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samedi 01 octobre 2022 12:25

Adé en interview : "J'ai envie que ça marche mais pas pour être célèbre"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Ex-chanteuse du groupe Thérapie Taxi, Adé se lance en solo avec "Et alors ?", un premier disque pop-folk "version française et version 2022" nourri par son amour de l'Amérique. Rencontre avec une artiste bien dans ses santiags.
Crédits photo : Fanny Latour-Lambert
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Dans la première chanson de ton album "Et alors", tu te chantes à toi-même : « Tu seras seule parfois pour être libre, mais ça vaut mieux pour toi crois-moi ». Il faut y voir un parallèle avec la fin de Thérapie Taxi ?
Honnêtement, je n'y avais pas du tout pensé ! Mais il y a une vérité là-dedans, c'est sûr. Dans la solitude, il y a une vraie liberté. Je l'ai écrite sur le vif pour parler d'une relation amoureuse, mais dans l'idée, c'est pour tout le monde, moi y compris. L'album est un peu comme ça, avec des questions et des réponses. Tout n'est pas un même propos. Par exemple cette intro, tu pourrais la faire écouter à la meuf qui chante "Side by Side", qui est dans une relation pourrie et se fait chier en fait, pour lui donner des petites impulsions de courage comme : "Ben vas-y, quitte tout ! Change !". Il y a plusieurs chansons qui se répondent.

Dans la solitude, il y a une vraie liberté
C'était ta décision d'arrêter l'aventure Thérapie Taxi?
Boarf, oui et non. On le savait que ça s'arrêterait. On avait dit trois albums, on en a fait deux et demi ! Il se trouve qu'il y a eu un confinement, une tournée de prévue qu'on n'a jamais pu faire, on ne voyait pas la bout de la pandémie, c'était une période de transition dans nos vies personnelles... Ça semblait être le bon moment. Avec le Covid, puis la possibilité de faire une nouvelle tournée derrière, ça a été une rupture très lente. Mais c'est aussi pour ça que ça a été beau et bien vécu par les gens qui nous écoutaient. Pour chacun d'entre nous, le souvenir de cette fin de groupe c'est le dernier concert, qui était incroyable. On pleurait tous mais on ne savait pas trop si c'était de la tristesse ou de la joie ! C'était euphorique.

Tu n'as pas craint de casser un élan, alors que vous étiez en plein succès ?
Si, si, bien sûr. Mais c'est comme les super bonnes séries. Genre "Lost" j'adorais et à la fin, j'en pouvais plus ! Pourquoi ils ont fait autant de saisons ? (Rires) Pourquoi on serait obligé d'attendre que ça finisse "mal" ou que ça ne marche plus ? Ce n'était peut-être pas logique d'un point de vue commercial mais je trouve ça super que ça se soit arrêté dans un moment de réussite. Ça restera, je l'espère, un bon souvenir pour tout le monde plutôt qu'un truc mou dont les gens se foutent à moitié. Moi j'aime bien notre histoire. C'est comme si on avait divorcé en faisant une méga teuf. (Sourire)



Avant l'arrivée de ton projet solo, tu as enregistré le duo "Parc fermé" avec Benjamin Biolay. Travailler avec un artiste respecté de la profession, ça t'a donné confiance ?
C'était un moment vraiment charnière. Quand on a commencé à travailler sur cette chanson, on n'avait pas encore annoncé publiquement la fin du groupe, même si on préparait notre EP d'adieux ["Rupture 2 merde", ndlr]. J'ai été très surprise de recevoir cette proposition, car je n'avais pas encore commencé à réfléchir à la suite. Ça m'a fait vraiment bizarre et en même temps, c'était une chance inouïe. J'avais adoré l'album "Grand prix" qui venait de sortir. Quand j'ai reçu la chanson, finalement ça m'a paru une évidence. Si j'avais eu le moindre doute, je ne l'aurais pas faite ! C'était génial. Pour la première fois, il y avait marqué "Adé" quelque part et j'étais en bonne compagnie.

C'était mon choix de tout recommencer à zéro
Le succès du titre t'a-t-il amenée vers une sorte de validation, une légitimité pour ton projet perso ?
Oui et non parce que ce n'était pas ma chanson. Je n'ai jamais considéré que les choses étaient acquises. Et toujours pas d'ailleurs, puisque l'album sort à peine ! Il y a juste un single qui a un peu marché mais ça ne veut pas dire que les gens vont écouter le disque. Donc c'était encourageant, certes, mais disons que ça m'a donné davantage d'huile dans le moteur, pour me remettre en selle et faire autre chose en solo.

Ton premier single "Tout savoir" a effectivement cartonné en radio, ça rassure j'imagine !
Là pour le coup, c'est surtout le travail de mon label. (Sourire) J'ai fait la musique. La partie promotion, mise en avant, je n'en prends pas crédit. Et j'estime qu'il y a aussi un facteur chance dans tout ça. C'est la rencontre entre des programmateurs radio, un public, l'air du temps... C'est génial, mais je reste prudente : ça peut s'arrêter très vite. C'est essentiel d'être bien entourée. La signature chez Tôt ou tard a été un moment très important. Je me suis sentie tout de suite très en confiance, ici. J'avais tout l'album, toutes les chansons déjà, mais j'avais besoin d'être dans une équipe. On ne peut pas faire tout toute seule ! C'est impossible. Ça m'a insufflé de la force pile quand il fallait, parce que cette période de solitude était aussi professionnelle. A ce moment-là, je n'avais plus de management, de label... C'était mon choix de tout recommencer à zéro avec des gens complètement nouveaux, mais le temps de trouver, on passe par mille questionnements : est-ce que c'est la bonne direction? Est-ce que ces gens vont aller dans le sens de ce que je veux donner ? C'est toujours un peu stressant. J'y vais beaucoup à l'instinct.

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L'album a été en partie enregistré à Nashville. D'où te vient cette fascination pour les États-Unis ?
Je me suis aperçue que c'était un truc d'enfance, que j'avais un peu oublié. A l'adolescence, j'ai beaucoup écouté de musique folk comme Neil Young, Bob Dylan, des trucs très classiques, puis c'est allé sur du Cat Power, Angus and Julia Stone, des vieux groupes country comme la Carter Family... C'est une sonorité qui m'a toujours plu, une guitare, une voix... C'est ce qui me ressemblait le plus. Quand j'étais petite, un de mes disques préférés c'était "Come On Over" de Shania Twain. Il y avait déjà des petits indices de ce goût-là qui s'est vachement confirmé par la suite. (Sourire) Quand je me suis retrouvée seule, j'ai fait un travail d'introspection pour comprendre quelle était ma base, le truc qui me fera toujours vibrer et c'est cette musique-là. Donc j'ai essayé de faire un disque pop-folk version française, et version 2022.

Je n'ai pas envie de m'enfermer dans un style
C'était comment d'enregistrer là-bas, dans le berceau de la country ?
Il y a eu plusieurs étapes. J'ai fait toutes les maquettes chez moi, avec les instruments, en version... brute. Le label m'a alors présenté Ziggy et Romain, deux membres du groupe belge Puggy. On a vraiment matché de ouf. J'ai vu qu'ils ne voulaient surtout pas déformer ce qu'il y avait dans les démos, juste le sublimer pour le rendre plus agréable, mieux produit. Ils ont respecté ma volonté et l'essence des chansons. Tous les trois, on a le même sens de la débrouille. Tout l'automne 2021, j'allais le week-end à Bruxelles pour affiner le projet. En studio, on testait, on avisait, on essayait toutes les idées proposées... Il n'y avait pas de codes, en fait. J'étais très à l'aise. On avait vraiment cette volonté de rester ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Et début mars, on est allés à Nashville pour fignoler les morceaux et rajouter tous ces instruments qu'on n'avait pas : les banjos, les pedal steel guitars, les lapsteels... On en a profité pour faire un road-trip dont on a tiré les clips de "Sunset" et "Tout savoir". On a shooté la pochette du disque sur la route.

C'est facile de définir son propre son quand on sort d'un groupe ?
Mon mot d'ordre, c'était hybride. Je voulais que ça sonne country mais reste de la pop, parce que c'est ce que j'aime. J'aime les chansons fédératrices, je pense beaucoup aux concerts quand je compose et que je produis. J'ai fait beaucoup de live avec Thérapie Taxi, c'est un truc que j'ai vraiment en moi ! Des chansons en guitare-voix, ça voudrait dire un spectacle intimiste, presque assis et c'est très bien mais en tant qu'interprète, je me serais ennuyée. (Rires) J'ai besoin d'énergie, d'un truc physique et d'emmener les gens avec moi, donc il fallait ce rapport pop, avec des rythmiques plus modernes. Et qui sonnent en français ! Tous ces codes-là, je les ai vraiment posées dans les maquettes. J'ai passé énormément de temps à trouver le point de rencontre entre ces influences. Quand on était avec Puggy, on cherchait le bon équilibre. Parfois on se disait : "Ah, ça penche trop côté folk, là ça penche trop côté pop". C'était vraiment une question de dosage. Je n'ai pas envie de m'enfermer dans un style.

Crédits photo : Fanny Latour-Lambert
La musique country, ce n'est pas qu'un énorme cliché
C'est un risque de proposer ce genre de musique en France, car c'est une culture très américaine.
C'est quelque chose qui m'a toujours chagrinée ! En France, on attache la musique country à un énorme cliché. Nous on imagine deux mecs avec des chemises de bûcheron, un banjo et un violon, qui tapent du pied ! Alors ça existe, c'est vrai, mais la musique country est tellement plus riche... Au lieu de m'attacher à un concept, je me suis attachée aux sonorités qui me touchent, aux instruments qui m'évoquent ce champ des possibles. Les thèmes traditionnellement abordés, je m'en fous presque. Avec une guitare, on a inventé des milliers de façons de créer de la musique alors pourquoi ne pas le faire avec un banjo ? Ce qui m'intéressait, c'était de ne surtout pas parodier une culture qui n'est pas la mienne. Je ne suis pas une chanteuse de country, et je ne veux pas faire semblant de l'être. Dans "Sunset" par exemple, la mélodie est solaire, il y a une vibe très estivale et pourtant, les paroles sont très mélancoliques.

Cette mélancolie revient souvent d'ailleurs dans l'album. Dans ‘'Les silences", tu chantes : « J'ai mal au cœur / Et tout est triste je déteste ». La rupture amoureuse est présente sur des titres comme "A peu près'', "Side by Side''... C'est plus simple d'écrire quand on a mal ?
J'essaie de ne pas me dire ça, parce que c'est chiant. (Rires) Tu vois ces chansons, elles ont pas du tout été écrites dans la tristesse. Le truc un peu facile quand tu sors un premier disque, c'est que tu as le droit d'aller chercher dans tes vieux souvenirs, c'est comme un bilan de toute ta vie jusqu'à maintenant. Pour les prochains, ça sera plus dur parce que j'aurais déjà brûlé des cartouches ! J'ai mélangé plein d'histoires, qui me sont arrivées à moi et à d'autres, des réminiscences du passé. Cela dit, c'est vrai qu'il y a un truc assez universel dans la souffrance. Tu sais que tu vas parler à plein de gens parce que tout le monde a déjà vécu ce genre de situations. Et en même temps, je n'ai pas envie de parler que de sujets tristes. "Tout savoir" par exemple, ce n'est pas du tout une chanson d'amour. J'ai essayé de varier. Je ne voulais pas faire un album qui tourne qu'autour de l'amour. Et d'ailleurs, les ruptures amoureuses sont souvent perçues comme des échecs, et pourtant, elles te font réfléchir sur une autre échelle à ta vie, ta personne. Les épreuves te font grandir, alors j'essaie de ne pas voir que le négatif même si je chante « les coeurs brisés vous souhaitent une bonne année ». (Rires)

Tu penses qu'en amour, on réitère toujours les mêmes erreurs ?
Ecoute, c'est un sujet auquel je réfléchis beaucoup pour mes prochains albums ! Les schémas, le destin, pourquoi on refait les mêmes trucs... Je suis en pleine réflexion, ça me donne matière à cogiter. (Sourire)

Quand tu chantes « mêle toi de ton cul » » dans "Q'', c'est ta manière de répondre aux haters sur les réseaux sociaux ?
Cette chanson, elle se veut applicable à toutes les situations. Tu peux l'envoyer à n'importe qui qui te fait chier, quel que soit le sujet ! Ton boss, ta famille, tes potes... Ça m'a fait vraiment du bien de l'écrire, d'une façon qu'elle soit très imprécise mais juste dans le ressenti. J'aime beaucoup ce contraste de l'instru qui est presque triste, un peu calme, et cette rythmique guerrière. J'ai encore une fois cherché le contraste.



La scène est un apprentissage constant
Lorsqu'on exerce un métier publique, sa vie privée est mise en avant malgré soi. C'est compliqué à appréhender ?
Je pense que tous les artistes ont un peu le même paradoxe au fond de leur coeur. Moi je n'aime pas ça du tout. Je voudrais juste qu'il y ait des gens dans ma salle de concert, en fait. Si je pouvais ne pas avoir de réseaux, m'abstenir de faire des interviews, juste faire de la musique et de la scène, je serais la plus heureuse du monde ! Que personne ne te calcule et que tu puisses faire ta life, ce serait génial. Mais on sait bien que ça ne marche pas comme ça, donc il faut l'accepter, jouer le jeu. J'ai envie que ça marche mais pas pour être célèbre, parce que la musique c'est toute ma vie. Quelque part, j'ai eu beaucoup de chance avec le groupe parce qu'on était une entité, on n'était pas très identifié séparément. Ce sont les chansons qui étaient très connues, pas nous !

Tu vas partir en tournée en 2023. Toi qui a déjà fait des Zéniths avec le groupe, de nombreux festivals, recommencer par des petites salles, c'est une façon de ne pas brûler les étapes ?
Ah oui, pour moi c'est essentiel. Il n'a jamais été question de faire des grosses salles, on part en club avec des salles de 300, 400 places. Il faut tout réapprendre ! Pour le coup, je le sais, la scène ce n'est jamais acquis. C'est un apprentissage constant. Tu peux répéter autant que tu veux, peut-être qu'il n'y a rien qui va marcher comme c'était prévu ! Tu ne connais pas ton public tant que tu ne l'as pas rencontré, et ça qui est excitant. J'ai besoin de me construire au fil des concerts. Là j'ai commencé les répétitions, je forme un nouveau groupe sur scène, il faut trouver une cohésion. Ce n'est pas forcément des conditions faciles parce qu'on va être dans un petit van à huit sur toutes les routes. C'est fini les grands tourbus. (Rires) Mais ce n'est pas grave. C'est le début de nouveaux horizons.

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