CorneilleVariete Francaise » Variété française
jeudi 27 octobre 2011 18:00
Corneille en interview
Corneille humaniste pour "Les inséparables" ? Peut-être ! Mais l'artiste préfère employer le terme "utopiste" pour se définir en 2011. Il revient cette année avec un cinquième album très largement influencé par la paternité, son envie d'ouvrir son univers à des artistes rap / hip hop et par la musique qu'il écoutait étant plus jeune. Tout n'est finalement qu'une question d'identité...
Quand j'entends parler de « l'identité nationale », ça me pose problème. En écoutant ton album, je me demande pourquoi l'avoir intitulé "Les inséparables" ? (Jonathan HAMARD, Journaliste) Corneille : C'est assez clair pour moi. Il y a un titre sur cet album qui s'intitule "Les inséparables". Je parle souvent d'identité sur cet album. J'ai eu beaucoup de difficultés durant ma vie à trouver un cadre simple, une boîte où je pourrais ranger mon identité en la réduisant à des choses très simples. J'ai beaucoup de mal à me présenter en une seule phrase. J'ai eu beaucoup de mal également à me construire en m'intégrant à un groupe précis. Aujourd'hui, j'ai un fils qui est métisse et je me pose beaucoup de questions sur ce que l'identité devient, l'évolution de cette notion. Tout ça dans un monde où l'on vient d'ici et d'ailleurs, que ce soit selon des critères géographiques ou autres. Personne n'est à l'abri de tomber amoureux ou amoureuse d'une personne ayant des origines différentes, ce qui à l'époque de nos grand-parents n'existait pas vraiment. Ils étaient beaucoup plus confinés que nous dans leur village... Sur la chanson "Les inséparables", j'évoque tous ces thèmes en parlant de gens qui souhaitent ne plus être séparés. Et pour peut-être répondre plus précisément à ta question, en terminant mon album, j'ai perçu un autre thème récurrent : celui de l'unité. J'ai mis en avant le fait que les gens veulent rester ensemble, en famille ou en couple. Dans une chanson adressée à mon fils que j'ai intitulée "Tout ce que tu pourras", je me pose beaucoup de questions concernant son avenir. J'ai été interpellé par le divorce. Je n'y avais jamais pensé auparavant. Quand je vois mon fils, je comprends les séquelles qu'un divorce entre sa mère et moi pourraient laisser sur lui. Voilà, c'est dans ce sens là que je parle de la notion d'unité, à l'encontre de la notion d'éclatement. Tu es donc sensible à la polémique qui a récemment fait grand bruit au sujet de l'identité nationale. Oui, parce que je n'y comprends rien ! Le propre de l'homme, c'est de trouver un certain confort dans l'idée qu'on puisse appartenir à un groupe très précis et qu'on puisse se sentir intégrer et compris parce qu'on a des affinités ethniques, religieuses... Ça, c'est le modèle classique qui est entrain de disparaître. J'en suis la preuve. Je n'ai jamais connu ça. Je suis rwandais mais j'ai grandi en Allemagne. Quand je repars là-bas, on m'appelle le petit allemand. Autodidacte, j'ai vite appris l'anglais et le français. Tout ça me mettait dans une case à part. Je vis au Canada français, ma carrière est en France. Mon fils a des origines portugaises aussi. Quand on parle d'identité, je sous-entends la volonté d'une personne ou d'un groupe de simplifier les choses et de réduire l'identité des gens à des critères précis tels que l'ethnie. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'on est musulman qu'on a uniquement des traits communs avec d'autres pratiquants de l'Islam. Ce n'est pas parce qu'on est blanc qu'on n'aime pas le hip hop. Quand j'entends parler de « l'identité nationale » de la manière dont elle est présentée, ça me pose problème. Il y a lieu à débattre mais je ne me retrouve pas dans ce débat là. Je comprends ce besoin d'appartenir à une identité précise car j'en ai souffert étant plus jeune. Je comprends qu'on revendique l'identité française : le besoin de se reconnaître dans des critères. Je crois que nous ressortirons plus sereins de cette discussion. Il ne faut pas l'ignorer comme c'est le cas aux Etats-Unis. La jouissance de ce que je fais, elle est dans la création et sur la scène. Tu dis avoir appris la langue anglaise assez tôt, ce qui me conduit à te parler de ton troisième album et aussi du quatrième, "Sans titre". Ils ont tous les deux connu un succès moins important. Comment l'expliques-tu ?Le troisième album a été écrit en anglais. Je crois que c'est ce choix qui a coincé. J'ai fait ma place sur la scène francophone en grande partie parce que je faisais quelque chose qu'on avait l'habitude de situer dans un contexte anglo-saxon. La musique black américaine nous était assez familière parce qu'elle a traversé les frontières et les époques. Je la présentais non pas en anglais mais en français au tout début de ma carrière, avec un sens facile de compréhension. Une fois ma carrière bien installée, je sors un album en anglais. Inévitablement, ça déroute. Je le savais au moment où je le faisais. Mais j'en avais besoin. Il y avait urgence de le faire pour moi. Ce besoin urgent de créer, c'est la seule source d'inspiration que je connaisse. Quand je ne le ressens pas, je n'y arrive pas. Il se trouve que je défendais des albums en français depuis trois ans. La langue avec laquelle j'ai découvert toute cette musique que j'aime me manquait. A ce moment là, j'ai compris que j'étais en mesure de créer cet album pour me faire plaisir tout en gardant à l'esprit que j'allais dérouter le public car il est plus difficile à comprendre. Il fait partie de mon parcours d'artiste auteur-compositeur. Il arrive que l'on ne soit pas en phase avec l'autre. Je pense que pour mes deux premiers albums, j'étais en phase avec une conscience collective. Pour mon disque en anglais, je n'étais pas en accord avec ces codes là. Enfin, pour mon quatrième album, c'est différent. Timidement, je revenais au français. "Sans titre" était une uvre de mise au point je dirais. Je parle de ma notoriété avec humour. Il y a par exemple "Ma comédie" où je parle du masque que l'on peut porter dès lors que la caméra est braquée sur nous. Il se met alors en place dans notre tête une gymnastique pour tenter de faire passer un message ou de répondre en cinq minutes à une question qui mériterait peut-être trois heures de discussion. Il faut penser à toutes ces choses là. Pour "Sans titre", j'ai essayé d'évacuer tout ça. La jouissance de ce que je fais, elle est dans la création et sur la scène. Voilà pourquoi "Sans titre" ne porte pas de titre : je n'en trouvais pas parce que je me recherchais moi-même. Je me posais beaucoup de questions. Les albums en anglais et "Sans titre" n'ont pas aussi bien fonctionné parce qu'ils ont été fait dans une démarche archi-personnelle. Cet album "Les inséparables", je l'ai fait en tant que fan de la musique. Tu es serein et apporte un jugement éclairé sur ces échecs.C'est une réalité. C'est dur quand on le vit sur le moment parce qu'on l'associe à un certain rejet. Et puis finalement, quand je pense à tous ces artistes qui n'ont pas toujours été au top et qui sont encore là des décennies plus tard, je me dis que c'est normal. Ils ont eu leur délire artistique et n'ont pas toujours été compris. Après ça, on a de nouveau envie de se mêler à la foule. Cet album "Les inséparables", je l'ai fait en tant que fan de la musique, comme quelqu'un qui se mêle à la foule. Cette image dont tu parles, de se placer au milieu de la foule, c'est ce qu'on voit dans le clip "Le jour après la fin du monde". Tu l'as choisi en qualité de premier single. Il est aujourd'hui relayé par le très efficace "Des pères, des hommes et des frères". Tu l'as enregistré avec La Fouine. Tu avais des envies de rap ? Oui, c'est moi qui suis allé le trouver. J'ai compris avec le titre de TLF, "Le meilleur du monde", qui a plu, à ma grande surprise, que je pouvais désormais collaborer avec des artistes hip hop et rap. C'est aussi la musique que j'écoutais depuis tout petit, mais je ne m'étais jamais donné le droit de le faire. Je voulais protéger cet univers que j'avais réussi à imposer en France. Puis finalement, je me suis donné le droit d'aller vers d'autres artistes comme La Fouine. Regardez le clip "Le meilleur du monde" de TLF feat. Corneille : Et pourquoi ce rappeur plutôt qu'un autre ? Parce que La Fouine est le plus américain des rappeurs français. Tu vois très bien qu'il connait les codes du hip hop et du rap américain. C'est l'un des artistes, et là il a un point commun avec Soprano, qui a su ouvrir le milieu du rap à autre chose qu'à la banlieue. Sur son dernier disque, qui est double, il y a une première partie dans laquelle il assume sa banlieue et une autre facette dans laquelle il se présente comme étant un homme père d'une petite fille et le fils d'un homme pour lequel il a un profond respect. A l'écoute de tout cet album, tu comprends que c'est un homme avec lequel tu peux t'asseoir pour discuter et te trouver des points communs. Il a une vraie volonté d'ouvrir le hip hop à un public plus large, à le sortir de cet a priori qui fait un peu peur aux gens. Il y a des choses extraordinaires qui se passent dans cette culture musicale qui est devenue la pop des jeunes. Partout dans le monde, les mômes écoutent du hip hop. Le hip hop français a su se faire une place parce que notre langue est exigeante. Aujourd'hui, à la radio, tu n'écoutes quasiment que des titres en anglais. Même des artistes de variété française ou de jeunes artistes chantent en anglais pour se lancer. Beaucoup le font par pression pour convenir aux exigences des radios. Tu remarqueras que le hip hop français reste chanté en français malgré cette tendance. Et je trouve cette démarche de La Fouine intéressante. Je me reconnais dans la démarche de La Fouine. Tu te reconnais dans cette démarche. C'est ce que l'on comprend à l'écoute de l'album "Les inséparables" en tout cas. Tout à fait. Je me reconnais dans la démarche de La Fouine. J'ai ressenti ce besoin de revendiquer des identités plurielles chez lui. Dans ce titre "Des pères, des hommes et des frères", tu parles de guerre. C'est ton histoire ou l'actualité qui te donne l'envie de l'évoquer ? Aujourd'hui, j'arrive à parler de la guerre sans penser directement à ma propre expérience. J'ai pensé à tous ces conflits en Libye, la guerre en Palestine et en Israël en écrivant cette chanson. J'avais envie d'en parler parce que j'ai tellement entendu cette phrase qui disait que ce sont les hommes qui commençaient les guerres. La guerre, c'est l'une des matérialisations de l'absurdité humaine la plus violente et la plus constante. Je trouvais que c'était une façon simple de dire qu'il y a beaucoup de torts à cause de l'être humain. Les plus grands dictateurs sont des hommes, les pires bourreaux de ce monde étaient des hommes, les pires figures de l'être humain à travers l'histoire étaient des hommes. Il y a également une autre dimension dans cette chanson. On vit à une époque où l'homme se cherche puisque sa fonction a changé. Les femmes revendiquent des droits. Elle sont les seules à pouvoir donner la vie. On vit dans une société où l'homme est de plus en plus inutile. Découvrez le clip "Des pères, des hommes et des frères" de Corneille feat. La Fouine : Difficile d'entendre tes propos alors que l'on vit dans une société où il faut inscrire des lois à la Constitution pour que les femmes puissent être aussi nombreuses que les hommes à l'Assemblée Nationale ! Dans un couple, l'homme ne porte pas la vie. L'homme est impuissant de ce point de vue là. Et pire encore, la femme peut maintenant aller dans une banque de sperme pour faire un enfant. Et puis, elle revendique le droit d'élever un enfant seul. La société a accepté cette chose comme étant normale. Tu te dis que tu ne sers plus à rien. Ah si, tu peux ramener un peu de blé à la maison, sauf en temps de crise (rires). C'est très facile de se sentir inutile. Le machisme n'existe presque plus. Avec le temps, on a banalisé cette capacité de donner la vie. Quand ma femme était enceinte, je trouvais tout ça extraordinaire. J'avais envie de traiter de ce sujet. C'est la paternité qui m'a amené à ce genre de réflexion. J'espère pouvoir regarder en arrière et me dire que j'ai fait les bons choix. Sur cet album, on retrouve également le thème du voyage. Tu emploies régulièrement des mots y faisant référence : le train, le quai de la gare... Je les mets volontiers en rapport avec le texte du single avec La Fouine dans lequel tu situes l'homme « en bas », évoquant indirectement un « en haut ». Je le perçois comme une certaine forme de spiritualité : une manière d'évoquer le Ciel.Tout à fait ! Quand les choses vont mal, on aimerait s'accrocher à quelque chose. Face à l'incertitude et à la difficulté, on a ce besoin de faire confiance en une entité qu'on ne saisit pas. C'est la divinité. L'idée du chemin, c'est ce voyage vers l'inconnu, vers le hasard. La spiritualité nous dit qu'il y a quelque chose de bien au bout du chemin. Ce sont des choses qui me touchent énormément car ce sont pendant ces moments là que l'on fait des choix qui nous conduisent soit vers le mieux, soit dans les ténèbres si je puis dire. Notre entretien se termine et je voulais avoir, au regard de tout ce que tu m'as dit, si tu te considères comme un humaniste et un utopiste. Utopiste ? Oui, mais l'utopie n'existe pas vraiment. Sans connaître l'éternité, on ne peut pas parler d'utopie. Mais dans son sens conventionnel, je le suis. Pour croire en l'utopie, l'homme a besoin de l'espoir. C'est l'un des mots qui revient souvent dans cet album. Qu'espères-tu aujourd'hui ? Un bel avenir pour mon fils. J'espère qu'il saura bien se mêler à la foule. L'espoir aussi que dans quarante ans je serai toujours avec ma femme à regarder mes petit-fils. J'espère pouvoir regarder en arrière et me dire que j'ai fait les bons choix.
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Écoutez et/ou téléchargez le dernier album de Corneille, "Les inséparables". Visionnez le clip "Le jour après la fin du monde" de Corneille : Podcast
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