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Anggun en interview : "La neige au Sahara", le sexisme, l'Eurovision...

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Dans notre deuxième partie d'interview, Anggun se confie sur le bel accueil réservé aux Etats-Unis à son single "What We Remember", revient sur le succès de son tube "La neige au Sahara", évoque le féminisme et le sexisme, avant de se souvenir de son expérience à l'Eurovision. Rencontre avec une artiste sans langue de bois.
Crédits photo : Andre D
Dans la première partie de notre interview avec Anggun, la chanteuse se confiait sur son engagement pour les femmes, évoquait le jeunisme dans l'industrie musicale et expliquait ne pas avoir envie d'enregistrer un album en français pour le moment. Désormais, elle revient sur le succès de son dernier single, les coulisses du rêve américain, revient sur le féminisme ou son expérience à l'Eurovision.


Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Votre single "What We Remember" s'est frayé une belle place dans le top 8 au Billboard Dance Charts (Etats-Unis). Ça vous fait quoi ?
C'est une surprise ! Surtout de revenir 20 ans après "Snow in the Sahara", la version anglaise de "La neige au Sahara", qui était classée aussi mais pas aussi haute. Je suis agréablement surprise. Donc on m'a dit qu'il fallait qu'on fasse un peu de promo aux Etats-Unis au mois de juin. Bon, d'accord... On va tâter le terrain.

Pour s'imposer aux Etats-Unis, on vous en demande trop
C'est difficile de pénétrer le marché US. Il faut y consacrer des mois, des années parfois...
J'avais fait ça à l'époque du premier album. Mais c'était trop demandé... Ce n'est pas tant le fait de rester longtemps sur le territoire mais c'est surtout la suite. Ils vous demandent de laisser tomber tout ce qui est non-américain dans les gens avec qui vous travaillez. Bon, le styliste, la maquilleuse, pourquoi pas, le manager... A l'époque, il fallait qu'on fasse un clip avec les réalisateurs de clips qui étaient "MTV friendly". Il y a toute une liste. Il faut que ce soit adaptable...

C'est beaucoup de compromis...
Oui. Surtout qu'à l'époque, ce que je faisais c'était très world music. Donc ce n'était pas du tout américain ! (Rires)

Mais votre titre "What We Remember" s'y prête bien aujourd'hui...
Oui, oui... On ne sait jamais comment une chanson peut toucher tel ou tel public. On verra !

Vous qui avez une voix particulièrement puissante, comment vous expliquez que la variété à voix ne soit plus si à la mode ?
Je n'en ai aucune idée. Je n'analyse plus... Peut-être que ce sont des phases. Je ne sais pas si on va revenir à ça. Mais finalement, ce n'est pas plus mal peut-être. Et je ne sais pas si j'ai été classée dans le registre de chanteuse à voix car je ne suis pas vraiment allée vers ce registre. Ce qu'on aime de moi, c'est une identité vocale, pas forcément techniquement. Et ça me va !

Regardez le clip "What We Remember" d'Anggun :



Vous chantiez "Etre une femme" en 2005. Le féminisme, c'est quelque chose qui vous habite depuis toujours ?
Oui, c'est normal, je suis une femme ! Et j'ai envie de défendre les droits des femmes. Il reste du chemin... Quand on voit toutes ces injustices, dans tous les domaines. Même Hollywood s'y met... Il y a toutes sortes de mouvements. En tout cas, on en parle et c'est bien. Après, il y a des pays qui s'y prêtent plus que d'autres. En Asie, on n'en parle pas beaucoup. C'est comme l'environnement. On dirait que ça ne concerne que les pays riches car les autres ont d'autres problèmes. Je me suis rendue compte de ça en travaillant avec l'ONU. Ce qui concerne les gens d'un pays diffère d'un pays à un autre, alors qu'en fait ça nous concerne tous. C'est un travail qui va durer encore longtemps...

Etre une femme dans l'industrie musicale est plus difficile
C'est plus difficile d'être une femme dans l'industrie musicale vous pensez ?
Oui. Si on n'est pas très belle, c'est un problème. Si tu es trop belle, aussi. Je me rappelle, on me disait souvent : "Oui mais tu ne peux pas t'habiller simplement ?". J'adore mettre de belles robes mais on s'est rendu compte que lorsque je passe à la télé, les ménagères comme on dit changent de chaîne. Ce n'est pas très sympa ! (Rires) Alors qu'en Italie, on célèbre la féminité. A outrance d'ailleurs... Toutes les trois secondes, il y a un plan sur les décolletés. En France, peut-être car c'est le pays comme Edith Piaf. Il faut peut-être s'habiller en noir et chanter. Mais ce n'est pas grave. Moi je viens avec tout ce qui me touche, avec ma différence et si on aime tant mieux. Mais pour vous répondre, c'est plus dur d'être une femme oui. C'est difficile de jauger sur ce qu'il faut faire ou pas.

C'est vrai qu'on vous présente souvent dans les médias comme "La magnifique Anggun". On ne dit pas vraiment ça aux hommes...
Oui, c'est assez sexiste finalement. Après, je préfère ça que "la super moche Anggun". (Rires) Ça fait plaisir mais je sais aussi que dans chaque compliment, il y a une part de politesse. C'est pour ça que je trouve dommage qu'il n'y ait plus d'émissions où on peut parler, apprendre à mieux connaître les artistes, au-delà de sa plastique ou de ce qu'elle peut représenter. Il y a beaucoup d'émissions où il y a des snipers. Il faut être calé sur tout ! On n'a plus le droit à l'erreur. Il faut faire attention à tout. Je ne dis pas que c'était mieux avant mais les données ont changé.

Je n'ai jamais été entre les mains d'un prédateur
Vous parliez d'Hollywood tout à l'heure avec le féminisme. En écho à l'affaire Weinstein, est-ce que vous avez pu vous aussi vous retrouver dans des situations compliquées ?
Non. J'ai beaucoup de chance car je ne suis entourée que de gays. (Rires) C'est mon cordon de protection ! En plus, je ne vais jamais seule aux rendez-vous. Je n'ai jamais été entre les mains d'un prédateur.

On va changer de sujet. Vous avez commencé très jeune, à 7 ans. Vous avez monté votre label à l'adolescence… Avec le recul, vous avez la sensation que tout est arrivé trop jeune ?
Je m'amusais. Je pense qu'on ne peut pas juger avec aujourd'hui, la nuisance de la télé. A l'époque, ce n'était pas comme ça. J'ai grandi dans un milieu artistique donc c'était naturel pour moi. Je n'ai pas perdu mon enfance, mais elle était différente. Je n'ai pas grandi avec la télé car mon père l'interdisait. On avait beaucoup de livres. Bien entendu, j'étais très bizarre à l'école car je ne connaissais pas les films à la mode. Mais il ne faut pas se juger par rapport aux autres.

Avec votre carrière accomplie et votre expérience, si votre fille voulait se lancer dans la musique, vous lui diriez quoi ?
Déjà, je suis contente, elle ne sait pas chanter. Elle est vraiment à la ramasse totale, j'adore ! (Rires) Après peut-être qu'elle développera ça plus tard. Mais c'est très difficile de suivre les pas de ses parents. Elle est très artistique en tout cas. Elle aime beaucoup dessiner, comme tous les autres. On verra, on a le temps...

Souvenez-vous de "La neige au Sahara" d'Anggun :



En France, on vous résume parfois au tube "La neige au Sahara". Ça vous vexe ?
Non, j'adore ! C'est mon hymne national. (Rires) C'est LA chanson qui m'a permis de voyager autant, d'être encore là. C'est grâce à cette chanson tout ça quand même. Elle est intemporelle.

Décrocher un tube, c'est comme gagner au loto
Vous pensez qu'on a qu'une seule chanson aussi forte dans sa carrière ?
C'est une chanson qui fait partie d'une époque aussi où on avait le temps. Et puis la musique, j'ai l'impression qu'avant elle rentrait vraiment dans la vie des gens. Aujourd'hui, on écoute tous notre musique dans les écouteurs. Même à la maison, chacun écoute de son côté dans sa chambre. Chez moi, je mets la musique et on fait partager. Cette chanson, elle marque un temps avec la beauté, la poésie...

Vous aviez senti que ce titre avait quelque chose de particulier en l'enregistrant ?
Non, absolument pas. Je pense qu'on ne sait jamais... En plus, c'était un premier album, il y avait tout à créer, il n'y avait aucun point de référence. J'étais très très heureuse avec cet album qui me suit encore aujourd'hui. C'est comme gagner au loto ! C'est ce que m'a dit Bryan Adams. "Si tu as un tube, tu es très chanceux. Si ça arrive une deuxième fois, mon Dieu !" Je prends ça comme une chance.

Ce succès international au début ça a pu vous faire peur ?
Oui... Mais j'avais un peu l'habitude par rapport à mon passé en Indonésie, même si ce n'était pas à la même échelle. Heureusement que j'avais ça en fait. Heureusement que je n'étais pas une petite de 23 ans qui n'avait rien vécu, qui ne savait pas ce que c'était qu'aller à la télé ou comment répondre à une interview.

Souvenez-vous de la prestation d'Anggun à l'Eurovision :



Vous avez été jurée dans "X Factor Indonesia" puis désormais dans "Asia's Got Talent". On sait qu'il va y avoir une version de l'Eurovision en Asie. Vous allez y prendre part d'une façon ou une autre ?
L'Eurovision en Asie, déjà c'est bizarre comme nom ! (Rires) Je ne sais pas... J'ai entendu tellement de choses, plein de rumeurs, mais rien n'est fait.

L'Eurovision, ça ne m'a apporté grand-chose
Vous pensez que ce concept est une bonne idée ?
Tout ce qui est musical, j'aime. Mais pour l'avoir fait... Je ne me suis pas rendue compte à quel point c'était une compétition, dans tous les sens du terme. Dans ma tête, la musique n'est pas une compétition. Là, c'était un peu comme les Jeux Olympiques de la chanson. Mais oui ça peut être sympa. Et maintenant, c'est un super show. Le côté kitsch parfois pour certains pays, ça a son charme !

Quels souvenirs vous gardez de votre participation à l'Eurovision en 2012 ?
J'adorais la chanson de Loreen. En l'entendant, je me suis dit qu'elle allait gagné ! C'était vraiment mérité. Mais le deuxième, les mamies Russes (Buranovskiye Babushki, ndlr)... Quel grand écart ! (Rires) Donc là, ça m'a un peu consolé.

Ça vous a apporté quoi avec du recul ?
Ça ne m'a pas apporté grand-chose. Mais je n'y allais pas pour ça. J'étais tellement honorée, tellement touchée qu'on me demande de représenter la France. On n'a pas posé le pour et le contre avec le management.

A l'Eurovision, j'ai reçu des messages racistes
Sinon, vous ne l'auriez pas fait ?
Peut-être, je ne sais pas ! (Rires) En fait, quand on a annoncé ma candidature, pour la première fois, je regardais les tweets et j'ai reçu des messages racistes du genre : "C'est quoi cette jaune qui représente la France ?". C'est la première fois que j'étais confrontée à ça. Alors, quand j'ai perdu, je me suis dit : "C'est bon, on va me conduire à l'aéroport !". Mais, en fait non, les gens étaient aussi déçus que moi... La candidature était mal passée pour certaines personnes mais elles n'étaient pas contentes non plus du résultat.

Pourquoi ça n'a pas fonctionné pour vous à l'Eurovision ?
Je ne sais pas... Encore une fois, regardez l'écart entre le premier, super, et le deuxième... Elles ne chantaient pas d'ailleurs. Et elles étaient six, il y en avait deux de rechange derrière, au cas où. C'était drôle... La chanson russe ("Party For Everydoby", ndlr), c'était tout ce qui est de plus ridicule. Bien sûr que j'étais déçue de mon classement mais quand on voit ça, on ne parle pas de la même chose. Je me console avec ça !

C'est Madame Monsieur qui représentera la France avec "Mercy" le 12 mai prochain. Vous avez suivi un peu ?
Oui, c'est super ! Et c'est une histoire vraie en plus. La chanson est belle, ce n'est pas fait pour pleurnicher. J'ai encore vu le clip ce matin, ma fille chantait. J'espère qu'on va être bien classé. Depuis plusieurs années, on n'est pas mal !

Vous avez un conseil pour eux ?
Oh, non... Ah, si, il faut boire peut-être avant ! (Rires) C'est ce que m'avait conseillé Sébastien Tellier. (Rires)
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Ecoutez et/ou téléchargez l'album "8" d'Anggun.

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