on ne pouvait pas passer à côté de cette occasion. Quand je lui ai demandé s'il pouvait apporter sa contribution à ce message, il a accepté tout de suite. L'impact a été fort car les gens ont vu qu'il s'agissait de deux genres musicaux différents qui s'associaient pour une même cause. On aurait pu le faire avec un autre artiste mais avec lui, c'est encore plus symbolique car cette collaboration représente la Côte d'Ivoire unie.

Vous parlez de genres musicaux différents et effectivement ce titre a des sonorités reggae. Musicalement, cela tranche beaucoup avec le reste de l'album qui sonne plutôt électro, ce qu'on ne trouvait pas sur les autres disques...
Magic System ce n'est pas "un coup" !
A : Oui, on voulait vraiment une rupture, montrer à notre public que Magic System n'était pas qu'un groupe saisonnier qui vient l'été pour faire danser les foules et que l'on range dans les tiroirs le reste de l'année. Au bout de près de dix ans de carrière, nous avons acquis une somme d’expériences que nous voulions exploiter. Il fallait aller à la rencontre de nouveaux genres musicaux, apporter de la fraîcheur à notre musique habituelle, nous renouveler. Par exemple, nous avons choisi de sortir notre album en hiver alors que d'habitude nos opus sortent à l'été. Pourquoi ? Pour montrer que Magic System est une formation musicale tout court, que l'on peut écouter en toutes saisons. Pour que le public sache qu'au-delà de sortir des tubes, des singles, nous pouvons produire un disque de qualité. Pour cet album, nous avons donné le meilleur de nous. C'est l'album qui nous a pris le plus de temps, on y a consacré quatre ans et le titre de l'album le décrit bien. ''Touté kalé'', ça veut dire que chacun peut y trouver son compte, il y en a pour tous les goûts. Que ce soit de la musique pour les clubs, des textes à message… tout y est ! On parle par exemple du réchauffement climatique, très important en Afrique, alors qu’il s’agit du continent qui envoie le moins de CO² dans l’atmosphère... Bref, autant de thèmes abordés dans cet opus pour donner une image différente de Magic System. On espère bien que désormais les gens nous découvrirons autrement. Nous sommes un vrai groupe avec un orchestre, des musiciens... Magic System ce n'est pas ''un coup'' !

C'est la première fois que sont mis en avant des idéaux, des messages de cette force, notamment avec ‘’Ça va aller’’, j'y reviens encore justement. Au-delà de ce que l'on peut voir dans les journaux, quelle est votre position par rapport aux récents événements en Côte d'Ivoire et comment vivez-vous cette situation ?
Notre rôle est de réunifier.
A
: La politique en Afrique est un sujet extrêmement délicat. On ne dispose pas d'éléments concrets sur lesquels se baser pour juger de ce qui se passe en Côte d'Ivoire. Les gens ne se battent plus pour des idéologies mais pour des motivations territoriales, tribales, religieuses et il est dur de s'exprimer dans ce type de situation. Il apparaît clairement que démocratiquement parlant, il y eu un loupé. Qu'une victoire soit validée d'un côté par le Comité électoral et contestée de l'autre par le Conseil Constitutionnel montre que le système mis en place manque de balises. Résultat, les populations sont les victimes de cette situation. Ce que vous ne voyez pas de l'extérieur, c'est qu'aujourd'hui le peuple ivoirien est divisé. Les gens sont allés voter, certains pour le changement, d'autres pour l'équité et d'autres encore parce que tel candidat est du Nord ou de l'Ouest... La démocratie a été mal conçue en Côte d'Ivoire ce qui nous a mené à ce conflit et ce chaos. Même les artistes sont divisés : il n'y a plus de confiance, c'est la psychose. Notre rôle à nous n'est pas de prendre position pour un candidat ou l'autre. Notre rôle est de rassembler, réunifier car aujourd'hui l'unité n'existe plus dans notre pays.
Le point positif que l'on peut retirer de ces événements, c'est que toutes les grandes nations sont passées par cette période avant de devenir ce qu'elles sont. Même la France est passée par la guerre avant d'être une démocratie. Peut-être qu'à son tour, le peuple ivoirien tirera le positif de cette crise, changera de mentalité ; c'est alors que la Côte d'Ivoire pourra prendre son réel envol.

Regardez le nouveau clip de Magic System, "Chérie Coco" :
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Bien que vous retourniez souvent en Côte d'Ivoire, vous vivez principalement en France aujourd'hui. Vous sentez-vous français ? Pourquoi, selon vous, la France se sent-elle autant concernée par la crise ivoirienne ?
A
: Oui nous résidons en France ! Vous savez, historiquement nos deux pays sont liés ; nous sommes une ancienne colonie française et la Côte d'Ivoire est francophone. La France a un droit de regard sur ce qui se passe dans le pays. C'est normal. Seulement, au niveau des relations diplomatiques, les rôles sont plus ou moins déséquilibrés. Quand le pouvoir en place est en froid avec la France, cette dernière essaie de colmater cette brèche en plaçant un sympathisant au pouvoir. Si les relations entre la France et le pouvoir sont au beau fixe, on n'entendra jamais parler d'ingérence dans nos affaires d’État. Depuis le début des indépendances africaines jusqu'à nos jours, la France est toujours intervenue dans les problèmes de l'Afrique. Aujourd'hui on assiste peut-être à une révolution des mentalités : le peuple africain aspire à une plus grande indépendance, veut assumer pleinement sa souveraineté… et la présence de la France dérange. Seulement il faut trouver l'art et la manière de le faire comprendre. Je ne peux pas dire que la France ne doit plus assister les pays africains, mais l'Afrique ne doit pas être éternellement assistée. Si nous avons besoin de l'éclairage de la France pour avancer, il doit y avoir un juste milieu.

Vous parliez du réchauffement climatique tout à l'heure qui touche l'Afrique plus durement. Selon certains scientifiques, si les pays africains s'industrialisaient à l'instar des pays de l'occident, la Terre serait beaucoup trop polluée. Il est donc préférable de limiter le développement économique et industriel du continent. Ça vous révolte ?
A
: C'est révoltant car l’Afrique subit le plus durement les conséquences de l'industrialisation sans en tirer les bénéfices. Tous les pays souhaitent le développement. Demander à un pays de ne pas s'industrialiser, c'est le maintenir à l'état d'importateur potentiel. Prenez l'exemple de la Côte d'Ivoire, premier producteur de cacao : il n'y a pas une ville en Afrique où le chocolat coûte plus cher qu'à Abidjan. Quel paradoxe ! Pourquoi ? La transformation et la fabrication ne sont pas réalisées chez nous ! Et quand le produit fini revient, il faut y ajouter les frais de douanes etc. Il devrait y avoir une compensation de sorte que l'Afrique ne soit pas toujours dans ce besoin. Pourquoi devrions-nous subir toute la pollution produite par les pays développés et en même temps voir nos ressources naturelles exploitées par ces mêmes pays au détriment de la population africaine ? Autre exemple : la déforestation est alarmante mais on n'en parle pas. Toutes nos forêts sont abattues pour être utilisées par ces pays développés. Même ce que l'on appelle « pétrole africain » est exploité par des multinationales. Aujourd'hui, tout le monde dit que Laurent Gbagbo doit partir mais il y a des choses que l'on peut retenir de sa révolte contre les pays industrialisés. Sur l'angle démocratique on dira : « Oui qu'il parte ! » Mais en ce qui concerne ses revendications, il y a des choses vraies qui auraient apporté un certain réveil des consciences de tous les africains. C'est important de le souligner. Pourquoi l'Occident ne nous industrialise-t-il pas, nous qui disposons de la matière première sur place ?



Vous êtes porteurs d'un message fort, finalement c'est un rôle que vous avez à jouer. Vous avez l'intention de continuer à porter ce message à l'avenir ?
On n'a pas le choix ! Vous savez, nous sommes très croyants et ne pensons pas être là par hasard. Notre mission est une mission divine. Le destin ne nous a pas placés là pour rien. On a la chance aujourd'hui de pouvoir s'exprimer et d'être écoutés par des millions de personnes à travers le monde. On se doit d'en faire bon usage. Nous ne sommes pas des engagés durs et révolutionnaires mais nous savons dire les choses en douceur. On fait partie de la génération Internet, on a la chance de vivre à cette époque où les moyens de communication pour faire passer nos messages sont tellement nombreux qu’il serait dommage de ne pas en profiter !

Nous sommes des griots modernes!
Le peuple africain est très positif et cultive la bonne humeur, la joie de vivre, même à travers les difficultés. C'est ce que Magic System veut communiquer à travers ses chansons. Cependant, il y a des réalités de la vie que nous avons aussi envie de traiter. Nous ne sommes pas beaucoup d'artistes africains à être écoutés en Europe, donc le peu que nous sommes, si nous avons l'opportunité d'apporter notre pierre à l'édifice, on le fait. Vous savez en Afrique, lors des cérémonies, il y a celui qu'on appelle ''le griot''. Il se lève, chante les louanges du Roi et relate l'histoire de sa dynastie depuis son commencement. Et bien, c'est ce que nous sommes aujourd'hui : des griots modernes ! Et nous nous devons de dire tout ce qui va, comme ce qui ne va pas. Malheureusement en Afrique ça ne va jamais ! [rires] On espère que ça va changer. Il y a différentes manières de faire comprendre à un interlocuteur ce dont on a besoin ; il y a la revendication et la doléance. Nous avons choisi la deuxième option.

Aujourd'hui je ne peux pas dénigrer la France, elle nous a apporté beaucoup ! Pas seulement parce que nous vendons des millions de disques, mais parce que depuis notre enfance c'est le français que nous apprenons. La langue française est notre moteur, c'est la langue dans laquelle nous écrivons. Il est vrai qu'il y a des discours révoltants comme celui de Nicolas Sarkozy à Dakar qui nous qualifiait de ''peuple sans Histoire''. Ça fait mal. Mais il ne faut pas tout mélanger et différencier les bons et les mauvais aspects. La France nous a tout de même apporté du positif.

Visionnez le clip "Ambiance à l'Africaine" de Magic System


Bien que ce nouvel album soit porteur de tous ces messages, la plupart de nos lecteurs ne connaissent que les morceaux ''Ambiance à l'africaine'' ou ''Chérie Coco''. Certains se plaignent que vous fassiez toujours la même chose. Avec tout le travail que vous avez fourni, cela ne vous vexe pas ?
A
: Si on devait se vexer, on aurait arrêté depuis longtemps ! La qualité d'une maison ne se juge pas en regardant la façade de l’extérieur, mais par la beauté de son intérieur. De la même manière, on ne peut juger d'un album en se cantonnant à écouter deux chansons. Il faut l’écouter en intégralité. Il ne faut pas s'arrêter au côté musical de Magic System mais comprendre l'esprit du groupe. Quand on entend ''Chérie Coco'', au-delà des paroles, c'est la rencontre des cultures que l'on a voulu mettre en avant. Faire appel à Soprano, rappeur vivant à Marseille mais originaire des Comores, c'est allier deux origines différentes pour porter un seul et même message. On fait sortir Soprano du style auquel il est habitué pour l'amener à évoluer sur notre terrain, le zouglou.

Qu'on arrête de nous parler uniquement de "Bouger bouger" ou de "Premier Gaou !"
Quand on veut faire une rupture, on ne peut pas le faire de manière brutale. C'est une transition douce. On doit rester le Magic System que nos fans ont connu, tout en essayant de se diversifier. Regardez Bob Marley : personne ne s'est jamais plaint de sa musique et pourtant tous ses morceaux sont composés sur la même rythmique, c'est toujours le même beat. Mais le public l'a toujours suivi car il apportait à chaque fois un message différent. Il en est de même pour nous. Le public nous a connus sur un registre, celui du mélange de la musique africaine et la musique occidentale. Cette année, on a voulu évoluer, mettre de la techno et d'autres couleurs pour toucher une plus large audience. Il y a quinze titres sur l'album, c'est beaucoup et chacun en aura selon son goût. Nous sommes très contents de cet album qui est pour nous le plus abouti, le plus accompli. J'ai déjà reçu des messages me disant « je préfère ‘’Soleil d'ét钒 et ‘’L'eau va manquer’’ ». Un fan du fin fond de l'Auvergne m'a même dit préférer ''Anoumambo'' qui est pourtant du zouglou ivoirien pur et dur ! C'est ce qu'on a voulu avec cet album, que les gens piochent et fassent leur choix ! Qu'on arrête de nous parler uniquement de ''Bouger bouger'' ou de ''Premier Gaou'' qui remonte à dix ans quand même !

Pour en savoir plus, visitez magic-system.fr, ou le MySpace officiel.
Réservez vos places pour la "Nuit Africaine".

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