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lundi 31 janvier 2011 23:00

Mike Ibrahim en interview

En partant à la rencontre de Mike Ibrahim, nous nous somme arrêtés en chemin le temps d’observer les personnes qui nous entouraient et la société dans laquelle nous vivons. Plus qu’une simple interview, c’est un réel dialogue argumenté que nous vous donnons à lire aujourd’hui à l’occasion de la parution en bacs de la réédition de son premier album "La route du nord". Entre deux trains et deux concerts en première partie de Yannick Noah, Mike Ibrahim a souhaité nous faire partager ses convictions qu’il défend par sa plume ciselée pour attirer notre attention sur des situations communes mais parfois tragiques.


Je voulais commencer par évoquer un disque qui a beaucoup fait parler ces dernières semaines et auquel tu as failli participer. Il s’agit du premier album de Claire Keim, "Où il pleuvra". (Jonathan Hamard, journaliste)
Mike Ibrahim : Ce qui s’est passé, c’est que Claire Keim et moi travaillons tous les deux chez Universal, et qui plus est avec des éditeurs qui sont assez proches. J’ai suivi son projet à ses prémices. J’ai d’ailleurs proposé une chanson qui n’a malheureusement pas été retenue par Claire Keim et son équipe. En revanche, c’est un autre artiste qui l’a acceptée sur son projet. Je ne peux pas te dire encore de qui il s’agit, mais tu le sauras bientôt. Quoi qu’il en soit, je trouve que c’est très intéressant d’écrire et composer pour quelqu’un d’autre, plus encore lorsqu’il s’agit de se mettre dans la peau d’une femme : il y a une double motivation.

Mes expériences musicales sont, comme te le dira chaque artiste, relatives à mon vécu.
Hormis ce titre mystère, tu as eu d’autres expériences qui ne concernent pas directement ton premier album. Peux-tu nous en dire davantage à ce propos ?
Mes expériences musicales sont, comme te le dira chaque artiste, relatives à mon vécu. J’ai grandi en Martinique, bien que je ne sois pas né là-bas. J’ai beaucoup écrit et publié pas mal de textes pour "Cherche midi" et chez "Pierre Seghers". J’ai travaillé sur quelques projets musicaux en collaborant avec des artistes sur place. Pour te donner un exemple, j’ai travaillé sur un genre original à l'époque qui a donné le slam, sur des titres proches de ce que fait aujourd'hui Abd Al Malik. Toute cette génération d’artistes que j’ai pu rencontrer quand j’avais 18 /19 ans, je la retrouve aujourd’hui à Paris car ce sont des amis ont suivi un parcours similaire au mien. Il y a pas mal de musiciens antillais qui se sont faits une place dans la métropole aujourd’hui.

Tu serais prêt à travailler de nouveau avec eux ?
Nous avons déjà travaillé ensemble. Quand nous nous revoyons, c’est davantage pour se remémorer nos bons moments d’avant. A l’heure actuelle, je suis attiré par de nouveaux talents. J’ai aussi envie de faire des découvertes. Et puis, j’ai une équipe qui fonctionne très bien. Je n’ai pas vraiment de raison d’en changer.

Tu évoquais les textes poétiques que tu as pu écrire dans des magazines et journaux en Martinique. Beaucoup te désignent comme poète plutôt que musicien. Tu te considères comme tel ?
Ce serait un peu prétentieux de me décrire comme un poète. C’est un peu fourre-tout comme expression. Cependant, je serais très fier si l’on me considère comme tel : si je peux apporter un petit peu de poésie dans la vie des gens, j’en serais très content. De plus, ceux qui s’autoproclament poète sont très souvent ceux qui ne le sont pas réellement.

Des personnes en particulier qui t’inspirent cette phrase ?
Non, je ne vais citer personne. J’adore écrire : j’aime les mots et la littérature. Je ne suis pas sûr que d’aimer toutes ces choses là fassent de moi un poète. Pour l’être, je pense qu’il faut avoir un regard sur le monde. Ce n’est pas moi de juger sur ce que je suis, mais plutôt ceux qui m’écoutent.

Venons-en au fait. Tu publies ce mois-ci une réédition de ton premier album "La route du nord" qui est paru il y a un an et demi. Pourquoi cette nouvelle publication ? Qu’est ce qui a changé pour toi pendant cette période pour que tu ais envie ou besoin de modifier ta première pièce ?
Il y a une opportunité qui s’est présentée à moi : on m’a proposé de travailler avec le label Mercury. C’est une autre philosophie, une autre façon de travailler et des personnes intéressées par mon projet qui se sont véritablement investies. A partir de là, on peut dire que s’est développé un contexte humain favorable.



C’est nouvelle philosophie te correspond davantage ?
Oui, bien sûr. C’était surtout l’occasion de donner à l’album un second souffle : lui donner les modifications que j’avais envie de lui apporter et d’aller plus loin dans les bases qu’on avait déjà posé avec la première édition. J’ai saisi cette opportunité sans hésiter. Sur le plan artistique, nous avons accentué le côté rugueux et mis plus en avant l’aspect guitare/voix. "La route du nord" est doué d’une belle réalisation et les morceaux additionnels sont beaucoup plus proches de ce que je peux présenter en live, c'est-à-dire quelque chose de plus organique.

Les morceaux additionnels sont beaucoup plus proches de ce que je peux présenter en live.
On compte trois nouveaux morceaux pour cette deuxième édition, et un titre qui devient une piste cachée. Pourquoi ne pas l’avoir laissé à sa place sur la nouvelle mouture ?
C’est un titre particulier parce qu’il est en anglais. Il se détache du reste de l’album qui est intégralement écrit en français. Cette chanson est très particulière pour moi car le texte évoque un évènement qui me touche et une personne qui n’est plus avec nous aujourd’hui. Je trouvais çà assez poétique pour le coup de la placer en ghost track. Ca lui donne un aspect spirituel. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire mais en terme d’image, çà me fait penser à un ange qui serait bienveillant au dessus de moi. C’est dans cet état d’esprit que je l’ai placée à la fin de l’album.

Ce qui donne à tes mots un caractère très personnel alors qu’à la première écoute, tes textes pourraient paraître assez généraux et presque impersonnels.
Tout est personnel. Cette idée de texte généraliste est relative à ceux qui travaillent dans l’industrie du disque. C’est une déformation parce qu’on a besoin, quand on travaille sur un projet, de tout segmenter pour tout clarifier. Parfois, ceux qui m’écoutent pensent que je n’écris pas des textes personnels parce que je n’ai pas vécu par moi-même ce que je décris. Ce qui est personnel, c’est l’implication qu’on donne à son morceau, l’énergie que l’on met dans la chanson. Les grands cinéastes font des films très personnels alors qu’ils n’ont pas écrit le scénario. Pour te donner un exemple concret, la chanson "Le voyage" ne ressemble en rien à une situation que j’ai vécue. Je n’ai jamais été un voyageur clandestin qui se serait caché dans un vol charter pour venir en France. Je suis français depuis des générations puisque j’ai une arrière grand-mère bretonne. C’est simplement que le cas des clandestins est quelque chose qui m’interpelle, comme pour beaucoup je l’espère. Ce que j’y ai introduit de personnel, c’est que j’ai essayé d’en faire une chanson originale en ne prenant pas parti : le gentil clandestin et le méchant douanier. J’ai voulu éviter de tomber dans les clichés car les chansons qui traitent de l’immigration sont très larmoyantes et manichéennes. La réalité est beaucoup plus brutale que ce que l’on veut bien en dire. Pour te situer, dans cette chanson, je partage mon voyage dans un vol charter à côté d’un immigré que l’on renvoie dans son pays. Lui est assis à côté de moi tandis que je suis dans cet avion parce que je pars en vacances grâce à un billet que j’ai acheté à moitié prix sur Internet. C’est une situation commune mais j’ai voulu montrer l’absurdité de la chose en faisant se croiser ces deux destins. En cela, ma chanson est personnelle même si on me parle de textes généralistes. J’espère que j’ai réussi à apporter quelque chose de différent.

Pour toi, rien n’est tout blanc ou tout noir en réalité. Pourtant, je trouve que plusieurs de tes textes reprennent certains clichés avec de surcroît un parti pris qui, au final, irait peut-être à l’encontre de tes opinions et de la cause que tu défends. Je l’ai perçu dans plusieurs de tes chansons comme "Ce moment avec toi". Avec beaucoup d’ironie, tu traites des rapports difficiles qu’il y a entre les CRS et les personnes qui vivent dans des « ghettos ». Tu y ajoutes une histoire d’homosexualité alors que n’importe quel CRS pourrait te dire qu’il a été insulté de « pédé » ou « enculé » au moins une fois dans sa carrière.
Je pense que si j’avais eu envie de dire « nique la police », je l’aurais écrit.
Je pense que si j’avais eu envie de dire « nique la police », je l’aurais écrit. Ce n’est pas parce que tout n’est pas blanc ou que tout n’est pas noir que je n’ai pas envie de dénoncer certaines choses qui me touchent. Tu as raison de dire que j’y ai mis une touche d’humour. Il y a beaucoup de gens qui croient que c’est une chanson de drague entre deux mecs. Tout le monde ne capte pas du premier coup la vraie thématique qui se cache dans ce titre. Dans le premier couplet, c’est une histoire d’amour. Au deuxième couplet, tu avances et tu comprends que c’est une histoire d’amour en deux mecs. Au final, tu découvres au troisième couplet qu’il s’agit d’une arrestation. Je ne trouve pas que la chanson puisse se résumer à « les CRS, ce sont tous des cons ». J’ose espérer que la façon dont j’ai tourné mes idées démontrera que je traite le sujet avec simplement de l’humour pour le rendre à la fois plus léger tout en donnant un point de vue qui me ressemble.
Il faut savoir prendre un sujet dans toute sa largeur pour ne pas tomber dans la caricature.
Il n’est ni blanc ni noir comme moi qui suis métisse. Si j’écris une chanson sur les CRS et que çà rejoint les problèmes d’actualité, je mets un point d’honneur à ne pas écrire quelque chose de trop caricatural. Il ne faut pas se borner à voir dans ce titre les rapports de force entre les civils et les CRS, mais aussi le fait qu’il y a des homosexuels au sein de cette force d’intervention spéciale, ce qui ne remet pas en cause leur virilité puisqu’ils sont craints. Ce que je veux te dire, c’est qu’il faut savoir prendre un sujet dans toute sa largeur pour ne pas tomber dans la caricature, et c’est ce que j’ai essayé de faire. Si ta question était « est ce que je pense que tous les flics sont des cons ou si je pense que tous les immigrés devraient être régularisés », je te répondrais que le problème est beaucoup plus complexe.

Visionnez le clip "Ce moment avec toi" (2010) :


Cette frange de la population a été stigmatisée par un discours du Président de la République.
Même question pour "La France qui se lève tôt". Tu parles de ceux qui prennent le RER très tôt le matin pour aller travailler à point d’heure pour un salaire de misère. Il y en a qui se lèvent tôt, qui prennent le RER et qui bossent pour leur entreprise jusque très tard pour très bien gagner leur vie. Pour le coup, tu n’as pas l’impression que tu tombes dans les clichés du « petit parisien bobo » et du « francilien de la cité » ?
Parler du quotidien de la bourgeoisie parisienne, çà ne m’intéresse pas. Je préfère évoquer ceux qui morflent, ceux pour qui la vie est difficile. Je veux faire des chansons sur ceux qui en bavent. Effectivement, cette frange de la population a été stigmatisée par un discours du Président de la République. Je pense que tu comprends bien que je ne peux pas parler d’un sujet et de son inverse en même temps. La chanson parle des gens qui se lèvent tôt et qui n’ont pas de tune ; pas de ceux qui lèvent tard et qui en ont ! Ce n’est pas parce que je parle de cette frange de la population que je suis caricatural. Si tu écoutes bien, je parle de tous les français et pas forcément des immigrés : j’évoque conjointement Alain et Rachid. Si tu prends le RER le matin, tu croiseras ceux qui vont nettoyer les bureaux, ceux qui vont sur les chantiers : ceux qui font des boulots assez pénibles. Je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il y ait des gens qui se lèvent tôt pour gagner beaucoup d’argent, mais çà ne m’intéresse pas de parler de ceux-là.



Tu as une chanson intitulée "L’Illusionniste" où tu évoques la duperie des cadres qui règlent notre société. Au vu des sujets que nous avons abordés, je souhaiterais savoir ce que tu changerais autour de toi si tu avais cette baguette magique ?
Je ne vais pas te dire la paix dans le monde. Pour le coup, on tomberait dans le cliché. Je parlerais volontiers de la montée des communautarismes, qu’ils soient ethniques ou sociaux. S’il y a des communautés mais que les cloisons rentent poreuses, tant mieux. Malheureusement, j’ai sentiment que ce n’est pas le cas et je trouve çà inquiétant. Le renforcement des communautés traduit pour moi une crainte de la mondialisation. Alors, si j’avais une baguette magique, je dirais à ceux que je croiserais de ne pas hésiter à aller au contact de l’autre. Je ne suis pas certain que la musique puisse les faire changer. J’espère néanmoins qu’elle peut, en l’espace de deux ou trois minutes, nous ouvrir l’esprit et nous inciter à évoluer autrement.

Merci beaucoup Mike. Bonne continuation dans ta lutte !
Merci à toi de t’être réellement intéressé à mon disque.
Retrouvez l'actualité de Mike Ibrahim sur son site internet officiel et son MySpace.
Écoutez et/ou téléchargez l'album "La route du nord" en cliquant sur ce lien.
Visionnez le clip "Amoureux de mon ami" :

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