Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Après l'excellent "A nous", l'artiste belge Noé Preszow sort cette semaine son deuxième album "préchof". En interview sur Purecharts, il se confie sur cette étape, ses envies, ses origines, la montée de l'extrême droite, son engagement ou sa chanson pour Zaz.
Crédits photo : Victor Pattyn
Propos recueillis par Julien Gonçalves.
Comment tu as abordé ce deuxième album "préchof" ? On dit souvent que c'est une étape particulière...
J'ai vraiment le sentiment de faire la même chose depuis que j'ai 13 ans. Oui c'est mon deuxième album et en même temps, c'est la continuité des CD qu'on me demandait de graver et que je distribuais dans la cour de récré. En moi, il n'y a pas eu de changement, mais il y a eu quand même l'envie de mettre les points sur les i, de préciser certaines choses. C'était plus un vrai besoin, observé une fois que l'album était fait, qu'un concept. Je me méfie du concept, du fait qu'il faut une idée forte. Au contraire, je l'ai même moins pensé que le premier.
Comment ça ?
Sur le premier, je m'étais retenu de faire certaines choses. Je ne sais pas pourquoi. J'avais tellement peur de mettre trop de guitares, car je suis un fou de guitare, que j'en ai presque pas mis ! (Rires) J'avais des drôles de trucs, que personne m'a demandé, mais je me suis mis mes propres limites. Je ne voulais peut-être pas tout donner, ne pas prendre ce risque, vu que je disais déjà beaucoup dans les textes. Mais là, par contre, je me suis dit : "C'est maintenant, j'y vais !"
Pour moi, être juif c'est être de gauche
D'où le titre de l'album, qui peut surprendre d'ailleurs !
Il y a des titres de chansons qui auraient été de bons titres d'album mais je n'avais pas envie de ça. Je voulais un truc particulier, j'aimais bien l'idée d'un album presque éponyme. Car donner son nom à son deuxième album, ça aurait été presque trop simple...
Tu en avais marre aussi qu'on écorche ton nom ?
Je l'ai tellement précisé dans les communiqués de presse ou avant une interview qu'il a finalement été peu écorché. Même dans l'orthographe, c'est marrant mais je n'ai jamais vu de faute dans des articles, alors que d'autres artistes en ont eues avec des noms beaucoup plus simples. Mais je comprends que les gens qui découvrent mes chansons en streaming par exemple ne sachent pas comment le prononcer. Et moi, si je ne sais pas comment prononcer le nom de l'artiste, j'ai du mal à aller plus loin dans l'oeuvre. Donc ça doit être pareil pour d'autres...
Et il y a aussi cette chanson "préchof" qui est très forte, qui dit beaucoup de toi...
Oui... Elle est surprenante pour moi. C'est venu d'un souvenir il y a 5-6 ans, on a été en Pologne avec mon père et mon frère. On a été sur les traces de notre famille qui est partie en Belgique avant la deuxième guerre, pour revenir et mourir dans les camps... On a fini par tomber sur une mairie avec des registres, on a trouvé des documents, le nom de la rue, on y est allé et là... entre deux maisons, il y a un trou, une sorte de terrain vague. (Rires) Ça ressemble tellement à notre histoire familiale... Il y avait une métaphore assez forte. Et franchement, si on m'avait dit il y a quelques années que je ferai une chanson où je parle de mes origines juives, je n'y aurais pas cru. Pour moi, c'était un sujet très intime. Mais c'est tellement lié... Pour moi, et chacun son point de vue, mais être juif c'est être de gauche. Et pour moi ça se traduit notamment par être proche de la cause des sans papiers et exilés en 2024.
Et ça dit beaucoup de choses de qui tu es, de ce qui te touche, de ton engagement...
Oui ! Et puis quand je dis "Il s'agira toujours d'un autre dans le miroir". C'est très particulier de savoir que c'était il n'y a pas si longtemps que ça, que des gens qui avaient le même nom et le même sang ont été déportés et gazés. Mais ce n'est pas plus particulier parce que c'est la question juive. Dans toutes les histoires familiales qui ont connu la guerre, d'où qu'on vienne... Dans mon entourage, des personnes avec des histoires et des racines différentes ont entendu la chanson, et ça leur parle de la même manière. Et ça, ça m'a surpris. De voir que c'était intime mais qu'elle pouvait s'ouvrir aux autres.
J'ai lu que tu aurais pu sortir un triple album...
C'est vrai et je me suis franchement posé la question. Ça aurait été presque trop facile. Je ne dis pas ça pour faire mon malin, c'est juste que je suis un fou de studio et la complexité c'est de choisir les chansons. Je suis arrivé, comme pour le premier, avec une quarantaine de chansons. A priori, je les aime toutes ! Sur le moment, j'ai envie de tout sortir et puis ça devient un jeu que j'adore. Et finalement, l'album s'ouvre sur "L'intime et le monde" et se termine sur "Jusqu'au bout de la nuit", qui se répondent. Mais il y a notamment un titre qui s'appelle "Debout", que j'adore et qui n'est pas sur l'album. Elle parle de mon rapport à mon propre corps, elle est importante mais elle aurait pris la place d'une autre... Après, il faut faire un choix, et elle vivra peut-être en live ou sur un autre support.
A l'origine, je voulais faire un album acoustique
J'ai senti sur cet album une volonté d'accrocher l'oreille de l'auditeur, il y a des gimmicks, et même Sage à la composition. C'était une envie de s'ouvrir un peu ?
L'un des points de départ de l'album, c'est l'adolescence. Sans doute parce qu'il y a eu d'abord "Charlotte", qui ressemblait aux chansons que je faisais quand j'avais 13 ans, puis "27". Il y a quelque chose en moi qui a retrouvé ce que j'ai toujours aimé, les mélodies. J'aime Ferré, Bashung etc... mais j'ai aussi beaucoup écouté de rock, de pop-rock. C'est en moi aussi. Les gimmicks, j'adore ça ! J'ai des tonnes de fichiers avec que des gimmicks. Mais je n'avais pas trop osé pousser ça sur le premier album... Il n'y avait aucun calcul, mais je me suis mis à chanter plus fort, comme quand j'avais 15 ans, plus haut aussi. Et à l'origine, je voulais faire un album acoustique, triste, tout seul. Et finalement, je me suis isolé dans un endroit en Ardèche, et, avec le Covid etc, ça a été complexe. Mentalement, je l'ai senti, un peu plus tard. D'être seul et en pleine nature, ça m'a comme obligé à tenir, à me dire : "Putain, on est vivant, alors vivons !".
Et collaborer avec Sage, c'était une évidence ?
Je l'avais rencontré sur le premier album pour des essais et finalement ça ne s'est pas fait. J'avais quand même flashé sur sa façon de travailler, qui est très agréable. Là, je suis allé chez lui, on a sorti les guitares, mais à aucun moment, je ne lui ai dit : "Fais de cette chanson un single !". On a pris nos guitares, il regardait le texte, et on voyait ce qui arrivait.
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Tes textes sont toujours très engagés, sociétaux. Avec l'actualité, j'imagine que tu as eu beaucoup de matière ces dernières années...
Oui, ça a été une vraie matière. D'être toujours entre l'Ardèche et Bruxelles, de circuler mais de passer beaucoup de temps seul, j'ai eu une forme de recul. Quand je suis seul et isolé, je me sens relié au reste du monde. L'inquiétude par rapport à l'extrême-droite dont je parle sur "Juste devant", j'avais l'espace pour la ressentir, pour que je lise là-dessus. Pareil sur l'Ukraine. Le fait d'être seul m'a donné le temps de lire les journaux, de me renseigner, d'être véritablement touché et que tout ça grandisse et prenne une forme. J'ai besoin que sur mes albums il y ait une ou deux chansons avec un regard d'actualité, presque journalistique.
On n'est jamais trop en colère
Quand on est engagé comme tu l'es, comment on fait pour ne pas devenir aigri ou trop en colère ? Comment on garde espoir face à l'actualité ?
Mon premier réflexe, ce serait de dire qu'on n'est jamais trop en colère. Mais je vois ce que tu veux dire... En effet, parfois, on peut s'aveugler soi-même... Mais pour qu'il y ait une forme de poésie, de transformation, pour ouvrir le champ, il faut multiplier les angles. Bien sûr, je vais en manif pour soutenir les sans papiers, contre les violences policières, pour plus d'écologie, mais je vais aussi au cinéma, beaucoup, je vais au théâtre, j'écoute de la musique, je marche en forêt, je circule dans la ville la nuit en vélo... Je fonctionne vraiment par flash. L'instant présent, moi je n'y suis pas trop. Je suis toujours entre le futur et le passé. Il y a plein d'angles qui se mélangent, et ça, ça aide. Je parlais récemment avec quelqu'un qui avait une vision un peu caricaturale des manifs. Bien sûr qu'il y a un sujet précis et le besoin de faire changer les choses, mais une manif, c'est des moments de vie, des SMS aux potes, des rires, des chansons, de la joie... Une manif c'est plus large que ce qu'on peut voir à la télé.
Ma chanson préférée de l'album c'est "Juste devant" sur la montée de l'extrême droite. Elle prend aux tripes avec aussi beaucoup de poésie. C'est un sujet clivant à aborder en chanson. C'était nécessaire pour toi d'en parler ?
Oui. Il y a plein d'autres chansons très bonnes sur le sujet, je suis loin d'être le premier, mais j'espère que les chansons à ce sujet vont se multiplier. Je serais curieux de voir comment d'autres artistes parlent de ça. Peut-être qu'on est dans une époque où certains artistes populaires ont peur de ne pas remplir des grandes salles s'ils se lancent sur le sujet. D'abord, je crois que c'est faux. Sans doute parce que j'ai grandi avec des artistes qui remplissaient précisément leurs salles comme ça, de Renaud à Diam's. Déjà Diam's, elle n'a presque que des chefs d'oeuvre, mais "Marine", c'est une grande chanson. Donc ça n'empêche pas et ça peut fédérer. Il faut juste trouver le bon angle. Là, je m'adresse presque à ceux et à celles qui votent extrême-droite. De dire "On entend cette colère mais la solution n'est pas celle que vous croyez être. Est-ce qu'on peut discuter ? Une rencontre est-elle possible ?" Il faut ouvrir ses fenêtres. Mais, en effet, je me demande comment cette chanson va être reçue...
Tu penses que la musique peut changer les choses et aider à faire évoluer les mentalités dans un climat comme celui-ci ?
Les chansons changent les gens donc je pense que les chansons changent le monde. J'y crois vraiment. Je crois qu'on peut changer d'avis grâce à un film, grâce à une chanson. Je suis très attaché à des cinéastes qui ont un oeil sur la société comme les frères Dardenne ou Ken Loach, parce que je crois que ça peut contribuer à changer les gens. Et pareil pour les chansons. Les chanteurs et chanteuses que j'ai écoutés ont participé à mon éducation. Il y a plein de sujets comme l'écologie ou le racisme dont j'ai entendu parler pour la première fois dans des chansons. Je pense à Pierre Perret, Renaud...
J'aurais aimé écrire pour Johnny
Le thème de l'exil est récurrent dans tes chansons. Pourquoi ça te touche à ce point ?
Je pense que c'est d'abord lié à mon histoire. (Il réfléchit) La langue maternelle de mes arrières grands-parents n'était pas le français. Ils ont appris à parler le français et ont parlé toute leur vie avec un accent. Ça a donné des familles très éclatées, très déchirées. C'est quelque chose que je ressens très fort, les conséquences de l'exil forcé. Et comment ça se transmet de génération en génération. Les premières manifs où je suis allé enfant c'était en soutien aux sans papiers, contre "les centres fermés". Ce sont des prisons quoi... Je me souviens des mains à travers les grilles. Ce sont des images d'une réelle injustice que je n'oublierai jamais.
Sortons un peu de l'album. Tu as écrit pour Zaz sur son dernier disque. C'est quelque chose que tu aimerais continuer à faire ?
C'est quelque chose que j'aime faire mais c'est plus compliqué d'écrire pour les autres que d'écrire pour moi. Il faut vraiment que j'ai une sensation forte vis à vis de l'artiste. J'aime vraiment faire des chansons pour moi mais Zaz... Cette chanson, elle a une histoire vraiment dingue. Je l'ai écrite pour elle quand j'avais 21/22 ans, dans ma petite chambre à Bruxelles. Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé dans ma tête. J'ai trouvé une adresse mail, je l'ai envoyée mais on ne m'a jamais répondu. Et finalement, les années ont passé, j'ai signé ici, "A nous" est sorti, et mon éditrice m'a demandé si j'aimerais écrire pour Zaz qui préparait un nouvel album. Je lui ai dit que j'avais déjà la chanson ! (Rires)
C'est incroyable !
Oui ! On l'a envoyée et le lendemain, Zaz et son équipe nous ont fait un retour en disant qu'ils la voulaient et qu'ils ne voulaient rien changer au texte. Donc ça dépend vraiment de l'histoire, il faut qu'il y ait une rencontre. Et puis si j'écris vraiment c'est pour enregistrer, c'est ma passion. Si j'écris c'est pour ensuite superposer les couches de guitares, penser aux arrangements donc si c'est juste écrire et composer, moi il me manque une dose de bricolage. Mais je ne ferme pas la porte... Par contre, je sais que j'aurais eu envie d'écrire pour Johnny.