mardi 07 décembre 2010 18:00

Nolwenn Leroy en interview

"Bretonne" ! C'est ainsi que se présente Nolwenn Leroy dans son quatrième opus qui paraît cette semaine. Fière de ce projet qui murit dans un coin de sa tête depuis plusieurs années, elle présente une dizaine de titres issus de la culture celtique afin de rendre un hommage à sa région natale où résident ses plus beaux souvenirs : la Bretagne. Attachée à son enfance, Nolwenn s'est confiée à nous sur les motivations de ce projet et sur l'accueil mitigé de son prédécesseur : "Le Cheschire Cat & moi".
En préparant notre rencontre, je me suis dit que je ne risquais pas d’erreurs d’interprétations des textes car plusieurs des titres sont enregistrés en breton et en gaélique. Ce sont des langues que tu maitrisais déjà ? (Jonathan Hamard, journaliste)
Nolwenn Leroy : Non. Sincèrement, pour le gaélique, j’ai travaillé de manière phonétique. C’est une langue extrêmement difficile. Il y a plusieurs façons de le parler selon les régions. C’est une langue ou tu peux avoir cinq consonnes à la suite et les prononcer en une seule syllabe. Ce n’est pas une langue que tu peux deviner, elle s’apprend vraiment. Autant pour le breton, je me suis mis au boulot en travaillant avec un bon coach. Je l’ai apprise assez aisément tandis que le gaélique ce fut un vrai effort.

C'est vrai que le breton est encore parlé. En quelque sorte, tu n'avais pas de droit à l'erreur.
C'est vrai que je ne suis pas experte en breton. Il y a beaucoup de gens qui connaissent la langue mais qui ne la parlent pas, et c’est mon cas. J’avais quand même quelques bases, mais c’est avec cet album que je m’y suis officiellement mise.

« Je n’envisageais pas ce projet sans Laurent Voulzy parce que c’est comme ça qu'il m’imaginait depuis mes débuts. »
C'est un projet sur lequel tu travaillais depuis longtemps qui s'inscrit dans la continuité des incursions celtiques que l’on a pu entendre sur tes précédents disques.
Oui. Cette idée me trottait dans la tête depuis quelques années. Je dirais même depuis mon premier album. J’en avais déjà parlé avec Laurent Voulzy lorsqu’il m’avait proposée "Suivre une étoile". D’ailleurs, il m’a proposée "Le Bagad de Lann-Bihoue" pour "Bretonne". Je n’envisageais pas ce projet sans Laurent parce que c’est comme ça qu'il m’imaginait depuis mes débuts. Mais avant cela, j’avais besoin d’installer mon répertoire et de chanter mes propres chansons avant de pouvoir proposer un album comme celui-là. Je pense également qu'il fallait qu’il arrive à maturité pour que je sois prête à le présenter.

Tu parles de "Suivre une étoile", je parlerais volontiers de "Mystère".
Oui, tout à fait. Avec "Histoires Naturelles", on était déjà bien dans l’ambiance. Après, certains vont être étonnés de ce disque alors que, comme tu le dis toi-même, il y a déjà déjà plusieurs touches de culture celte sur mes anciens disques. Les gens qui me suivent depuis mes débuts ont entendu et vus mes clins d’œil à cette culture avec, par exemple, la harpe que l’on retrouve également sur mon dernier album "Le Cheschire Cat & moi". Il y a une belle continuité, même avec ce dernier disque. Ils ne sont pas tous deux antinomiques.

De surcroit, on peut aujourd'hui dire que chacun de tes albums se distingue par un son nouveau qui le caractérise.
C’est vrai que chaque album reflète une période de ma vie. Comme pour certains peintres ou certains auteurs, j’apporte quelque chose de nouveau pour chacune de mes œuvres, ce quelque chose qui me caractérise à un moment donné. Je reste bien sûr Nolwenn sur chacun d’eux, mais je ne cherche pas à produire la même chose à chaque fois. C’est comme une déclinaison de mes pensées, de ma voix. Après, de là à qualifier un album par un son en particulier, je ne sais pas si c’est faisable mais je sais que ma carrière n’est pas linéaire. Je ne pense pas que c’est ce que cherche un artiste que de proposer la même œuvre de manière récurrente.

Ce son que tu as voulu produire pour "Bretonne", n’a-t-il pas fait peur au label ? Comment a-t-il réagi lorsque tu as évoqué ce projet ?
Écoute, la maison de disques a été enchantée par ce projet. Je crois que l’idée leur plaisait. L’idée de faire un album qui soit pop,dans l’air du temps, et qui intègre en même temps des instruments traditionnels celtiques comme la harpe, les a convaincus. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes réintègrent ces instruments pour introduire ces sons que j’aime et que l'on n'entendait plus. Je ne vais pas en faire une liste mais on a par exemple le groupe Florence And The Machine. En tout cas, j’aime cette idée de faire cohabiter sur un même album des chansons traditionnelles très connues en Bretagne et moins ailleurs, et d’autre part des chansons plus modernes qui évoquent ma Bretagne. Ce n’est pas un album de chansons bretonnes, c’est un disque qui évoque ma Bretagne. J’aime faire cohabiter tous ces morceaux. Et même les titres enregistrés en breton, qui auraient peut-être pu faire peur au label, n’ont pas posé problème. Aujourd’hui, on entend beaucoup de chansons en anglais et c’est peut-être dommage qu’on laisse tomber dans l’oubli ces patois, ces langues anciennes comme le corse ou le basque qui sont les dernières marques d’une culture qui disparaît. Je livre ici la bande son de mon pays natal. Je n’ai pas de meilleures manières de la définir.

Je pense qu’il reste quand même un pari audacieux, surtout quand on pense que ton précédent disque "Le Cheshire Cat & moi" n’a pas été un franc succès. On peut même dire que la rencontre avec le public n’a pas vraiment eu lieu.
Mon problème, c’est juste mon histoire. C’est l’album dont je suis le plus fière jusqu’à présent. Je l’ai écrit. Du début jusqu’à la fin, j’ai eu les rênes en main. Le seul malheur qu’a eu cet album, c’est d’avoir eu mon nom sur la pochette. Pour la bonne et simple raison que tous les médias qui, avant, auraient relayé ce disque ont jugé qu’il était trop « spé » ou « indé ». Et tous les médias qui auraient pu en parler ont jugé qu’il était trop tôt pour moi de sortir ce genre de choses et pour eux d’en parler dans leur presse. Ils ont écouté le disque, en ont fait une bonne critique, mais n’ont rien relayé du tout. Du coup, j’étais comme on dit, entre deux chaises.

« Le seul malheur qu’a eu cet album, c’est d’avoir eu mon nom sur la pochette. »
C’est vrai que tu affirmais un style qui a surpris les médias et même tes fans.
Je l’affirme oui. Et pour le nouvel album aussi. J’espère que les gens reviendront sur "Le Cheschire Cat & moi" un jour. C’est vrai qu’il n’était pas radiophonique mais aujourd’hui, a-t-on vraiment envie de l’être ? Quand on est artiste, bien sûr qu’on a envie d’être diffusé en radio mais doit-on coller à un son à tout prix pour être reconnu ? Ce qui est sûr, c’est que je suis allée au bout de mes envies avec ce disque. Donc, il a peut-être été un échec commercial mais pour moi ce n'est pas un échec.

Relativisons quand même. La plupart des artistes français souffrent aujourd’hui
Oui, c’est vrai que c’est difficile pour tout le monde. Et justement, dans cette période difficile, je me disais que c’est peut-être le moment de faire ce qui me plaît. Le problème, c’est aussi les médias. Mon cas est représentatif. Avec mon précédent disque, je n’ai pas donné ce qu’on attendait de moi. Si une chanteuse anglaise était venue avec "Le Cheschire Cat & moi", on en aurait sûrement davantage parlé. Je ne suis pas frustrée de cet échec. Ce qui me frustre, c’est que je pensais qu’un album et la musique telle qu’elle était devenait en quelque sorte notre pièce d’identité. Mais ce n’est plus le cas. Ce qui prime aujourd’hui, c’est la communication : c’est ce que tu dis que tu fais, ce que tu dis que tu es, et d’en parler partout. Et la preuve, c’est que mon album précédent ne correspondait pas à l’image que j’avais pu apporter auparavant. A ce moment là, je ne suis plus relayée puisque j’évolue. C’est ça qui est frustrant. Et ça l’est d’autant plus car je m'étais pleinement investie dans le travail de production.



Ce qui est également le cas pour "Bretonne". Si tu n’as pas écrit les textes, tu as quand même travaillé aux arrangements.
Là, je me suis investie dans les arrangements. "Bretonne", ce sont pour la plupart des reprises. C’est ma volonté de faire revivre des titres anciens en leur donnant une nouvelle couleur et de les faire connaître au plus grand nombre.

« Est-ce que c’est aller vers la facilité que de chanter quatre chansons en breton sur l’album ? »
Justement, n’as-tu pas peur que ce projet puisse paraître un peu « facile » pour certains ? Ne crains-tu pas d'être critiquée une nouvelle fois parce que tu présentes des reprises ?
Écoute, je ne sais pas ce qui est facile car ce sont des chansons que très peu des gens connaissent. A part "Tri Martolod" que la plupart connaissent uniquement dans la version de Manau et non celle d’Alan Stevell, je ne crois pas que beaucoup connaissent tous les titres de ce disque. D’ailleurs, "Tri Martolod" est l’un des morceaux dont je suis fière car aujourd’hui, on pense que je reprends Manau alors que c’est un chant de marins.

Alan Stevell l’avait déjà arrangé lui-même alors que Manau c’est… ben voilà… Pour en revenir au propos, je ne vois pas trop ce qu'il y a de facile, surtout qu’en général, on sait que je vais rarement vers la facilité. Est-ce que c’est aller vers la facilité que de chanter quatre chansons en breton sur l’album ? Je ne suis pas une chanteuse celtique. Il y en a qui le font très bien mais ce n’est pas mon créneau. Je ne me revendique de rien. Moi, c’est un hommage que j’avais envie de rendre à ma Bretagne. Je crois que les bretons l’ont très bien compris. Si ce n’est pas original pour les bretons bretonnants - et encore, je suis allée à leur rencontre et ils sont charmés par mon travail - ce le sera pour le reste de la France. Et puis, est-ce aussi la facilité que de chanter du breton à la télévision au prime de 21 heures ? C’est assez drôle aussi. J’ai entendu pour ces nouvelles chansons en breton qu'on me critique en invoquant qu'on ne comprend pas la langue dans laquelle je chante. Mais là encore, le breton fait partie du cotas français de diffusion à la radio. Il y en a très peu alors que beaucoup des titres qui sont aujourd’hui diffusés sont en anglais. Est-ce que la plupart des auditeurs comprennent ce qui est dit dans les chansons en anglais ? Je comprends désormais le triste constat qu’on fait de l’extinction des langues régionales. C’est la mémoire qui s’efface petit à petit. La langue c’est aussi notre histoire.

C’est aussi ton histoire ce disque. En un coup d’œil, on le comprend avec la photo qui l'illustre. C’est une photo de famille ?
Oui. La Bretagne, c’est mon histoire que je chante. Il y a quelque chose de très personnel. Cette photo en est une partie puisque c’est ma maman qui l'a prise. On était passé devant un magasin de costumes traditionnels et ma mère a voulu nous louer ces habits pour la journée. Elle trouvait l’idée drôle et nous a pris en photo avec. On ne pensait pas qu’un jour cette photo prise avec un appareil jetable servirait à l'un de mes disques.

Ta maman a participé à ce projet je crois.
Oui, j’ai cette chance de travailler en famille puisque ma mère travaille dans tout ce qui concerne l’image. J’ai toujours été proche de ma famille et c’était important qu’elle participe à ce disque car, comme je te l’ai dit, c’est mon histoire.

« La Bretagne, c’est mon histoire que je chante. »
Au final, ce disque est presque autobiographique mais aussi familiale. J’irais même jusqu’à dire convivial. Les chants bretons, c’est aussi la jovialité et la fête...
Oui. J’avais une véritable idée de la couleur que je voulais donner à cet album. Je parlerais bien des Coors. Quand on voit ce qu’ils ont pu faire, c'est-à-dire des albums pop qui intègrent des musiques et des instruments traditionnels. C’est cette direction que je souhaiterais emprunter, notamment pour la scène. Je voudrais faire danser les gens sur ces chansons qui sont populaires et qui sont faites pour faire danser. "La Jument de Michao", c’est une farandole que les gens rejoignent et qui s’étire jusqu’à ce que mort s’ensuive.



Tu monteras sur scène pour présenter tes nouveaux titres ? Pour ton dernier disque, tu n’avais pas vraiment pu le faire.
C’est vrai que pour le dernier disque, on n’a pas pu faire une tournée très longue comme on avait pu le faire pour les deux premiers. C’est dommage parce que c’est là qu’il prend toute son ampleur. Un peu comme "Bretonne" qui devrait démontrer tout son intérêt sur scène. J’aimerais déjà dans un premier temps pouvoir faire les grands festivals comme "Les vieilles charrues" ou le "Festival inter celtique". Mon rêve, c’est de participer à tous ces festivals pour faire danser les gens en plein air. Peut-être qu’un jour on pourrait faire un spectacle « Nolwenn & Friends » où j’inviterais des artistes bretons bretonnants et des artistes d’origine bretonne qui ne chantent pas du tout la même chose que moi, comme Renan Luce par exemple.

Tu dis Bretagne, je dirais plutôt celtique. Tu ne te cantonnes pas à chanter la région. Tu as justement dévoilé le clip "Woman Of Ireland". Pour la première fois de ta carrière, tu présentes un clip scénarisé.
Oui, il a un côté austère et romantique. J’ai aussi tourné le clip "La jument de Michao" qui est plus hippie soixante-huitard. Mais les deux se complètent plutôt bien. On ne tombe pas dans la facilité avec les clichés. J’adore ces deux clips.

Regardez le clip "Mna Na H-Eireann (Woman Of Ireland)" :


« Le principe du single, c’est un système qui s’est imposé au fil du temps et qui a formaté les productions artistiques. »
Justement, quel procédé commercial utilises-tu pour promouvoir ce disque ? On a deux chansons qui passent à la radio et deux autres titres qui sont clippés et qui seront diffusés sur les chaînes de télévision.
En fait, cet album est un peu à part. C’est un peu réducteur d’extraire une chanson d’un projet qu’il faut découvrir dans sa globalité pour apprécier. Le principe du single, c’est un système qui s’est imposé au fil du temps et qui a formaté les productions artistiques. Du coup, en guise de « premier single », on a décidé de mettre en avant les chansons traditionnelles et, en guise de « deuxième single », ce sera les chansons en français comme "Brest" et "Je ne serai jamais ta parisienne" dont les gens commencent déjà à parler. Il y a buzz autour de cette chanson à ce que j’ai pu voir sur Internet. C’est vrai qu’à un moment, j’ai eu un peu peur : j'ai pensé qu’on le présentait mal mais finalement, les premiers retours sont plutôt positifs.

On parlait d’Irlande. Tu empruntes un morceau au groupe U2. Tu fais la reprise de "Sunday Bloody Sunday" qui est uniquement disponible en téléchargement sur iTunes.
On a fait une version un peu dingue de cette chanson. Elle est très étonnante parce qu’on a enlevé toutes les guitares alors que c’est un morceau dont la guitare est la base. Nos arrangements lui donnent un aspect tribal, un peu comme une marche. J’adore cette version qu’on a produite, mais elle ne s’intégrait pas vraiment au reste de l’album. Je voulais tout de même la partager avec le public. C’est pour cette raison qu’on a décidé de la publier sur le Net.

Tu fais aussi un emprunt à Miossec en reprenant la chanson "Brest". Il est lui aussi un artiste originaire de la Bretagne. C’est un hasard ?
J’étais fan de Miossec depuis toujours. Ce disque devait refléter ce que je ressens en pensant à la Bretagne. Et quand j’y pense, j’ai inévitablement Miossec en tête. Sa chanson "Brest", c’est l’une de celles que je voulais absolument sur ce disque. Je lui ai donc envoyé un mail en lui expliquant que j’allais faire une reprise. Il m’a répondu qu’il trouvait le projet intéressant en me proposant d’emblée d’écrire un titre originel. Il m’a proposée le texte de "Je ne serai jamais ta parisienne" qui représente exactement mon état d’esprit. Miossec a une plume incroyable et confère aux mots une résonance romantique. Je l’apprécie énormément.

Tu pourrais être amenée à le retrouver pour un projet futur ?
Oui, bien sûr. J’aimerais aller plus loin et pourquoi pas travailler sur un volume II de "Bretonne"…

« La Bretagne, c’est ma madeleine de Proust. C’est ma petite enfance »
Pour conclure, comment résumerais-tu en quelques mots ce que représente la Bretagne pour toi aujourd'hui ?
La Bretagne, c’est ma madeleine de Proust. C’est ma petite enfance et mes souvenirs. J’ai envie de garder ce passé dans mon cœur. C’est une part de moi qui m’a manquée pendant de nombreuses années. Quelque part, j’ai été arrachée à cette région qui reste associée à certaines sensations que j’ai eu là bas et que je ne retrouve pas ailleurs. C’est ça "Bretonne" !

Tu y retournes souvent ?
En ce moment, oui, beaucoup.

Tu y as un pied à terre ?
Non pas encore, mais je crois que c’est inévitable. Je pense que ça viendra parce que c’est un besoin grandissant.

Merci beaucoup Nolwenn
Je te remercie pour tout. A bientôt.

Pour en savoir plus, visitez nolwenn.org.
Écoutez et/ou téléchargez le nouvel album de Nolwenn Leroy en cliquant sur ce lien.
Visionnez le clip "La jument de Michao" :

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