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Clara Luciani en interview : "Cet album résonne avec un certain espoir"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Clara Luciani séduit la France entière avec son nouvel album "Coeur", numéro un des ventes. En interview pour Pure Charts, la chanteuse phénomène nous explique à quel point son disque sonne comme l'hymne du déconfinement. Rencontre avec une artiste passionnante et touchante.
Crédits photo : Alice Moitié
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Comment avez-vous vécu ces trois années de succès avec "Sainte-Victoire" ?
Je ne pourrais pas dire que ça a été trois années de succès parce qu'il y a vraiment eu une première année où il a fallu se battre et continuer d'y croire parce que ça ne prenait pas trop. C'est vraiment au bout d'un an que "La grenade" a commencé à passer en radio et à avoir le succès qu'on lui connaît aujourd'hui. Après ça, ça a été une vraie explosion et un vrai bouleversement dans ma vie. Mais je l'ai très bien vécu parce que c'est un rêve qui devenait réalité. J'avais attendu ça depuis tellement longtemps, de pouvoir enfin vivre de ma musique ! C'était le plus beau cadeau que j'ai jamais reçu.

Vivre de ma musique, c'est le plus beau des cadeaux
Ça vous a mis une pression pour la suite ?
Evidemment ! Je dis toujours que le premier album, on l'écrit vraiment pour soi parce qu'on n'a pas grand chose à perdre ni personne à décevoir à part les proches. Et c'est vrai que pour le deuxième album, je me disais "Il y a quand même 300.000 personnes qui ont acheté le premier disque et qui probablement attendent la suite". Je n'avais envie de décevoir aucune de ces 300.000 personnes-là. C'était évidemment beaucoup, beaucoup de stress (sourire).

Le succès de "La grenade" a été progressif mais aujourd'hui, les gens vous associent toujours à cette chanson. C'est quelque chose de pesant ?
C'est pas que c'est dur... Ça me fait plaisir parce que c'est pas du tout une chanson trop honteuse donc je n'ai pas à rougir de ça. Je suis assez fière de cette chanson. C'est juste qu'aujourd'hui, il faut passer à la suite et que je pense que le deuxième album a beaucoup de belles chansons. J'aimerais que les gens s'intéressent davantage au futur qu'au passé (sourire).

J'imagine que vous ne vouliez pas d'un "La grenade 2" sur ce nouvel album ?
Je ne me suis pas posée la question de toute façon parce que c'était naturel l'évolution vers laquelle je suis allée. Je sais que je ne suis pas dans la redite parce que dans le style, c'est une franche évolution.

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J'avais peur que les gens ne soient pas réceptifs
Ce deuxième album "Coeur" est plus disco et très festif. Est-il né en réaction au confinement ou vous aviez déjà commencé à travailler dessus avant cette période ?
La plupart des chansons ont été écrites avant ça, mais c'est vrai que la situation horrible dans laquelle on était a vraiment influencé la production et la réalisation des titres. En fait, les chansons, quand elles naissent, peuvent devenir plus ou moins n'importe quoi, et c'est vraiment la façon dont elles sont orchestrées et réalisées qui déterminent leurs identités propres. Comme ça me manquait beaucoup de pouvoir sauter partout et de danser, ça a pris une couleur beaucoup plus disco et dansante plutôt que si j'avais eu la possibilité d'aller en boîte et de voir mes amis tous les soirs.

C'est un choix logique après certains titres de la réédition comme "Nue" ou "Ma soeur" qui sonnaient déjà disco-pop ?
Oui, c'est ça, c'est une suite logique et non pas une redite. C'est une version 2.0. C'est vrai que sur des morceaux comme "Ma soeur" ou "Nue," il y avait une basse hyper présente par exemple...

Que vous évoque le disco, vous qui n'avez pas connu cette période ?
Ça m'évoque un moment où les gens ont voulu mettre en avant la danse avant tout. Ça peut être aussi une énergie du désespoir, ce truc de vouloir se perdre dans la danse quand tout fout le camp autour, quand tout va mal. C'est vraiment ça le disco : une énergie du désespoir.

Le disco, c'est l'énergie du désespoir
Le disco influe de plus en plus la pop mondiale, comme on peut l'entendre sur les derniers tubes de Kylie Minogue, Dua Lipa ou Miley Cyrus. Pourquoi cela revient tant à la mode ?
Parce qu'on a jamais eu autant besoin et envie de danser. Je pense que c'est presque une réaction à l'époque dans laquelle on vit.

Le disque est sorti il y a une semaine, comment vivez-vous son accueil dithyrambique ?
L'accueil est bon et ça me fait immensément plaisir parce que justement, en ayant pris le parti pris de faire un album dansant et solaire dans un moment aussi compliqué, j'avais peur que les gens ne soient pas réceptifs à ce disque-là, qu'il arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. En fait, on a un très bel alignement des planètes parce qu'on est en plein début de déconfinement donc il résonne avec un certain espoir qu'on a ces jours-ci. J'ai l'impression que cet album arrive au bon moment.

C'est donc le timing parfait vu qu'il est sorti pile lorsque le couvre-feu a été décalé à 23 heures !
Ça, c'était super ! En vrai, j'ai appelé le gouvernement pour leur dire "Allez à partir du 12 c'est bon" (rires).

Dans une interview pour L'Obs, vous dites que faire un album dansant est quasiment politique aujourd'hui. C'est-à-dire ?
Ça l'est dans le sens où c'est une mission de réussir à extirper les gens de la morosité dans laquelle on est. J'ai presque l'impression d'être en campagne pour une certaine joie de vivre et le retour d'une certaine insouciance.

Ecoutez "Coeur" :


Cet album, c'est une main tendue pour aller danser
La première chanson "Coeur" parle de féminicide. Mettre ce texte fort en première piste envoie un message puissant. Quand vous-êtes vous sentie capable de porter ce sujet important ?
Je me suis toujours sentie capable d'en parler en chanson et j'ai toujours senti que c'était une mission. Je cherchais juste les mots justes et ça m'a pris un peu plus de temps. Là, j'ai trouvé des formules qui me convenaient, qui étaient vraiment acérées, et je me suis dit que j'étais enfin prête à écrire cette chanson-là.

D'autant plus que le thème du féminicide ne saute pas aux oreilles dès la première écoute.
C'est vrai et, d'ailleurs, il y a plein de journalistes qui sont passés à côté du message de cette chanson-là. C'est un peu comme "La grenade", puisque beaucoup de gens n'avaient pas forcément compris le sens des paroles au départ. Après, j'aime bien l'idée que les chansons aient deux sens de lecture et que chacun puisse y projeter ce qu'il veut... Je trouve ça intéressant, c'est un peu plus poétisé. C'est bien aussi que ça puisse forcer les gens à s'asseoir et à bien écouter les paroles.

De la mettre en ouverture, ça fait aussi écho à "La grenade" ?
Je pense que c'est une chanson qui traite d'un sujet tellement compliqué et délicat que je ne l'aurais pas vu noyée au centre d'un album. J'avais vraiment envie qu'elle ait une place cruciale. Je me suis toujours dit, quand les chansons étaient prêtes, qu'il fallait que je commence par celle-là. C'est vraiment après que pour les autres j'ai mis plus de temps à établir l'ordre, mais celle-ci, ça a toujours évident qu'il fallait qu'elle commence.

"Respire encore", c'est notre soif du déconfinement
La chanson "Respire encore" est dans cette même idée puisqu'elle est à double sens.
Tout à fait ! C'est vrai qu'en ce moment elle résonne particulièrement dans notre vie. Elle raconte ce qu'on ressent actuellement avec notre soif du déconfinement. Mais je pense que dans deux ans, ce sera une chanson qui nous évoquera autre chose. Par exemple, si jamais on sort d'une période assez maussade, d'une dépression, d'une histoire d'amour de laquelle on se sent prisonnier... On peut y voir beaucoup de choses sur cette chanson !

Il y a deux parties sur l'album : une première très dansante et une seconde davantage composée de ballades. Cette 2ème partie, c'est comme l'after d'une soirée ?
(Rires) C'est tout à fait ça ! Avec tout de même un petit pic avec "Bandit" pour repartir. Cet album, je l'ai vraiment pensé comme une soirée ou un concert, avec un début très ascendant et très fort, puis une espèce de pause pour reprendre son souffle ou aller fumer une cigarette, et ensuite revenir danser un petit peu puis dire au revoir.

Ces ballades "J'sais pas plaire" ou "Sad & Slow" me rappellent d'ailleurs plus l'univers du premier album, comme un clin d'oeil...
Je pense que c'est toujours mon univers. Evidemment, c'est moi donc ce n'est pas vraiment un clin d'oeil. J'ai gardé quand même l'essence de mon identité et c'est peut-être ça que vous reconnaissez là-dedans.

Je ne suis pas dans la redite, c'est une franche évolution
"Le chanteur", qui sonne très Michel Berger, ressemble à une nouvelle version de "La groupie du pianiste"...
C'est sa petite soeur, clairement ! Je n'y ai pas du tout pensé quand je l'ai écrite mais en la réécoutant après coup, je me suis dit qu'il y a vraiment un lien de parenté.

Regardez le clip "Respire encore" :


Comme Michel Berger, vous restez du point de vue féminin, de la "groupie", et vous n'allez pas du côté masculin du "Chanteur".
J'écris souvent sur les personnages féminins parce qu'étant une femme, j'ai plus de facilité à écrire sur une femme. Mais c'est vrai que le personnage que j'avais en tête c'était plutôt une femme presque érotomane, qui s'imagine que son chanteur préféré est amoureux d'elle.

L'histoire de cette chanson brouille les repères entre fiction et réalité. Comment gérez-vous cet aspect du succès, avec votre vie privée ?
Je ne le gère pas vraiment au sens où je ne montre rien de ma vie privée qui ne regarde que moi, comme le mot l'indique. Et je pense que les gens sont assez respectueux de ça et que, fort heureusement, ils s'intéressent plus à mes albums qu'à mes histoires de coeur.

Avec Julien Doré, c'était assez émouvant de mêler nos voix
Vous qui vous décrivez comme une grande timide, comment avez-vous appris à apprivoiser votre statut de personnalité publique, avec les concerts, les émissions de télé... ?
Je le vis assez bien parce que finalement, je ne suis pas Mariah Carey non plus (rires). Dans ma vie, ça ne me change pas grand chose. Je vais très simplement au supermarché ou en terrasse, surtout ces derniers jours vu qu'elles ont rouverts. C'est assez rare que les gens viennent me parler finalement. Donc vraiment, c'est assez agréable. Sur ce point-là, ma vie n'a pas tellement changée !

Vous êtes critique envers vous-même sur "Le reste" ("Je ne suis qu'une imbécile") ou "J'sais pas plaire". Le succès que vous avez eu n'a pas amélioré votre confiance en soi ?
Un petit peu... Mais c'est vrai, vous avez raison, que je reste très sévère et très critique envers moi-même. Je ne suis pas très tendre...

Le texte de "J'sais pas plaire" est très fort : cela parle autant du fait de ne pas plaire en amour que de ne pas plaire au public ?
Aussi, et de ne pas se plaire à soi. C'est peut-être le plus gros des problèmes. Je pense qu'on peut survivre sans plaire à tout le monde parce que, de toute façon, c'est impossible de plaire à tout le monde. Le vrai problème est de ne pas se plaire à soi. Et c'est quelque chose que j'essaie de guérir avec l'amour du public, la scène... Et c'est peut-être ce que raconte le plus cette chanson.

Faire cet album vous a-t-il aidée à relever la tête, notamment après cette période de confinement et les épreuves personnelles que vous avez traversées ?
Totalement ! Cet album, c'était ma lumière au bout du tunnel. Travailler dessus a été un bonheur car on était très nombreux en studio, il y avait 18 violonistes... C'était le seul moment où je ne pouvais pas trop penser au Covid, même si on était masqués et qu'on ne pouvait pas totalement oublier la pandémie, mais j'ai eu beaucoup beaucoup de chance d'avoir cet album comme béquille durant le confinement.

Je reste très critique envers moi-même
Le premier album était assez personnel, alors que celui-ci sonne plus comme une libération !
C'est vraiment un album ouvert vers les autres. Je l'ai vraiment pensé comme une main tendue pour aller danser, une invitation à tout lâcher et à reprendre espoir en ce moment.

Ecoutez "Tout le monde (sauf toi)" :


Dans l'album vous partagez un duo avec Julien Doré, "Sad & Slow". Comment se sont déroulées vos retrouvailles après "L'île au lendemain" ?
C'était bizarre car à cause du Covid, on a dû enregistrer ce duo à distance. Julien m'a juste envoyé sa voix et c'était assez émouvant de mêler nos voix l'une à l'autre. C'était un peu tout ce qui nous restait dans ce moment-là où on ne pouvait pas se voir physiquement. Musicalement, on est de grands amoureux de la chanson française, on essaie de se l'accaparer, chacun dans notre style. Et personnellement, on aime beaucoup rire tous les deux, on a les mêmes valeurs, la même éducation et puis on vient du Sud, donc on a beaucoup beaucoup de choses en commun.

La dernière chanson se nomme "Au revoir" et vous y faites comme vos adieux : rassurez-nous, vous n'arrêtez pas tout de suite ?
Oh bah non, j'espère pas ! A part si personne ne veut de ce disque... (rires)

"Coeur" était ma lumière au bout du tunnel
Pourquoi alors ces adieux dès le deuxième album ?
C'est une chanson que j'ai écrite pendant la période du premier confinement, pendant un moment où j'ai vraiment pensé que j'allais peut-être être oubliée et que je ne pourrais pas remonter sur scène.

J'ai d'ailleurs ressenti des sonorités à la Christophe dans la chanson, notamment au niveau des synthés...
Ah oui, c'est vrai ! J'adore Christophe, c'est un musicien incroyable que j'aimais beaucoup. J'ai même eu la chance de le rencontrer. Je pense qu'il est certainement dans un coin de mes inspirations.

Vos derniers clips, comme "Le reste" ou "Respire encore", mettent en avant la danse, et vous n'avez jamais caché votre amour pour Jacques Demy. Pourrait-on vous voir un jour dans une comédie musicale ou en produire une ?
Ce serait génial ! Je pourrais faire "Les demoiselles de Sanary-sur-Mer" ! (rires)
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