Da SilvaVariete Francaise » Variété française
dimanche 26 mars 2017 12:29
Da Silva en interview : "La production française manque d'audace"
Par
Julien GONCALVES
| Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
A l'occasion de la sortie de son sixième album "L'aventure", Da Silva se confie à Pure Charts. Sans langue de bois, le chanteur raconte la naissance de son disque, donne son avis sur la musique actuelle et évoque son travail avec Jenifer, Soprano ou Yseult. Rencontre avec un artiste libre.
Crédits photo : Julien Mignot
Propos recueillis par Julien Gonçalves. Comment tu te sens alors que ton album "L'aventure" sort ? Je me sens plutôt bien. Je ne fais pas partie de ces artistes qui sont angoissés par la sortie de leur album car je ne fais pas partie des artistes qui doivent vendre énormément. Mes albums se travaillent dans le temps, ce sont des courses de fond plutôt que des sprints. Je suis plutôt en joie, je suis content, mon album sort, on a travaillé ensemble trois ans dessus avec Fred Fortuny. La production française manque d'audace Tu aimerais justement que ça explose ?J'ai envie que mon album soit écouté par le plus grand nombre, j'ai envie évidemment que ma musique soit le plus diffusée possible. Sinon je ne ferais pas de promo, je resterais chez moi ! Mais pour moi, ce n'est pas non plus un critère... Beaucoup de gens pensent que ce qui est respectable c'est combien tu pèses, que les ventes c'est hyper important. Je pense que ce qui est important c'est de faire une musique sans te soucier des modes actuelles. C'est aux médias de faire leur travail après aussi... Je ne suis pas obsédé par la quantité, plus par la qualité. Mais s'il peut y avoir les deux, évidemment je serai ravi ! Quand on entend ce qui passe sur les radios, tu trouves qu'elles sont assez courageuses ? Ça va, je suis en playlist sur pas mal de radios, RTL2, Virgin Radio, France Inter. Et aussi sur plein de radios en régions. Après oui, je ne suis pas matraqué. Les radios privées, elles jouent ce qu'elles ont besoin de jouer... Mais je trouve que, en général, la production française manque un peu d'audace. Les sons et les productions sont de plus en plus décharnés. Il n'y a plus grand-chose. J'entends des reverbs, un kik, un synthétiseur... Un succès c'est presque un accident C'est le fait que ce soit produit sur ordinateur ?Au-delà de ça, car tout est produit sur ordinateur c'est comme ça, mais il y a très peu d'accords, très peu de recherche d'arrangements, de la reverb partout... Il y a très peu de singularité. J'ai la sensation que les compositeurs ou les maisons de disques s'autocensurent souvent pour plaire, à je ne sais pas qui d'ailleurs. Et à la fin, ça ne plait à personne. En six albums, j'ai du vendre 300.000 disques, sans trop qu'on me voit. Il ne faut pas oublier que dans la musique, la règle c'est l'échec. Il y a plus de disques qui échouent que de projets qui réussissent. Un succès c'est presque un accident, on peut les compter. Si on enlève nos petits poulains de "The Voice", il y a combien de grands succès ces dernières années ? Très peu... Ça ne sert à rien de coller à la production actuelle, de mimer un son. Il est préférable de rester comme on est, de ne pas réfléchir à ça et de ne pas penser à sa carrière. En studio, on se rend compte parfois qu'il se passe quelque chose avec un morceau ? "L'aventure", le premier extrait, apparaît tout de suite comme un single à l'écoute de l'album... On ne se rend compte qu'un titre est un single potentiel qu'une fois qu'il est terminé. Pour en avoir fait pour moi et pour d'autres artistes, d'Yseult à Jenifer en passant par Soprano, si tu cherches la recette pour faire un single, c'est la meilleure façon de ne pas réussir. Tu passes à côté de ton sujet ! C'est ensuite que tu réalises qu'il y a des morceaux qui résistent énormément, d'autres qui sont plus évidents. Je ne suis pas dans la quête du single absolu. Il arrive souvent par hasard, comme un coup de bol. C'est ça qui est étonnant dans la musique, c'est qu'on ne maîtrise pas tout. Justement, ce nouvel album il a quoi de différent des autres selon toi ? Il a été fait sur une période de trois ans, avec Fred Fortuny, avec qui je fais à peu près tout depuis quatre ou cinq ans. Il s'est fait dans le temps, contrairement aux précédents, sans me poser la question de savoir quand il sortirait. J'étais chez Capitol, mais j'ai demandé à partir car je ne m'entendais pas avec le patron, il voulait que je change mes chansons, que j'en fasse d'autres. Justement, il voulait une production différente mais j'ai refusé ça. Pourtant, j'avais un contrat très avantageux mais j'ai préféré sauver mes chansons et me tirer. Je l'ai terminé chez Pias. Regardez le clip "L'aventure" de Da Silva : C'est évident de passer d'une major à un label indépendant ? Ce n'est pas une question de moyens aujourd'hui. Les majors ont quasiment les mêmes moyens que les labels indépendants. Elles sont ruinées ! Je travaille avec des personnes, pas avec des moyens. Être chez Universal, ça peut être super bien si tu travailles avec les bonnes personnes. Moi à l'époque, je ne travaillais pas avec une personne qui me correspondait. Il faut aussi trouver que les équipes y croient, j'imagine... Non, on s'en fout de ça, c'est une connerie. Il faut travailler avec des gens qui ont la même sensibilité que toi, qui comprennent ce que tu veux faire et qui ne veulent pas que tu sois quelqu'un d'autre. Ça c'est important. La musique ne sert pas qu'à divertir les gens Pourquoi cet album s'appelle "L'aventure" ?C'est la seule chose qui est intéressante dans la vie, l'aventure. Se laisser surprendre, l'inconnu, la surprise, le fait de ne pas savoir ce qui va t'arriver... Ça permet de toujours te remettre en question, de devoir réagir dans l'instant. C'est ce qui me motive dans la vie, quand j'arrive à tordre le coup à un quotidien. On a tous besoin de ça. Je ne sais pas comment les politiques n'arrivent pas à voir ça. Ils veulent augmenter ceci, cela. Les gens s'en foutent, les gens veulent que ce soit surprenant, que rien ne soit figé, qu'on ne décide pas pour nous, qu'il peut arriver plein de choses. Il n'y a rien de pire que de se dire que là maintenant, tout est définitif et que rien ne peut plus nous arriver. On dit souvent que les artistes sont là pour faire rêver les gens. Tu es d'accord avec ça ? Faire rêver les gens, c'est bien... Souvent, on te dit : "Il faut que le morceau soit festif". Mais ça peut être déprimant un titre festif quand tu ne vas pas bien. Il y a des chansons qui sont là pour te bercer, te rassurer, te consoler ou te donner du courage. Regarde la musique que tu écoutes quand tu fais du sport ! Ce n'est quand même pas la même que celle que tu écoutes quand tu vas te coucher. Il y a une musique pour tout. Et moi c'est ce que je fais. Notamment sur cet album. La musique ne sert pas qu'à divertir les gens et je n'ai jamais eu cette idée-là. Les gens choisissent quand ils veulent être divertis. Après, faire une chanson politique, c'est compliqué et réducteur car il faudrait réduire ses idées en quatre minutes. Il faut faire très attention. C'est vrai que ça se ressent sur ton album ce que tu dis à propos du divertissement. La palette d'émotions est large... Oui et ça fait du bien ces chansons-là. Il faut arrêter de faire croire aux gens qu'on vit dans un monde où la bonne humeur, l'happiness, il n'y a que ça, et que si on n'est pas comme ça, on est des losers. J'ai eu envie de rassurer, de consoler, de faire des chansons qui libèrent comme "La fille", qui expliquent comme "La réputation", des chansons romantiques comme "La seule personne", ou nerveuses et revendicatrices comme "Le sourire". Et quelle est pour toi la plus belle aventure de ta vie ? Ma plus belle aventure c'est sans doute d'avoir eu une fille. Elle a 12 ans. C'est ce que la vie peut te donner de mieux, je pense. Ça me casse les couilles le jeunisme ! J'ai ressenti un peu de Miossec, de Biolay dans certaines de tes nouvelles chansons. Quels sont les artistes qui t'inspirent ?J'écoute beaucoup de black music. Après, dans les artistes que je trouve très bons en France, il y a Biolay, c'est le meilleur de tous et de loin. Il est très bon. C'est le plus surprenant, il est capable de se réinventer. C'est un très bon réalisateur et un très bon arrangeur. C'est un mec que j'apprécie en plus. Il a trois têtes au-dessus des autres. Delerm aussi, avec le temps, il est de plus en plus pertinent. Je l'aime beaucoup. Après, j'essaie quand même de trouver ma voie plutôt que de copier les copains, mais quand on a une voix grave et qu'on chante en français, il y a une espèce de tradition et donc oui forcément il y a des filiations. Je me sens plus proche de cette scène-là plutôt que de ceux qui font de l'électro. Il n'y a pas de jeunisme aussi avec ces artistes-là. C'est vrai que quand on vieillit dans l'industrie musicale, ça peut poser un problème... Ça me casse les couilles le jeunisme ! Il y a des mecs de 40 ou 50 ans qui font des albums avec un son de mecs de 20 ans... C'est un peu la honte quand même. Il ne faut pas avoir peur. Après tout, même toi, tu dois écouter des albums d'artistes qui ont 50-60 ans, non ? Écrire avec Soprano, c'était vraiment très intéressant Bien sûr ! Du Renaud, du Christophe...Voilà ! La modernité d'une chanson n'est pas dans l'âge ni dans le style. C'est quelque chose qui va au contraire passer l'épreuve du temps. Chercher la modernité dans la musique ça n'a aucun sens. Je ne sais pas si mes chansons dureront, mais c'est important qu'elles reflètent bien un moment précis. J'essaie d'avoir une écriture la plus transparente possible pour que les gens ressentent cette poésie. Je tente l'aventure de la précision. Tu l'as dit, tu as écrit pour beaucoup d'artistes. En quoi c'est différent de travailler pour les autres plutôt que pour soi ? Je travaille différemment car quand tu travailles pour les autres, tu es au service des autres. Tu dois composer avec leur personnalité, leur sensibilité. Parfois tu dois donner leur point de vue sur ce qu'ils sont ou pourraient être. Après tu t'adaptes, mais l'énergie est la même. Je ne comprends pas les haters de Jenifer C'est surprenant que tu aies bossé avec Soprano d'ailleurs. Tu l'as pris comme un challenge ?Non. Je suis venu chez lui dans le Sud. Il enregistrait dans une maison à Bandol, et en trois jours, on a co-écrit le texte du "Clown", de "Cosmopolite", et d'autres comme "Ti Amo"... On parlait énormément, on réfléchissait, on écrivait, c'était vraiment très intéressant. On en a fait pas mal, je suis redescendu et on a remodifié un peu les textes. On voit en tout cas qu'il n'y a pas de barrières, tu es à l'aise sur du rap, de la variété... J'avais adoré ton travail avec Yseult d'ailleurs. Ah, merci, ça fait plaisir ! Je repars avec elle justement. Je fais son EP quatre titres qui est dément. Il va casser des têtes dans tous les sens. Il est dingue. Mélange de rythmes afro avec une rythmique de dingue. Elle a une voix de dingue. Niveau image, ça va être fort, elle est dingue avec ça ! Et Jenifer ? Je sais que c'est une artiste qui est clivante, et assez peu comprise, mais j'ai beaucoup d'affection pour Jenifer et je suis très fier de l'album qu'on a fait avec Fred Fortuny. C'est un album que je n'oublierai pas, avec des chansons incroyables. Je suis hyper déçu que certaines personnes s'arrêtent à l'image ou au nom, juste parce qu'ils n'aiment pas la personne, ils n'écoutent pas la musique. C'est ridicule. En plus, je ne vois pas en quoi elle est détestable. Elle est tellement gentille, c'est n'importe quoi. Regardez Jenifer et Da Silva chanter "Tout devient possible" : C'est vrai que lors sa venue dans les locaux de Pure Charts, elle était adorable et accessible... Mais oui elle est adorable. Après, elle ne joue pas la comédie, si elle n'a pas envie d'être gentille, elle te dit : "Aujourd'hui, il ne faut pas m'emmerder". Mais elle est plutôt d'humeur constante et adorable. Je ne comprends pas ses haters permanents. C'est un peu délirant. Mais en même temps, est-ce que ce n'est pas ça la célébrité ? Avoir autant de gens qui te détestent que de gens qui t'aiment ? Moi, les gens, ils n'en ont rien à foutre ! (Rires) Il faut arrêter de prendre le public pour des cons C'est vrai que cet album "Paradis secret" est très réussi. Pourquoi il n'a pas trouvé son public selon toi ? Moi je le dis, le disque de Jen, il a été mal travaillé. Il suffit de voir, c'est con mais il y a combien de clips pour ce disque ? Un seul. Et c'était quoi ? Un shooting photo... Le deuxième clip, c'est un pauvre EPK enregistré en studio. Il n'y a pas eu de clips ! A un moment donné, ils n'ont pas poussé l'image. Ils n'ont pas pris le pari de vouloir la faire grandir. Nous, on a fait avec Jen un album super mature, qui l'a fait grandir, à la fois populaire mais qui la mettait à un niveau moins girly. Mais la maison de disques voulait qu'elle reste hyper girly et continuer d'aller sur NRJ... Mais non, il fallait travailler sur d'autres radios. En France, on a la chance d'avoir plein de radios différentes. C'est quoi la solution ? Il faut arrêter de prendre le public pour des cons. C'est insupportable le cynisme dans la musique. J'en peux plus du cynisme de certaines maisons de disques. De penser que les gens sont tous des cons, que NRJ ne va jouer que des titres complètement nuls ou de merde. Ils sont capable de passer des super titres ! Comme Virgin Radio. Il faut arrêter de faire croire aux gens et aux artistes qu'il ne faudrait faire qu'une seule et même musique pour passer sur NRJ ou sur Virgin. C'est pas vrai et on l'entend bien ! Des tas de musiques différentes peuvent passer sur ces radios-là. Cette histoire de format n'existe pas. Une bonne chanson c'est une chanson. C'est tout. Il n'y a qu'en musique qu'on voit ça, au cinéma ils n'oseraient pas. Tu aimerais retravailler avec Jenifer sur un prochain album ? Je suis le directeur musical de sa tournée. Je continue de la voir, je l'ai tous les jours au téléphone, tout va bien. Mais bien sûr, j'espère qu'on va continuer à travailler ensemble. C'est elle qui me le dira ! J'espère. Il y a quelqu'un avec qui tu rêverais de travailler ? Non, je ne pense pas. Je n'ai jamais penser à ça. Si je te réponds, je vais te dire n'importe quoi. Je vais prendre du temps pour y penser et je t'en parlerai la prochaine fois ! (Rires)
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