Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Deux ans après la séparation de Fréro Delavega, Jérémy Frerot entame ses débuts en solo avec l'album "Matriochka". Croisé dans les couloirs d'une radio, le chanteur de 28 ans raconte sa mutation avec ce premier album surprenant, revient sur la période difficile ayant suivi la fin du groupe et aborde l'impact de sa notoriété sur sa vie privée.
Crédits photo : Yann Orhan
Propos recueillis par Yohann Ruelle.
"Matriochka" marque tes premiers pas en solo après l'aventure Fréro Delavega. Dans quel état d'esprit es-tu ?
Je suis complètement impatient, surtout depuis qu'on a mis un point final à l'album. J'ai vraiment envie d'avoir des avis, des retours et que les gens découvrent que j'ai fait autre chose que ce que je faisais avant.
Ça te fait bizarre de faire de la promotion seul, sans Florian ?
Le début a été assez difficile. J'avais pas du tout prévu. Je suis arrivé le jour de la première interview sans me poser de question et c'était hyper dur parce que je me suis rendu compte que mince ! D'habitude, Flo répondait, moi je réfléchissais ou moi je répondais et l'inverse. Le gars qui nous posait les questions il était mort parce qu'il était piégé, y'avait deux cerveaux contre un ! Il était fichu. (Rires) C'était une bagarre. Et puis plus les interviews se sont passées, plus je me suis rendu compte que c'était un échange, un bon moment. Maintenant j'arrive beaucoup mieux à gérer ça.
Que veux-tu dire par "bagarre" ?
On était un peu réticents à se plier à l'exercice. On avait l'impression qu'on ne racontait pas les bonnes choses sur nous et qu'on nous ne prenait pas pour ce que nous étions. Ça nous énervait un peu. Aujourd'hui, je trouve ça un peu bête car c'est vraiment... gâcher du temps. Sois heureux avec ce que tu as. (Sourire)
Fréro Delavega ? On ne pouvait pas continuer
Avec le recul, comment as-tu vécu la séparation du groupe ?
Ça a été dur, au début. J'ai passé un ou deux mois vraiment seul, un peu déprimé à me dire purée, c'est vraiment fini. On a fait une tournée d'adieux, on a fait des concerts de folie, on finissait en pleurs sur scène avec des milliers de personnes qui nous acclamaient donc je ne me disais pas du tout que c'était terminé. Mais quand le dernier concert est arrivé, à Bordeaux, là où tout avait commencé pour nous, ça a été un peu compliqué. Mais il a été très important pour moi ce passage. Ça m'a appris à me retrouver et à réfléchir seul. Ça a été vraiment galère de passer du rire aux larmes, en essayant de se parler à soi-même, de se comprendre, de savoir ce qu'on pense de la vie et de se dire sur quoi j'allais partir. Ça a été un passage difficile mais incontournable, et ça m'a vraiment ouvert plein de portes.
Tu as compris sa décision ?
Bien sûr. Je le savais déjà qu'il n'était pas très bien là-dedans. Il n'y avait que la tournée qui pouvait le faire continuer. C'était indiscutable. On ne pouvait pas continuer. Ce n'était pas possible de lui dire "Non, non, tu fais n'importe quoi, n'arrête pas". C'était un mal être qu'il avait. Il était en totale contradiction avec ce qu'il faisait et ce qu'il pensait. Il avait besoin d'arrêter pour être en accord avec lui-même.
Tu as songé à arrêter, toi aussi ?
Non, pas du tout. Au contraire ! Il faut des gars extrêmes comme lui pour faire avancer un peu les gens et donner une directive. Moi je suis plutôt un suiveur. Mais on a quand même une place qui est énorme : on peut parler aux gens. On est écouté. Il n'y a pas beaucoup de monde qui sont dans cette position et je trouve que c'est important de s'en servir. Donc voilà, moi j'avais envie de continuer. Je n'ai pas fini de dire ce que je pense, de dire quelque chose à travers la musique. Même avant que ça s'arrête Fréro Delavega, on s'était déjà dit que je continuerai. J'avais envie de faire les choses seul, pour voir et pour démarrer cette évolution.
Vous êtes toujours en contact ?
Oui oui, on se voit toujours ! L'amitié est là.
Tu lui dédies le titre "Revoir". C'était important d'en faire ton premier single ?
La première version de la chanson parle de lui, effectivement. Mais je l'ai réécrite pour l'album car on avait passé le cap. J'ai eu envie de la généraliser pour que tout le monde puisse s'accaparer la chanson. Ce sujet-là de dire que tout va très vite et qu'il faut relever la tête pour repartir est universel. Tout le monde traverse ça. Si je l'ai sortie en premier, c'est parce que c'était la première chanson que les gens ont écouté de moi. On a fait en sorte de proposer une production derrière ce texte et cette musique qui se rapportent à Fréro Delavega pour ne pas trop perdre les gens. C'était vraiment la meilleure passerelle.
Regardez le clip "Revoir" de Jérémy Frerot :
Que signifie le titre de l'album, "Matriochka" ? C'est toi, cette poupée russe ?
On peut dire ça, oui ! Mais on peut l'interpréter de plein de façons. Toutes les règles qui nous entourent, physiques ou temporelles, se rapportent à cette règle de poupée russe, des choses imbriquées dans l'autre, du plus petit au plus grand. Moi dans l'album je parle beaucoup de gens. Il raconte ma vision des choses par le biais des gens de la rue, des gens qui me sont très proches. Chaque personne est un reflet de nous-même, on se voit à travers les yeux des autres. La musique qu'on a faite aussi gravite autour de cette idée. Ce sont beaucoup de sons superposés et en même temps super aériens, très libres.
Je voulais une musique froide et volcanique
C'est un disque très doux aux arrangements brumeux, parfois électro-pop, très différent de ce à quoi on aurait pu s'attendre. C'était ça l'idée, s'éloigner de l'univers que vous proposiez avec Fréro Delavega ?
Complètement. J'avais envie de faire autre chose, mais il y avait déjà un peu les prémices de cet album-là dans ceux des Fréro. Notamment avec "Mes autres" et "Revoir", deux chansons que je faisais seul et qui possèdent un peu cette articulation ovni-électro avec des sonorités cherchées ailleurs. J'aime bien m'exprimer avec des musiques mélancoliques et théâtrales.
Quelles ont été tes inspirations ?
Bon Iver, bien sûr. James Blake, Ásgeir, Bernhoff aussi... Tous ces mecs de la musique nordique, hyper froide et en même temps volcanique. C'était vraiment le but. Je me sais pas si dans 5-6 ans ce sera toujours le cas mais en ce moment je me retrouvais dans cette musique-là.
Ça veut dire que tu ne te retrouvais pas totalement dans la musique que vous faisiez avant ?
Non, moi je me plaisais très bien ! En fait je ne m'étais jamais vraiment posé la question de savoir ce que j'aimais vraiment seul. Je me plaisais avec ces harmonies, cette musique très récréative, joviale et fédératrice. Hyper heureuse. Je m'y retrouvais complètement, et sur scène encore plus.
Tu ne t'es pas inquiété vis-à-vis du public ?
Je ne me suis pas inquiété mais je me suis dit que j'allais sûrement surprendre. La première chanson qu'on a réalisée avec Romain Joutard et Julien Grenier, ça a été "Lettre à vous". C'est là qu'on s'est rendu compte qu'on pouvait aller si loin. Je m'étais toujours dit que si je faisais du Ásgeir, ça allait complètement dénaturer la chanson française. Et quand on a fait cette prod et qu'ils me l'ont envoyée, ça a été un choc. Ça fonctionnait ! Cette belle découverte m'a conforté dans cette direction.
Ecoutez "L'homme nouveau" :
C'est essentiel d'être bien entouré dans ces moments-là ?
Oui. Ça a été assez facile de trouver une équipe qui comprenait ce que je racontais, parce que je la connaissais déjà. Dans la dernière tournée des Fréro, je commençais déjà un peu à réfléchir à ce que j'allais faire et les réalisateurs de mon album étaient justement nos musiciens. (Sourire) Ils m'ont complètement suivi durant mon déroulement artistique et ma création. Il n'y avait qu'eux qui pouvaient le faire. Ben Mazué et Laurent Lamarca, avec qui j'ai écrit une partie des textes, m'ont beaucoup aidé à m'établir aussi. Textuellement et musicalement, j'avais déjà trouvé les bonnes personnes avant de commencer.
La médiatisation de mon couple, ça a été un choc
Dans l'album, il y a des chansons très intimes comme "Plonge", qui est une déclaration d'amour à ton épouse Laure Manaudou. As-tu hésité avant de te livrer ainsi ?
Ah oui, complètement. Surtout sur celle-là ! J'ai mis quand même quatre ans à écrire un truc comme ça. (Il réfléchit) Moi je connaissais pas tout ce tourbillon médiatique de la starification. Je l'ai découvert d'un coup avec ma compagne, ça a été un choc assez brutal. Inconsciemment, je ne voulais pas en parler moi-même parce qu'on en parlait déjà assez. Je ne voyais pas l'utilité d'en rajouter. Je suis assez discret et pudique sur le fait de parler de mon amour pour quelqu'un, donc souvent je mets beaucoup de métaphores dedans. Et donc il m'a fallu trouver le moyen de parler et quand j'ai trouvé la brèche et le bon champ lexical, je l'ai fait naturellement.
Quelle a été sa réaction en l'écoutant ?
On a pleuré. (Sourire) C'était assez fort ! Et puis c'était la première fois qu'elle entendait une chanson sur elle aussi, donc c'était touchant.
Comment on fait pour protéger sa vie privée quand on est un couple de personnalités publiques ?
Je sais pas si on se protège mais en tout cas on fait avec. On a mis du temps à comprendre que ça faisait partie de nous. On était vraiment en guerre avec ça ! Mais au final, avec le temps, on a appris à se dire "C'est notre vie, c'est comme ça". On peut aussi vivre heureux avec la notoriété. Et puis personne ne le ressent autour de nous. Nos familles et nos amis ne nous voient pas comme un couple connu. Quant à nos enfants, on ne les présente pas. Déjà parce que c'est pas leur choix. J'ai pas envie que mon fils me dise dans 10 ans : "Non mais papa, j'avais pas envie de me montrer là !" (Rires) C'est assez naturel notre relation avec toute cette médiatisation, en vrai. On n'y fait plus trop attention.
Ecoutez "Plonge" de Jérémy Frerot :
Revenons à la musique. Qu'aimerais-tu que les gens se disent en écoutant ton album ?
Bah déjà qu'il y ait une réaction, bonne ou mauvaise, c'est gagné. Une création, si elle fait réagir, c'est qu'elle est réussie ! Même si les retours sont négatifs. Tout création est faite pour faire réagir.
J'ai des idées pour le 2ème album
Tu vas entamer à partir de novembre une série de concerts. Ça t'a manqué ?
Complètement ! Moi je fais ça pour la scène. L'album est fait pour emmener les gens sur scène, et emmener un maximum de personnes. Mais en même temps c'est un peu stressant parce que je n'ai fait pas de concert tout seul. Cette tournée-là est faite justement pour m'apprendre à être seul. C'est un bon test. A la base, on voulait faire guitare-voix, puis on s'est rendu compte qu'avec le son qu'on avait ce n'était pas possible. Donc on sera trois sur scène. Avec ces dates à l'automne, je veux vraiment montrer qui je suis. Quand on était avec les Fréro, je n'avais aucune peur, j'aurais pu monter sur scène sans pantalon, je m'en foutais ! C'était complètement naturel. Se tromper, se rater, tomber de scène, comme c'est déjà arrivé plusieurs fois... C'était le meilleur qui pouvait nous arriver parce que du coup ça mettait une ambiance avec les gens, ça créait une proximité. C'était génial. On n'avait aucune limite alors qu'on ne faisait pas du punk hein, c'était vraiment de la musique populaire (Rires) Là, j'ai un peu la pression.
La prochaine étape, c'est quoi ?
Je me dit qu'après ce premier album, j'ai juste envie de repartir sur un deuxième. Je sens que je n'ai pas été jusqu'au bout de l'idée. Là c'était vraiment la découverte, j'avais juste à me laisser faire et à suivre cette direction. Maintenant j'ai envie de travailler encore plus, d'aller encore plus loin au niveau du son. J'ai déjà des idées de textes, de thèmes... On verra où ça me mène !