samedi 01 mai 2021 13:23
Charlotte Cardin en interview : "Je me suis autorisée à être vulnérable"
Par
Yohann RUELLE
| Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Charlotte Cardin est la nouvelle sensation venue du Québec. Découverte grâce à l'émission "La Voix", la chanteuse de 26 ans étincelle sur son premier album "Phoenix", qui arrive dans les bacs après avoir été retardé d'un an. En interview pour Pure Charts, elle nous raconte son parcours, ses influences hip-hop, pourquoi elle a mis quatre ans à faire son disque et disserte sur le féminisme dans la musique.
Crédits photo : Parlophone
Propos recueillis par Yohann Ruelle. Bienvenue en France, Charlotte ! C'est comment de sortir un album en pleine pandémie ? Du sport ! (Rires) Je suis restée confinée pendant sept jours en arrivant à Paris et à mon retour au Canada, je serai en isolement pendant 10 jours. C'est très strict là-bas, très contrôlé. Ça va me faire pas mal de jours à rester seule mais d'un autre côté, je suis tellement contente de changer d'air ! Je me considère très chanceuse de pouvoir voyager, d'autant qu'on a galéré avec les visas. J'ai fait le deuil d'une tournée Le contexte est délicat pour les artistes, et en particulier pour les artistes en développement. Ça t'effraie ?Ce n'est pas évident. L'album est prêt depuis un an mais on a préféré le repousser pour être sûr de lui donner toutes ses chances. J'ai des amis musiciens qui ont sorti leurs disques au début du premier confinement et avec tout ce qu'il s'est passé, ils sont passés sous le radar. Ce sont des années de travail qui tombent à l'eau. Ce n'est pas idéal comme contexte, on ne pourra pas vraiment faire de concerts pour accompagner cette sortie. J'ai fait le deuil d'une tournée, du moins dans l'immédiat, car à mon avis ça ne reviendra pas à la normale avant 2022. Mais je suis heureuse de sortir de la musique et je suis prête à le sortir cet album, alors je suis excitée malgré les circonstances. Tu l'as vécue comment l'année qui vient de s'écouler ? Ça a été un très grand changement de mode de vie. Parce que j'avais l'habitude de voyager, de faire des concerts, on a beaucoup tourné avec les deux EPs. Au moment où la pandémie nous a frappés, ça faisait déjà une bonne année et demie que j'étais en studio alors j'avais hyper hâte de remonter sur scène. Je l'ai quand même bien vécue parce que j'ai mis ce temps à profit pour faire des choses que j'avais négligées ces dernières années : j'ai pratiqué ma guitare, j'ai appris des covers, j'ai travaillé mon jeu de piano... C'était chouette. Dans un sens, cette année m'a fait grandir à certains niveaux. Ce premier album arrive quatre ans après le succès de ''Main Girl''. Pourquoi a-t-il mis autant de temps à prendre forme ? Ce fut un long processus pour plusieurs raisons. Pour l'expliquer le plus simplement possible, j'ai vraiment sous-estimé le temps que ça prenait d'écrire un album. Je crois que j'ai manqué d'un peu d'humilité parce que je pensais que ça allait aussi facile que d'écrire des singles, mais en fait pas du tout. (Rires) J'avais accumulé des expériences, des idées, tout au long de ma vie et ça m'avait permis d'écrire mes premières chansons. Là, j'ai dû apprendre une façon complètement différente d'aborder l'écriture et la composition parce que je n'avais que quelques mois pour le faire. Je me suis imposé une discipline très sérieuse : j'entrais tous les jours en studio, comme si c'était un job. J'ai appris à changer mon mindset car avant, j'attendais un peu que l'inspiration me tombe dessus comme par miracle. Parfois ça arrive et ça donne des chansons magiques mais ce n'est pas toujours le cas. Pour cet album, je me suis aussi tournée vers la co-écriture. Une révélation ! Je me suis rendue compte qu'on ne manque jamais d'inspiration quand on est deux ou trois dans la pièce. On discute, on échange, on s'inspire de nos histoires mutuelles... J'ai adoré cet exercice. Puisque le public français te découvre, apprenons à mieux te connaître. Quel est ton premier souvenir lié à la musique ? Je ne crois pas que j'ai un souvenir très précis parce que la musique a toujours fait partie de ma vie. Mon père est un grand fan de rock'n'roll, ma mère a toujours joué du piano, il y avait beaucoup de musique à la maison bien que mes parents ne soient pas du tout dans des domaines artistiques : ils sont scientifiques ! Quand j'étais en maternelle, j'ai pris des cours de xylophone. C'est peut-être ça ma première expérience. (Sourire) J'ai commencé les cours de chant vers huit ans et j'en ai pris pendant plus de dix ans, pour le plaisir. Je n'imaginais pas du tout qu'en faire un métier soit une possibilité. J'ai toujours adoré Céline Dion ! Qui étaient tes artistes favoris quand tu étais ado ?J'écoutais beaucoup, beaucoup de pop. Mais aussi Radiohead, un groupe qui m'a profondément marquée. Je ne suis pas leur plus grande fan dans le sens où je ne connais pas leurs titres un peu plus obscurs et cachés, mais l'album ''In Rainbows'' a changé ma façon d'entendre la musique et de vouloir la créer, une espèce de liberté totale fusionnée à des mélodies hyper accrocheuses. Et évidemment, j'ai toujours adoré Céline Dion. Depuis toute petite, c'est une institution chez nous ! En grandissant, j'ai aussi découvert le jazz et les grandes voix américaines comme Nina Simone, Aretha Franklin, Ella Fitzgerald... Je n'ai jamais vraiment eu de snobisme ou de parti pris concernant les genres musicaux : j'ai toujours écouté des morceaux par-ci par-là qui me plaisaient, aussi bien des tubes radiophoniques que des projets confidentiels. C'est important d'avoir un tube, justement ? J'ai presque parfois l'impression que c'est un gros mot quand on parle d'art... C'est peut-être le côté un peu moins sexy de la chose parce que ça fait très business. Tous les artistes émergents souhaitent avoir une chanson qui se fasse connaître. Ce qui est drôle et ce qui fait un peu peur en même temps, c'est que c'est impossible à prévoir ! Indépendamment de ce qu'il se passe dans le monde, les modes changent, des choses super actuelles deviennent ringardes... Il n'y a pas de recette. Alors c'est vrai qu'on entend parfois des artistes presque regretter d'avoir eu un gros succès parce qu'ils sont résumés à ça tout au long de leur carrière. Mais je pense qu'il vaut mieux avoir un tube dans ses bagages que d'en avoir zéro. Je n'avais jamais passé d'audition avant "La Voix" Tu t'es fait connaître en participant au télé-crochet ''La Voix'' au Québec en 2013. Quand as-tu découvert que tu avais un pouvoir dans la voix ?Durant l'émission, justement. J'ai toujours su que j'avais l'oreille et que je chantais juste, mais quand je me suis présentée aux auditions de ''La Voix'', lors de la première étape qui n'était pas filmée, dans un petit hôtel, mon but était de passer une audition pour avoir un avis professionnel. C'était un défi personnel : je n'avais jamais passé d'audition. J'étais toute timide en entrant dans la pièce, je me suis accompagnée au piano et puis ça l'a fait. De fil en aiguille, je me suis rendue jusqu'en finale mais pour moi, c'était un peu surréaliste. Je ne me rendais pas bien compte du rayonnement médiatique de l'émission et de son exposition. Je me retrouvais avec des gens qui chantaient même professionnellement depuis des années, qui avaient une carrière. J'étais l'underdog dans cette compétition, et pourtant on me répétait que j'avais une voix particulière. Je ne dois pas l'entendre de la même façon que les autres si j'ai mis autant de temps à m'en rendre compte ! Qu'as-tu appris de cette expérience à la télévision ? Ça m'a appris à gérer la pression quand je monte sur scène, définitivement. A part me produire devant mes proches ou à l'école, je n'avais jamais fait de vrai concert et là je me retrouvais à chanter devant trois millions de téléspectateurs chaque semaine. C'était high pressure comme environnement. Pour une première expérience professionnelle, c'était intense ! Ça m'a permis, par la suite, d'affronter les situations avec un peu plus de maîtrise. Un premier album est une carte de visite. Qu'avais-tu envie de raconter avec ''Phoenix'' ? Je voulais un album qui soit très représentatif de qui je suis. J'avais envie qu'il soit vraiment proche de moi et c'est, entre autres, la raison pour laquelle il a mis du temps à mûrir. Pendant les six premiers mois de travail, j'ai voulu garder le cap et je me suis posé plein de questions. Comment les gens allaient le percevoir ? Quelle image allait-il renvoyer de moi ? Depuis toute petite, j'agis souvent en pensant au regard des autres et des fois on se perd un peu là-dedans. Là je me suis dit : Fuck it, cet album je le fais pour moi ! Je vais aller puiser dans des inspirations qui me font plaisir, qui me font de la peine, qui évoquent quelque chose d'important. Avec mon équipe, on a donc écarté six mois de travail pour recommencer à zéro. Je suis vraiment fière de cet album parce que j'ai réussi à enlever cette part de contrôle et à lâcher prise, en allant dans des endroits où je n'étais jamais allée. La musique m'a permis de canaliser mes émotions Il paraît que tu as écrit près de 70 chansons pour l'album. Sur quels critères t'es-tu basée pour ne garder que les 13 qui figurent sur la tracklist finale ?J'ai choisi celles qui étaient à mes yeux les meilleures, qui racontent le mieux les histoires que je veux défendre. Il y avait pas mal de morceaux qui étaient corrects mais qui n'éveillaient pas quoi que ce soit d'intense en moi. Peut-être que je les retravaillerais un jour. Elles ont eu une vertu thérapeutique, ces chansons ? Toutes mes chansons ont une vertu thérapeutique. J'écris depuis que je suis adolescente et ça a toujours été ma façon de canaliser mes émotions les plus dark et tristes. Pour cet album, j'ai essayé de ne pas contrôler ce qui allait sortir et d'écrire avec le plus de sincérité possible. Tout le monde possède une échappatoire et la musique tient ce rôle-là pour moi. Quand j'essaie d'exprimer mes sentiments à voix haute, soit je pleure, soit je me fâche. (Rires) Il n'y a qu'en musique que j'y parviens. Tu parles beaucoup d'amour destructeur, de passion, de pulsions aussi, comme dans ''Meaningless''. C'est ce que tu vivais au moment d'écrire tes chansons ? Parfois c'est ce que je vis au moment où je couche sur papier mes émotions, d'une manière très brute. Parfois c'est inspiré de récits impliquant d'autres personnes. J'ai co-écrit l'album entier avec Jason Brando, qui est aussi mon manager, et pour ''Meaningless'', il avait écrit les paroles « I don't wanna live a meaningless life without you » il y a de cela très longtemps, quand il devait avoir 20 ans, après son premier break-up. C'est une rupture qui l'avait terrassé, déchiré. Il me les fredonnées avec une guitare classique genre flamenco, d'une façon très mélodramatique. (Rires) Dans sa bouche, ça parle d'une histoire d'amour avec une personne mais ça peut aussi être interprété comme une phrase à propos d'une passion ou d'une chose toxique dont on a besoin dans nos vies. C'est un bon exemple des bienfaits de la co-écriture : on peut partager ses souvenirs et puiser dans les expériences de chacun pour en tirer quelque chose de beau, en l'occurrence un texte. J'adore le morceau ''XOXO'' qui est un superbe duo avec un chanteur. Du moins, c'est ce que je pensais avant qu'on m'annonce que la chanson est interprétée par toi-même, avec deux voix ! Comment est-elle née ? Rassure-toi, tu n'es pas le premier à te faire avoir ! (Sourire) C'est un pur hasard qu'elle soit devenue comme ça. Elle était déjà écrite avec des paroles légèrement différentes, à propos d'une trahison et de la découverte d'un adultère. On jouait avec les tonalités de la chanson en studio parce que je la trouvais un peu aiguë. Sans faire exprès, mon ingénieur son a baissé ma voix au lieu de baisser la piste entière. Et là, révélation : ça me faisait vraiment une voix de mec. Le rendu était génial ! On s'est dit qu'on allait la garder comme ça et puis c'est devenu une sorte de duo, avec ma voix normale sur les refrains. La chanson prend désormais le point de vue d'un homme qui s'excuse de m'avoir trompée et moi qui lui répond. C'est une de mes préférées aussi parce que c'est un heureux accident. J'aime créer des dualités On sent une vraie influence urbaine dans l'album, que ce soit dans les arrangements des titres ''Sad Girl" et ''Romeo'' ou dans l'utilisation du vocoder sur ''Phoenix''. Que t'inspire le hip-hop ?J'écoute beaucoup de hip-hop et de trap. C'est un style qui influence ma création à plein de niveaux. J'aurais dû le dire plus tôt mais j'ai énormément écouté de rappeurs quand j'étais plus jeune, ça se ressentait déjà dans certains de mes anciens titres comme ''Dirty Dirty''. Pour moi qui suis dans une grosse phase Stormzy et 6LACK, et qui ai beaucoup écouté l'album posthume de Mac Miller pendant la création, j'ai aimé créer des dualités entre les genres et incorporer ces références-là dans mon album. C'était important pour toi que le disque s'achève par ''Je quitte", seule chanson en français ? C'était important pour moi qu'une chanson en français trouve sa place sur l'album. Et puisqu'il n'y en a qu'une, ce qui est peu par rapport au ratio de mes précédents projets, je voulais qu'elle ait une place significative. Étant donné la nature de la chanson et ce qu'elle raconte, je trouvais ça parfait qu'elle se situe en toute fin. C'est marrant parce qu'on a beaucoup, beaucoup écrit en français pendant qu'on travaillait sur l'album mais on n'a gardé qu'une chanson. En quoi c'est différent d'écrire en anglais ou en français ? Personnellement, je trouve ça plus difficile en français. Nettement plus difficile. J'ai grandi à Montréal dans une famille francophone et le français est ma langue natale. De fait, lorsque j'écris en français, je n'ai pas la petite distance que peut m'apporter l'utilisation de l'anglais. Je me pose moins de questions quand je parle en anglais, peut-être parce que je me sens moins proche de la langue. J'ai un peu plus de laisser-aller et de spontanéité. Et même phonétiquement, c'est plus difficile à faire sonner le français, plus difficile à chanter. Mais quand il est bien chanté, il n'y a rien de plus beau. C'est une langue riche et magnifique. D'ailleurs, j'écris autant qu'en français qu'en anglais ! Il se trouve juste que mes chansons en français aboutissent moins que les autres. Qu'espères-tu que le public se dira en écoutant ton album ? J'espère que les gens se reconnaîtront dans les histoires que je raconte et qu'ils sentiront quelque chose remuer en eux. J'espère qu'ils se laisseront gagner par des émotions intenses, qu'on ne s'autorise pas forcément à ressentir dans d'autres parties de notre vie. Quand j'écoute de la musique, ça me permet d'aller puiser dans des petites boîtes à l'intérieur de moi que je garde scellées. Alors, j'espère que mes chansons que j'ai écrites sans filtre, en m'autorisant à être vulnérable, auront cet effet-là sur d'autres. (Sourire) Il y a moins d'ignorance sur le féminisme Le sujet de la place des femmes dans l'industrie de la musique revient fréquemment dans les discussions. Tu as le sentiment de faire partie d'une génération qui prend part au changement ?Oui, je suis très contente de voir des progrès et de plus en plus de voix s'exprimer autour de la table. En mars il y a eu la journée internationale du droit des femmes, ce serait bien que ce soit le cas les 364 autres jours de l'année aussi ! En France et au Québec, j'ai l'impression qu'on a moins peur de dire les choses et qu'il y a moins d'ignorance sur ce qu'est le féminisme. Les gens comprennent que c'est une recherche d'égalité, ils s'informent, en parlent autour d'eux, écoutent et nourrissent des débats constructifs. C'est positif, mais on n'y est pas encore. Crédits photo : Jean Pierrot / Parlophone Que faudrait-il faire ? Continuer d'en parler et démarginaliser certains rôles. Il va falloir, pendant un certain temps, prendre des décisions pour appuyer cet élan. Je vais prendre un exemple concret. J'ai participé à l'émission ''Star Académie'' cet hiver au Québec pour chanter quelques chansons. Et dans le groupe de musiciens, la guitariste était une femme et la bassiste était une femme. C'était un quatuor 100% mixte et c'était la première fois de ma vie que je voyais ça dans une émission télévisée ! Je me suis dit que c'était super pour les jeunes filles de voir une femme jouer de la guitare à la télévision. On a besoin de plus de modèles féminins et il faut en avoir conscience. Alors, pendant un certain temps, il faudra peut-être accorder plus de places aux femmes dans ces espaces-là, jusqu'à ce que ça devienne réellement naturel et qu'on ne se pose plus de questions. Ce n'est pas vrai de dire que c'est intégré dans les esprits : on ne voit pas autant de femmes tech, on ne voit pas autant de femmes musiciennes. Et ce n'est pas parce qu'il n'y en a pas, c'est parce qu'on donne les postes aux hommes. C'est comme pour la diversité culturelle à la télévision : oui, c'est important la représentation. Il faut activement y participer parce que la société nous a conditionnés à normaliser des comportements et à ne plus voir certains schémas se répéter. Il est temps que ça change. Podcast
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