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dimanche 28 octobre 2018 11:18

Emmanuel Moire en interview : "Il existe très peu de modèles pour les homos"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Emmanuel Moire sortira son nouvel album en début d'année, porté par le titre "La promesse", sur lequel il évoque pour la première fois son homosexualité. En interview sur Pure Charts, l'artiste se confie sur son engagement, son coming-out et l'homophobie.
Crédits photo : DR Mercury
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Tu reviens actuellement avec le titre "La promesse". Comment est-il né ?
"La promesse", c'est l'une des dernières chansons que j'ai faites sur l'album. J'aime avoir un propos sur chaque album et là c'est une invitation pour travailler sur soi. J'ai mis beaucoup de choses dessus. Et je me disais qu'il manquait quelque chose sur l'album, qui est assez universel. Ça parle de "nous". Ça part de moi mais c'est pour aller vers les autres. Je me disais que c'était bien de parler de quelque chose quand tu te sens différent, et notamment moi pendant des années par rapport à mon orientation sexuelle. Il n'y a pas de scoop, je ne révèle rien, mais je n'ai jamais vraiment pris la parole dessus. Je ne sais pas, j'en ressentais le besoin. Je n'ai pas vraiment réfléchi... J'avais une mélodie que je peaufinais, et d'un coup, j'étais en terrasse dans le Marais, j'observais et je me suis dit que ce serait peut-être bien que je parle de ma vie, de ce que j'ai pu affronter. De ce que peut-être chacun doit affronter quand on a une orientation différente des autres.

Il existe très peu de référents pour les homos
Qu'as-tu ressenti en créant cette chanson particulière pour toi ?
En écrivant, je me sentais hyper fier de pouvoir prendre la parole sur ce sujet, en ayant un angle qui ne soit pas la revanche ou la revendication. Mais juste la relation avec soi, quand on se sent différent à plein de niveaux. Quelle est la meilleure position à adopter ? Je pense qu'elle est dans l'accueil, dans l'acceptation et ne surtout pas se cacher.

Cette chanson tu l'as faite pour toi mais est-ce que tu l'as faite aussi pour les autres ?
Je crois que je l'ai faite avant tout pour les autres. Je suis assez chanceux. Je vis dans une ville où c'est relativement ouvert, même s'il y a toujours des combats à mener. Je suis dans un métier où c'est relativement ouvert mais où il y a aussi d'autres combats à mener. (Rires) Et il y en a plein qui n'ont pas cette chance-là, de pouvoir vivre simplement comme ils sont, d'assumer pleinement leur personnalité, leur orientation, leurs désirs, leurs besoins. Je me suis dit que c'était peut-être bien d'avoir une chanson, comme un emblème. Je n'ai pas eu beaucoup de référents dans mon adolescence. Il existe très peu de modèles, de référents pour les homos. Parfois, on peut se retrouver dans des situations d'extrême solitude quand on a l'impression que c'est insurmontable. Je n'ai aucune prétention, je ne fais que de la chanson mais je me suis dit que c'était peut-être bien de véhiculer ce message-là.

Je me suis incarné en faisant mon coming-out
As-tu hésité à sortir un titre fort comme celui-ci, car forcément on allait beaucoup t'en parler, ça pouvait aussi susciter des réactions virulentes et certains pourraient te mettre une étiquette ?
Il y a un peu de tout ça. J'ai été submergé de peur quand le label a accepté qu'on sorte "La promesse" en deuxième single. Je le voulais mais j'ai eu hyper peur ! (Rires) J'ai un super label qui me soutient dans ma démarche, qui m'encourage. Ça ne leur posait aucun problème. Et d'un coup, quand ça a été validé, je me suis dit : "Oh la la". Mais ce sont des peurs qui dépassent les miennes. Ce sont des peurs liées à ce qu'on peut rabâcher, de ce qu'on peut raconter depuis toujours. Qu'est-ce que c'est la vie d'un homo ? J'ai été submergé de choses qui se transmettent de génération en génération. Mais, en fait, c'est important de prendre la parole là-dessus. Ma peur ce n'est pas que la mienne. J'avais le sentiment que j'avais le devoir de le faire. Je me sentais responsable de le faire. Ça tempère un peu. Car quand je fais ça, je suis en accord.

Avec le recul, comment tu analyses cette période de ta carrière où tu as dû cacher ta sexualité ? Tu as des regrets ?
Je n'ai pas de regrets. Et puis ce n'est pas que dans ma carrière, c'est aussi dans ma vie surtout. J'avais le sentiment que pour être intégré et pour qu'on m'aime, je devais être comme tout le monde. Comme je sentais que je n'étais pas comme tout le monde, je n'osais pas. Je ne regrette pas mais je reconnais que je me suis trompé. Je n'ai pas mis de mot dessus mais je suis ok avec ça. Je ne pouvais pas faire autrement... J'accepte que je n'avais pas le courage nécessaire. Aujourd'hui, avec le recul, je me dis que c'est bête. Comme je le dis dans la chanson, ça ne vaut pas la peine de mettre un autre costume pour plaire ou pour passer inaperçu. Je ne dis pas que c'est facile mais avec du recul, après mon coming-out, je n'ai fait que récolter des choses positives car c'était sincère. Je me suis incarné en faisant ça.

Ecoutez "La promesse" par Emmanuel Moire :



Ton single "La promesse" sort alors que les agressions homophobes se multiplient. C'est aussi un message de tolérance que tu lances avec cette chanson ?
C'est curieux car j'ai fait cette chanson fin juin. On n'était pas dans le même contexte. On a décidé de la lancer il y a un mois. Il y a maintenant ce contexte de violences. Je ne sais pas s'il y a plus de violences ou si on en parle plus. Mais il y a une libération de la parole, et je trouve ça très positif qu'on puisse le dire pour motiver le gouvernement actuel, pour faire comprendre que ça ne peut plus exister. Comme il y a eu le mouvement par rapport aux violences faites aux femmes. On ne peut plus accepter ça, ce n'est plus possible. Je n'ai pas décidé de sortir la chanson parce qu'il se passe tout ça. Mais avec ce contexte, ça me renforce, ça confirme que je suis content de prendre la parole. Je ne sais pas si ça peut faire avancer les choses, je ne sais pas la résonance d'une chanson. Mais je pense que ça peut aider beaucoup de jeunes homos. En tout cas, je me dis que c'est bien ce que je fais, d'apporter un peu de lumière.

J'ai été victime d'actes homophobes
Tu étais à la manifestation anti-homophobie sur la place de la République dimanche dernier. Tu as connu l'homophobie ?
J'ai été victime, pas de violences, mais d'actes homophobes. J'en ai eu plein. Dans la cour d'école, je sentais que je n'étais pas comme les autres garçons, j'étais différent. J'ai reçu des mots, des violences verbales homophobes. Mais quel homo n'a pas vécu une fois dans sa vie une humiliation, des mots violents qui te rappellent que tu es différent, que tu n'as pas le droit d'aimer quelqu'un du même sexe que toi, et que tu n'as pas le droit d'être là ? C'est violent. Ça me concerne. Dimanche, je ne me voyais pas ne pas y aller. Je ne suis pas venu pour me montrer, je suis venu car c'est ma vie aussi. Je me sens engagé. Même si je suis pacifique, ce combat-là me concerne, il concerne mon avenir, mon pays. J'étais là parmi plein de personnes différentes, qui ont des parcours abîmés. Personnellement, j'ai été très ému par plein de témoignages, ça m'a permis de lâcher des choses aussi.

Merci à toi en tout cas de prendre la parole, c'est important...
C'est chouette, merci de me le dire. Dans ces moments de l'Histoire, où il y a beaucoup de violence, il faut aussi commencer à reconsidérer comment on se comporte les uns avec les autres. Parfois, dans le milieu gay, ça peut aussi être assez violent entre nous car il y a beaucoup de souffrance et de peur. Ça me fait du bien d'être lié aux histoires des autres. Je me sens moins isolé comme ça. Dimanche, je me sentais lié, en relation avec ces témoignages et tous ces gens.

L'album est terminé, il sortira début 2019
Tu le disais, il y a peu de modèles pour la communauté LGBTQ+. Qu'est-ce que tu aimerais dire aux personnalités qui n'osent pas en parler publiquement ?
C'est toujours délicat parce que je suis ok avec tout ça aujourd'hui, mais il m'a fallu du temps pour que ça s'apaise chez moi et pour que je sois bien dans mes pompes. Il faut respecter le temps dont chacun a besoin pour se sentir prêt à affronter ça. Car s'affirmer c'est aussi se confronter à de l'incompréhension, du rejet, de la violence. Il faut juste dialoguer mais ça demande du temps à chacun. Je suis ok aujourd'hui mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Et je respecte ça aussi. Il faut être en accord total. Ça peut être violent si on force quelqu'un à parler et qu'il n'est pas prêt à recevoir ce qui peut se passer. Chacun a sa propre réponse. Je suis en paix aujourd'hui donc j'ai envie de partager cette chanson bourrée d'espoir.

Pour finir, est-ce tu peux m'en dire un peu plus sur l'album ?
L'album est terminé pour être honnête. Ça a pris du temps. Là, on se concentre sur ce qu'il y a autour comme la pochette. La part créative est terminée, enfin ! (Rires) Je suis hyper fier de ce disque. J'ai réussi à l'écrire, c'était un vrai challenge pour moi. Un an en arrière, j'avais le sentiment que j'étais incapable de le faire. Il y a de l'épique et du différent comme "Et si on parlait d'amour", et des choses qu'on connait de moi comme le deuxième titre, musicalement on me reconnait un peu plus. L'album est assez dense. J'ai l'impression qu'il n'y a pas de petites chansons. Chaque sujet était important pour moi. C'est vrai qu'on l'a repoussé, il devait sortir plus tôt mais je n'étais pas totalement prêt et je voulais aller au bout du processus.

Tu sais à peu près quand il sortira ?
Début 2019. Je pense fin janvier ou début février. J'aime bien l'idée de commencer l'année avec ce disque, de travailler autour, de rencontrer les gens et de parler de tous les sujets abordés.

Pour en savoir plus, visitez emmanuelmoire.com ou son Facebook officiel.
Ecoutez et/ou téléchargez la discographie d'Emmanuel Moire sur Pure Charts.

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